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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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tandis qu’un gouvernement n’est pas propriétaire : il n’est qu’administrateur de la fortune<br />

publique 398 .<br />

Que doit-on penser Dès lors de plusieurs auteurs qui ont voulu établir que les fortunes<br />

particulières et la fortune publique étaient de nature fort différente ; que la fortune d’un<br />

particulier se grossissait à la vérité par l’épargne, mais que la fortune publique recevait, au<br />

contraire, son accroissement de l’augmentation des consommations ; et qui ont tiré de là<br />

cette dangereuse et fausse conséquence, que les règles qui servent à l’administration d’une<br />

fortune privée, et celles qui doivent diriger l’administration des deniers publics, non<br />

seulement diffèrent entre elles, mais se trouvent souvent directement opposées <br />

Si de tels principes ne se montraient que dans les livres, et n’étaient jamais mis en<br />

pratique, on pourrait s’en consoler, et les envoyer avec indifférence grossir l’immense amas<br />

des erreurs imprimées ; mais combien ne doit-on pas gémir sur l’humanité, lorsqu’on les<br />

voit professées par des hommes éminents en dignités, en talents, en instruction ; que dis-je !<br />

Lorsqu’on les voit réduits en pratique par ceux qui sont armés du pouvoir, et qui peuvent<br />

prêter à l’erreur et au mauvais sens, la force des baïonnettes et celle du canon 399 <br />

Madame De Maintenon rapporte, dans une lettre au cardinal De Noailles, qu’un jour,<br />

exhortant le roi à faire des aumônes plus considérables, Louis XIV lui répondit : un roi fait<br />

l’aumône en dépensant beaucoup. Mot précieux et terrible, qui montre comment la ruine<br />

peut être réduite en principes<br />

400 . Les mauvais principes sont plus fâcheux que la perversité<br />

même, parce qu’on les suit contre ses propres intérêts qu’on entend mal, parce qu’on les suit<br />

plus longtemps, sans remords et sans ménagement. Si Louis XIV avait cru ne satisfaire que<br />

sa vanité par son faste, et son ambition par ses conquêtes, il était honnête homme, il aurait<br />

pu se les reprocher enfin, et y mettre un terme, s’arrêter du moins pour son propre intérêt ;<br />

mais il s’imaginait fermement qu’il se rendait par ses profusions, utile à ses états, et par<br />

conséquent à lui-même, et il ne s’arrêta qu’au moment où il tomba dans la misère et<br />

l’humiliation 401 .<br />

398 Tout gouvernement qui se dit propriétaire de la fortune des particuliers, ou qui agit comme s’il l’était, est<br />

usurpateur ; or, l’usurpation est un fait et non pas un droit ; autrement un voleur assez adroit ou assez fort pour<br />

s’emparer du bien d’autrui, une fois qu’il serait devenu le plus faible et qu’on l’aurait saisi, serait néanmoins<br />

propriétaire légitime, et dispensé de la restitution.<br />

399 Il est aisé de s’apercevoir que ce passage, et plusieurs autres, ont été écrits sous un régime militaire qui<br />

s’était arrogé le droit d’épuiser toutes les ressources de la nation, et de lui parler seul pour lui prouver, sans être<br />

contredit, que c’était parfaitement bien fait.<br />

400 Quelques bons esprits, tels que Fénelon, Vauban et d’autres, sentaient confusément que ce système<br />

conduisait à la ruine ; mais ils ne pouvaient le prouver, faute de savoir en quoi consistait la production et la<br />

consommation des richesses. Vauban, dans sa Dixme royale, dit que « si la France est si misérable, ce n’est ni à<br />

l’intempérie de l’air, ni à la faute des peuples, ni à la stérilité des terres qu’il faut l’attribuer, puisque l’air y est<br />

excellent, les habitants laborieux, adroits, pleins d’industrie et très nombreux, mais aux guerres qui l’ont agitée<br />

depuis longtemps, et au défaut d’économie que nous n’entendons pas assez ». Fénelon, dans plusieurs<br />

excellentes pages de son Télémaque, avait donné à entendre les mêmes vérités ; mais elles pouvaient passer, et<br />

passèrent en effet pour des déclamations, parce que Fénelon n’était pas en état de les prouver rigoureusement.<br />

401 Quand Voltaire dit, en parlant des bâtiments fastueux de Louis XIV, que ces bâtiments n’ont point été à<br />

charge à l’État, et qu’ils ont servi à faire circuler l’argent dans le royaume, il prouve seulement que ces matières<br />

étaient étrangères à nos plus grands génies. Voltaire ne voit que les sommes d’argent dans cette opération ; et<br />

l’argent ne faisant point en effet partie des revenus ni des consommations annuelles, quand on ne considère que<br />

cette marchandise, on ne voit point de perte dans les plus grandes profusions. Mais qu’on y fasse attention : il<br />

résulterait de cette manière d’envisager les choses, qu’il n’y a rien de consommé dans un pays pendant le cours<br />

d’une année ; car la masse de son numéraire est, à la fin de l’année, à peu près la même qu’au commencement.<br />

L’historien aurait dû songer, au contraire, que les 900 millions de notre monnaie, dépensés par Louis XIV pour<br />

le seul château de Versailles, se composaient originairement de produits péniblement créés par l’industrie des<br />

Français, et leur appartenant ; changés par eux en argent pour le paiement de leurs contributions ; troques ensuite<br />

contre des matériaux, des peintures, des dorures, et consommes sous cette dernière forme pour satisfaire la vanité

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