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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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Parmi les motifs qui déterminent le plus de consommations privées, il faut ranger le luxe,<br />

qui a fourni matière à tant de déclamations, et dont je pourrais peut-être me dispenser de<br />

parler, si tout le monde voulait prendre la peine de faire l’application des principes établis<br />

dans cet ouvrage, et s’il n’était pas toujours utile de mettre des raisons à la place des<br />

déclamations.<br />

On a défini le luxe l’usage du superflu 390 . J’avoue que je ne sais pas distinguer le<br />

superflu du nécessaire. De même que les couleurs de l’arc-en-ciel, ils se lient et se fondent<br />

l’un dans l’autre par des nuances imperceptibles. Les goûts, l’éducation, les tempéraments,<br />

les santés, établissent des différences infinies entre tous les degrés d’utilité et de besoins ; et<br />

il est impossible de se servir, dans un sens absolu, de deux mots qui ne peuvent jamais avoir<br />

qu’une valeur relative.<br />

Le nécessaire et le superflu varient même selon les différents états où se trouve la<br />

société. Ainsi, quoiqu’à la rigueur un homme pût vivre en n’ayant que des racines pour se<br />

nourrir, une peau pour se vêtir et une hutte pour s’abriter, néanmoins, dans l’état actuel de<br />

no sociétés, on ne peut pas, dans nos climats, considérer comme des superfluités du pain et<br />

de la viande, un habit d’étoffe de laine et le logement dans une maison. Par la même raison,<br />

le nécessaire et le superflu varient selon la fortune des particuliers ; ce qui est nécessaire<br />

dans une ville et dans une certaine profession, serait du superflu à la campagne et dans une<br />

position différente. On ne peut donc pas tracer la ligne qui sépare le superflu du nécessaire.<br />

Smith, qui la place un peu plus haut que Steuart, puisqu’il appelle choses nécessaires<br />

(necessities), non seulement ce que la nature, mais encore ce que les règles convenues de<br />

décence et d’honnêteté ont rendu nécessaire aux dernières classes du peuple ; Smith, dis-je,<br />

a eu tort de la fixer. Cette ligne est mobile de sa nature.<br />

On peut dire, en général, que le luxe est l’usage des choses chères ; et ce mot cher, dont<br />

le sens est relatif, convient assez dans la définition d’un mot dont le sens est relatif aussi. Le<br />

mot luxe en français réveille en même temps plutôt l’idée de l’ostentation que celle de la<br />

sensualité 391 : le luxe des habits n’indique pas que les habits sont plus commodes pour ceux<br />

qui les portent, mais qu’ils sont faits pour frapper les yeux de ceux qui les regardent. Le<br />

luxe de la table rappelle plutôt la somptuosité d’un grand repas que les mets délicats d’un<br />

épicurien.<br />

Sous ce point de vue, le luxe a principalement pour but d’exciter l’admiration par la<br />

rareté, la cherté, la magnificence des objets qu’il étale ; et les objets de luxe sont les choses<br />

qu’on emploie ni pour leur utilité réelle, ni pour leur commodité, ni pour leur agrément,<br />

mais seulement pour éblouir les regards et pour agir sur l’opinion des autres hommes. Le<br />

luxe est de l’ostentation, mais l’ostentation s’étend à tous les avantages dont on cherche à se<br />

parer : on est vertueux par ostentation ; on ne l’est jamais par luxe. Le luxe suppose de la<br />

dépense, et si l’on dit le luxe de l’esprit, c’est par extension, et en supposant qu’on se met<br />

en dépense d’esprit quand on prodigue les traits que l’esprit fournit ordinairement, et que le<br />

goût veut qu’on ménage.<br />

Quoique ce que nous entendons par luxe ait principalement l’ostentation pour motif,<br />

néanmoins les recherches d’une sensualité extrême peuvent lui être assimilées : elles ne<br />

l’inquiétude et des autres inconvénients étrangers à la dépense. Ce n’étaient pas de grands malheurs ni de grosses<br />

pertes ; cependant, quand on saura que le défaut de soin renouvelait de pareils accidents tous les jours, et qu’il<br />

entraîna finalement la ruine d’une famille honnête, on conviendra qu’il valait la peine d’y faire attention.<br />

390 Steuart, Économie <strong>politique</strong>. Le même auteur dit, dans un autre endroit, que les superfluités sont les choses<br />

qui ne sont pas absolument nécessaires pour vivre.<br />

391 Les Anglais n’ont qu’un seul mot (luxury) pour exprimer ce que nous appelons luxe et luxure. C’est peutêtre<br />

à cette circonstance qu’il faut attribuer l’idée de sensualité qu’ils attachent plus que nous aux choses de luxe.

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