les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie

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11.01.2015 Views

arrive en pièces détachées, dans des cartons, ou “ roulant ” c’est-à-dire sur son porte-voitures. Mais il faut également qu’ils soient “ comme à l’origine ”. C’est là le deuxième critère impératif. Tous s’efforcent de retrouver “ l’état d’origine ”. Aucun n’admet ouvertement que des libertés soient prises avec “ l’origine ”. Les revues techniques, la presse spécialisée entre autres seraient fréquemment consultées pour éviter toute distorsion involontaire. Mais là s'arrête l'unanimité. Car si tout le monde s’accorde à affirmer qu’il faut qu’il “ marche ” et “ qu'il soit comme à l'origine", cette question de l’origine est diversement appréhendée et surtout mise en scène. “ Dans leur jus ” Il y a d’abord ceux qui n’acceptent que les engins “ dans leur jus ”. Visite dans le musée de M. Latgé, collectionneur de machines les plus diverses, tracteurs, motocyclettes et surtout Solex, pour ne prendre que cet exemple. Il possède en effet tous les modèles sortis, “ du premier au dernier ”. Installés sur une très large étagère à un mètre du sol, ils sont mis en évidence, organisés en une exposition permanente privée, dûment éclairés par une impressionnante rampe d’éclairage. Or, lorsqu'on regarde les précieux spécimens, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas en très bon état. C’est du moins mon sentiment. La peinture est endommagée, présentant de nombreuses rayures et pour le moins fanées, les caoutchoucs sont craquelés, les selles ne cachent rien des séquelles de leurs très nombreuses années de bons et loyaux services, les pneus sont "lisses". L'ensemble me semble en "mauvais" état mais c’est précisément ce qui fait sa valeur pour son propriétaire : les Solex sont “ dans leur jus ”. Leur restauration s’est limitée au strict minimum. Il s’est contenté de changer les pièces défaillantes du moteur. Là est l’essentiel de la restauration : on le remet “ en état de marche ” mais on ne touche jamais ni à sa peinture, ni à la sellerie. Si des pièces manquent ou sont endommagées et si elles ne sont pas strictement nécessaires au bon fonctionnement de l’engin, elles ne sont pas remplacées. C’est un véritable souci d’authenticité –le mot a été prononcé à plusieurs reprises par les collectionneurs- qui guide cette intervention qui confine à la plus parfaite discrétion. Ainsi, Hugues C. refuse les restaurations "style sortie d'usine", considérant qu'elles sont trompeuses, fort éloignées de la réalité. "Les voitures n'ont jamais été comme ça. Dès qu'on s'en sert, elles se salissent. C'est pas beau, pour moi. C'est pas vrai. Si, c'est joli mais c'est pas ça, restaurer une voiture. Il faut pas qu'on voit qu'elle est restaurée, c'est ça le meilleur. Il faut qu'elle soit comme quand elle roulait avant. Là, c'est extra. Là, tu as vraiment une voiture ancienne." Il est intransigeant notamment sur la question des couleurs et plus encore de l'éclat des peintures. "Le pire, c'est quand tu refais une peinture. Alors là... ! C'est vrai, c'est joli, ça brille, ça en jette, tout le monde applaudit…mais ça n'a rien à voir avec l'état d'origine ! Vous comprenez, les composants chimiques ont changé en cinquante ou quatre-vingts ans, les nuances sont plus exactement les mêmes, les peintures sont surtout plus brillantes. Et puis elles sont toutes métallisées. Et ça, il y a cinquante ans, ça existait pas. C'est pour ça qu'on refait jamais les peintures, nous. Ils disent qu’ils sont fidèles à l’origine. Ils s’ennuient à chercher dans un coin, sous une tôle, la trace de la peinture d’origine parce que surtout pas utiliser une autre couleur que celle d’origine. Surtout pas de rouge si elle était verte. Et celles qui sont de deux couleurs, parce qu’il y en avait de deux couleurs ! Et à quel endroit une Et à quel endroit l’autre Mais tout ça, c’est de la foutaise parce qu’on peut pas les refaire, les peintures. Jamais on aura une nuance exacte. Mais c’est sûr, c’est louable, comme démarche. C’est mieux que de faire n’importe quoi, n’importe comment." Ainsi, les partisans des restaurations “ dans leur jus ” motivent leur refus par un souci extrême de coller à la réalité : 70

