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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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que pour soutenir des guerres et fournir à des dissipations et à des projets hasardeux, à une<br />

époque où les lois étaient sans force et les prêteurs hors d’état d’exercer avec succès une<br />

action contre leurs débiteurs, il leur fallait une grosse assurance pour couvrir l’incertitude<br />

du remboursement. La prime d’assurance formait la majeure partie de ce qui portait le nom<br />

d’intérêt ou d’usure ; et l’intérêt véritable, le loyer pour l’usage du capital, se réduisait à<br />

fort peu de chose. Je dis à fort peu de chose ; car, quoique les capitaux fussent rares, je<br />

soupçonne que les emplois productifs étaient plus rares encore. Sur les 86 pour cent<br />

d’intérêt payés sous le roi Jean, il n’y avait peut-être pas plus de 3 à 4 pour cent qui<br />

représentassent le service productif des capitaux prêtés ; tous les services productifs sont<br />

mieux payés de nos jours qu’ils ne l’étaient alors, et le service productif des capitaux ne<br />

peut guère actuellement être évalué à plus de 5 pour cent ; ce qui excède ce taux représente<br />

la prime d’assurance réclamée par le prêteur.<br />

Ainsi la baisse de l’assurance, qui forme souvent la plus forte partie de l’intérêt, dépend<br />

de la sûreté dont jouit le prêteur ; cette sûreté, à son tour, dépend principalement de trois<br />

circonstances, savoir : 1 de la sûreté de l’emploi ; 2 des facultés, du caractère personnel de<br />

l’emprunteur, et 3 de la bonne administration du pays où il réside.<br />

Nous venons de voir que l’emploi hasardeux que l’on faisait de l’argent emprunté, dans<br />

le moyen âge, entrait pour beaucoup dans la forte prime d’assurance payée au prêteur. Il en<br />

est de même, quoiqu’à un moindre degré, pour tous les emplois hasardeux. Les athéniens<br />

distinguaient jadis l’intérêt maritime de l’intérêt terrestre ; le premier allait à 30 pour cent,<br />

plus ou moins, par voyage, soit au Pont-Euxin, soit dans un des ports de la Méditerranée 336 .<br />

On pouvait bien exécuter deux de ces voyages par an ; ce qui faisait revenir l’intérêt annuel<br />

à 60 pour cent environ, tandis que l’intérêt terrestre ordinaire était de 12 pour cent. Si l’on<br />

suppose que, dans les 12 pour cent de l’intérêt terrestre, il y en avait la moitié pour couvrir<br />

le risque du prêteur, on trouvera que le seul usage annuel de l’argent, à Athènes, valait 6<br />

pour cent, estimation que je crois encore au-dessus de la vérité ; mais en la supposant<br />

bonne, il y avait donc dans l’intérêt maritime 54 pour cent payés pour l’assurance du<br />

prêteur ! Il faut attribuer cet énorme risque, d’une part, aux mœurs encore barbares des<br />

nations avec lesquelles on trafiquait ; les peuples étaient bien plus étrangers les uns aux<br />

autres qu’ils ne sont de nos jours, et les lois et usages commerciaux bien moins respectés ; il<br />

faut l’attribuer, d’une autre part, à l’imperfection de l’art de la navigation. On courait plus<br />

de risques pour aller du Pirée à Trébizonde, quoiqu’il n’y eût pas trois cents lieues à faire,<br />

qu’on n’en court à présent pour aller de Lorient à Canton, en parcourant une distance de<br />

sept mille lieues. Les progrès de la géographie et de la navigation ont ainsi contribué à faire<br />

baisser le taux de l’intérêt, et par suite les frais de production.<br />

On emprunte quelquefois, non pour faire valoir la valeur empruntée, mais pour la<br />

dépenser stérilement. De tels emprunts doivent toujours être fort suspects au prêteur ; car<br />

une dépense stérile ne fournit à l’emprunteur ni de quoi rendre le principal, ni de quoi payer<br />

les intérêts. S’il a un revenu sur lequel il puisse assigner la restitution, c’est une manière<br />

d’anticiper sur ses revenus. Si ce qu’il emprunte ne peut être remboursé que sur un capital,<br />

un fonds, c’est une manière de dissiper son fonds. S’il n’a pour rembourser ni fonds ni<br />

revenus, c’est la propriété de son prêteur qu’il dissipe.<br />

Dans l’influence que la nature de l’emploi exerce sur le taux de l’intérêt, il faut<br />

comprendre la durée du prêt : l’intérêt est moins élevé quand le prêteur peut faire rentrer ses<br />

fonds à volonté, ou du moins dans un terme très court, soit à cause de l’avantage réel de<br />

disposer de son capital quand il veut, soit qu’on redoute moins un risque auquel on croit<br />

pouvoir se soustraire avant d’en être atteint. La faculté de pouvoir négocier sur la place les<br />

336 Voyage d’Anacharsis, t. IV, p. 371.

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