les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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alors j’ai <strong>de</strong>mandé 203, pardi ! Et je l’ai eu ! J’ai voulu <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r le 6 pour la Simca 6 mais<br />
c’est réservé. On m’a dit : ‘C’est interdit. C’est le préfet, <strong>les</strong> hui<strong>les</strong>.’ Alors j’ai pris l’année <strong>de</strong><br />
sortie. Mais ça <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus difficile avec l’électronique. Tu as <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong><br />
mal à avoir l’immatriculation que tu veux. Il faut faire tout un tas <strong>de</strong>… et t’es jamais sûr<br />
maintenant d’avoir le chiffre que tu veux. Alors c’est emmerdant, ça.” La plaque<br />
d’immatriculation est ainsi un autre lieu d’intervention privilégié. On cherche à annuler l’effet<br />
du hasard qui attribue <strong>de</strong>s chiffres et <strong>de</strong>s lettres au fur et à mesure <strong>de</strong> leur succession pour y<br />
inscrire un peu <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la voiture et <strong>de</strong> son propriétaire.<br />
Mon<strong>de</strong> hétérogène que celui <strong>de</strong>s “ mécaniciens <strong>de</strong> l’inutile ” : ici <strong>les</strong> uns n’acceptent<br />
que <strong>de</strong>s véhicu<strong>les</strong> “ dans leur jus ”, là certains ne jurent que par “ une restauration à blanc ” ;<br />
ailleurs, on se fait un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> respecter strictement <strong>les</strong> caractéristiques premières, y compris<br />
dans leur moindre détail alors qu’à côté personne n’ignore que le bouchon <strong>de</strong> radiateur<br />
d’origine s’en est vu préférer un autre, emprunté à une autre marque, ou que le véhicule ne<br />
doit sa couleur qu’à la fantaisie d’un épouse ou au métier du propriétaire. Les engins présents<br />
à l’intérieur d’un même club, exposés au cours d’une même exhibition, sont pour le moins<br />
hétérogènes. On y retrouve toutes <strong>les</strong> variantes, tous <strong>les</strong> sty<strong>les</strong> <strong>de</strong> restauration. Ici, une simple<br />
plaque d’immatriculation arborant la date <strong>de</strong> sortie du véhicule, là un Le Zèbre “ pommadé ”,<br />
ailleurs une dauphine aux freins modifiés, une 204 cabriolet qui n’a jamais trouvé sa couleur<br />
d’origine ou une Traction dont toutes <strong>les</strong> pièces du moteur ont été “ refaites à neuf ”. Il ne<br />
semble pas y avoir <strong>de</strong> clubs privilégiant un type particulier <strong>de</strong> restauration. Et pourtant tous<br />
ces collectionneurs semblent être d’accord pour voir dans ces engins <strong>de</strong>s engins “ comme à<br />
l’origine ”. Où est l’authenticité, le “ respect <strong>de</strong> l’origine ” Alors que je cherchais<br />
l’authenticité sous le capot, dans <strong>les</strong> performances techniques, je me suis aperçu qu’elle<br />
résidait ailleurs.<br />
Procédures d’authentification<br />
Nathalie Heinich note, à propos <strong>de</strong> l’art contemporain qu’il n’y a pas d’authenticité<br />
sans procédure d’authentification (Heinich 1999 : 5) Mais là encore, absence –apparente du<br />
moins. En effet, aucune commission, à ma connaissance, ne statue sur la fidélité à l’origine.<br />
Personne parmi <strong>les</strong> collectionneurs que j’ai fréquentés du moins ne m’a parlé d’une instance<br />
jugeant <strong>de</strong> l’authenticité <strong>de</strong>s véhicu<strong>les</strong>. C’est entre eux que la règle s’édicte, que<br />
“ l’authenticité ” est jugée.<br />
Pourtant, une anecdote aurait dû attirer mon attention : le premier rallye auquel j’ai<br />
participé au volant <strong>de</strong> ma voiture personnelle. J’avais prévenu mes “ collègues ” <strong>de</strong> mes<br />
doutes au sujet <strong>de</strong> l’élection <strong>de</strong> ma voiture au titre <strong>de</strong> “collection ”. J’avais, je crois, épuisé<br />
tous <strong>les</strong> arguments qui à l’époque me semblaient constituer un engin <strong>de</strong> collection : je l’avais<br />
achetée dans l’état, je n’y avais fait effectuer aucune espèce <strong>de</strong> réparation, sa peinture était en<br />
mauvais état, son tableau <strong>de</strong> bord n’était manifestement pas d’origine, une plaque <strong>de</strong> métal<br />
l’ornant fort disgracieusement <strong>de</strong> voyants électriques que <strong>les</strong> années 70 ne pouvaient<br />
connaître. En plus, je n’avais pas <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> “ carte grise collection ”. Et <strong>de</strong> toute façon, je<br />
n’y connaissais rien en voiture, <strong>de</strong> collection ou pas. J’avais simplement évoqué le fait que<br />
mon choix s’était porté sur cette voiture parce qu’ado<strong>les</strong>cente, je rêvais d’en possé<strong>de</strong>r une.<br />
Ren<strong>de</strong>z-vous avait été pris sur le parking d’un supermarché. J’arrivai au volant <strong>de</strong> mon<br />
“ boli<strong>de</strong> ”, certaine que, par politesse, mes “ collègues ” ne me feraient pas <strong>de</strong> commentaires<br />
déplaisants, mais certaine aussi <strong>de</strong> prouver ainsi que je n’appartenais pas à ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
passionnés, que ma voiture en témoignerait et que nous en serions, elle et moi, définitivement<br />
écartées. Mon arrivée fut, si ce n’est triomphale, du moins très remarquée. On fit cercle autour<br />
<strong>de</strong> la voiture, on la commenta d’un strict point <strong>de</strong> vue technique. “ Pots à double sortie, oui,<br />
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