les matériaux contemporains seraient très éloignés des matériaux d’origine et la meilleure des restaurations, dans ce cas, ne serait qu’un trompe-l’œil, auquel ils se refusent. Un autre refuse aussi toute restauration “ à blanc ”. “ Moi, je les touche pas les engins. Je les garde dans leur jus, comme on dit. C’est-à-dire que quand je trouve une moto, je fais attention qu’elle soit pas trop esquintée, qu’il lui manque pas trop de trucs. Bon, je la lave, je vérifie le moteur, je change les pièces qui déconnent mais je vais pas toucher à l’aspect… si vous voulez… extérieur. Je préfère les garder comme elles sont. Ca fait plus vrai pour moi. C’est vrai, on voit qu’elles ont vécu. Que quand vous avez une peinture neuve, bien belle, bon… Je critique pas, hein, je critique pas, mais pour moi, c’est pas ça. Pour moi, il faut qu’on voit qu’elles ont vécu, qu’elles ont servi, que c’est pas… Que c’est du vrai, quoi, il y a pas d’autre mot. Quand vous voyez une selle un peu esquintée, vous voyez qu’elle a servi.” Ce qui est préservée dans ce cas, ce sont les traces d’utilisation antérieure, le résultats des années de “ bons et loyaux services ”. Dans ces traces de rouille, ces peintures écalées ou fanées, ce que le collectionneur cherche à mettre en valeur c’est l’ancienneté de l’engin mais une ancienneté qui a supposé un usage. Ce sont les traces d’un usage qui font la valeur de l’engin. La restauration dans ce cas n’est pas essentiellement mécanique mais plus dans la quête, la recherche et la trouvaille de l’engin. C’est le fait de remettre l’engin dans le circuit qui vaut restauration. Le reste se limite au strict nécessaire pour que “ ça marche ”. Force est de constater que le travail de ces partisans d’une restauration “ dans son jus ” semble bien éthique comparé à celui auquel se livrent ceux qui lui préfèrent une restauration complète, “ à blanc ”. Restaurées “ à blanc ” Visite chez M. Castagné, qui ne collectionne que les Vespa fabriqués en France entre 1952 et 1960, soit neuf spécimens. L'ambiance est tout autre. Chaque engin est flambant neuf, comme sorti d'usine. Le jour où le concessionnaire les installa en vitrine, ils ne brillaient pas plus. Chaque engin a été totalement désossé, “ passé minutieusement en revue ”, pièce après pièce, nettoyé, poncé. Les éléments défectueux, des plus voyants aux plus discrets, ont été changés. Certains ont même été créés à cette occasion, aucun n'étant disponible sur le marché de "l'échange". Le moteur "refait à neuf", c'est autour du carénage. La tôle est "mise à vif", c'est-à-dire poncée à l'extrême, les points de rouille soigneusement rebouchés et mastiqués. Même la selle subit une cure de jouvence. Puis vient la peinture, neuve évidemment. Aucun détail n'est laissé au hasard. Même le petit logo de la marque est rajeuni, un "pinceau à trois poils et des petits pots de couleurs" sont souverains pour raviver les couleurs ternies. L'engin ainsi restauré est flambant neuf. Il est même "neuf" ; il en a du moins l'apparence. Travail minutieux, certes, qui n’a rien d’une exception, et que la presse met régulièrement à l’honneur. Ainsi, nous ne saurons rien de ce que Diego B. et son copain Christophe ont fait subir au moteur de la Mercedes 220 SEC 1965, que le premier venait d’acquérir. Mais constatons que la carrosserie nécessita une “ restauration à blanc ”, chaque pièce étant scrupuleusement examinée et remplacée. “ Diego est alors passé à la réfection du train avant, démonté, nettoyé et repeint ; ‘les roulements ont été changés et les vis de réglage refaites, car les anciennes étaient usées sur la moitié du filetage, sûrement à cause de l’immobilisation prolongée ”. Le nettoyage du réservoir d’essence a suivi, puis la remise en état du système de freinage, avec le changement des canalisations et des flexibles et des tambours de freins arrière neufs. 71

<strong>les</strong> matériaux contemporains seraient très éloignés <strong>de</strong>s matériaux d’origine et la meilleure <strong>de</strong>s<br />

restaurations, dans ce cas, ne serait qu’un trompe-l’œil, auquel ils se refusent.<br />

Un autre refuse aussi toute restauration “ à blanc ”. “ Moi, je <strong>les</strong> touche pas <strong>les</strong> engins.<br />

Je <strong>les</strong> gar<strong>de</strong> dans leur jus, comme on dit. C’est-à-dire que quand je trouve une moto, je fais<br />

attention qu’elle soit pas trop esquintée, qu’il lui manque pas trop <strong>de</strong> trucs. Bon, je la lave, je<br />

vérifie le moteur, je change <strong>les</strong> pièces qui déconnent mais je vais pas toucher à l’aspect… si<br />

vous voulez… extérieur. Je préfère <strong>les</strong> gar<strong>de</strong>r comme el<strong>les</strong> sont. Ca fait plus vrai pour moi.<br />

