les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie

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Première sortie en rallye. Destination Cocumont : la ville fête en grande pompe son jumelage avec une ville alsacienne. Pour l'occasion, j'ai rendez-vous chez Jean-Pierre, aux petites aurores. Nous nous installons dans la Citroën B2 torpédo des années 20, celle-là même dont le laitier se servait pour sa tournée lorsque le président était enfant. Nous ne faisons que quelques centaines de mètres pour nous arrêter sur la place centrale de Tonneins, le long de l'artère principale, lieu où tous les véhicules doivent se rassembler avant le départ. Garées au hasard de leur arrivée, sous les platanes, les machines sont livrées à l'admiration des autochtones, pendant que leurs propriétaires se saluent, discutent. Les passants étonnés ralentissent, regardent et parfois klaxonnent ou font des signes de la main. Nouveau départ, direction Cocumont. Dernières consignes. "Comme d'habitude, on se suit, on s'attend, on fait gaffe à pas en perdre. S'il y a un problème, coup de klaxon et on s'arrête ! OK On est parti." Le cortège s'ébranle, avec plus ou moins de facilité. Je me demande par quel tour de force nous pourrons traverser Tonneins sans que les feux tricolores et autres stop ou Cédez le passage n'aient raison de cette cohorte d'un autre temps. A ma grande surprise, les automobilistes s'arrêtent au feu vert, ne prennent pas la priorité que le code de la route leur reconnaît et laissent la place à notre cortège. Sur le trajet, celui-ci ne manque pas d'attirer l'attention : les passants nous sourient, applaudissent parfois, nous font des signes de la main. Mon chauffeur leur répond, pressant furieusement la poire de son avertisseur sonore, agitant la main, jetant des "Salut" de-ci de-là. Comme je ne réponds pas à ces signes, mon chauffeur me résume une sorte de code de la politesse à l'usage des passagers d'anciennes. "Allez-y ! Faites Bonjour ! " '-Ca se fait " "-Bien sûr ! Les gens sont contents de nous voir passer, ils nous saluent, on répond." Comme je m'inquiète de la météo et surtout de l'absence de capote, fort dommageable en cas d'orage, j'apprends que s'il pleut, on se mouillera. "Dans les rallyes, quel que soit le temps qu'il fait, quand on a un cabriolet par exemple, on roule décapoté. C'est idiot d'avoir un cabriolet pour rouler capote fermée. Maintenant, c'est la mode des cabriolets, tout le monde en a mais à la moindre goutte, hop ! on ferme. Non, les vrais amateurs roulent toujours la capote ouverte. Je me souviens, une année, on avait fait un rallye en octobre dans les Pyrénées, trois jours de flotte. Et j'ai fait tout le rallye avec mon Alfa, capote ouverte. Je vous dis pas l'état dans lequel j'étais, le soir." Arrivée à Cocumont. On gare les véhicules en bataille dans la rue principale, on s'installe sur le trottoir. Et là commence une attente interminable. La cérémonie officielle se déroule, à laquelle nous ne participons que de très loin. Les membres du club discutent autour des voitures, échangent des tuyaux, soulèvent les capots et examinent les moteurs. Certains, prévenants, qui avaient songé à glisser quelque apéritif dans le coffre, proposent de "commencer", distribuent verre et gâteaux salés. Soudain, nouveau branle-bas : on plie bagage en hâte, on remonte en voiture et cette fois, c'est au milieu d'une haie d'honneur que l'on se rend à la cave coopérative de Cocumont où un vin d'honneur nous est servi. Les spectateurs applaudissent, 98

