les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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Vous croyez pas si bien dire. C’est une réplique. –Une réplique Comment ça, une réplique <br />
–Elle est neuve même si elle ressemble à une ancienne. Elle est refaite. Ca, c’est une fausse, si<br />
vous voulez. ” Et comme je m’étonne qu’on expose une “ fausse ” pour <strong>les</strong> Journées du<br />
Patrimoine, il ajoutera : “ C’est pas bien important, là. Les gens, ils s’y font prendre. Alors,<br />
bon, on l’expose. Mais sinon, non, ça c’est pas du travail, pour nous. On le sait ”. Et je<br />
m’apercevrai au cours <strong>de</strong>s exhibitions que leurs engins sont bien l’objet d’un traitement<br />
spécial qui stigmatisent toute leur différence. Ainsi, lors d’une sortie dans <strong>les</strong> vignob<strong>les</strong> du<br />
Bor<strong>de</strong>lais, alors que chacun s’évertuait à garer son engin <strong>de</strong>vant le chai, au prix parfois <strong>de</strong><br />
manœuvres compliquées, eux garaient le leur à l’écart, sans que personne ne se soucie <strong>de</strong> leur<br />
faire une place ou ne <strong>les</strong> invite à nous retrouver sur l’aire d’honneur. Une mise à l’écart plus<br />
explicite qu’un long discours.<br />
Réplique aussi, que cette Lagrange et Legrand sur laquelle on a immédiatement attiré<br />
mon attention, m’invitant à rencontrer son propriétaire. Ou plus exactement son constructeur,<br />
au sens premier du terme. En effet, désespérant d’en trouver une sous forme d’épave, ne<br />
possédant pas la moindre pièce “ d’origine ”, Jean-Pierre a décidé d’en “ faire une à partir <strong>de</strong><br />
zéro ”. Pour l’heure, l’engin est réduit à la plus totale immobilité, n’ayant toujours pas <strong>de</strong><br />
moteur. Mais cela n’empêche pas <strong>les</strong> connaisseurs d’applaudir <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mains.<br />
Et pendant que certains sourient <strong>de</strong> mon admiration pour la Morgan, qu’on met<br />
volontiers sur le compte <strong>de</strong> ma connaissance encore imparfaite <strong>de</strong>s voitures, on m’invite à<br />
m’extasier <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> bien étranges spécimens. Des motos notamment qui me semblent en<br />
bien mauvais état, avec une sellerie qui mériterait quelque restauration, <strong>de</strong>s peintures<br />
défraîchies ou écaillées, <strong>de</strong>s joints fatigués par <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> bons et loyaux services.<br />
Méritent-ils seulement le nom <strong>de</strong> “ restaurateurs ”, <strong>de</strong> “ collectionneurs ” ou simplement <strong>de</strong><br />
“ passionnés ”, ceux qui possè<strong>de</strong>nt ces engins Piètre état que celui dans lequel ils laissent<br />
l’objet <strong>de</strong> leur passion ! Mais <strong>les</strong> passionnés ne semblent guère y attacher d’importance qui<br />
admirent également ces engins , qui me semblent proches <strong>de</strong> l’épave, et <strong>de</strong>s véhicu<strong>les</strong><br />
autrement plus rutilants, qui me paraissent avoir fait l’objet d’une attention beaucoup plus<br />
soutenue, soigneusement restaurés, à la peinture flambant neuve, auxquels ne manque aucun<br />
accessoire.<br />
Là, une république, sans moteur qui plus est, est appréciée sans restriction alors<br />
qu’ailleurs une réplique <strong>de</strong> Morgan, en parfait état <strong>de</strong> marche, est à peine tolérée, sans faire<br />
illusion. Ici, une Traction impeccablement restaurée, là une Motobécane “ délabrée ”. Le<br />
moins que l’on puisse dire est que <strong>les</strong> mécaniques d’affection ne sont pas hétérogènes et<br />
varient <strong>de</strong>puis l’épave ou presque jusqu’à la voiture neuve ou presque. Paradoxes, situations<br />
contradictoires dont il faut débrouiller <strong>les</strong> fils.<br />
Constatons d’abord que le but premier <strong>de</strong>s passionnés est <strong>de</strong> remettre en état, <strong>de</strong><br />
restaurer un véhicule. Ou du moins “ d’intervenir ”, d’une façon ou d’une autre, sur son objet<br />
d’affection. Mais, qu'est-ce qu'une "belle" restauration Que signifie "restaurer" une<br />
voiture Une évi<strong>de</strong>nce s'impose. Quel que soit l'âge <strong>de</strong> l'engin, quel que soit l’état dans<br />
lequel il est lors <strong>de</strong> la trouvaille, il faudra qu'il fonctionne, qu'il "tourne comme une horloge",<br />
qu'il soit encore apte à fournir l'effort. Une voiture ou une motocyclette doit rouler<br />
convenablement, porter ses passagers crânement, un moteur industriel doit "démarrer au quart<br />
<strong>de</strong> tour" 4 . "Il pourrait encore faire tourner un moulin ou faire monter l'eau", se croit-on obligé<br />
<strong>de</strong> préciser. Les tracteurs doivent cracher leur fumée dans un bruit épouvantable et avancer<br />
cahin-caha. Ce critère du nécessaire fonctionnement est partagé par tous <strong>les</strong> passionnés. Ils<br />
doivent “ <strong>les</strong> remettre en marche ” quel<strong>les</strong> que soient <strong>les</strong> difficultés à surmonter, que l’engin<br />
4 Affirmation à prendre au pied <strong>de</strong> la lettre. Lorsque Christian D. tente <strong>de</strong> faire démarrer son<br />
Le Zèbre, celui-ci “ tousse ” une première fois et ne fait entendre le “ ronronnement ” <strong>de</strong> son<br />
moteur qu’au <strong>de</strong>uxième tour <strong>de</strong> manivelle. “ Mais normalement elle part au premier coup ”,<br />
précise-t-il.<br />
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