les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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autour duquel le récit <strong>de</strong> soi se cristallise fortement, dans lequel on projette son passé et qui va<br />
"contaminer" <strong>les</strong> autres. C'est ainsi la collection en tant qu'ensemble qui <strong>de</strong>vient biographique.<br />
On pourrait alors compléter ainsi l’affirmation <strong>de</strong> Jean-Louis : “ Une voiture est <strong>de</strong> collection<br />
dès l’instant que son propriétaire à déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la sauvegar<strong>de</strong>r ” parce qu’à travers elle, c’est la<br />
famille et l’enfance qui resurgissent. (Lettre <strong>de</strong> Jean-Louis B., 17 novembre 2000)<br />
Pourtant, cette affirmation pose plus <strong>de</strong> questions qu'elle n'en résout. En effet, ma<br />
première rencontre avec un collectionneur <strong>de</strong> moteurs industriels avait attiré mon attention sur<br />
cet investissement biographique. Mais le phénomène avait fini par <strong>de</strong>venir banal au fil <strong>de</strong>s<br />
rencontres. Toujours, à l'origine <strong>de</strong> leur passion, un engin, voiture, tracteur, moteur, dont<br />
s'était servi un <strong>de</strong> leurs proches ou qui avait accompagné l'enfance <strong>de</strong> l'amateur, engin disparu<br />
puis retrouvé par hasard, acheté et restauré. D’une part, on découvre rapi<strong>de</strong>ment que ce n’est<br />
pas exactement la voiture du père ou du grand-père que l’on trouve mais “ la même ”, “ une<br />
pareille, toute pareille ”. Comment un engin qui n’a jamais appartenu à la famille peut-il,<br />
soudain, parvenir à incarner son histoire D’autre part, choisir <strong>de</strong> restaurer sa voiture plutôt<br />
que celle <strong>de</strong> son père, celle du grand-père plutôt que celle du grand-oncle, celle du laitier<br />
plutôt que celle du père, n'a rien d'une activité gratuite. "Le désir comme le non-désir <strong>de</strong><br />
possession <strong>de</strong>s signes matériels et symboliques <strong>de</strong> l'histoire familiale (et personnelle)<br />
renvoient à la question <strong>de</strong> sa propre filiation accomplie ou inaccomplie." (Muxel 1996 : 151)<br />
Elle parle donc "famille", trie, organise. Elle construit la place d'ego, recompose peut-être la<br />
parenté du collectionneur. En effet, on note, dans ces récits <strong>de</strong> passionnés <strong>de</strong> vieil<strong>les</strong><br />
mécaniques, <strong>de</strong> grands absents : jamais aucun d’eux n’a affirmé s’être mis en quête <strong>de</strong> la<br />
voiture d’un frère, d’une sœur, d’un cousin ou d’un enfant. Ce sont toujours <strong>les</strong> voitures qui<br />
leur ont appartenu et plus encore cel<strong>les</strong> qui ont appartenu à l’un <strong>de</strong> leurs ascendants qu’ils<br />
prisent. Or, <strong>de</strong>s objets qui ont appartenu à <strong>de</strong>s ascendants et dont on est maintenant<br />
propriétaires, n’est-ce pas, en simplifiant gran<strong>de</strong>ment, l’une <strong>de</strong>s définitions possib<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
l’héritage Les objets collectionnés, du moins le premier d’entre eux, sont un bien d’héritage.<br />
Et ce <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> façons.<br />
Héritage.<br />
Tous <strong>les</strong> passionnés <strong>de</strong> motos me conseillent <strong>de</strong> rencontrer Gaston. On ne tarit pas<br />
d’éloges sur la beauté <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux-roues, sur la qualité <strong>de</strong> ses conseils techniques, sur ses<br />
jugements esthétiques toujours judicieux. Lorsque je lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment est née sa passion,<br />
la réponse ne m'étonne guère. "Ca vient <strong>de</strong> loin. Ici, avant qu’on ait refait la maison, c’était<br />
l’atelier <strong>de</strong> mon père ici. J’avais douze treize ans à peine. Il y avait une vieille moto<br />
suspendue. En montant, sur une étagère, il y avait un moteur <strong>de</strong>dans, son moteur et j’ai<br />
commencé à remonter ma première moto mais pas pour faire la collection, pour faire le fou<br />
dans <strong>les</strong> prés. J’avais mon cousin qui venait en vacances, on faisait <strong>les</strong> fous avec la vieille<br />
moto dans <strong>les</strong> prés. Et puis, ça s’est fait surtout quand…J’avais un copain qui restaurait <strong>les</strong><br />
viel<strong>les</strong> motos. Et j’ai dit : ‘Tiens, j’en ai une chez moi.’ Et c’est partie comme ça. Elle était<br />
restée ici, chez mes parents. C’est la première moto <strong>de</strong> mon père. Je la tiens <strong>de</strong> mon père. Et<br />
puis après tout s’est enchaîné.” Un amateur <strong>de</strong> motos anciennes ordinaire en somme. Mais au<br />
fil <strong>de</strong> la conversation, on s’aperçoit que la moto n’est pas le seul objet que Gaston “ tient ” <strong>de</strong><br />
son père. “ Ici, c’était l’atelier. Là, il y avait un grand tas <strong>de</strong> bois et une cheminée. Et puis…<br />
quand on est revenu, il a fallu trouver une maison. Alors plutôt que <strong>de</strong> se faire construire, on a<br />
préféré restaurer cette bâtisse, l’atelier <strong>de</strong> mon père.” Il faut aussi y ajouter une Citröen B2,<br />
torpedo. “ Elle aussi, elle était ici. C’était celle <strong>de</strong> mon père. Elle avait été transformée en<br />
plateau. Je la conduisais pour aller dans <strong>les</strong> champs, chercher <strong>les</strong> patates et <strong>de</strong>s trucs comme<br />
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