les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie

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11.01.2015 Views

gens qui passaient le dimanche… Elle a été copiée, ma bétonnière ! ” Faut-il rafraîchir la façade “ Pas de pognon. C’est ce qui m’a fait faire beaucoup de choses. J’ai fabriqué une sableuse parce que je pouvais pas donner deux millions six cents mille francs et j’ai dit : ‘Je vais me la faire’. ” Faut-il trouver un moyen pour transporter Le Zèbre “ J’ai fait le portevoitures qui porte mon nom. Type original. Cette remorque, elle est basculante et hydraulique. Je lève un essieu ; elle bascule sur l’essieu arrière par une pompe sur le côté, hydraulique. Et l’autre, là, bascule, comme celle qui a qu’un essieu, d’elle-même. Je la lève de moi-même. Avec deux doigts. C’est facile, on prend pas de peine. Même ma femme le fait toute seule. ” Christian D. est un bricoleur tous azimuts, un “ inventeur (extra)-ordinaire. Rien ne lui résiste. Son but est bien de “ faire pour faire ”, de construire et de créer des modèles originaux. Et la façon singulière dont il aborde la “ restauration ” des Le Zèbres s’inscrit dans cette logique et la prolonge. Le Zèbre doit beaucoup plus au tracteur et à la sableuse qu’à l’ingénieur Salomon ! En fait il ne s’agit pas vraiment de “ restaurer ”. En effet, si le premier Le Zèbre peut encore être considéré comme relevant de cette pratique –il acheta un moteur et quelques pièces au cours de différentes bourses d’échanges-, les autres spécimens s’inscrivent aujourd’hui dans un tout autre projet. Il ne s’agit pas de “ retaper ” mais de faire une dizaine de Le Zèbre ! Il le dit lui-même : “ je suis fana de fabriquer du Zèbre. Vous allez voir ce que les gars m’ont fait que c’était l’usine Zèbre ici. Ca, c’est copié sur une affiche d’époque qu’ils ont agrandie. Alors : ‘Le Zèbre, achat, vente, réparations, garage D. Christian, à Toulouse. Je voudrais fabriquer une dizaine de Zèbre, comme ça, parce que ça me plaît. Je vous dis, je suis fana de fabriquer ces petites bagnoles.” Il me tend une plaque, offerte par ses amis du Club Automobile : Christian est présenté tout à la fois comme un constructeur, un concessionnaire et un réparateur agréé Le Zèbre. L’humour force à peine la réalité, tant son atelier a, effectivement, des allures d’usine Le Zèbre qui conviennent parfaitement à son projet de production en série limitée, pourrait-on dire. “ C’est des machines-outils que j’ai achetées quand il y avait des ateliers qui fermaient. J’ai une presse pour emmancher des roulements, après une fraise à côté. Le gros truc, c’est un compresseur, cuve 1000 litres, avec de l’air comprimé pour gonfler les roues. Alors après, j’ai une petite fraise. C’était ma première. Et j’en ai trouvé une autre beaucoup plus moderne alors j’essaierai de récupérer un peu d’argent en vendant celle-ci. Ca, c’est un tour à colonnes. Alors c’est le marbre que j’ai fabriqué, moi, pour pouvoir refaire des châssis parce que des châssis vous en trouvez pas. Alors, j’ai fait cet appareil pour pouvoir refaire des châssis. Je peux refaire tous Les Zèbre que je veux avec ça. Mais parce que je veux en faire d’autre que j’ai fait ce marbre.” Christian D. n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. J’ai déjà évoqué Jean-Louis, considéré par mes interlocuteurs comme un expert en matière de restauration de moteurs industriels. Lorsque je visite son “ musée ”, je note la présence d’un tracteur de pelouse de marque International, au centre de la pièce, bien en évidence au milieu des moteurs anciens. Sa présence en ce lieu m’a pour le moins étonnée. Que faisait cet engin “ utile ” au milieu de cette collection d’objets admirables Et pourtant, il est bien à sa place comme je n’ai pas tardé à le découvrir : constitué de différentes pièces, de différentes marques, toutes également récupérées, il est le fruit de l’invention créatrice de Jean-Louis. “ C’était pour m’amuser. Je voulais voir si j’y arriverais. ” De même, Jean-Pierre, l’homme de la Lagrange-et-Legrand, s’est d’abord essayé avec succès à la course automobile, entretenant lui-même son bolide puis à la réalisation de Buggies d’auto-cross, petits engins très rapides. Les amateurs le savent : “ faire un buggy ” signifie en inventer un, mettre au point une machine unique à partir d’un moteur de voiture que l’on installera sur un “ châssis fait maison ”, le plus souvent à partir d’une structure tubulaire. Chaque machine est en fait une invention. Puis il abandonne le buggy, séduit par un autre projet. Seul descendant des automobiles Lagrange et Legrand, il a décidé de refaire le véhicule qui valut quelque notoriété sa famille. Force est de constater que 84

