les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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-J'en sais rien, dix bal<strong>les</strong>, vingt bal<strong>les</strong>, c'est tout ce que ça vaut, ta ron<strong>de</strong>lle.<br />
-Tu es loin. Trois cents bal<strong>les</strong> !<br />
-Tu es fou ! Il s'est foutu <strong>de</strong> toi, le mec ! Moi aussi, je vais monter un stand. Je vais<br />
aller faire le tour <strong>de</strong>s ferrailleurs. Je vais en trouver, <strong>de</strong>s pièces ! "<br />
C’est dans un immense éclat <strong>de</strong> rire que Jean-Clau<strong>de</strong> me raconte le dispendieux achat<br />
d’un “ volant quatre branches” pour sa 203 découvrable. “ Moi, j’ai la 203 découvrable, elle a<br />
le volant qui est le volant <strong>de</strong> Berline mais à l’origine, c’est le volant quatre branches. En 203,<br />
c’est introuvable. Je suis tombé sur une vente (…), une bourse d’échanges (…). Et j’ai vu un<br />
volant quatre branches. Et là, le type, il m’a assassiné ! Il m’a vu venir. Là, il a vu que j’étais<br />
chaud, que j’étais… Il sait. Le ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ce truc-là, parce que c’est son métier, il vend que<br />
<strong>de</strong>s pièces comme ça, il a vu que j’étais le gars… J’ai fait le gars pas intéressé et tout. Le type<br />
qui ‘Pouf ! Ca m’intéresse pas’ . Il t’annonce la couleur, t’as <strong>les</strong> sueurs qui tombent <strong>de</strong><br />
partout. Et il sait que, <strong>de</strong> toute façon, <strong>de</strong> la poche, on va sortir <strong>les</strong> billets. C’est sûr et certain.<br />
Et puis ça se marchan<strong>de</strong> pas. Et le volant quatre branches, je l’ai à la cave. ” Je ne saurais rien<br />
du prix qu’il l’a payé. Il se contentera d’en rire longuement, <strong>de</strong> raconter comment il s’est<br />
“ estampé en beauté ”. Une “ escroquerie ” dont il est apparemment conscient, qui semble ne<br />
donner que plus <strong>de</strong> valeur encore à sa voiture et du moins au volant.<br />
Racontant la patiente quête <strong>de</strong>s pièces nécessaires à la restauration <strong>de</strong> leurs engins, <strong>les</strong><br />
passionnés insistent souvent sur cette distorsion. La carrosserie, le châssis, le moteur ou<br />
l'épave sont achetés pour quelques francs à peine, parfois offerts. Par contre, <strong>de</strong> petites pièces,<br />
apparemment insignifiantes, nécessitent <strong>de</strong>s sommes importantes. Christian D. par exemple<br />
commença ses premiers pas dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mécaniciens par d’étranges achats. “ Je voulais<br />
un Zèbre et un jour, à une bourse d’échanges, je tombe sur un moteur <strong>de</strong> Zèbre. 1300 francs,<br />
le moteur, foutu mais complet. Alors je l’ai acheté mais il y avait que le moteur. Il a fallu<br />
trouver tout le reste, le pont, la boîte, tous <strong>les</strong> morceaux. Et un jour pareil, à une bourse, j’ai<br />
trouvé un radiateur, pareil, pourri, pourri, qui pissait <strong>de</strong> partout. 3000 bal<strong>les</strong>. Un coup <strong>de</strong><br />
chance. Le mec <strong>de</strong>vait pas trop savoir ce que ça valait. Alors, je l’ai pris. Pour le refaire .”<br />
1300 francs un moteur complet alors que le seul radiateur, bien qu inutilisable, considéré<br />
comme “ une affaire ”, vaut 3000 francs ! La partie serait plus chère que le tout C’est bien la<br />
singularité <strong>de</strong> ce marché sur laquelle <strong>les</strong> amateurs se plaisent à insister. Ses règ<strong>les</strong> sont à<br />
l’opposé <strong>de</strong> cel<strong>les</strong> qui régissent le marché <strong>de</strong> la voiture “ banale ”.<br />
Mais l’argent n’est pas la valeur essentielle qui permet <strong>de</strong> juger ces voitures. Ou seraitil<br />
plus exactement dire que l’investissement financier doit se doubler d’un autre<br />
investissement : en temps.<br />
Le temps <strong>de</strong> faire<br />
En effet, ce n’est pas seulement l’argent investi qui justifie la valeur <strong>de</strong> la voiture, le<br />
temps passé à sa restauration compte tout autant. Dans un raccourci saisissant, Christian D.<br />
met en récit la double valeur d’un engin. “ Je disais à ma femme : ‘Si un jour on pouvait avoir<br />
un Zèbre.’ Et alors, un jour, à Lévignac, à la bourse d’échanges, j’ai acheté un moteur, 1300<br />
F. Avec ce moteur <strong>de</strong> 1300 francs, j’ai fait une auto. J’ai acheté ce moteur, après il m’a fallu<br />
trouver un pont, il m’a fallu trouver une boîte. Il a fallu trouver <strong>les</strong> morceaux. J’ai dû mettre 7<br />
à 8 ans pour trouver tous <strong>les</strong> morceaux, pour le reconstituer. J’ai un Zèbre <strong>de</strong> 1907. ” Telle est<br />
la double valeur : 1300 francs, quelques pièces “ hors <strong>de</strong> prix ” et surtout sept ou huit ans <strong>de</strong><br />
travail. C’est sans doute là la valeur essentielle <strong>de</strong> l’engin : le temps, toujours important, passé<br />
à sa restauration. On compte parfois en mois mais surtout en “ milliers d’heures ” et en<br />
années.<br />
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