Traité d'économie politique - Institut Coppet
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Le même inconvénient se manifeste jusqu’à un certain point en France : non que le<br />
monnayage y soit entièrement gratuit ; mais le profit en est abandonné, dans chaque hôtel<br />
des monnaies, à un entrepreneur à façon, que l’on nomme improprement directeur ; et le<br />
gouvernement demeure chargé des frais d’administration et de surveilance, de l’entretien<br />
des bâtiments et des grosses machines, ainsi que de l’intérêt du capital que ces choses<br />
représentent.<br />
Dans les cas que je viens de citer, la valeur de la monnaie ne s’élève pas aussi haut que si<br />
elle était fabriquée par des particuliers ; car nul d’entre eux ne voudrait subir les pertes que<br />
les gouvernements consentent à supporter. En France, la différence de valeur entre l’argent<br />
en lingot et l’argent monnayé n’est guère, en temps ordinaire, que d’un pour cent en faveur<br />
de l’argent monnayé ; différence trop légère pour couvrir les frais de fabrication.<br />
Dans d’autres temps et dans d’autres pays, les gouvernements ont cru pouvoir retenir sur<br />
les métaux u’on portait à leurs ateliers, outre leurs frais de fabrication, un droit régalien<br />
qu’ils ont nommé droit de seigneuriage. Mais, dans le cas dont il est ici question, le<br />
gouvernement n’est autre chose qu’un manufacturier. Son bénéfice ne peut naître que de la<br />
différence de valeur qui se manifeste entre la matière première et le produit fabriqué ; valeur<br />
qui dépend, non de ses lois et d’une fixation de valeur qui ne dépend pas de lui, mais des<br />
circonstances de la société et de la volonté libre des contractants et du prix courant des<br />
marchandises. On voit que les droits de fabrication, les droits de seigneuriage, dont on a tant<br />
discouru, sont absolument illusoires, et que les gouvernements ne peuvent avec des<br />
ordonnances déterminer le bénéfice qu’ils feront sur les monnaies.<br />
Sans doute le gouvernement peut décider qu’il ne frappera aucune monnaie, à moins que<br />
le particulier qui lui apporte du métal à transformer en monnaie ne lui abandonne cinq onces<br />
d’argent sur cent qui passeront sous son balancier ; mais on doit bien penser que si, au cours<br />
du marché, les cent onces fabriquées ne valent pas à leur possesseur autant que cent cinq<br />
onces en lingots, il gardera ses lingots, et les ateliers monétaires resteront oisifs. Et si le<br />
gouvernement, pour occuper ses balanciers, achète lui-même des matières, et qu’après avoir<br />
frappé cent onces, ces cent onces monnayées ne puissent acheter que cent deux onces en<br />
lingots, il ne gagnera que deux pour cent sur sa fabrication, quelle que soit la loi 229 .<br />
Le seul moyen qu’aient les gouvernements d’accroître leurs profits sur le monnayage, est<br />
de se prévaloir du privilège qu’ils ont de fabriquer seuls, pour diminuer<br />
l’approvisionnement du marché, en suspendant la fabrication jusqu’à ce que les monnaies,<br />
devenues plus rares, aient acquis plus de valeur relativement aux autres marchandises. De<br />
cette manière le besoin d’argent monnayé le faisant plus vivement rechercher, sa valeur<br />
croît, on en offre moins pour un kilogramme d’argent, de même que pour toute autre<br />
marchandise, et il est alors possible qu’on obtienne pour 190 francs en écus, pour 180<br />
francs, et même pour moins, un kilogramme d’argnt dont on pourra faire 200 francs d’écus.<br />
Le profit ne consistera toujours que dans la différence qui se manifestera entre le prix du<br />
lingot et celui de la monnaie.<br />
229 Si l’on objectait ici le droit de onze et demi pour cent, que le gouvernement espagnol, ainsi que l’affirme M.<br />
de Humboldt, se faisait payer au Mexique sur la fabrication des piastres, droit qui excédait de beaucoup les frais<br />
de monnayage, et procurait un ample revenu à la couronne d’Espagne, je prierais de remarquer qu’il n’est pas<br />
question, dans cet exemple, d’un droit de monnayage seulement, mais d’un droit d’extraction. Les mines étant<br />
nombreuses et presque toutes exploitées par des particuliers, le gouvernement, ne sachant aucun moyen<br />
d’empêcher que beaucoup de métal d’argent ne fût soustrait aux droits qu’on prétendait mettre sur son<br />
extraction, avait trouvé plus simple d’en proscrire complètement le commerce, à moins que le métal ne fût réduit<br />
en piastres. Tout argent en lingot était réputé contrebande. Force était dès lors de le faire frapper en piastres à<br />
l’hôtel des monnaies pour n’être pas en fraude ; c’était une loi fiscale comme celle qui assujettit les journaux à<br />
un timbre, et non une loi monétaire.