les mêmes techniques sont à l’œuvre dans l’une et l’autre réalisation. Il serait peut-être plus exact de dire que sous couvert de véhicule ancien, familial, il a réalisé un buggy de plus. Q : -La Lagrange, c’est un peu le même système que vous avez utilisé. C’est une structure tubulaire, un châssis tubulaire comme le Buggy Elle était comme ça à l’origine J-P : -Oui, oui !.. Non, à l’origine, la Lagrange avait la base en fer U. Bon j’ai essayé de tordre du fer U. Je suis pas forgeron, j’y arrivais pas. Alors j’ai fait un châssis en tube et après je suis reparti avec du fer U, pour le reste, pour ce qui est moins dur à tordre. ” Cette petite voiture s’inscrit dans une intense activité de bricolage. Elle semble être le lieu où il a mis en forme l’essentiel de son savoir. “ Je suis assez adroit de mes mains. Je bricole la ferraille, je bricole le bois. Les meubles que vous voyez, partout, dans la maison, c’est moi qui les ai faits. La maison, c’est moi qui l’ai fait. Donc finalement la voiture, c’est presque un détail, vous voyez. ” Il a fait la carrosserie et les boiseries de la voiture qui n’a pas de moteur. “ Je voudrais bien en trouver un mais c’est pas possible. Et pour en faire un, pouf ! Je sais pas trop comment m’y prendre. ” Bricolage, invention, restauration sont indissociables. Ce n’est sans doute pas tant l’attrait pour les machines anciennes que la possibilité de donner libre cours à leur savoir technique qui motive les mécaniciens. Sous prétexte de restauration, c’est d’inventions que l’on fait preuve. Il ne s’agit pas de reproduire simplement un système technique mais bien de montrer que l’on maîtrise parfaitement ces savoirs au point que l’on peut jongler avec eux, depuis la simple “ adaptation ” jusqu’à la beaucoup complexion “ invention ” d’une machine. Certains poussent d’ailleurs très loin cette logique. Engins uniques Bourse d’échanges dans les Landes. Visite des stands : des morceaux de moteur, des pièces mécaniques, difficiles à identifier pour un néophyte, sont proposés aux clients. Roues, enjoliveurs, gicleurs, pistons et autres culasses font le bonheur de certains ou le désespoir des autres, qui ne trouvent pas “ la ” pièce qui leur fait défaut depuis si longtemps. Sous la halle du village, des voitures anciennes ont été installées. Il y en a de tous les âges. Une Dauphine, une 4 CV, une Porsche et une Franck Baudet. Silhouette très allongée, très basse, un très long capot pour un habitacle proportionnellement très court, la voiture a des airs de Bugatti ou d’Hispano-Suiza et semble bien avoir vu le jour dans les années trente. Le sens de cette mise en scène ne fait pas de doute : c’est tout le processus de restauration qui est ainsi exposé, depuis les pièces éparses et la nécessaire et patiente quête qu’elles justifient jusqu’à l’engin enfin restauré, qui “ tourne comme une horloge ”. Comme j’admire la Franck Baudet, un spectateur, manifestement plus au fait de la chose mécanique que moi, ne s’étonne guère. “ Elle vous plaît – Oui, c’est un monstre. – C’est un vrai tour de force. –Oui, je connaissais pas Franck Baudet. C’est un constructeur d’où –C’est pas un constructeur. C’est Franck baudet lui-même qui l’a faite. ” Comme je ne comprends pas de quoi il s’agit, il précise : “ C’est un mec, qui s’appelle Franck baudet qui a construit cette voiture. C’est lui qui l’a faite. –Vous voulez dire que cette voiture n’a jamais existé C’est lui qui l’a inventée –Oui, voilà, c’est lui qui l’a inventée comme vous dites. Il l’a refaite ; il l’a faite ! ” Mais que fait cette voiture au milieu de vieilles voitures Il ne s’agit plus de restauration ni d’inventions discrètes sous couvert de restauration ou d’amélioration. Mais d’une Invention. Voire un faux ! On est là, me semble-t-il, aux antipodes de la passion pour les vieilles mécaniques. En réalité, cette Franck Baudet, vraie-fausse ancienne, apparaît comme l’exemple le plus abouti de cette pratique. N’est-elle pas la voiture à soi, par excellence Retromania, qui en sous-titre nous propose “ Un nouveau regard sur la voiture 85

