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les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie

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S’en séparer<br />

Le <strong>de</strong>venir ordinaire <strong>de</strong> ces voitures est donc d’intégrer la succession, après la mort <strong>de</strong><br />

leur créateur. Il ne s’agit en aucun cas d’une collection dont on pense pouvoir se séparer,<br />

encore moins d’une réserve d’argent que l’on pourra utiliser en cas <strong>de</strong> besoin. Et pourtant,<br />

certains semblent avoir commis l’impensable, vendant, “ bradant ” même leur chère<br />

collection, à la suite <strong>de</strong> certaines “ difficultés personnel<strong>les</strong> ”, parmi <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> le divorce<br />

figure en première place.<br />

Fallait-il attacher beaucoup d’importance à ces quelques collectionneurs qui<br />

affirmaient, au détour d’une conversation, “ avoir commencé avant ” Et puis il y a eu le<br />

divorce qui leur aurait imposé certains “ sacrifices ”. Les émoluments <strong>de</strong>s avocats, la nécessité<br />

<strong>de</strong> partager <strong>les</strong> biens <strong>les</strong> auraient obligé à trouver <strong>de</strong> l’argent rapi<strong>de</strong>ment. De plus, la rupture<br />

affective et sociale qui fait “ perdre le goût à tout ” entraînerait avec elle la passion pour la<br />

mécanique qui, un temps, entrerait en sommeil, supplantée par d’autres soucis. Enfin, la<br />

maison vendue, l’installation dans un nouveau lieu <strong>de</strong> vie réduirait pour certains l’espace<br />

disponible. “ Comment voulez-vous installer <strong>les</strong> voitures dans un appartement <strong>de</strong> trois pièces.<br />

Pas possible. ” Le divorce grand disperseur <strong>de</strong> collection, donc, du fait <strong>de</strong>s besoins financiers<br />

et <strong>de</strong>s troub<strong>les</strong> qu’il entraîne. Pouvait-on questionner ces raisons Et puis, il fallait bien s’en<br />

contenter, mes interlocuteurs n’ayant manifestement pas envie d’évoquer cette pério<strong>de</strong> –“ j’ai<br />

tourné la page. Alors, bon… C’est fini”.<br />

Quelques bri<strong>de</strong>s <strong>de</strong> conversations permettent d’aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces explications mipsychologiques,<br />

mi-financières.<br />

Lorsque je rencontre Robert, il en est à sa <strong>de</strong>uxième série <strong>de</strong> voitures restaurées. Sur la<br />

première, il sera évasif. “ J’avais commencé il y a dix ans. Je m’étais retapé une petite 4CV,<br />

une Traction, quelques populaires que j’aimais bien. Et j’en avais quelques-unes qui<br />

attendaient aussi. Et puis, bon, la catastrophe, le divorce, <strong>les</strong> avocats, la pension, tout ça a été<br />

englouti. ” Rien que <strong>de</strong> très ordinaire. Je n’apprendrai rien d’autre sur cette première série <strong>de</strong><br />

voitures, si ce n’est sa triste fin, au moment <strong>de</strong> la séparation. “ Le divorce s’est très mal passé.<br />

Ma femme est partie en claquant la porte. Bon, peu importent <strong>les</strong> détails et disons qu’elle<br />

avait décidé <strong>de</strong> me faire chier. Enfin, au début, ça allait et puis ça s’est envenimé.” Certes,<br />

comme la loi l’y autorisait, elle revendiqua et obtint le partage égal <strong>de</strong>s biens. Ce que son<br />

futur-ex époux ne critiqua pas et considéra même comme normal. “ On était marié sous le<br />

régime <strong>de</strong> la communauté, on avait bossé ensemble, on <strong>de</strong>vait partager. ” Mais l’accord céda<br />

la place à une franche opposition lorsque l’épouse réclama le partage <strong>de</strong> la collection <strong>de</strong><br />

voitures. “ Là, j’ai pas voulu. Non parce que le but, c’était <strong>de</strong> me foutre sur la paille. De toute<br />

façon, c’était pour m’emmer<strong>de</strong>r parce que, <strong>les</strong> voitures, elle s’y était jamais intéressée. Elle<br />

<strong>les</strong> aurait vendues quand même. Du coup, c’est moi qui l’ai fait. Je <strong>les</strong> ai bradées pour rien<br />

mais je voulais pas <strong>les</strong> lui laisser. Ah non ! Je vous dis, elle s’en foutait. C’était pour me faire<br />

chier.” Dès l’instant où el<strong>les</strong> furent associées au patrimoine commun du couple, Robert se<br />

rebiffa. La règle juridique, selon lui, ne pouvait être appliquée à ces objets, bien qu’achetés<br />

sous le même régime <strong>de</strong> communauté que le reste <strong>de</strong>s biens du couple. Je ne saurais rien <strong>de</strong><br />

plus sur ces voitures mais le sort qu’il leur réserve –s’en séparer plutôt que <strong>de</strong> voir son épouse<br />

s’en emparer- trouve un étrange écho dans <strong>les</strong> réflexions <strong>de</strong> Karim Gacem à propos <strong>de</strong>s<br />

“ Propriétés individuel<strong>les</strong> dans la chambre conjugale ”. Il part du constat que “ fon<strong>de</strong>r un<br />

couple, c’est accepter <strong>de</strong> partager <strong>de</strong> l’affection, <strong>de</strong>s relations intimes, <strong>de</strong>s paro<strong>les</strong>, du temps et<br />

<strong>de</strong>s choses. (…) La chambre à coucher est le lieu par excellence où <strong>les</strong> intimités individuel<strong>les</strong><br />

doivent se fondre pour faire vivre une communauté. ” Et c’est précisément ce jeu entre<br />

l’individuel et le collectif qu’il se propose d’analyser à propos <strong>de</strong> certaines catégories d’objets<br />

présents dans la chambre à coucher. “ Toutes <strong>les</strong> choses n’ont pas la même prédisposition à<br />

être individuellement possédées. Le Droit <strong>de</strong> Propriété d’origine s’applique sans difficulté aux<br />

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