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Atrésie de l'œsophage : « oralité en période néonatale »
Esophageal atresia : oral behavior in the neonatal period
LECOUFLE Audrey
Orthophoniste
Centre de référence des affections congénitales et malformatives de l’œsophage
CHRU Jeanne de Flandre
Hôpital Jeanne de Flandre
2, avenue Oscar Lambret
59037 Lille cedex
0320445962 poste 30052
audrey.lecoufle@chru-lille.fr
Résumé :
Le terme de trouble de l’oralité est de plus en plus utilisé, souvent pour décrire
des réalités très différentes. Dans le cadre de l’atrésie de l’œsophage, malformation
qui perturbe l’oralité en premier lieu dans sa composante anatomique (l’œsophage),
mais aussi dans bien d’autres domaines, le premier enjeu se situe autour de la
prévention : comment minimiser l’impact de ce début de vie difficile au niveau oral
Comment aider ces enfants à maintenir des compétences orales Comment apporter
de la cohérence à un environnement hospitalier qui ne l’est pas
Notre objectif est de redonner à la bouche sa dimension de plaisir malgré les
soins intrusifs ; de mettre en place des actions pluridisciplinaires précoces de
prévention autour de l’oralité et d’organiser par la suite un suivi orthophonique
longitudinal de ces enfants pour pouvoir les aider dans les différentes étapes orales et
alimentaires.
Abstract :
The word « abnormal oral behavior » is nowadays frequently used for very
different entities. In esophageal atresia oral behavior can be altered by esophageal
dysfunction but many other mechanism can be involved. In this respect the main goal
is to prevent these abnormal oral behavior: how to minimize early consequences of
treatment of esophageal atresia on oral behavior How to improve hospital care
Our goal is to restore to the mouth its fundamental role of giving pleasure
despite intrusive treatments; to set up early multidisciplinary preventive actions
around orality and organize a longitudinal follow-up of speech therapy for these
children, in order to be able to help them in the different orally and alimentary stages.
Mots-clés : atrésie de l’œsophage, oralité, néonatologie, stimulation, troubles précoces de
l’oralité, espace oral, prévention des troubles, intégration sensori-motrice.

Le terme « trouble de l’oralité » est de plus en plus utilisé dans le vocabulaire médical
pour rendre compte de réalités parfois très différentes. Notre objectif ici est d’essayer de
définir l’oralité, plus spécifiquement chez les enfants opérés d’une atrésie de l’œsophage,
malformation qui perturbe l’oralité dans sa composante anatomique (l’œsophage), mais qui a
des répercussions bien plus diffuses. Nous nous attarderons ensuite sur la prévention
pluridisciplinaire précoce de ces troubles de l’oralité, et sur le suivi orthophonique
longitudinal proposé par le Centre de Référence des Affections Congénitales et
Malformatives de l’œsophage (CRACMO) à Lille.
A. L’oralité
1. Définition
L’oralité est une notion issue du vocabulaire psychanalytique, qui regroupe
l’ensemble des fonctions orales c'est-à-dire dévolues à la bouche [1,2]. Cette notion d’oralité
englobe à la fois la communication, l’alimentation, la ventilation, l’exploration tactile et
gustative, les relations érogènes, le langage… Le bébé se développe autour de l’oralité ; elle
est fondatrice de l’être. Un développement harmonieux de l’oralité présuppose un
développement sensori-moteur riche in utéro, une bonne adaptation à la vie extra-utérine, la
mise en place du lien mère-enfant, l’adaptation de l’enfant à ses besoins alimentaires, son
organisation psychosociale (appétit, plaisir, hygiène, éducation) et sa construction cognitive,
relationnelle et culturelle [1].
De nombreuses structures, dont les mécanismes sont complexes, sont donc mises en jeu
sur les plans sensoriel, moteur, neuro-intégratif, hormonal, digestif et central.
L’investissement positif de la sphère orale s’étaye donc sur un investissement global
du corps qui ne se limite pas à la bouche en tant qu’organe fonctionnel. En effet, la motricité
buccale et la motricité globale s’influencent mutuellement tout au long du développement
moteur de l’enfant [3]: une motricité ordonnée, fluide et diversifiée entraînera un
développement optimal des différents systèmes sensoriels.