gens qui passaient le dimanche… Elle a été copiée, ma bétonnière ! ” Faut-il rafraîchir la<br />

faça<strong>de</strong> “ Pas <strong>de</strong> pognon. C’est ce qui m’a fait faire beaucoup <strong>de</strong> choses. J’ai fabriqué une<br />

sableuse parce que je pouvais pas donner <strong>de</strong>ux millions six cents mille francs et j’ai dit : ‘Je<br />

vais me la faire’. ” Faut-il trouver un moyen pour transporter Le Zèbre “ J’ai fait le portevoitures<br />

qui porte mon nom. Type original. Cette remorque, elle est basculante et hydraulique.<br />

Je lève un essieu ; elle bascule sur l’essieu arrière par une pompe sur le côté, hydraulique. Et<br />

l’autre, là, bascule, comme celle qui a qu’un essieu, d’elle-même. Je la lève <strong>de</strong> moi-même.<br />

Avec <strong>de</strong>ux doigts. C’est facile, on prend pas <strong>de</strong> peine. Même ma femme le fait toute seule. ”<br />

Christian D. est un bricoleur tous azimuts, un “ inventeur (extra)-ordinaire. Rien ne lui résiste.<br />

Son but est bien <strong>de</strong> “ faire pour faire ”, <strong>de</strong> construire et <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> originaux. Et la<br />

façon singulière dont il abor<strong>de</strong> la “ restauration ” <strong>de</strong>s Le Zèbres s’inscrit dans cette logique et<br />

la prolonge. Le Zèbre doit beaucoup plus au tracteur et à la sableuse qu’à l’ingénieur<br />

Salomon !<br />

En fait il ne s’agit pas vraiment <strong>de</strong> “ restaurer ”. En effet, si le premier Le Zèbre peut<br />

encore être considéré comme relevant <strong>de</strong> cette pratique –il acheta un moteur et quelques<br />

pièces au cours <strong>de</strong> différentes bourses d’échanges-, <strong>les</strong> autres spécimens s’inscrivent<br />

aujourd’hui dans un tout autre projet. Il ne s’agit pas <strong>de</strong> “ retaper ” mais <strong>de</strong> faire une dizaine<br />

<strong>de</strong> Le Zèbre ! Il le dit lui-même : “ je suis fana <strong>de</strong> fabriquer du Zèbre. Vous allez voir ce que<br />