les conducteurs et leurs passagers saluent. Là, nouvel arrêt. Les voitures sont garées un peu au hasard sur le parking au milieu des voitures ordinaires, dans un désordre complet. Les badauds se penchent, touchent, discutent. Nouveau départ, cette fois, on se rend chez l'un des membres des Calandres, qui a préparé un repas en plein air. Pendant l'apéritif et le repas, les conversations roulent, on discute mécanique, on ranime les souvenirs d'autres expéditions. Puis nouveau départ, retour à la cave coopérative, nouvelle pagaille sur le parking. La voiture du laitier a décidément beaucoup de succès : certains badauds demandent s'"ils peuvent en faire un tour". Et voilà l'engin, chargeant son lot d'admirateurs, partant pour un petit tour, revenant à la case départ pour prendre une nouvelle fournée d'admirateurs. Une sorte de manège grandeur nature. Puis retour chez le membre du club qui offre le dîner. Ce n'est que très tard dans la nuit que le cortège s'ébranlera. Cependant, cela ne sera pas sans peine. Il faut d'abord emprunter un bidon d'essence car la B2, assoiffée comme à son habitude, risque la panne. Il faut surtout lui trouver des compagnes de route car elle présente un gros défaut : sa batterie étant très faible, l'engin ne peut parcourir de longues distances avec les phares allumés. Quelques modernes "4 CV" nous accompagneront quelques temps avant de nous abandonner à notre triste sort, éclairés par la seule lune. Et par une providentielle 306 qui nous accompagnera pendant quelques kilomètres, phares allumés. Le retour à Tonneins, dans le froid et l'obscurité, avait de quoi refroidir les passionnés. Fin de l'épopée. Dans le numéro 974, du 22 février 2001, La Vie de l’Auto rendait compte de la réunion de la Fédération Française des Véhicules d’Epoque. Sous le titre “ Sous le signe du patrimoine ”. “ Claude Delagneau a terminé en dévoilant l’objectif poursuivi en 2001 : obtenir une reconnaissance de nos véhicules anciens en tant que patrimoine culturel et mémoire industrielle. Leur protection vis-à-vis des lois sur l’automobile et l’environnement aussi bien qu’en matière fiscale passe par cette reconnaissance. (…) Si seulement 50 clubs ont participé à la journée du Patrimoine de septembre 2000, la représentante des Vieilles maisons françaises, Mme de la Doucette, a indiqué sa satisfaction vis-à-vis de cette coopération, et qu’elle avait déjà reçu 174 demandes de clubs pour le 16 septembre 2001. N’hésitez pas à demander l’adresse de l’antenne VMF de votre département à la FFVE qui possède la liste complète ”. (LVA 22 février 2001 :13) “ Obtenir une reconnaissance en tant que patrimoine ”, c’est bien aussi ce à quoi s’emploient les passionnés. Mais il en sont convaincus, leur engins appartiennent au “ patrimoine ”. Ils seraient des “ témoignages ” d’un savoir, d’une époque. Mais en réalité, ils ont bien du mal à expliquer en quoi ils sont des objets du “ patrimoine ”. Et bien souvent, faute de mieux, ils affirment que “ ce serait dommage de ne pas les conserver ”. Pour comprendre en quoi et comment ces engins deviennent du “ patrimoine ”, il faut s’attacher à analyser la façon dont ces engins sont utilisés. Utilisés avec parcimonie faut-il ajouter. En effet, les mécaniciens de l’inutile, tout en refusant de les laisser au garage, ne les utilisent pas à n’importe quelle occasion. “ Voitures à vivre ” Tirées de l’oubli, remises en état de marche, "tournant comme des horloges", ces automobiles encombrent plus souvent les garages que les routes. En effet, elles ne sont qu'exceptionnellement vouées à un usage ordinaire, comme en atteste la lettre adressée à LVA, dont l'auteur se présente volontiers comme un excentrique. "Je vais peut-être faire sursauter certains collectionneurs mais pour moi, les véhicules anciens sont aussi des 99

Première sortie en rallye. Destination Cocumont : la ville fête en gran<strong>de</strong> pompe son<br />

jumelage avec une ville alsacienne. Pour l'occasion, j'ai ren<strong>de</strong>z-vous chez Jean-Pierre, aux<br />

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même dont le laitier se servait pour sa tournée lorsque le prési<strong>de</strong>nt était enfant. Nous ne<br />

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ralentissent, regar<strong>de</strong>nt et parfois klaxonnent ou font <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> la main. Nouveau départ,<br />

direction Cocumont. Dernières consignes. "Comme d'habitu<strong>de</strong>, on se suit, on s'attend, on fait<br />

gaffe à pas en perdre. S'il y a un problème, coup <strong>de</strong> klaxon et on s'arrête ! OK On est<br />

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force nous pourrons traverser Tonneins sans que <strong>les</strong> feux tricolores et autres stop ou Cé<strong>de</strong>z le<br />

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reconnaît et laissent la place à notre cortège. Sur le trajet, celui-ci ne manque pas d'attirer<br />

l'attention : <strong>les</strong> passants nous sourient, applaudissent parfois, nous font <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> la<br />

main. Mon chauffeur leur répond, pressant furieusement la poire <strong>de</strong> son avertisseur sonore,<br />

agitant la main, jetant <strong>de</strong>s "Salut" <strong>de</strong>-ci <strong>de</strong>-là. Comme je ne réponds pas à ces signes, mon<br />

chauffeur me résume une sorte <strong>de</strong> co<strong>de</strong> <strong>de</strong> la politesse à l'usage <strong>de</strong>s passagers d'anciennes.<br />

"Allez-y ! Faites Bonjour ! " '-Ca se fait " "-Bien sûr ! Les gens sont contents <strong>de</strong> nous voir<br />

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décapoté. C'est idiot d'avoir un cabriolet pour rouler capote fermée. Maintenant, c'est la<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s cabriolets, tout le mon<strong>de</strong> en a mais à la moindre goutte, hop ! on ferme. Non, <strong>les</strong><br />

vrais amateurs roulent toujours la capote ouverte. Je me souviens, une année, on avait fait un<br />

rallye en octobre dans <strong>les</strong> Pyrénées, trois jours <strong>de</strong> flotte. Et j'ai fait tout le rallye avec mon<br />

Alfa, capote ouverte. Je vous dis pas l'état dans lequel j'étais, le soir." Arrivée à Cocumont.<br />

On gare <strong>les</strong> véhicu<strong>les</strong> en bataille dans la rue principale, on s'installe sur le trottoir. Et là<br />

commence une attente interminable. La cérémonie officielle se déroule, à laquelle nous ne<br />

participons que <strong>de</strong> très loin. Les membres du club discutent autour <strong>de</strong>s voitures, échangent<br />

<strong>de</strong>s tuyaux, soulèvent <strong>les</strong> capots et examinent <strong>les</strong> moteurs. Certains, prévenants, qui avaient<br />

songé à glisser quelque apéritif dans le coffre, proposent <strong>de</strong> "commencer", distribuent verre<br />

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