C’est vrai, on voit qu’el<strong>les</strong> ont vécu. Que quand vous avez une peinture neuve, bien belle,<br />

bon… Je critique pas, hein, je critique pas, mais pour moi, c’est pas ça. Pour moi, il faut<br />

qu’on voit qu’el<strong>les</strong> ont vécu, qu’el<strong>les</strong> ont servi, que c’est pas… Que c’est du vrai, quoi, il y a<br />

pas d’autre mot. Quand vous voyez une selle un peu esquintée, vous voyez qu’elle a servi.”<br />

Ce qui est préservée dans ce cas, ce sont <strong>les</strong> traces d’utilisation antérieure, le résultats <strong>de</strong>s<br />

années <strong>de</strong> “ bons et loyaux services ”. Dans ces traces <strong>de</strong> rouille, ces peintures écalées ou<br />

fanées, ce que le collectionneur cherche à mettre en valeur c’est l’ancienneté <strong>de</strong> l’engin mais<br />

une ancienneté qui a supposé un usage. Ce sont <strong>les</strong> traces d’un usage qui font la valeur <strong>de</strong><br />

l’engin. La restauration dans ce cas n’est pas essentiellement mécanique mais plus dans la<br />

quête, la recherche et la trouvaille <strong>de</strong> l’engin. C’est le fait <strong>de</strong> remettre l’engin dans le circuit<br />

qui vaut restauration. Le reste se limite au strict nécessaire pour que “ ça marche ”.<br />

Force est <strong>de</strong> constater que le travail <strong>de</strong> ces partisans d’une restauration “ dans son jus ”<br />

semble bien éthique comparé à celui auquel se livrent ceux qui lui préfèrent une restauration<br />

complète, “ à blanc ”.<br />

Restaurées “ à blanc ”<br />

Visite chez M. Castagné, qui ne collectionne que <strong>les</strong> Vespa fabriqués en France entre<br />

1952 et 1960, soit neuf spécimens. L'ambiance est tout autre. Chaque engin est flambant neuf,<br />

comme sorti d'usine. Le jour où le concessionnaire <strong>les</strong> installa en vitrine, ils ne brillaient pas<br />

plus. Chaque engin a été totalement désossé, “ passé minutieusement en revue ”, pièce après<br />

pièce, nettoyé, poncé. Les éléments défectueux, <strong>de</strong>s plus voyants aux plus discrets, ont été<br />

changés. Certains ont même été créés à cette occasion, aucun n'étant disponible sur le marché<br />

<strong>de</strong> "l'échange". Le moteur "refait à neuf", c'est autour du carénage. La tôle est "mise à vif",<br />

c'est-à-dire poncée à l'extrême, <strong>les</strong> points <strong>de</strong> rouille soigneusement rebouchés et mastiqués.<br />

Même la selle subit une cure <strong>de</strong> jouvence. Puis vient la peinture, neuve évi<strong>de</strong>mment. Aucun<br />

détail n'est laissé au hasard. Même le petit logo <strong>de</strong> la marque est rajeuni, un "pinceau à trois<br />

poils et <strong>de</strong>s petits pots <strong>de</strong> couleurs" sont souverains pour raviver <strong>les</strong> couleurs ternies. L'engin<br />

ainsi restauré est flambant neuf. Il est même "neuf" ; il en a du moins l'apparence. Travail<br />

minutieux, certes, qui n’a rien d’une exception, et que la presse met régulièrement à<br />

l’honneur. Ainsi, nous ne saurons rien <strong>de</strong> ce que Diego B. et son copain Christophe ont fait<br />

subir au moteur <strong>de</strong> la Merce<strong>de</strong>s 220 SEC 1965, que le premier venait d’acquérir. Mais<br />

constatons que la carrosserie nécessita une “ restauration à blanc ”, chaque pièce étant<br />

scrupuleusement examinée et remplacée. “ Diego est alors passé à la réfection du train avant,<br />

démonté, nettoyé et repeint ; ‘<strong>les</strong> roulements ont été changés et <strong>les</strong> vis <strong>de</strong> réglage refaites, car<br />

<strong>les</strong> anciennes étaient usées sur la moitié du filetage, sûrement à cause <strong>de</strong> l’immobilisation<br />

prolongée ”. Le nettoyage du réservoir d’essence a suivi, puis la remise en état du système <strong>de</strong><br />

freinage, avec le changement <strong>de</strong>s canalisations et <strong>de</strong>s flexib<strong>les</strong> et <strong>de</strong>s tambours <strong>de</strong> freins<br />

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