Traité d'économie politique - Institut Coppet
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Il serait triste qu’on appelât déclamations des vérités que le bon sens n’est forcé de<br />
répéter que parce que la folie et la passion s’obstinent à les méconnaître.<br />
Les consommations ordonnées par le gouvernement étant une partie importante des<br />
consommations de la nation, puisqu’elles s’élèvent quelquefois au sixième, au cinquième,<br />
au quart des consommations totales, et même au-delà 405 , il en résulte que le système<br />
économique embrassé par le gouvernement exerce une immense influence sur les progrès<br />
ou la décadence de la nation. Qu’un particulier s’imagine augmenter ses ressources en les<br />
dissipant, qu’il croie se faire honneur par la prodigalité, qu’il ne sache pas résister à l’attrait<br />
d’un plaisir flatteur ou aux conseils d’un ressentiment même légitime, il se ruinera, et son<br />
désastre influera sur le sort d’un petit nombre d’individus. Dans un gouvernement, il n’est<br />
pas une de ces erreurs qui ne fasse plusieurs millions de misérables, et qui ne soit capable<br />
de causer la décadence d’une nation. Si l’on doit désirer que les simples citoyens soient<br />
éclairés sur leurs véritables intérêts, combien, à plus forte raison, ne doit-on pas le désirer<br />
des gouvernements ! L’ordre et l’économie sont déjà des vertus dans une condition privée ;<br />
mais quand ces vertus se rencontrent dans les hommes qui président aux destinées de l’état,<br />
et qu’elles font la prospérité de tout un peuple, on ne sait quel magnifique nom leur donner.<br />
Un particulier sent toute la valeur de la chose qu’il consomme ; souvent c’est le fruit<br />
pénible de ses sueurs, d’une longue assiduité, d’une épargne soutenue ; il mesure aisément<br />
l’avantage qu’il doit recueillir d’une consommation, et la privation qui en résultera pour lui.<br />
Un gouvernement n’est pas si directement intéressé à l’ordre et à l’économie ; il ne sent pas<br />
si vivement, si prochainement, l’inconvénient d’en manquer. Ajoutez qu’un particulier est<br />
excité à l’épargne, non seulement par son propre intérêt, mais par les sentiments du cœur :<br />
son économie assure des ressources aux êtres qui lui sont chers ; un gouvernement économe<br />
épargne pour des citoyens qu’il connaît à peine, et les ressources qu’il ménage ne serviront<br />
peut-être qu’à ses successeurs.<br />
On se tromperait si l’on supposait que le pouvoir héréditaire met à l’abri de ces<br />
inconvénients. Les considérations qui agissent sur l’homme privé touchent peu le<br />
monarque. Il regarde la fortune de ses héritiers comme assurée, pour peu que la succession<br />
le soit. Ce n’est pas lui d’ailleurs qui décide de la plupart des dépenses et qui conclut les<br />
marchés, ce sont ses ministres, ses généraux ; enfin une expérience constante prouve que les<br />
gouvernements les plus économes ne sont ni les monarchies, ni les gouvernements<br />
démocratiques, mais plutôt les républiques aristocratiques.<br />
Il ne faut pas croire non plus que l’esprit d’économie et de règle dans les consommations<br />
publiques, soit incompatible avec le génie qui fait entreprendre et acheter de grandes<br />
choses. Charlemagne est un des princes qui ont le plus occupé la renommée : il fit la<br />
405 Quoiqu’une nation puisse consommer au-delà de son revenu, ce n’est probablement pas le cas de<br />
l’Angleterre, puisque son opulence a évidemment augmenté jusqu’à ce jour. Ses consommations vont donc, au<br />
plus, au niveau de ses revenus. Le revenu total de la Grande-Bretagne n’est évalué, par Gentz, qu’à 200 millions<br />
sterling ; par Gentz, si partial pour les finances et les ressources de l’Angleterre ! Henri Beeke le porte à 218<br />
millions, en y comprenant pour 100 millions de revenus industriels. Admettons que, par suite des derniers<br />
progrès industriels, il ait encore augmenté depuis, et qu’en 1813 la totalité des revenus dans la Grande-Bretagne<br />
se soit élevée à 224 millions sterling. Or, nous trouvons dans Colquhoun (On the Wealth of the British empire)<br />
que les dépenses du gouvernement, dans cette même année 1815, se sont élevées à 112 millions sterling. A ce<br />
compte, les dépenses publiques formaient en Angleterre, à cette époque, la moitié des dépenses totales de la<br />
nation. Et encore, les dépenses faites par les mains du gouvernement central, ne comprennent pas la totalité des<br />
dépenses publiques, puisqu’elles ne comprennent ni les dépenses communales, ni la taxe des pauvres, ni la<br />
dixme forcée que l’on paie pour le clergé anglican, ni les contributions volontaires pour l’entretien des autres<br />
cultes, etc. Un gouvernement, même dans de grands États, pourrait être organisé de manière à ne pas consommer<br />
la centième partie des revenus généraux d’un pays ; mais cela tiendrait à des perfectionnements dans la <strong>politique</strong><br />
pratique, dont les nations les plus avancées sont encore bien loin.