les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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éclectiques où se côtoient <strong>de</strong> vieil<strong>les</strong> “ photos <strong>de</strong> famille ” et une kyrielle <strong>de</strong> photographies<br />
plus récentes, où le sourire du père, sur fond <strong>de</strong> Dauphine ou <strong>de</strong> Traction, se glisse entre un<br />
“châssis désossé ” et <strong>de</strong> mystérieuses pièces <strong>de</strong> moteur étalées sur un établi. Albums<br />
soigneusement constitués, clichés insérés dans <strong>de</strong>s porte-photos achetés dans le commerce, ou<br />
albums en projet toujours différé mais bien réels malgré tout, <strong>les</strong> photos dormant dans un<br />
carton, au fond d’un tiroir ou accrochées aux étagères <strong>de</strong> l’atelier voire dormant au fond <strong>de</strong><br />
cel<strong>les</strong>-ci, au milieu <strong>de</strong>s clés et <strong>de</strong>s boulons. Albums éthiques, <strong>de</strong> quelques clichés à peine, ou<br />
volumineux recueils. Mais albums toujours. Qu’en faire Comment <strong>les</strong> appréhen<strong>de</strong>r Certes,<br />
<strong>les</strong> travaux <strong>de</strong> sociologie et d’ethnologie nous ont dévoilé tout le sens <strong>de</strong> cet “ art moyen ”<br />
qui, sous couvert d’immortaliser la “ famille ”, permet surtout <strong>de</strong> la composer, d’organiser le<br />
roman familial, d’en fixer <strong>les</strong> moments cruciaux (naissances, baptêmes, mariages ou<br />
“ événements ordinaires ”) quitte à en “ oublier ” d’autres (divorces, décès). Rien d’étonnant à<br />
le trouver au cœur <strong>de</strong> ce bricolage “ technico-familial ”. Pourtant, cette pratique présente ici<br />
quelques singularités.<br />
Alors que “ l’album <strong>de</strong> famille ” est le plus souvent réalisé, montré et commenté par<br />
<strong>les</strong> femmes, ces albums-là sont une pratique éminemment masculine. C’est l’homme qui<br />
sélectionne et “ récupère <strong>les</strong> vieil<strong>les</strong> photos ” qui font sens, qui, ensuite, photographie la<br />
voiture, élabore l’album ou du moins son projet, album toujours conservé dans son propre<br />
espace, l’atelier souvent mais aussi le bureau, parfois sa voiture voire son porte-feuille et<br />
enfin le soumet au visiteur et le commente. Et que la voiture ait appartenu à un <strong>de</strong> ses<br />
ascendants ou à un <strong>de</strong>s ascendants <strong>de</strong> son épouse 12 n’y change rien.<br />
Tournons <strong>les</strong> pages en leur compagnie. Et d’abord cel<strong>les</strong> un peu singulières <strong>de</strong> l’album<br />
<strong>de</strong> Serge.<br />
Installés au salon, nous conversons. "J'ai une Motoconfort 125. Vous l'avez pas vu en<br />
bas C'est la moto <strong>de</strong> mon grand-père ! " Pendant je regar<strong>de</strong> <strong>les</strong> clichés récents, pris pendant<br />
la restauration <strong>de</strong> l’engin, il évoque pour moi ses souvenirs d’enfance, <strong>les</strong> bala<strong>de</strong>s du<br />
dimanche lorsque le grand-père lui faisait la faveur <strong>de</strong> “ lui faire faire un petit tour ”,<br />
l’émerveillement qui était le sein lorsque l’aïeul s’adonnait à quelque réparation ou réglage,<br />
etc. Un discours en tous points semblable à tous ceux que j’ai recueillis, qui ne m’étonne<br />
guère. Mais il joint le geste aux paro<strong>les</strong>, se lève lentement, d'un air énigmatique, se dirige vers<br />
un bureau encombré <strong>de</strong> papiers et <strong>de</strong> classeurs, décroche une vieille photographie jaunie mais<br />
soigneusement mise sous verre, qu'il me tend. Un homme d'un âge certain tient fièrement le<br />
guidon d'une moto tandis qu'un jeune enfant, sur le siège arrière, s'accroche à sa taille et sourit<br />
béatement à l'objectif. "Voilà la moto que j'ai réparée." Mon air interloqué le pousse à plus <strong>de</strong><br />
confi<strong>de</strong>nces.<br />
Serge. : -"C'est la moto <strong>de</strong> mon grand-père, comme je vous dis. C'est elle sur la<br />
photographie. C'est lui <strong>de</strong>vant et <strong>de</strong>rrière c'est moi. J'étais tout petit. Et la Motoconfort 125, au<br />
garage, c'est celle-là.<br />
Q : -Vous aviez conservé la moto <strong>de</strong> votre grand-père C'est un coup <strong>de</strong> chance !<br />
S : -Oui, enfin, pas tout à fait. Mon grand-père l'a gardée longtemps et puis à sa mort,<br />
il l'ont vendue pour une bouchée <strong>de</strong> pain. Et je rêvais <strong>de</strong> cette moto. Je savais où elle était. Je<br />
voyais le mec passer avec et tout. Et puis je l'ai perdue <strong>de</strong> vue. Et quand j'ai voulu avoir ma<br />
vieille moto, j'ai dit : 'Allez, je répare la moto du papy'. Et puis je l'ai cherchée, j'ai retrouvé<br />
l'acheteur qui l'avait vendue à son tour, j'ai retrouvé le <strong>de</strong>uxième acheteur qui l'avait cédée<br />
aussi et là j'ai perdu la piste. Parce que le troisième, j'ai pas réussi à lui mettre la main <strong>de</strong>ssus.<br />
Alors, j'ai cherché la même, même couleur, même année, tout pareil Et j'ai fini par en trouver<br />
1 2 Mais n’est-ce pas ce que laissait <strong>de</strong>viner le courrier adressé à LVA, entre autres Les<br />
photographies accompagnées d’un commentaire et confiées provisoirement au journal<br />
concernent autant la famille du scripteur que sa belle-famille voire <strong>de</strong>s membres beaucoup<br />
plus lointains, “ le grand-père <strong>de</strong> ma belle-sœur ”.<br />
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