2. La bouche : au carrefour des fonctions
La bouche se situe à un carrefour anatomo-fonctionnel : elle participe aux fonctions
de digestion, de gustation, de phonation et de respiration [4]. C’est un lieu d’exploration
tactile et de perception où sont représentées les différentes sensorialités telles que le
toucher, le goût, la température, l’odorat, la douleur et la sensibilité profonde. D’autre part,
l’emplacement anatomique de la bouche la situe au carrefour du « dedans et du dehors » ;
elle se trouve donc impliquée dans des processus psychiques qui vont bien au-delà de sa
dimension corporelle [5].
3. Les réflexes oraux
A la naissance, la motricité du nouveau-né est caractérisée par la présence de
réactions réflexes dites archaïques. Au bout de quelques mois, ces comportements moteurs
réflexes disparaissent, inhibés par la maturation neurologique [6]. Un réflexe est un acte

moteur involontaire déclenché par une stimulation particulière. Au niveau de la sphère orale,
les réflexes présents à la naissance seront qualifiés d’ «aptitudes motrices» [7] puisqu’ils
pourront être entraînés par une stimulation adéquate ou au contraire inhibés par une
désensibilisation progressive. Les réflexes oraux sont la succion, les points cardinaux, le
fouissement, la toux, mordre, le reflexe nauséeux, la protrusion, l’avancement de la pointe de
langue et l’aptitude de rotation de langue.
La succion nutritive est le sous-bassement de l’alimentation chez un bébé.
Elle nécessite une bonne coordination de la succion, de la déglutition et de la respiration,
mais aussi un ensemble de conditions extérieures propices (bruit, lumière, mode
d’alimentation…) [8]. Le réflexe de succion nutritive est déclenché par les récepteurs tactiles
péribuccaux qui reçoivent les afférences sensorielles gustatives et olfactives ainsi que les
stimuli issus de l’hypothalamus et du tube digestif [1]. Bullinger [9] associe le mécanisme de
succion à une chaîne de composants sensori-moteurs autour de la situation d’alimentation.
Cette chaîne est composée à la fois de la posture, de l’olfaction, de la succion, de la
déglutition et de la satiété, le tout pour aboutir à l’aspect plaisir qu’entraîne normalement la
situation d’alimentation. Une désorganisation de l’un de ces éléments aura donc des
répercussions sur les autres composants de la chaîne, et sur la situation sensori-motrice
globale d’alimentation.
B. L’atrésie de l’œsophage
1. Définitions
L’atrésie de l’œsophage est une malformation qui touche 1 enfant sur 2500
naissances (http://www.orpha.net) soit environ 150 nouveaux cas chaque année en France.
Elle consiste en une interruption de l’œsophage, donc l’impossibilité pour la salive et les
aliments d’arriver à l’estomac. L’atrésie est le plus souvent associée à une fistule trachéoœsophagienne
qui entraine un risque de passage des aliments dans la trachée. Il existe cinq
formes d’atrésie, définies par l’existence et la localisation de la fistule trachéoœsophagienne.
L'atrésie de l'œsophage de type III est la forme la plus fréquente ; elle représente
environ 80 à 85% des cas. L’atrésie de l’œsophage est diagnostiquée en anténatal dans
moins de 15% des cas, mais le plus souvent à la naissance ; les enfants sont alors
transférés dans un service de néonatologie dans l’attente d’une intervention chirurgicale qui
aura pour but de remettre l’œsophage en continuité. Dans environ 50 % des cas, l'atrésie de
l'oesophage est associée à des malformations qui peuvent toucher d’autres organes : le
cœur, les vertèbres, l'anus, la trachée, les reins et les membres (syndrome de VACTERL).
