Traité d'économie politique - Institut Coppet
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les circonstances qui s’offrent, et pour servir de règle à ses actions. La connaissance des<br />
principes donne seule cette marche assurée qui se dirige constamment et avec succès vers<br />
un bon but.<br />
L’économie <strong>politique</strong>, de même que les sciences exactes, se compose d’un petit nombre<br />
de principes fondamentaux et d’un grand nombre de corollaires, ou déductions de ces<br />
principes. Ce qu’il y a d’important pour les progrès de la science, c’est que les principes<br />
découlent naturellement de l’observation ; chaque auteur multiplie ensuite ou réduit à son<br />
gré le nombre des conséquences, suivant le but qu’il se propose. Celui qui voudrait montrer<br />
toutes les conséquences, donner toutes les explications, ferait un ouvrage colossal et<br />
nécessairement incomplet. Et même, plus cette science sera perfectionnée et répandue, et<br />
moins on aura de conséquences à tirer, parce qu’elles sauteront aux yeux ; tout le monde<br />
sera en état de les trouver soi-même et d’en faire des applications. Un traité d’économie<br />
<strong>politique</strong> se réduira alors à un petit nombre de principes, qu’on n’aura pas même besoin<br />
d’appuyer de preuves, parce qu’ils ne seront que l’énoncé de ce que tout le monde saura,<br />
arrangé dans un ordre convenable pour en saisir l’ensemble et les rapports.<br />
Mais ce serait vainement qu’on s’imaginerait donner plus de précision et une marche<br />
plus sûre à cette science, en appliquant les mathématiques à la solution de ses problèmes.<br />
Les valeurs et les quantités dont elle s’occupe, étant susceptibles de plus et de moins,<br />
sembleraient devoir entrer dans le domaine des mathématiques ; mais elles sont en même<br />
temps soumises à l’influence des facultés, des besoins, des volontés des hommes ; or, on<br />
peut bien savoir dans quel sens agissent ces actions diverses, mais on ne peut pas apprécier<br />
rigoureusement leur influence ; de là l’impossibilité d’y trouver des données suffisamment<br />
exactes pour en faire la base d’un calcul 6 . L’observateur ne peut même acquérir la certitude<br />
qu’aucune circonstance inconnue ne mêle son influence à toutes les autres. Que doit donc<br />
faire un esprit sage en s’occupant de ces matières compliquées Ce qu’il fait dans toutes les<br />
circonstances qui déterminent la plupart des actions de la vie. Il posera nettement les<br />
questions, cherchera les éléments immédiats dont elles se composent, et, après les avoir<br />
établis avec certitude, il évaluera approximativement leurs influences réciproques avec le<br />
coup d’œil d’une raison éclairée, qui n’est elle-même qu’un instrument au moyen duquel on<br />
apprécie le résultat moyen d’une foule de probabilités qu’on ne saurait calculer<br />
exactement 7 .<br />
6 On sait, par exemple, que le prix d’une marchandise est d’autant plus élevé qu’elle est offerte en moins<br />
grande quantité relativement à la quantité qu’on en demande ; mais pour déterminer d’après cette règle le prix<br />
auquel se vendront les vins l’année prochaine, quelle foule de données ne faudrait-il pas réunir ! L’abondance de<br />
la récolte pendante, les variations de l’atmosphère, les capitaux des marchands, les droits d’entrée que les<br />
étrangers établiront ou supprimeront, les provisions qui resteront des années précédentes, les variations qui<br />
peuvent survenir dans le nombre, les goûts et la richesse des consommateurs ; et une foule d’autres circonstances<br />
dont quelques-unes même sont impossibles à prévoir. Si, dans l’impossibilité de réunir les données nécessaires,<br />
on se borne à en admettre seulement quelques-unes et avec l’influence qu’on leur suppose, on ne peut tirer<br />
aucune application utile de ces suppositions gratuites.<br />
7 Cabanis, en décrivant les révolutions de la médecine, fait une remarque parfaitement analogue à celle-là :<br />
« Les phénomènes vitaux, dit-il, dépendent de tant de ressorts inconnus, tiennent à tant de circonstances, dont<br />
l’observation cherche vainement à fixer la valeur, que les problèmes, ne pouvant être posés avec toutes leurs<br />
données, se refusent absdurr.ent au calcul ; et quand les mécaniciens ont voulu soumettre à leurs méthodes les<br />
lois de la vie, ils ont donné au monde savant le spectacle le plus étonnant et le plus digne de toute notre<br />
réflexion. C’est par les procédés uniformes et rigoureux de la vérité, mais employés hors de saison, qu’ont été<br />
établis les systèmes les plus faux, les plus ridicules et les plus divers. »<br />
D’Alembert, dans son Hydrodynamique, convient que la vitesse du sang et son action sur les vaisseaux, se<br />
refusent à toute espèce de calcul. Senebier fait des observations analogues dans son Essai sur l’Art d’observer<br />
(tome I, page 81.)