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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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qu’au temps où elles faisaient librement le commerce, et où elles ne supportaient presque<br />

point de charges, le vulgaire a conclu qu’elles étaient riches et puissantes, parce qu’on avait<br />

surchargé d’entraves leur industrie, et parce qu’on avait grevé d’impôts les revenus des<br />

particuliers ; et le vulgaire a prétendu que cette opinion était fondée sur des faits, et il a<br />

relégué parmi les imaginations creuses et systématiques toute opinion différente.<br />

Il est bien évident, au contraire, que ceux qui ont soutenu l’opinion opposée,<br />

connaissaient plus de faits que le vulgaire, et les connaissaient mieux. Ils savaient que<br />

l’effervescence très marquée de l’industrie dans les états libres de l’Italie au moyen-âge, et<br />

dans les villes hanséatiques du nord de l’Europe, le spectacle des richesses que cette<br />

industrie avait procurées aux uns et aux autres, l’ébranlement opéré par les croisades, les<br />

progrès des arts et des sciences, ceux de la navigation, la découverte de la route des Indes et<br />

du continent de l’Amérique, et une foule d’autres circonstances moins importantes que<br />

celles-là, sont les véritables causes qui ont multiplié les richesses des nations les plus<br />

ingénieuses du globe. Ils savaient que si cette activité a reçu successivement des entraves,<br />

elle a été débarrassée, d’un autre côté, d’obstacles plus fâcheux encore. L’autorité des<br />

barons et des seigneurs, en déclinant, ne pouvait plus empêcher les communications de<br />

province à province, d’état à état ; les routes devenaient meilleures et plus sûres, la<br />

législation plus constante ; les villes affranchies ne relevaient plus que de l’autorité royale<br />

intéressée à leurs progrès ; et cet affranchissement, que la force des choses et les progrès de<br />

la civilisation étendit aux campagnes, suffisait pour rendre les produits de l’industrie la<br />

propriété des producteurs ; la sûreté des personnes devenait assez généralement garantie en<br />

Europe, sinon par la bonne organisation des sociétés, du moins par les mœurs publiques ;<br />

certains préjugés, tels que l’idée d’usure attachée au prêt à intérêt, celle de noblesse attachée<br />

à l’oisiveté, allaient en s’affaiblissant. Ce n’est pas tout : de bons esprits ont remarqué, non<br />

seulement tous ces faits, mais l’action de beaucoup d’autres faits analogues ; ils ont senti<br />

que le déclin des préjugés avait été favorable aux progrès des sciences, à une connaissance<br />

plus exacte des lois de la nature ; que les progrès des sciences avaient été favorables à ceux<br />

de l’industrie, et ceux de l’industrie à l’opulence des nations. Voilà par quelle combinaison<br />

ils ont été en état de conclure, avec bien plus de sûreté que le vulgaire, que si plusieurs états<br />

modernes ont prospéré au milieu des entraves et des impôts, ce n’est pas en conséquence<br />

des impôts et des entraves, c’est malgré ces causes de découragement ; et que la prospérité<br />

des mêmes états serait bien plus grande s’ils avaient été assujettis à un régime plus éclairé 5 .<br />

Il faut donc, pour parvenir à la vérité, connaître, non beaucoup de faits, mais les faits<br />

essentiels et véritablement influents, les envisager sous toutes leurs faces, et surtout en tirer<br />

des conséquences justes, être assuré que l’effet qu’on leur attribue vient réellement d’eux, et<br />

non d’ailleurs. Toute autre connaissance de faits est un amas d’où il ne résulte rien, une<br />

érudition d’almanach. Et remarquez que ceux qui possèdent ce mince avantage, qui ont une<br />

mémoire nette et un jugement obscur, qui déclament contre les doctrines les plus solides,<br />

fruits d’une vaste expérience et d’un raisonnement sûr, qui crient au système chaque fois<br />

qu’on sort de leur routine, sont précisément ceux qui ont le plus de systèmes, et qui les<br />

5 Cela explique aussi pourquoi les nations ne profitent presque jamais des leçons de l’expérience. Pour en<br />

profiter, il faudrait que la multitude fût en état de saisir la liaison des causes et des effets ; ce qui suppose un très<br />

haut degré de lumière et une grande capacité de réflexion. Lorsque les nations seraient en état de profiter de<br />

l’expérience, elles n’en auraient plus besoin ; le simple bon sens leur suffirait. C’est une des raisons qui les<br />

mettent dans la nécessité d’être constamment dirigées. Tout ce qu’elles peuvent désirer, c’est que leurs lois<br />

soient faites et exécutées dans le sens de l’intérêt général. Tel est le problème que les différentes constitutions<br />

<strong>politique</strong>s résolvent plus ou moins imparfaitement.

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