Traité d'économie politique - Institut Coppet
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de la société, pour être employé à la défense de l’état. Le cultivateur est forcé de travailler<br />
non seulement pour se nourrir avec sa famille, mais pour nourrir d’autres familles qui sont,<br />
ou propriétaires des terres et en partagent les produits, ou manufacturières et commerçantes,<br />
et lui fournissent des denrées dont lui-même ne peut plus se passer. Il faut, en conséquence,<br />
qu’il cultive une plus grande étendue de terrain, qu’il varie ses cultures, qu’il soigne un plus<br />
grand nombre de bestiaux, qu’il se livre à une exploitation lus compliquée, et qui l’occupe<br />
même dans les intervalles que lui laisse le développement des germes 415 .<br />
Le manufacturier, le commerçant peuvent encore moins sacrifier un temps et des facultés<br />
dont toutes les portions, sauf les instants de relâche, sont nécessaires à la production qui<br />
soutient leur existence.<br />
Les propriétaires des terres affermées pourraient encore, à la vérité, faire la guerre à leurs<br />
dépens, et c’est bien ce que font jusqu’à un certain point les nobles dans les monarchies ;<br />
mais la plupart des propriétaires, accoutumés aux douceurs de la civilisation, n’éprouvant<br />
jamais les besoins qui font concevoir et exécuter les grandes entreprises, peu susceptibles de<br />
cet enthousiasme qu’on n’éprouve jamais seul, et qui ne peut être général dans une nation<br />
nécessairement occupée ; les propriétaires, dis-je, ont, dans cet ordre de choses, toujours<br />
préféré de contribuer à la défense de la société plutôt par le sacrifice d’une partie de leurs<br />
revenus, que par celui de leur repos et de leur vie. Les capitalistes partagent les goûts, les<br />
besoins et l’opinion des propriétaires fonciers.<br />
De là les contributions qui, dans presque tous les états modernes, ont mis le prince ou la<br />
république en état de salarier des soldats dont tout le métier est de garder le pays, de le<br />
défendre contre les agressions des autres puissances, et trop souvent d’être les instruments<br />
des passions et de la tyrannie de leurs chefs.<br />
La guerre, devenue un métier, participe comme tous les autres arts aux progrès qui<br />
résultent de la division du travail : elle met à contribution toutes les connaissances<br />
humaines. On ne peut y exceller, soit comme général, soit comme ingénieur, soit comme<br />
officier, soit même comme soldat, sans une instructon quelquefois fort longue et sans un<br />
exercice constant. Aussi, en exceptant les cas où l’on a eu à lutter contre l’enthousiasme<br />
d’une nation tout entière, l’avantage est-il toujours demeuré aux troupes les mieux<br />
aguerries, à celles dont la guerre était devenue le métier. Les turcs, malgré leur mépris pour<br />
les arts des chrétiens, sont obligés d’être leurs écoliers dans l’art de la guerre, sous peine<br />
d’être exterminés. Toutes les armées de l’Europe ont été forcées d’imiter la tactique des<br />
prussiens ; et lorsque le mouvement imprimé aux esprits par la révolution française, a<br />
perfectionné, dans les armées de la république, l’application des sciences aux opérations<br />
militaires, les ennemis des français se sont vus dans la nécessité de s’approprier les mêmes<br />
avantages.<br />
Tous ces progrès, ce déploiement de moyens, cette consommation de ressources, ont<br />
rendu la guerre bien plus dispendieuse qu’elle ne l’était autrefois. Il a fallu pourvoir<br />
d’avance les armées, d’armes, de munitions de guerre et de bouche, d’attirails de toute<br />
espèce. L’invention de la poudre à canon a rendu les armes bien plus compliquées et plus<br />
coûteuses, et leur transport, surtout celui des canons et des mortiers, plus difficile. Enfin les<br />
étonnants progrès de la tactique navale, ce nombre de vaisseaux de tous les rangs, pour<br />
chacun desquels il a fallu mettre en jeu toutes les ressources de l’industrie humaine ; les<br />
415 Les Grecs, jusqu’à la seconde guerre des Perses, et les Romains, jusqu’au siège de Veìes, faisaient leurs<br />
expéditions militaires entre les semailles et les moissons. Les peuples chasseurs et pasteurs, comme les Tartares,<br />
les Arabes, n’ont presque point d’arts et point d’agriculture, ce qui leur permet de porter la guerre partout où ils<br />
trouvent des pâturages et du butin. De là les vastes conquêtes d’Attila, de Gengis Khan, de Tamerlan, des Arabes<br />
et des Turcs.