2. Remise en continuité de l’œsophage et reprise alimentaire
L'anastomose correspond à la jonction réalisée par le chirurgien entre les deux culs
de sac oesophagiens. La qualité et la faisabilité de cette remise en continuité dépend de la
distance entre les deux extrémités de l’œsophage. Dans certains cas la suture ne peut être
faite à la naissance. Une nutrition artificielle (par voie entérale ou parentérale) sera alors

mise en place en attendant que l’anastomose puisse se faire sans tension (au bout de
quelques semaines ou mois.) (http://cracmo.chru-lille.fr).
Dans notre centre, l’opération de remise en continuité de l’œsophage est réalisée dès
que possible, le plus souvent à J1 pour les enfants porteurs d’une atrésie de type III.
L’alimentation peut être reprise très rapidement, suivant le protocole suivant :
• Pose d’une sonde transanatomotique au bloc opératoire (sonde qui se nera pas
changée avant son ablation définitive)
• Vérification de la bonne position gastrique de la sonde sur une radiographie de
thorax, ASP
• Démarrage d’une alimentation précoce continue à base de lait maternel dès 24/48H
en fonction de l’iléus post-opératoire et/ou liée à l’utilisation des morphiniques
• Extubation dès que possible et démarrage d’un minimal feeding per os dès
l’extubation avec drain en place avant tout contrôle
• J 4 – J 5 : opacification au bloc pour vérifier l’absence de fuite et pour décision de
l’ablation du drain et de l’ablation de la sonde.
• Alimentation orale complète dès l’ablation de la sonde.
Le retour à la maison est envisagé lorsque le bébé est autonome au niveau alimentaire (sein
ou biberon) et qu'il grossit bien. Ce délai se situe en général entre 15 et 21 jours, mais peut
être plus long en cas de difficultés d'alimentation, de complications ou de malformations
associées.
Il nous semble indispensable de ne pas attendre l’ablation de la sonde pour se poser la
question de la reprise alimentaire, et de mettre en place un travail de prévention autour de
l’oralité dès la naissance de l’enfant ou son arrivée en service de néonatologie.
C. Oralité et atrésie : quel lien
L’atrésie de l’œsophage touche à la fois une des composantes anatomiques
nécessaire à l’alimentation orale, mais elle met aussi à mal bien d’autres domaines qui
constituent l’oralité dans sa globalité. Les enfants opérés à la naissance d’une atrésie de
l’œsophage sont donc plus à risque de développer ultérieurement des troubles de l’oralité, et
ce pour de nombreuses raisons [10] :
- Douleurs oesophagiennes suite à la chirurgie de remise en continuité
- Absence des premières expériences positives orales car la première mise au sein
dès la salle de naissance est impossible.
- Séparation précoce d’avec la mère : si la maman n’a pas accouché dans un hôpital
où peut être réalisée l’opération, le bébé sera transféré en service de néonatologie
dans un hôpital de niveau III le plus proche. La séparation physique et les conditions
inhabituelles de cette naissance rendent la découverte de l’enfant plus difficile ;
l’attachement aura plus de difficultés à s’établir.

- Agressions de la sphère orale (aspirations salivaires fréquentes, mise en place de
sondes…)
Les sondes buccales et nasales, en plus d’être intrusives au niveau de la sphère
orale, ont plusieurs conséquences sensori-motrices directes [7] : gêne de la succiondéglutition,
impossibilité d’occlusion buccale, gêne pour l’exploration buccale avec
ses doigts… De plus, elles perturbent le développement des sensations
proprioceptives car elles sont introduites de façon très régulière : elles sont irritantes
et entraînent une diminution du seuil de sensibilité buccal et pharyngé ainsi que du
réflexe nauséeux de protection [11].
- Mise en place d’une nutrition artificielle (entérale ou parentérale)
Une gastrostomie peut être mise en place dès la naissance chez des enfants
présentant une atrésie de l’œsophage lorsque la remise en continuité n’est pas
faisable dans l’immédiat. Cette alimentation entérale passive [12] prive le nouveau-né
de nombreuses expériences sensorielles, sources de plaisir, d’apaisement et de
découverte : odeurs, textures, goût du lait… L’activité orale est dissociée de l’activité
alimentaire car l’enfant ne fait pas le lien entre l’aliment, le nourrissage et l’activité
orale. Les compétences sensorielles et motrices de toute la zone orale (bouche,
langue, lèvres, palais…) ne sont pas ou peu stimulées, et souvent sur un mode
intrusif et douloureux. De plus la phase orale décrite par Freud [13] est très
importante chez l’enfant ; la tétée est considérée comme le premier lien affectif que
tisse le bébé avec sa mère. Ce lien ne pourra donc pas s’établir par ce biais là chez
l’enfant nourri de façon artificielle.
