les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
1988 : 178) Sauf qu’en l’occurrence, le plus “ fidèle émissaire ” est un étranger. Le partage<br />
<strong>de</strong>s biens le ramène à sa position. Force est <strong>de</strong> reconnaître qu’en l’absence <strong>de</strong> testament, René<br />
ne pouvait prétendre à rien, alors que <strong>les</strong> neveux étaient <strong>les</strong> légitimes héritiers. Neveux ou<br />
nièces sont <strong>les</strong> seuls "héritiers" aux yeux <strong>de</strong> la loi. C'est à eux que reviennent <strong>les</strong> "biens <strong>de</strong><br />
famille", maison et garage. Cependant, dans ses propos, la chose est sensible. Pour eux, il n'y<br />
avait là qu'un enjeu économique. Seul leur importait le bénéfice matériel. Ils n'ont pas hérité<br />
<strong>de</strong> l'essentiel. Lui seul a "su choisir". N'était-ce pas dans cette vieille Balilla que s'incarnait le<br />
mieux l'histoire <strong>de</strong> ce couple <strong>de</strong> garagistes, qui passa toute sa vie dans la mécanique Voiture<br />
qui a été délaissée par <strong>les</strong> héritiers, dont lui seul a su décrypter le sens, reconnaître toute<br />
l'importance. On peut appliquer ici <strong>les</strong> remarques d’Anne Gotman. “ Il faut en réalité<br />
distinguer <strong>les</strong> héritiers et <strong>les</strong> successeurs. Ceux qui reçoivent du bien, et ceux qui ont pour<br />
charge <strong>de</strong> perpétuer le nom <strong>de</strong> famille. Souvent ce sont <strong>les</strong> mêmes et la distinction n’est plus<br />
apparente. Mais il peut être parfois précieux <strong>de</strong> <strong>les</strong> différencier. Agriculteurs, commerçants,<br />
entrepreneurs et petits industriels font toujours <strong>de</strong>ux lots, l’entreprise familiale et le reste, et<br />
<strong>de</strong>ux types d’héritiers.” (Gotman 1988 : 170) Dans ce cas, cette nécessité est particulièrement<br />
sensible. Et paraphrasant Anne Gotman encore, “ l’une (<strong>de</strong>s parties, René) hérite quand<br />
l’autre (<strong>les</strong> neveux) ne fait que profiter ”. (Gotman 1988 : 180) Ainsi, symboliquement, il sort<br />
vainqueur <strong>de</strong> ce marché <strong>de</strong> dupes : certes, il n'a pas eu l'argent mais c'est à lui qu'il est revenu<br />
d'incarner une lignée. Lui, l'enfant <strong>de</strong> l'Assistance, éloigné <strong>de</strong> l'héritage, n'en est pas moins<br />
l'unique héritier <strong>de</strong> cette famille <strong>de</strong> mécaniciens, au volant <strong>de</strong> sa Balilla. Elle est la preuve<br />
manifeste <strong>de</strong> sa filiation nouvelle, <strong>de</strong> cette parenté<br />
Cette fiction <strong>de</strong> l’héritage que l’on a vue à l’œuvre en “ amont ”, entre le<br />
collectionneur et ses ascendants, se retrouve également en “ aval ” entre le collectionneur et<br />
ses héritiers. Frère-Michelat, lors du salon du collectionneur en 1982 a posé la question “ du<br />
sort <strong>de</strong> la collection à la mort du collectionneur. Celui-ci s’en préoccupe-t-il Oui, dans le<br />
petit nombre <strong>de</strong> cas où il fait un testament. Dans <strong>les</strong> autres cas, on ne peut parler que <strong>de</strong> vœux.<br />
Vœux pour que la collection soit préservée dans son intégrité et reste dans la famille. Qu’elle<br />
aille à <strong>de</strong>s amis est peu souhaité (risque-t-elle d’être dispersée ), à d’autres collectionneurs<br />
encore moins (jalousie ). Qu’elle soit léguée à un musée plairait à quelques-uns.” (Frère-<br />
Michelat 1982 :159) Les “ mécaniciens <strong>de</strong> l’inutile ” font preuve <strong>de</strong> moins d’hésitation : tous<br />
souhaitent que leurs engins “ restent dans la famille ”. Mais <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong> cette<br />
conservation familiale varient : certains envisagent un partage équitable entre <strong>les</strong> héritiers<br />
tandis que d’autres préfèreraient léguer l’ensemble à un seul d’entre eux. Car pour tous, la<br />
question est la même : comment traiter cet héritage familial, sans léser personne mais<br />
également sans porter atteinte à cette mémoire <br />
Testament<br />
A écouter Max parler <strong>de</strong> ces objets <strong>de</strong> collection, on a l’impression qu’il échappe<br />
totalement à cette emprise autobiographique. Il n’a restauré qu’un seul engin, un triporteur.<br />
“ C’était pour une sortie <strong>de</strong> moto. Un copain m’a dit : -‘Vas-y.’ -‘J’ai pas <strong>de</strong> moto.’ -‘Je te<br />
prête mon triporteur.’ -‘Je veux bien’. C’est là que je l’ai essayé et tout <strong>de</strong> suite, ça m’a plu. Il<br />
y en avait un à vendre et je l’ai acheté. Mais non, j’en avais jamais vu ou eu avant. Non, c’est<br />
parce que je l’avais essayé là. ” Il possè<strong>de</strong> aussi d’autres <strong>de</strong>ux-roues, qui atten<strong>de</strong>nt une<br />
réparation, tous <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux-roues <strong>de</strong> hasard, achetés “ parce que c’ était une occasion ” ou<br />
“ récupérés à la ferraille ”. Aucun fait ne relie ses engins à son passé ou sa famille. Il ne s’agit<br />
en rien d’engins “ hérités ”, “ transmis ” même <strong>de</strong> façon symbolique. Pourtant, la fiction voire<br />
la réalité <strong>de</strong> l’héritage prend, chez Max, une dimension considérable.<br />
48