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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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comme il est mpossible que le maître administre avec autant d’économie que le serviteur<br />

libre, le service de l’esclave doit lui revenir plus cher 204 .<br />

Ceux qui pensent que le travail de l’esclavage est moins dispendieux que celui du<br />

serviteur libre, font un calcul analogue à celui-ci : l’entretien annuel d’un nègre des<br />

Antilles, dans les habitations où ils sont tenus avec le plus d’humanité, ne revient pas à plus<br />

de 300 francs ; joignons-y l’intérêt de son prix d’achat, et portons cet intérêt à dix pour cent,<br />

parce qu’il est viager. Le prix d’un nègre ordinaire étant de 2000 francs environ, l’intérêt<br />

sera de 200 francs, calculé au plus haut. Ainsi, on peut estimer que chaque nègre coûte par<br />

205<br />

an à son maître 500 francs . Le travail d’un homme libre est plus cher que cela dans le<br />

même pays. Il peut s’y faire payer sa journée sur le pied de cinq, six, sept francs, et<br />

quelquefois davantage. Prenons six francs pour terme moyen, et ne comptons que trois cents<br />

jours ouvrables dans l’année ; cela donnera pour la somme de ses salaires annuels 1800 fr<br />

au lieu de 500 francs.<br />

Le simple raisonnement indique que la consommation de l’esclave ddit être moindre que<br />

cele de l’ouvrier libre. Peu importe à son maître qu’il jouisse de la vie ; il lui suffit qu’il la<br />

conserve. Un pantalon et un gilet composent toute la garderobe d’un nère ; son logement est<br />

une case sans aucun meuble ; sa nourriture, du manioc auquel on ajoute de temps en temps,<br />

chez les bons maîtres, un peu de morue sèche. Une population d’ouvriers libres, prise en<br />

bloc, est obligée d’entretenir des femmes, des enfants, des infirmes : les liens de la parenté,<br />

de l’amitié, de l’amour, de la reconnaissance, y multiplient les consommations. Chez les<br />

esclaves, les fatigues de l’homme mûr affranchissent trop souvent le planteur de l’entretien<br />

du vieillard. Les femmes, les enfants y jouissent peu du privilège de leur faiblesse, et le<br />

doux penchant qui réunit les sexes y est soumis aux calculs d’un maître.<br />

Quel est le motif ui balance, dans chaque personne, le désir qui la porte à satisfaire ses<br />

besoins et ses goûts C’est sans doute le soin de ménager ses ressources. Les besoins<br />

invitent à étendre la consommation, l’économie tend à la réduire ; et, quand ces deux motifs<br />

agissent dans le même individu, on conçoit que l’un peut servir de contre-poids à l’autre.<br />

Mais entre le maître et l’esclave la balance doit nécessairement pencher du côté de<br />

l’économie : les besoins, les désirs sont du côté du plus faible ; les raisons d’économie sont<br />

du côté du plus fort. C’est ainsi probablement que les profits d’une sucrerie étaient<br />

tellement exagérés, qu’on prétendait à Saint-Domingue qu’une plantation devait, en six<br />

années, rembourser son prix d’achat, et que les colons des îles anglaises, au dire de Smith<br />

lui-même, convenaient que le rhum et la mélasse suffisaient pour en couvrir les frais, et que<br />

le sucre était tout profit 206 .<br />

Quoi qu’il en soit, tout est changé ; et pour ne nous occuper ici que des Antilles<br />

françaises, soit que les institutions et le mode de culture y soient mauvais ; soit que le<br />

régime de l’esclavage y ait dépravé, en deux sens différends, le maître aussi bien que<br />

204 Steuart, Inquiry into the principles of political economy, livre II, chap. 6.<br />

Turgot, Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, § 28.<br />

Smith, Rich. des Nat., livre I, ch. 8 ; et livre III, ch. 2.<br />

L’un des traducteurs allemands de cet ouvrage-ci, Jacob, remarque, à l’égard de Steuart, que s’il trouve plus<br />

cher le travail des esclaves dans les manufactures, il le regarde comme moins dispendieux quand on les occupe<br />

comme simples manouvriers.<br />

205 Il convient de remarquer ici que l’ouvrier libre, qui fait payer sa Journée plus chèrement que l’esclave,<br />

exécute un travail qui, s’il est moins pénible, n’en est pas moins presque toujours plus précieux par<br />

l’intelligence, et souvent le talent acquis qu’il suppose. Les horlogers, les tailleurs, sont ordinairement des<br />

ouvriers libres.<br />

206 Dans le langage des Anglais, le mot profit comprend tout à la fois le profit du capital et celui de l’industrie<br />

des entrepreneurs.

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