- Absence des rythmes de faim-satiété
L’enfant alimenté de façon artificielle ne connaît pas les sensations d’alternance de
faim-satiété, vide-réplétion, premières expériences du manque [14]. De plus,
l’alimentation entérale met le bébé en situation de passivité : d’une part il ne peut pas
manifester d’opposition à travers son comportement alimentaire comme pourrait le
faire tout enfant alimenté oralement et d’autre part l’adulte ne prend pas une part
active à la situation de nourrissage [12].
- Dystimulations liées au contexte de la néonatologie
En service de néonatologie, les bébés sont soumis à des dystimulations, bien loin du
confort de l’environnement d’un bébé dans son environnement familial : le milieu est
bruyant, les alarmes sonnent en permanence et le son leur parvient distordu par les
parois de l’incubateur ; les lumières sont souvent allumées, le rythme circadien est
perturbé ; les repas sont proposés à un rythme bien précis…
- Absence d’alimentation orale pendant plusieurs jours, peu d’exploration orale
possible. Les mains sont souvent entravées pour ne pas que le bébé enlève sa
sonde transanastomotique, le bébé a donc peu ou pas de comportement d’autoapaisement
comme porter ses doigts en bouche pour les suçer, se frotter le visage…

- Douleurs dues au reflux gastro-oesophagien (RGO)
La plupart des enfants opérés d’une atrésie de l’œsophage ont un RGO initial et
persistant avec l’âge [15] qui peut favoriser la survenue d’une sténose anastomotique
nécessitant alors des dilatations oesophagiennes. Le nombre et la fréquence des
dilatations dépendent du degré de sténose, du délai et de l’efficacité de la dilatation
précédente. Des anomalies de la motricité et du tonus oesophagien sont constantes
et des épisodes de dysphagie fréquents même chez l’enfant plus grand [15].
L’oralité est donc un domaine mis à mal par cette malformation, à la fois en période
néonatale mais aussi dans le développement de l’enfant (épisodes de sténose,
dysphagie…). Il est donc nécessaire de proposer au nouveau-né une aide précoce et un
soutien au développement de son oralité, afin d’éviter ou limiter l’incidence de ces troubles
sur le développement oral.
D. La prévention : une approche pluridisciplinaire, globale
et multisensorielle
La prévention des troubles de l’oralité des enfants en service de néonatologie (opérés
ou non d’une atrésie de l’œsophage) passe par une vision globale de l’enfant et sa famille.
L’approche doit être multi-modale pour éviter de morceller l’enfant, et lui offrir des
expériences sensori-motrices qui ont du sens dans son vécu.
Chaque professionnel a sa place dans cette approche ; chacun apporte son
observation, son expérience pour aider cet enfant-là à grandir dans le respect de son rythme
et de son développement.
1. L’approche tactile
Lorsqu’un bébé est hospitalisé en service de néonatalogie, les contacts avec lui sont
plus rares et toujours précédés d’une série d’étapes et de précautions qui en éliminent le
naturel [16]. Or le développement et le bien-être du bébé, dans un milieu non physiologique,
nécessite un contact physique [17]. Les effets bénéfiques des stimulations tactiles
(massages, caresses) sur le développement du bébé ont largement été prouvés [18], à la
fois sur l’attention du bébé, son niveau d’irritabilité mais aussi sur l’élasticité de sa peau et la
favorisation des mouvements locaux et fins, permettant au bébé de mieux appréhender son
environnement.
