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les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie

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une. C'est la moto <strong>de</strong> mon grand-père ou presque."<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> R. ne fait pas autrement. Au cours <strong>de</strong> notre conversation, il me tend un<br />

album <strong>de</strong> photographies qu’il commente. On y voit ses engins d’affection, lors <strong>de</strong> leur arrivée<br />

chez lui, puis en cours <strong>de</strong> restauration, enfin à diverses occasions dont ce mariage pour lequel<br />

ils avaient été dûment habillés <strong>de</strong> tulle et <strong>de</strong> nœuds. Parfois <strong>de</strong>s photographies d’un autre<br />

temps s’intercalent. Je découvre ainsi un couple d’âge moyen, en gran<strong>de</strong> tenue, en compagnie<br />

d’un enfant, près d’une voiture. “ C’est mes parents avec mon cousin. Je suis pas sur la<br />

photo ! Je <strong>de</strong>vais pas être bien loin. Et c’est la fameuse 203 dont je vous parlais tout à l’heure,<br />

celle avec laquelle j’ai appris à conduire”. Ou presque serait-on tenté d’ajouter. Celle <strong>de</strong>s<br />

parents était une “ commerciale ” alors que celle-ci est une “ découvrable ”, modèle nettement<br />

plus rare et prestigieux, acheté à “prix d’or ” à un particulier. Mais elle n’en est pas moins la<br />

“ 203 familiale ” , la “ 203 <strong>de</strong> mes parents ”. Tout comme la moto <strong>de</strong> Serge est “ celle du<br />

grand-père ”. Ces exhibitions <strong>de</strong> photos anciennes semblent avoir d’abord pour effet, <strong>de</strong><br />

gommer ce “ presque ”, “ d’authentifier ” la machine, en l’inscrivant dans un contexte où <strong>les</strong><br />

objets-mémoires se font écho et se complètent. Comme dans un jeu <strong>de</strong> miroirs, le cliché<br />

témoigne d'une permanence, d'une ancienneté <strong>de</strong> l'engin dans la famille mais à l'inverse,<br />

vrombissant et pétaradant sur <strong>les</strong> routes ou dans le garage, celui-ci ancre la photographie, la<br />

réactualise, témoignant d'une longue durée. Le cliché métamorphose l’automobile achetée, ou<br />

du moins “ récupérée ” en automobile familiale “ qui a toujours été là ”, gomme son origine<br />

extérieure.<br />

Pourtant, le parcours <strong>de</strong> l’album <strong>de</strong> Jean-Clau<strong>de</strong> R. nous réserve une surprise et semble<br />

mettre à mal cette hypothèse. La Simca 6 dont il est si fier, qu’il appelle “ la sentimentale ”,<br />

celle dont jamais il ne se séparera, se passe a priori <strong>de</strong> ce subterfuge. Il l’a toujours possédée,<br />

elle lui appartenait pendant ses années d’étudiant, elle a longtemps dormi dans son hangar<br />

avant qu’il ne la confie aux bons soins d’un garagiste qui lui offrit une nouvelle et rutilante<br />

livrée. Une veille photographie, en noir et blanc, sur laquelle <strong>de</strong>ux jeunes hommes appuyés à<br />

une Simca 6, sourient fièrement à l’objectif. “ Té ! la voilà ma Simca 6. c’était en 60 et<br />

quelques, <strong>de</strong>vant le collège où j’étais pion précisément. Oui ! Et lui, c’était un copain <strong>de</strong><br />

lycée. Vous remarquerez, la plaque d’immatriculation est la même. J’ai d’ailleurs toujours la<br />

même carte grise puisqu’il n’y a pas eu changement <strong>de</strong> propriétaire. ” Que fait cette<br />

photographie dans son propre album <br />

Continuons à <strong>les</strong> feuilleter. Ces amateurs <strong>de</strong> vieil<strong>les</strong> voitures semblent restaurer leur<br />

engin une clé dans une main, l’appareil dans l’autre. La voiture est photographiée sous tous<br />

ses ang<strong>les</strong>, <strong>de</strong>puis son arrivée sur le porte-voitures jusqu’à son premier “ tour du pâté <strong>de</strong><br />

maison ”, à chaque étape <strong>de</strong> son lent retour à la vie. Bien sûr le passionné trouve une<br />

explication rationnelle à sa “ manie ”. “ Il faut faire <strong>de</strong>s photographies <strong>de</strong> chaque étape, <strong>de</strong><br />

chaque truc que vous faites. Quand vous démontez une pièce, hop ! une photo. A chaque<br />

étape du démontage, une photographie et après quand vous remontez, vous avez plus qu’à <strong>les</strong><br />

prendre dans le sens inverse. Moi, la première moto, j’ai tout démonté à fond. Et quand j’ai<br />

voulu remonter, j’avais <strong>de</strong>s pièces en trop ! Il a fallu redémonter. Un cirque ! et c’est un<br />

copain qui m’a indiqué ce truc <strong>de</strong>s photos. Alors <strong>de</strong>puis, pour chaque moto, je me fais un<br />

album. Chaque fois que je tombe un truc, hop ! photo ! Comme ça j’ai tout. Plus d’erreur. ”<br />

Théorie bien sûr que celle-là. Car lorsqu’on regar<strong>de</strong> <strong>les</strong> photographies, on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> quel<br />

apport technique el<strong>les</strong> peuvent être, mal cadrées, mal exposées, trop claires ou trop foncées,<br />

prises <strong>de</strong> trop loin <strong>de</strong> sorte que l’on ne voit plus qu’une vague silhouette dans un garage ou en<br />

plan si rapproché que le contexte a disparu.<br />

Mais, à y regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> près, un autre fait ne manque pas d’étonner : il n’y a jamais<br />

personne sur ces photographies <strong>de</strong> voitures ! Ni enfants. Ni petits-enfants. Comme si rien<br />

d’autre n’existait ou ne comptait que la voiture. Reprenons l’album <strong>de</strong> Jean-Clau<strong>de</strong> : on y voit<br />

ses quatre voitures, garées côte à côte, comme à la para<strong>de</strong>, sur fond <strong>de</strong> vignoble, dans la<br />

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