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les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie

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objets que <strong>les</strong> acteurs possédaient avant leur mise en couple ou aux objets qui leur ont été<br />

offerts personnellement” parmi <strong>les</strong>quels “ <strong>de</strong>s jouets d’enfance, <strong>de</strong>s photos, <strong>de</strong>s disques <strong>de</strong><br />

jeunesse, <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong> voyage aux accents initiatiques, <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux d’amis chers, mais<br />

aussi <strong>de</strong> nombreux objets provenant <strong>de</strong>s famil<strong>les</strong> d’origine ou personnifiant un parent. ” Leur<br />

appropriation n’est jamais claire, évoluant entre le bien à soi et le bien du couple, ambiguïté<br />

qui assure la cohésion du couple mais qui serait aussi d’une très gran<strong>de</strong> fragilité.<br />

“ L’intégration passe surtout par la mise en veilleuse, consciente et inconsciente, du caractère<br />

individuel <strong>de</strong>s choses. Au quotidien, la propriété individuelle d’origine <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong>vient<br />

souvent discrète et reste à l’état latent. Cette latence permet <strong>de</strong> bâtir une indistinction <strong>de</strong><br />

surface tout en préservant la connaissance <strong>de</strong> l’origine d’une propriété et le pouvoir qui lui est<br />

lié. Elle fait ainsi coexister plusieurs niveaux <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s propriétés individuel<strong>les</strong>, et<br />

elle introduit du jeu dans la perception <strong>de</strong> ce qui est privé ou collectif. (…) Momentanément<br />

voilée, la différence <strong>de</strong> pouvoir individuel sur une chose peut néanmoins resurgir dès lors que<br />

la propriété <strong>de</strong> l’objet <strong>de</strong>vient un enjeu relationnel important. Ce revirement intervient <strong>de</strong><br />

façon paroxystique dans certains divorces, lorsque <strong>les</strong> conjoints sol<strong>de</strong>nt leurs comptes<br />

communs et font remonter à surface <strong>de</strong> façon crue <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> Propriété individuelle naguère<br />

en veilleuse. ” (Gacem 2000 : 37-47) Et l’on songe au sort <strong>de</strong>s voitures. Aussi longtemps que<br />

le couple dura, <strong>les</strong> voitures restèrent dans une sorte d’indétermination quant à leur légitime<br />

propriétaire. Mais le divorce fut l’occasion <strong>de</strong> clarifier la situation : el<strong>les</strong> relèvent <strong>de</strong> ce Droit<br />

<strong>de</strong> Propriété d’origine, qui ne met que très provisoirement et jamais franchement <strong>les</strong> biens <strong>de</strong><br />

l’un dans le pot commun du couple. Qu’el<strong>les</strong> aient été achetées avec l’argent du couple n’y<br />

change rien.<br />

Vendre, telle est l’arme <strong>de</strong> ceux qui ne veulent “ pas partager ” ou <strong>de</strong> ceux “ qui ne<br />

veulent rien laisser ”. L’affirmation confine au truisme. Mais il faut regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus près pour<br />

voir à l’œuvre toute la portée symbolique <strong>de</strong> ce geste. Jean-Pierre et son épouse, Maryse,<br />

évoquent le cas d’un <strong>de</strong> ses confrères, propriétaire d’automobi<strong>les</strong> rares et très anciennes.<br />

J-P : “ Je sais pas s’il <strong>les</strong> a encore. Je pense, d’après ce que j’ai entendu dire, qu’il s’en<br />

est débarrassé. Il a été sérieusement mala<strong>de</strong> et il s’est débarrassé <strong>de</strong> ses voitures.<br />

Q : -Pourquoi <br />

M : -Il avait pas d’enfants <br />

J-P : -Si mais je crois qu’ils étaient pas en très, très bons termes.<br />

M : -Ah bon mais <strong>les</strong> enfants auraient pu hériter, quand même.<br />

J-P : -Non, il voulait pas leur laisser <strong>les</strong> voitures. Ils voulaient… c’est con mais il<br />

voulait <strong>les</strong> déshériter. Alors il <strong>les</strong> a vendues. Il paraît qu’il en a récupéré un bon paquet <strong>de</strong><br />

fric.<br />

M : -Pour <strong>les</strong> déshériter quand même, il faut que…<br />

J-P : - Oui mais il l’avait dit plusieurs fois qu’il voulait pas <strong>les</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>puis qu’il<br />

avait été mala<strong>de</strong>. Qu’il voulait <strong>les</strong> vendre parce que ça marchait pas avec ses enfants. Qu’il y<br />

avait un froid entre eux, qu’ils étaient pas bien du tout, qu’il voulait pas qu’ils aient <strong>les</strong><br />

voitures. ”<br />

Ce collectionneur n’a pas pour but <strong>de</strong> priver ses enfants <strong>de</strong> tout l’héritage. Les biens<br />

immobiliers, <strong>les</strong> liquidités, dont le produit <strong>de</strong> la vente <strong>de</strong>s voitures, sont conservés et font<br />

partie <strong>de</strong> ce que <strong>les</strong> parents envisagent <strong>de</strong> transmettre à leurs enfants. On peut alors sourire <strong>de</strong><br />

cet étrange “ déshéritage ”: il n’y a pas eu amputation <strong>de</strong> l’héritage, simplement une légère<br />

modification <strong>de</strong> sa forme. Pourquoi Jean-Pierre considère-t-il que son confrère a déshérité ses<br />

enfants S’il avait simplement vendu un bien immobilier, aurait-il posé le même jugement<br />

sur cette vente Mais, précisément, ce changement <strong>de</strong> forme en dit long sur l’importance <strong>de</strong><br />

ces objets et sur <strong>les</strong> relations entre parents et enfants.<br />

Le but n’est pas <strong>de</strong> priver <strong>les</strong> enfants <strong>de</strong> l’argent mais d’autre chose, <strong>de</strong> beaucoup plus<br />

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