Une caresse ou un massage du corps met en jeu la sensibilité superficielle (pression,
vibration, température, douleur…) et la sensibilité profonde (récepteurs musculaires,
tendineux, articulaires et douloureux) [19]. Le massage apporte bien-être à l’enfant en lui
permettant de reprendre contact avec ses limites corporelles. Masser le bébé permet aussi
aux parents d’entrer en relation avec leur enfant et de ne pas limiter les soins à leur aspect
technique, tout en aidant l’enfant à élaborer son schéma corporel [19]. Par le toucher, nous
pouvons proposer au bébé différentes sollicitations tactiles qui permettent d’éviter la posture
en hyper-extension ainsi qu’une immobilité prolongée de l’enfant : des massages et

caresses, des changements de positions, des postures en flexion, des balancements, des
contacts physiques…
Comme pour toute sollicitation, il faut respecter le rythme et les désirs du bébé, et ne pas le
surstimuler. Il faudra être attentif à la qualité des interactions que l’on a avec lui, et éviter les
effleurements ou caresses trop légères, qui peuvent lui être irritantes et désagréables.
Le toucher étant le principal moyen de communication du tout-petit, le massage et les
caresses fermes peuvent être considérés comme de véritables langages corporels qui
sécurisent l’enfant et lui donnent une contenance.
2. La posture, en lien étroit avec l’alimentation
La posture est très importante pendant l’alimentation, et optimise les compétences de
l’enfant aussi bien au niveau de sa succion-déglutition qu’interactionnel, et corporel. Dans les
premiers mois de vie, Senez [3] rappelle qu’ «ouverture et fermeture de la bouche
accompagnent respectivement extension et flexion du cou» ; la motricité buccale ne peut se
dissocier de la motricité globale. Pendant l’alimentation, et dans toute situation, pour aider le
bébé à développer sa motricité orale, il faudra veiller à sa posture globale. Bullinger [9]
propose une «mise en forme dans un schéma d’enroulement, avec une flexion de la nuque
et un appui dans le dos», permettant ainsi à la nuque de se détendre et de faciliter le réflexe
de déglutition. L’appui dans le dos permet de contrôler une éventuelle hyperextension qui
ferait suite à une stimulation orale ou péri-orale désagréable pour le bébé. De plus le
rassemblement du bébé permet la mise en place des coordinations mains-bouche.
L’hyperextension est très désorganisatrice pour le bébé ; il convient donc à la fois d’être
contenant dans la façon de porter le bébé, et de limiter les situations qui déclencheraient
cette hyperextension.
3. Aide et soutien au développement de l’oralité
Pour les raisons détaillées précedemment, la plupart des auteurs s’accorde à dire
que les enfants opérés d’une atrésie de l’œsophage sont plus à risque de développer par la
suite des troubles de l’oralité [10].
De nombreuses mesures peuvent être mises en place pour prévenir l’installation de
ces troubles, dans une approche transdisciplinaire et globale.
a. Maintenir présents et efficaces les réflexes oraux et notamment la succion
Les enfants opérés à la naissance d’une atrésie de l’œsophage ne sont pas
alimentés per-os les premiers jours de vie. Pendant ces quelques jours il est donc
nécessaire de maintenir présents et efficaces les réflexes oraux présents chez un bébé à
terme, et notamment le réflexe de succion, afin que la reprise alimentaire puisse se faire
dans les meilleures conditions possibles. Il s’agit donc de soutenir l’oralité du bébé, se
laisser guider par lui, ses réactions, son état de santé, de veille, sa vigilance.
Depuis plusieurs années sont mis en place dans les services de néonatologie des
« protocoles de stimulation de l’oralité », afin d’aider les bébés prématurés ou présentant des
difficultés de succion à mettre en place une succion efficace pour une alimentation

autonome. Ceux-ci sont proposés le plus souvent par l’équipe soignante (puéricultrice,
infirmière, aide-soignante) et peuvent être repris par les parents.
