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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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conduit ceux qui leur ont succédé à le développer pleinement. Mais, d’un autre côté, les<br />

économistes ont fait du mal en décriant plusieurs maximes utiles, en faisant supposer par<br />

leur esprit de secte, par le langage dogmatique et abstrait de la plupart de leurs écrits, par<br />

leur ton d’inspiration, que tous ceux qui s’occupaient de semblables recherches, n’étaient<br />

que des rêveurs dont les théories, bonnes au plus pour rester dans les livres, étaient<br />

inapplicables dans la pratique 20 .<br />

Ce que personne n’a refusé aux économistes, et ce qui suffit pour leur donner des droits à<br />

la reconnaissance et à l’estime générales, c’est que leurs écrits ont tous été favorables à la<br />

plus sévère morale et à la liberté que chaque homme doit avoir de disposer à son gré de sa<br />

personne, de ses talents et de ses biens, liberté sans laquelle le bonheur individuel et la<br />

prospérité publique sont des mots vides de sens. Je ne crois pas qu’on puisse compter parmi<br />

eux un homme de mauvaise foi ni un mauvais citoyen.<br />

C’est sans doute pour cette raison que presque tous les écrivains français de quelque<br />

réputation, et qui se sont occupés de matières analogues à l’économie <strong>politique</strong> depuis<br />

l’année 1760, sans marcher positivement sous les bannières des économistes, se sont<br />

néanmoins laissé dominer par leurs opinions ; tels que Raynal, Condorcet et plusieurs<br />

autres. On peut même compter parmi eux Condillac, quoiqu’il ait cherché à se faire un<br />

système particulier sur une matière qu’il n’entendait pas. Il y a quelques bonnes idées à<br />

recueillir parmi le babil ingénieux de son livre 21 ; mais, comme les économistes, il fonde<br />

presque toujours un principe sur une supposition gratuite, et il en fait l’aveu dans sa<br />

préface ; or, une supposition peut bien servir d’exemple pour expliquer ce que démontre le<br />

raisonnement appuyé sur l’expérience, mais ne suffit pas pour établir une vérité<br />

fondamentale. L’économie <strong>politique</strong> n’est devenue une science qu’en devenant une science<br />

d’observation.<br />

Turgot était trop bon citoyen pour ne pas estimer sincèrement d’aussi bons citoyens que<br />

les économistes ; et lorsqu’il fut puissant, il crut utile de les soutenir. Ceux-ci à leur tour<br />

trouvaient leur compte à faire passer un homme aussi savant et un ministre d’état pour un de<br />

leurs adeptes ; mais Turgot ne jugeait pas d’après leur code : il jugeait d’après les choses ;<br />

et, bien qu’il se soit trompé sur plusieurs points importants de doctrine, ses opérations<br />

administratives, faites ou projetées, sont au nombre des plus belles qu’aucun homme d’état<br />

ait jamais conçues ; aussi rien n’accuse plus le défaut de capacité de son prince que de<br />

n’avoir pas su les apprécier, ou, s’il a pu les apprécier, de n’avoir pas su les soutenir.<br />

Ce n’est pas seulement sur les écrivains français que les économistes exercèrent quelque<br />

influence ; ils en eurent une très marquée sur des écrivains italiens qui les surpassèrent.<br />

20 Ce qui a principalement donné lieu de croire que les sciences morales et <strong>politique</strong>s ne reposaient que sur des<br />

théories creuses, c’est le mélange presque continuel qu’on a fait du point de droit avec le point de tait.<br />

Qu’importe, par exemple, la question longuement discutée dans les écrits des économistes, si la puissance<br />

souveraine est ou n’est pas copropriétaire de tous les biens-fonds d’un pays Le fait est qu’en tout pays elle<br />

prend, ou qu’on est obligé de lui donner, sous le nom d’impôt, une part dans les revenus des biens-fonds. Voilà<br />

un fait, un fait important qui est la conséquence de certains faits auxquels on peut remonter, et qui est la cause<br />

d’autres faits (comme le renchérissement des denrées), auxquels on peut être conduit avec sûreté. Le point de<br />

droit reste toujours plus ou moins du domaine de l’opinion ; le point de fait est susceptible de certitude et de<br />

preuves. Le premier n’exerce presque aucune influence sur le sort de l’homme ; le second est tout pour lui, car<br />

les faits naissent les uns des autres ; et, comme il est important pour nous que tel résultat arrive plutôt qu’un<br />

autre, il nous est essentiel de savoir quels sont les moyens de le faire arriver. J.-J. Rousseau a fondé presque tout<br />

son Contrat social sur des points de droit, et en a fait ainsi, je ne crains pas de le dire, un ouvrage très peu utile,<br />

tout au moins.<br />

21 Du Commerce et du Gouvernement considérés l’un relativement à l’autre.

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