Traité d'économie politique - Institut Coppet
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d’un appétit violent et aux sollicitudes de l’amour paternel ; les vieillards dont elle n’a plus<br />
besoin, elle les abandonne à la reconnaissance de leur postérité, après les avoir rendus<br />
victimes de l’imprévoyance de leur jeune âge. Si les mœurs d’une nation rendaient<br />
indispensable l’obligation de préparer, dans chaque famille, quelque provision pour la<br />
vieillesse, comme elles en accordent en général à l’enfance, les besoins de première<br />
nécessité étant ainsi un peu plus étendus, le taux naturel des plus bas salaires serait un peu<br />
plus fort. Aux yeux du philanthrope, il doit paraître affreux que cela ne soit pas toujours<br />
ainsi ; il gémit en voyant que l’ouvrier, non seulement ne prévoit pas la vieillesse, mais<br />
qu’il ne prévoit pas même les accidents, la maladie, les infirmités. Là se trouvent des motifs<br />
d’approuver, d’encourager ces associations de prévoyance où les ouvriers déposent chaque<br />
jour un très petite épargne pour s’assurer une somme au moment où l’âge ou bien des<br />
infirmités inattendues, viendront les priver des ressources de leur travail 331 . Mais il faut,<br />
pour que de telles associations réussissent, que l’ouvrier considère cette précaution comme<br />
d’absolue nécessité ; qu’il regarde l’obligation de porter ses épargnes à la caisse de<br />
l’association, comme aussi indispensable que le paiement de son loyer ou de ses<br />
impositions : il en résulte alors un taux nécessairement un peu plus élevé dans les salaires<br />
pour qu’ils puissent suffire à ses accumulations ; ce qui est un bien.<br />
Il est fâcheux que les lois, qui devraient favoriser l’épargne, lui soient contraires<br />
quelquefois, comme lorsqu’elles mettent les loteries au nombre des ressources habituelles<br />
du fisc, et ouvrent dans toutes les rues des bureaux où des chances très séduisantes, mais<br />
trompeuses, sont offertes aux plus petites mises, et attirent ainsi chaque année au fisc, c’està-dire<br />
à la destruction, des millions qui pourraient s’accumuler et répandre l’aisance et la<br />
consolation sur les vieux jours de l’ouvrier.<br />
Une <strong>politique</strong> coupable, qui, dans le but d’étourdir le peuple sur son sort, l’excite à porter<br />
dans les tavernes ce qu’il pourrait mettre de côté, n’est pas moins contraire à son bien-être.<br />
Les vains et dispendieux amusements des riches ne peuvent pas toujours se justifier aux<br />
yeux de la raison ; mais combien ne sont pas plus désastreuses les folles dissipations du<br />
pauvre ! La joie des indigens est toujours assaisonnée de larmes, et les orgies de la populace<br />
sont des jours de deuil pour le philosophe.<br />
Indépendamment des raisons exposées au paragraphe précédent et dans celui-ci, et qui<br />
expliquent pourquoi les gains d’un entrepreneur d’industrie (même de celui qui ne fait<br />
aucun profit comme capitaliste) s’élèvent en général plus haut que ceux d’un simple<br />
ouvrier, il en est encore d’autres, moins légitimes sans doute dans leur fondement, mais<br />
dont il n’est pas permis de méconnaître l’influence.<br />
Les salaires de l’ouvrier se règlent contradictoirement par une convention faite entre<br />
l’ouvrier et le chef d’industrie : le premier cherche à recevoir le plus, le second à donner le<br />
moins qu’il est possible ; mais dans cette espèce de débat, il y a du côté du maître un<br />
avantage indépendant de ceux qu’il tient déjà de la nature de ses fonctions. Le maître et<br />
l’ouvrier ont bien également besoin l’un de l’autre, puisque l’un ne peut faire aucun profit<br />
sans le secours de l’autre ; mais le besoin du maître est moins immédiat, moins pressant. Il<br />
en est peu qui ne pussent vivre plusieurs mois, plusieurs années même, sans faire travailler<br />
un seul ouvrier ; tandis qu’il est peu d’ouvriers qui pussent, sans être réduits aux dernières<br />
331 Les caisses de prévoyance ou d’épargne ont réussi dans plusieurs cantons d’Angleterre, de Hollande et<br />
d’Allemagne, là surtout où le gouvernement a été assez sage pour ne s’en pas mêler ; car un gouvernement est un<br />
comptable trop puissant pour inspirer une confiance entière. A Paris, une compagnie de riches négociants et de<br />
philanthropes a formé une caisse d’épargnes où l’on peut placer aussi peu que vingt sous par semaine Elle a<br />
produit beaucoup de bien ; mais pour que des caisses d’épargne procurassent des secours vraiment efficaces, il<br />
faudrait qu’elles fussent bien plus multipliées ; qu’il y en eût pour chaque profession, pour chaque quartier, et<br />
qu’on trouvât des moyens pour qu’elles fussent administrées avec intelligence et la plus parfaite intégrité.