Il faut cependant bien reposer les choses, dans une vision globale de l’enfant : le terme de
«stimulation» doit être pris dans le sens de «soutien» ou «aide» au développement de
l’oralité, ce qui signifie bien que les stimulations oro-faciales ne visent pas à dépasser le
niveau d’intégration des enfants ni à anticiper le développement normal de la sphère orale. Il
conviendrait même de remplacer ce terme par «sollicitation », qui laisse une place plus
importante à la réponse de l’enfant et montre ainsi qu’il est acteur et peut, par son
comportement et ses réactions, doser les sensations reçues.
Les sollicitations orales ont avant tout une visée préventive et thérapeutique qui
s’inscrit dans le cadre de la prise en charge précoce en orthophonie. En aucun cas elles ne
se limitent à l’application stricte d’un protocole où les gestes sont figés, d’où l’importance
aussi d’être à l’écoute du bébé et de savoir l’observer pour interpréter ses réactions et doser
au plus juste de ce qu’il accepte avec plaisir. Toute la richesse des interactions est mise en
jeu dans cet échange entre le thérapeute et l’enfant autour de la sphère orale mais aussi
autour de tout le corps. Chaque rencontre sera différente, et le thérapeute s’adaptera à
l’enfant dans le respect de sa personne, de ses besoins, de ses compétences, du moment.
Les sollicitations de la sphère orale se font lorsque le bébé est dans un état d’éveil calme,
état propice à l’interaction.
Les objectifs des sollicitations de la sphère oro-faciale ne se limitent pas à une aide à
la succion, mais sont beaucoup plus vastes (tableau 1)
Tableau 1 : Objectifs des sollicitations tactiles et orales
Au niveau oral • Permettre ou entretenir la découverte du plaisir de l’oralité
• Mettre en route ou entretenir les réflexes oraux (fouissement,
orientation, succion…)
• Acquérir une meilleure coordination de la succion, de la respiration et
de la déglutition
• Accélérer la prise du premier biberon, donc réduire la période de
nutrition entérale
• Permettre l’accélération de l’autonomie alimentaire
Au niveau global o Réconforter et apaiser le bébé
o Redonner une place aux parents, qui peuvent être actifs
o Diminuer la durée d’hospitalisation [20]
Les sollicitations oro-faciales pourront être proposées à différents moments, en
fonction des besoins et des capacités de l’enfant : soit avant l’alimentation entérale par
sonde ou l’alimentation orale pour aider à mettre en route la succion ; soit pendant
l’alimentation entérale pour accélérer la mise en place d’une succion-respiration-ventilation

autonome [20] ; soit pendant la tétée (au sein ou au biberon) si l’enfant arrête de téter ou ne
parvient pas à boire efficacement, pour aider à l’alimentation ; soit à un moment d’éveil
calme pour lui apporter réconfort et plaisir oral.
Ces sollicitations oro-faciales sont multimodales, dans le sens où elles font intervenir
de nombreuses modalités perceptives (tableau 2)
Tableau 2 : Modalités sensorielles et perceptives mises en jeu lors des sollicitations
orales
La vue
L’audition
Le toucher
L’olfaction
Le gout
Situation en face à face, dans une situation riche en interactions
Verbalisation des émotions de l’enfant qui est un sujet actif dans l’échange
Prise de contact par le toucher, pressions fermes sur les mains et le visage
Proposition au bébé de sentir un peu de lait, un doudou à l’odeur de sa maman
Proposition au bébé de téter une goutte de lait (ou plus s’il le peut)
Pour certains bébés ayant été alimentés dès la naissance par nutrition entérale,
l’activité orale a été «suspendue», mais «peut être relancée sans trop de complications si le
contexte familial et/ou environnemental y est favorable» [4]. Cependant, Abadie et al. [21]
constatent que «certains nouveau-nés dont la succion a due être exclue dès les premiers
jours de vie […] ont de grosses difficultés à reprendre une succion harmonieuse». Il convient
donc d’éviter autant que possible de suspendre cette activité orale « qui fait partie des
échanges que le bébé a avec le monde» [22].
b. Favoriser les situations d’auto-explorations et d’apaisement du bébé
Il est important de laisser autant que possible le bébé explorer son visage, porter ses
doigts en bouche, lécher ses doigts, se frotter les yeux…toutes ces conduites qui lui
permettent de s’apaiser, se rassurer, explorer son corps.
