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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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Mais, même sous ce point de vue, le système prohibitif est fécond en injustices. Tous les<br />

producteurs ne sont pas à portée de profiter du système de prohibition que j’ai supposé<br />

général, mais qui ne l’est pas, et qui, quand il le serait par les lois, ne le serait pas par le fait.<br />

Quelques droits d’entrée qu’on mît sur l’introduction en France des vins de Champagne ou<br />

de Bordeaux, de tels droits ne feraient pas que les propriétaires de ces vins parvinssent à les<br />

mieux vendre, car ils en possèdent déjà le monopole. Une foule d’autres producteurs, tels<br />

que les maçons, les charpentiers, les marchands en boutique, etc., n’ont absolument rien à<br />

gagner par l’exclusion donnée aux marchandises étrangères, et cependant ils souffrent de<br />

cette exclusion. Les producteurs de produits immatériels, les fonctionnaires publics, les<br />

rentiers, sont dans le même cas 156 .<br />

En second lieu, les gains du monopole ne se partagent pas équitablement entre tous ceux<br />

qui concourent à la production que favorise le monopole : les chefs d’entreprises, soit<br />

agricoles, soit manufacturières, soit commerciales, exercent un monopole non seulement à<br />

l’égard des consommateurs, mais encore, et par d’autres causes, à l’égard des ouvriers et de<br />

plusieurs agents de la production, ainsi qu’on le verra au livre II. Il est possible que nos<br />

couteliers gagnent un peu plus en raison de la prohibition des couteaux anglais, mais leurs<br />

ouvriers et beaucoup d’autres agents de cette industrie ne profitent en aucune façon de cette<br />

prohibition ; de manière qu’ils participent, avec tous les autres consommateurs, au<br />

désavantage de payer les couteaux plus cher, et ne participent pas aux gains forcés des chefs<br />

d’entreprises.<br />

Quelquefois les prohibitions non seulement blessent les intérêts pécuniaires des<br />

consommateurs, mais les soumettent à des privations pénibles. On a vu, j’ai honte de le<br />

dire, des fabricants de chapeaux de Marseille solliciter la prohibition d’entrée des chapeaux<br />

de paille venant de l’étranger, sous prétexte qu’ils nuisaient au débit de leurs chapeaux de<br />

feutre 157 ! C’était vouloir priver les gens de la campagne, ceux qui cultivent la terre à<br />

l’ardeur du soleil, d’une coiffure légère, fraîche, peu coûteuse, et qui les garantit bien,<br />

lorsqu’au contraire il serait à désirer que l’usage s’en propageât et s’étendît partout.<br />

Quelquefois l’administration, pour satisfaire à des vues qu’elle croit profondes, ou bien à<br />

des passions qu’elle croit légitimes, interdit ou change le cours d’un commerce, et porte des<br />

coups irréparables à la production. Lorsque Philippe Ii, devenu maître du Portugal, défendit<br />

à ses nouveaux sujets toute communication avec les hollandais qu’il détestait, qu’en arrivat-il<br />

Les hollandais, qui allaient chercher à Lisbonne les marchandises de l’Inde, dont ils<br />

procuraient un immense débit, voyant cette ressource manquer à leur industrie, allèrent<br />

chercher ces mêmes marchandises aux Indes mêmes, d’où ils finirent par chasser les<br />

portugais ; et cette malice, faite dans le dessein de leur nuire, fut l’origine de leur grandeur.<br />

Le commerce, suivant une expression de Fénelon, est semblable aux fontaines naturelles qui<br />

158<br />

tarissent bien souvent quand on veut en changer le cours .<br />

156 Il peut être piquant de remarquer à ce sujet que les gens qui établissent les prohibitions sont au nombre de<br />

ceux sur qui leur poids tombe principalement. Ils ne s’en dédommagent souvent que par une autre injustice ; et<br />

lorsqu’ils ont l’autorité en main, ils augmentent leurs traitements. D’autres fois et lorsqu’ils s’aperçoivent que le<br />

monopole pèse spécialement sur eux, ils le font abolir. En 1599, les fabricants de Tours demandèrent à Henri IV<br />

de défendre l’entrée de% étoffes de soie, d’or et d’argent, que jusqu’à cette époque on avait en totalité tirées de<br />

l’étranger. Ils flattaient le gouvernement qu’ils fourniraient à toute la consommation qui se faisait en France de<br />

ces étoffes. Henri, beaucoup trop facile sur ce point, comme sur plusieurs autres, leur accorda tout ce qu’ils<br />

voulurent ; mais les consommateurs, qui étaient principalement la haute société et les gens de la cour, jetèrent les<br />

hauts cris. On leur faisait payer plus cher des étoffes qu’ils achetaient auparavant à meilleur marché. L’édit fut<br />

révoqué au bout de six mois. (Voyez les Mémoires de Sully, livre II.)<br />

157 Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, n° 4.<br />

158 La convention nationale de France défendit l’entrée des cuirs bruts d’Espagne, sous prétexte qu’ils nuisaient<br />

au commerce de ceux de France. Elle ne fit pas attention que la France renvoyait en Espagne ces mêmes cuirs

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