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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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à un besoin pressant ; exiger alors un intérêt n’était autre chose qu’asseoir un profit sur la<br />

détresse de son prochain, et l’on conçoit que les principes d’une religion toute fraternelle<br />

dans son origine, comme était la religion chrétienne, devaient réprouver un tel calcul, qui,<br />

maintenant encore, est inconnu des âmes généreuses et condamné par les maximes de la<br />

morale la plus ordinaire. Montesquieu 335<br />

attribue à cette proscription du prêt à intérêt la<br />

décadence du commerce : c’est une des raisons de sa décadence, mais il y en avait beaucoup<br />

d’autres.<br />

Les progrès de l’industrie ont fait considérer un capital prêté sous un tout autre jour. Ce<br />

n’est plus maintenant, dans les cas ordinaires, un secours dont on a besoin ; c’est un agent,<br />

un outil dont celui qui l’emploie peut se servir très utilement pour la société, et avec un<br />

grand bénéfice pour lui-même. Dès lors il n’y a pas plus d’avarice ni d’immoralité à en tirer<br />

un loyer, qu’à tirer un fermage de sa terre, un salaire de son industrie ; c’est une<br />

compensation équitable, fondée sur une convenance réciproque ; et la convention entre<br />

l’entrepreneur et le prêteur, par laquelle ce loyer est fixé, est du même genre que toutes les<br />

conventions.<br />

Mais dans l’échange ordinaire, tout est terminé quand l’échange est consommé ; tandis<br />

que dans le prêt il s’agit encore d’évaluer le risque que court le prêteur, de ne pas rentrer en<br />

possession de la totalité ou d’une partie de son capital. Ce risque est apprécié et payé au<br />

moyen d’une autre portion d’intérêt ajoutée à la première, et qui forme une véritable prime<br />

d’assurance.<br />

Toutes les fois qu’il est question d’intérêts de fonds, il faut soigneusement distinguer ces<br />

deux parties dont ils se composent, sous peine d’en raisonner tout de travers, et souvent de<br />

faire, soit comme particulier, soit comme agent de l’autorité publique, des opérations<br />

inutiles ou fâcheuses.<br />

C’est ainsi qu’on a constamment réveillé l’usure, quand on a voulu limiter le taux de<br />

l’intérêt ou l’abolir entièrement. Plus les menaces étaient violentes, plus l’exécution en était<br />

igoureuse, et plus l’intérêt de l’argent s’élevait : c’était le résultat de la marche ordinaire des<br />

choses. Plus on augmentait les risques du prêteur, et plus il avait besoin de s’en<br />

dédommager par une forte prime d’assurance. À Rome, pendant tout le temps de la<br />

république, l’intérêt de l’argent fut énorme ; on l’aurait deviné si l’on ne l’avait pas su : les<br />

débiteurs, qui étaient les plébéiens, menaçaient continuellement leurs créanciers, qui étaient<br />

les patriciens. Mahomet a proscrit le prêt à intérêt ; qu’arrive-t-il dans les états musulmans <br />

On prête à usure : il faut bien que le prêteur s’indemnise de l’usage de son capital qu’il<br />

cède, et de plus, du péril de la contravention. La même chose est arrivée chez les chrétiens<br />

aussi longtemps qu’ils ont prohibé le prêt à intérêt ; et quand le besoin d’emprunter le leur<br />

faisait tolérer chez les juifs, ceux-ci étaient exposés à tant d’humiliations, d’avanies,<br />

d’extorsions, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, qu’un intérêt considérable était<br />

seul capable de couvrir des dégoûts et des pertes si multipliés. Des lettres patentes du roi<br />

Jean, de l’an 1360, autorisent les juifs à prêter sur gages, en retirant pour chacune livre, ou<br />

vingt sous, quatre deniers d’intérêts par semaine, ce qui fait plus de 86 pour cent par an ;<br />

mais dès l’année suivante, ce prince, qui pourtant passe pour un des plus fidèles à leur<br />

parole que nous ayons eus, fit secrètement diminuer la quantité du métal fin contenue dans<br />

les monnaies ; de manière que les prêteurs ne reçurent plus en remboursement une valeur<br />

égale à celle qu’ils avaient prêtée.<br />

Cela suffit pour expliquer et pour justifier le gros intérêt qu’ils exigeaient ; sans compter<br />

qu’à une époque où l’on empruntait, non pas tant pour former des entreprises industrielles,<br />

335 Esprit des Lois, livre XXI, chap. 20.

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