c. Réfléchir à nos pratiques
Dans les services de néonatologie, depuis de nombreuses années, les soins de
développement se mettent en place avec une volonté de respecter les rythmes et les
besoins du bébé (limiter le niveau sonore, adapter la lumière, proposer au bébé une
alimentation à la demande plutot que selon un rythme imposé, favoriser les chambres
mère/enfant, encourager l’allaitement maternel, apporter une cohérence à l’environnement
de l’enfant …). Cette façon de voir les choses pose le bébé et ses parents au cœur des
préoccupations.
d. Essayer de maintenir des conditions d’alimentation proche de celles d’un
bébé « normal » même pendant une NE
Les parents peuvent tout à fait reprendre une place active au moment de
l’alimentation de leur enfant, même si celle-ci se fait par sonde : ils peuvent le prendre dans
les bras, le mettre au sein si la maman le souhaite, lui parler, lui faire sentir l’odeur de sa

maman, lui caresser le visage, le corps…Tout ceci va rendre la situation d’alimentation plus
cohérente, dans une approche multi-sensorielle.
e. Veiller à l’installation globale
L’installation est primordiale, tout d’abord pour éviter les douleurs liées aux suites
opératoires, ensuite pour favoriser l’émergence des compétences de l’enfant. L’idéal, quand
cela est possible, est de le mettre dans les bras de l’un de ces parents, dans cette position
en enroulement, le menton antéfléchi. Souvent les bébés ont alors immédiatement le réflexe
de fouissement : ils se nichent vers le sein de son parent. Cette position en enroulement est
aussi favorable à l’émergence des coordinations main-bouche [9], nécessaires à
l’investissement de la sphère orale.
f. Favoriser les liens mère-enfant,
Favoriser les liens mère-enfant et plus largement soutenir la parentalité, c’est mettre
en avant les compétences de l’enfant, verbaliser ses émergences, aider les parents à se
réapproprier leur bébé, les soutenir dans la création du lien qui se noue, encourager
l’allaitement maternel, remettre les parents à une place d’acteurs et non de spectateurs …
Souvent ils appréhendent de toucher leur bébé, de le prendre dans les bras. On trouve aussi
une grande culpabilité : «à quoi/qui est dûe l’atrésie de l’œsophage » est une question qui
revient souvent en période péri-natale et même bien plus tard.
Notre rôle de soignant est de les accompagner dans la découverte de leur enfant, les
rassurer, les aider à prendre la place qui est la leur auprès de leur bébé, les accompagner
dans les étapes de son développement.
g. Aider à observer
Les parents sont parfois trop blessés pour pouvoir apprécier les capacités de leur
bébé. Nous devons être présents pour aider l’enfant à exprimer ses potentialités et aider les
parents à les repérer, à percevoir les compétences de leur enfant au plus proche de la
réalité.
De plus, nous devons être attentifs aux observations des parents, car bien souvent ils nous
en apprennent beaucoup. Nous devons partir de ce qu’ils font, de ce qu’ils savent, de ce
qu’ils voient de leur enfant, pour lui proposer des aides et un soutien adaptés à ses besoin.

h. Veiller à notre vocabulaire et à son utilisation
On utilise souvent le terme de «gavage» pour parler de l’alimentation entérale. Or
celui-ci renvoie à une action négative, passive et intrusive, très violente pour les parents. Il
conviendrait donc d’utiliser plutot le terme d’ «alimentation entérale» ou « alimentation par
sonde » .
De même, le terme de « stimulation » est utilisé à tout-va et ne laisse pas de place aux
réponses du bébé. Il conviendrait donc plutot de parler de « sollicitations », qui laisse la
place à l’accompagnement, comme une proposition que le bébé peut accepter ou non.
i. Apporter une cohérence à l’alimentation
Lorsqu’un bébé a des difficultés d’alimentation orale, il est possible d’adapter le mode
de présentation : dispositif d’aide à l’allaitement (DAL), paille, tasse, sein, biberon (tétine plus
ou moins souple, en silicone ou caoutchouc…).
