les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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"bidouil<strong>les</strong>" sont irréalisab<strong>les</strong> qu'on le chahute. Comme un adoubement. 12 Ces plaisanteries<br />
n’ont <strong>de</strong> sens qu’entre “ connaisseurs ”, aptes à en rire donc à saisir en quoi <strong>les</strong> phénomènes<br />
mécaniques décrits sont parfaitement irréalisab<strong>les</strong>, impossib<strong>les</strong>.<br />
C’est donc le groupe qui, par ses silences, ses questions, ses propos élogieux ou<br />
aci<strong>de</strong>s, porte un jugement sur l’engin, évalue le travail du restaurateur. Le club joue ainsi un<br />
rôle essentiel. Par ce rôle d’authentification, il “ fait ” la voiture <strong>de</strong> collection mais surtout il<br />
“ fait ” le restaurateur, l’installe dans cette i<strong>de</strong>ntité.<br />
Des faux authentiques<br />
On comprend mieux alors pourquoi certains “ faux” n’en sont pas moins considérés<br />
comme “ authentiques ”. C’est moins la voiture en elle-même que l’homme, son discours, son<br />
parcours et son savoir qui font sens. Que la Lagrange et Legrand n’ait pas <strong>de</strong> moteur, qu’elle<br />
soit une reconstruction, qu’elle ait pris quelque liberté avec l’original, avec son châssis<br />
tubulaire et ses coffres en pin, n’en fait pas pour autant un “ faux ”. Authentique, elle l’est.<br />
Tout comme la Franck bau<strong>de</strong>t.<br />
Mais il est un autre cas, plus remarquable encore, celui <strong>de</strong> la Bugatti Royale du Musée<br />
<strong>de</strong> l’automobile <strong>de</strong> Mulhouse. Habillée d’un duo <strong>de</strong> verts, siège <strong>de</strong> cuir blanc, elle trône à<br />
l’entrée, happant le visiteur dès ses premiers pas dans <strong>les</strong> allées, comme pour mieux lui<br />
signaler, par sa seule présence, son caractère exceptionnel et singulier, que l’on ne peut<br />
comparer à aucun <strong>de</strong>s autres modè<strong>les</strong> exposés. Et pour cause !<br />
Penchons-nous sur la plus que difficile naissance <strong>de</strong> cette “Royale ”. Il n’en sortit que<br />
six ou sept <strong>de</strong>s usines Bugatti. Fritz Schlumpf, qui créa cette collection, possédait déjà <strong>de</strong>ux<br />
Roya<strong>les</strong>, dont le Coupé Napoléon, voiture personnelle d’Ettore Bugatti et première Royale<br />
sortie <strong>de</strong> l’usine Bugatti <strong>de</strong> Molsheim. Mais il en convoite une autre que son propriétaire<br />
refuse <strong>de</strong> vendre. Qu’à cela ne tienne. Il va la faire construire ! N’a-t-il pas déjà fait réaliser<br />
un châssis par Alsthom, à Belfort Ne possè<strong>de</strong>-t-il pas quelques pièces “ d’origine ”, un<br />
moteur d’autorail comme en possè<strong>de</strong>nt toutes <strong>les</strong> “ Roya<strong>les</strong> ”, un pont arrière ainsi qu’un<br />
essieu N’a-t-il pas, surtout, passer contrat avec l’usine <strong>de</strong> Molsheim, lui confiant la<br />
“révision, restauration et remise en état ” <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> Bugatti que possè<strong>de</strong> Fritz N’est-ce<br />
pas là où ont été fabriquées <strong>les</strong> Bugatti que l’on est le plus à même <strong>de</strong> reconstruire l’une<br />
d’entre elle Mais le projet <strong>de</strong> Fritz Schlumpf apparaît plus étonnant encore lorsqu’on plonge<br />
dans ses détails. Il ne s’agit pas <strong>de</strong> fabriquer un nouveau spécimen <strong>de</strong> Bugatti Royale, d’en<br />
faire une <strong>de</strong> plus, mais <strong>de</strong> construire une voiture très précise. “Il désire reconstituer la<br />
voiture portant le châssis 41 111 ; celle-ci fut la secon<strong>de</strong> ‘Royale ‘ sortie <strong>de</strong>s usines <strong>de</strong><br />
Molsheim et la première vendue à un client : le célèbre confectionneur Es<strong>de</strong>rs. Vers 1929 il<br />
1 2 Ainsi, je n'ai jamais été l'objet <strong>de</strong> la moindre plaisanterie mécanique. D'abord perçue<br />
comme un observateur extérieur, on me chahuta bien, mais en me conseillant <strong>de</strong> noter toute<br />
sorte <strong>de</strong> détails "pour mon rapport" : <strong>de</strong>s chansons grivoises, <strong>de</strong>s anecdotes amusantes<br />
survenues aux membres du club, <strong>de</strong>s détails sur la vie <strong>de</strong>s voitures, etc. Lorsqu'il fut admis<br />
que j'étais moi aussi amateur <strong>de</strong> vieil<strong>les</strong> voitures, puisque j'en conduisais une, <strong>les</strong> plaisanteries<br />
disparurent, tout comme l'intérêt pour le rapport. On se pencha sur mon véhicule, écoutant le<br />
bruit du moteur, auscultant la peinture et prodiguant quelques conseils. "Elle est bien, cette<br />
voiture. Pour commencer, c'est super. Il y a rien à faire. Simplement, il vous faudra trouver <strong>les</strong><br />
cache-écrous <strong>de</strong>s roues parce que c'est pas terrible, comme ça." Et c'est avec le plus grand<br />
sérieux que l'on discuta, par exemple, <strong>de</strong> ce moteur qui manquait <strong>de</strong> compression, <strong>de</strong>s freins<br />
"très durs" ou encore <strong>de</strong>s suspensions "très rai<strong>de</strong>s". Une façon polie <strong>de</strong> me désigner ma place :<br />
membre du club, amateur certes, mais pas encore spécialiste !<br />
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