<strong>les</strong> gars m’ont fait que c’était l’usine Zèbre ici. Ca, c’est copié sur une affiche d’époque qu’ils<br />

ont agrandie. Alors : ‘Le Zèbre, achat, vente, réparations, garage D. Christian, à Toulouse. Je<br />

voudrais fabriquer une dizaine <strong>de</strong> Zèbre, comme ça, parce que ça me plaît. Je vous dis, je suis<br />

fana <strong>de</strong> fabriquer ces petites bagno<strong>les</strong>.” Il me tend une plaque, offerte par ses amis du Club<br />

Automobile : Christian est présenté tout à la fois comme un constructeur, un concessionnaire<br />

et un réparateur agréé Le Zèbre. L’humour force à peine la réalité, tant son atelier a,<br />

effectivement, <strong>de</strong>s allures d’usine Le Zèbre qui conviennent parfaitement à son projet <strong>de</strong><br />

production en série limitée, pourrait-on dire. “ C’est <strong>de</strong>s machines-outils que j’ai achetées<br />

quand il y avait <strong>de</strong>s ateliers qui fermaient. J’ai une presse pour emmancher <strong>de</strong>s roulements,<br />

après une fraise à côté. Le gros truc, c’est un compresseur, cuve 1000 litres, avec <strong>de</strong> l’air<br />

comprimé pour gonfler <strong>les</strong> roues. Alors après, j’ai une petite fraise. C’était ma première. Et<br />

j’en ai trouvé une autre beaucoup plus mo<strong>de</strong>rne alors j’essaierai <strong>de</strong> récupérer un peu d’argent<br />

en vendant celle-ci. Ca, c’est un tour à colonnes. Alors c’est le marbre que j’ai fabriqué, moi,<br />

pour pouvoir refaire <strong>de</strong>s châssis parce que <strong>de</strong>s châssis vous en trouvez pas. Alors, j’ai fait cet<br />

appareil pour pouvoir refaire <strong>de</strong>s châssis. Je peux refaire tous Les Zèbre que je veux avec ça.<br />

Mais parce que je veux en faire d’autre que j’ai fait ce marbre.”<br />

Christian D. n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. J’ai déjà évoqué Jean-Louis,<br />

considéré par mes interlocuteurs comme un expert en matière <strong>de</strong> restauration <strong>de</strong> moteurs<br />

industriels. Lorsque je visite son “ musée ”, je note la présence d’un tracteur <strong>de</strong> pelouse <strong>de</strong><br />

marque International, au centre <strong>de</strong> la pièce, bien en évi<strong>de</strong>nce au milieu <strong>de</strong>s moteurs anciens.<br />

Sa présence en ce lieu m’a pour le moins étonnée. Que faisait cet engin “ utile ” au milieu <strong>de</strong><br />

cette collection d’objets admirab<strong>les</strong> Et pourtant, il est bien à sa place comme je n’ai pas<br />

tardé à le découvrir : constitué <strong>de</strong> différentes pièces, <strong>de</strong> différentes marques, toutes également<br />

récupérées, il est le fruit <strong>de</strong> l’invention créatrice <strong>de</strong> Jean-Louis. “ C’était pour m’amuser. Je<br />

voulais voir si j’y arriverais. ” De même, Jean-Pierre, l’homme <strong>de</strong> la Lagrange-et-Legrand,<br />

s’est d’abord essayé avec succès à la course automobile, entretenant lui-même son boli<strong>de</strong> puis<br />

à la réalisation <strong>de</strong> Buggies d’auto-cross, petits engins très rapi<strong>de</strong>s. Les amateurs le savent :<br />

“ faire un buggy ” signifie en inventer un, mettre au point une machine unique à partir d’un<br />

moteur <strong>de</strong> voiture que l’on installera sur un “ châssis fait maison ”, le plus souvent à partir<br />

d’une structure tubulaire. Chaque machine est en fait une invention. Puis il abandonne le<br />

buggy, séduit par un autre projet. Seul <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong>s automobi<strong>les</strong> Lagrange et Legrand, il a<br />

décidé <strong>de</strong> refaire le véhicule qui valut quelque notoriété sa famille. Force est <strong>de</strong> constater que<br />

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