Notre rôle est d’accompagner la maman dans ses choix (que ce soit allaitement maternel ou
biberon) et de voir ensuite comment aider le bébé à y arriver : si la maman souhaite allaiter
mais son bébé prend peu, on pourra compléter en lui proposant la paille ou le DAL ; si le
bébé est alimenté au biberon on pourra proposer une tétine adaptée et/ou le geste d’aide à
la succion [3] si nécessaire… Il s’agit de trouver le mode d’alimentation qui convienne le
mieux à la maman et son bébé et de s’y tenir par la suite pour que celui-ci s’y retrouve (en
s’ajustant toujours aux nouvelles compétences et émergences du bébé). Ces enfants ont
déjà un vécu oral difficile, donc on ne leur facilite pas la tâche en modifiant à chaque tétée le
mode de présentation !
Bien sûr tout ceci est à adapter à chaque enfant car dans le cadre d’une atrésie, les
suites sont très différentes s’il s’agit d’une atrésie avec un petit défect ou d’une atrésie à
grand défect (type I le plus souvent). Dans ce cas-là il est souvent nécessaire d’attendre
plusieurs semaines voire plusieurs mois avant de pouvoir envisager une remise en continuité
chirurgicale. Ces enfants sont donc alimentés par gastrostomie d’emblée et la sphère orale
n’est pas sollicitée pour l’alimentation. De plus ils ont une sonde d’aspiration salivaire pour
ne pas que la salive ne stagne dans le cul de sac supérieur de l’œsophage. Souvent la
reprise alimentaire est lente et laborieuse, compliquée par des élément médicaux (RGO
important…). On perçoit donc bien dans ce cadre-là tout l’enjeu de la prévention et ensuite la
nécessité d’un suivi régulier pour envisager une prise en charge orthophonique si besoin.
E. Place du suivi orthophonique dans la prise en charge de
l’atrésie de l’oesophage
Dans le cadre du Centre de Référence des Affections Congénitales et Malformatives
de l’œsophage (CRACMO), l’orthophoniste est amenée à rencontrer tous les enfants
porteurs d’une atrésie de l’œsophage nés à Lille ou transférés dans les services de l’hôpital
Jeanne de Flandre. Ils sont donc suivis tout au long de leur hospitalisation initiale et lors des
autres séjours à l’hôpital. Le travail se fait en collaboration étroite avec les autres
professionnels du CRACMO (psychologue, néonatalogue, chirurgien, gastropédiatre…), afin
d’aider au mieux cet enfant et ses parents.

Lorsqu’ils rentrent à domicile, un calendrier de suivi est proposé aux parents, suivant
le PNDS, avec des consultations systématiques à des âges-clé . Ces consultations
permettent de faire un point au niveau orthophonique: développement de l’oralité,
investissement de la sphère orale, diversification alimentaire, passage aux morceaux,
langage…En effet, les difficultés orales rencontrées ne se situent pas uniquement en période
néonatale, mais pour beaucoup persistent plusieurs mois voire années (passage aux
morceaux difficile, épisodes de dysphagie très souvent relatés, troubles de l’oralité…).
Les consultations permettent aussi de proposer des orientations pour avis auprès
d’autres professionnels (diététicienne, psychologue…), des relais, des prises en charge
quand cela est nécessaire (suivi en libéral ou en CAMSP la plupart du temps).
En conclusion, il semble donc indispensable de mettre en place des actions précoces
de prévention des troubles de l’oralité auprès des enfants opérés d’une atrésie de
l’œsophage, car on sait qu’ils sont à risque. Cette approche est pluridisciplinaire, chaque
professionnel y a sa place, dans une vision globale de l’enfant. Redonner aux parents une
place active fait partie intégrante de la prévention, car ce sont des partenaires indispensable
et dotés d’un grand sens de l’observation de leur enfant. Cependant il est aussi nécessaire
de s’inscrire dans un suivi longitudinal pour évaluer l’incidence de ces troubles, et proposer
ensuite une prise en charge adaptée si nécessaire.

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