les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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Comme si regar<strong>de</strong>r l’événement supposait qu’on y participât en l’intégrant. Chacun peut<br />
espérer et est invité à passer <strong>de</strong> l’autre côté du miroir. Enfin, certains tracteurs ont été gratifiés<br />
<strong>de</strong> très inattendues fleurs en papier, accrochées aux roues, aux phares. Deux chars ont été<br />
réalisés, tirés par <strong>de</strong>s tracteurs du musée. L’ensemble évoque irrésistiblement un défilé <strong>de</strong><br />
carnaval.<br />
On fait le tour du village. Les habitants sont sortis sur le seuil <strong>de</strong> leur maison,<br />
regar<strong>de</strong>nt passer le cortège, applaudissent, interpellent un conducteur qu’ils connaissent, <strong>les</strong><br />
conducteurs, à leur tour, interpellent un passant <strong>de</strong> leur connaissance. Le vacarme est<br />
assourdissant, mêlant le bruit <strong>de</strong>s moteurs à celui <strong>de</strong>s roues en fer sur le bitume, bruit renvoyé<br />
par <strong>les</strong> murs <strong>de</strong>s maisons. Visiblement, ce vacarme ne gêne guère <strong>les</strong> spectateurs qui ne<br />
rentrent pas pour autant et semblent même l’apprécier. Etonnant : <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> dix ans que<br />
cette association existe, sa fête <strong>de</strong>s battages n’a pas varié d’un iota. Tous <strong>les</strong> ans voit le même<br />
défilé dans <strong>les</strong> rues, <strong>les</strong> mêmes tracteurs sont livrés à l’admiration <strong>de</strong>s habitants qui ne s’élime<br />
pas au fil <strong>de</strong>s ans. Admiration certes mais également indifférence tout au long <strong>de</strong> l’année<br />
puisqu’aucun <strong>de</strong>s spectateurs, en temps ordinaire, ne pousse <strong>les</strong> portes du hangar-musée pour<br />
une visite. On ne s’y intéresse que le jour <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong>s battages. Remarquons enfin le public<br />
extérieur est rare. Heureusement serait-on tenté <strong>de</strong> dire qu’il y a <strong>les</strong> habitants pour sortir sur le<br />
seuil <strong>de</strong> leur porte, applaudir <strong>les</strong> pilotes et <strong>les</strong> saluer. Sans cela, on aurait le sentiment d’un<br />
immense fiasco. Retour au hangar. Les tracteurs sont garés dans le pré. Et la fête semble<br />
s’étioler. Il n’y a pas <strong>de</strong> buvette pour retenir <strong>les</strong> spectateurs éventuels ; il n’y a pas<br />
d’attraction. D’ailleurs, il a peu <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> pour saluer le retour <strong>de</strong>s engins. Pilotes et passagers<br />
se regroupent au hasard <strong>de</strong>s affinités, discutent entre eux et programment la soirée. Rien n’a<br />
été prévu pour retenir <strong>les</strong> rares spectateurs, dont je suis, qui ont le sentiment <strong>de</strong> gêner, <strong>de</strong><br />
n’avoir rien à faire là. Force est <strong>de</strong> constater qu’il vaut mieux partir. Mais a-t-on jamais espéré<br />
la venue <strong>de</strong> spectateurs au cours <strong>de</strong> cette première journée <br />
Deuxième journée, le dimanche avec <strong>les</strong> battages. On comprend enfin pourquoi un<br />
grand champ a été pompeusement rebaptisé “ parking ” : le public est venu en nombre. Cette<br />
fois-ci, l’entrée est payante ; <strong>de</strong>ux jeunes fil<strong>les</strong> y veillent, qui en échange <strong>de</strong> quelques francs<br />
collent sur <strong>les</strong> corsages un médaillon <strong>de</strong> papier auto-collant aux couleurs <strong>de</strong> la manifestation.<br />
Et, plus pour délimiter l’espace <strong>de</strong> la fête que pour décourager <strong>les</strong> frau<strong>de</strong>urs, <strong>de</strong>s barrières ont<br />
été installées. Des marchands forains ont pris place, vendant <strong>de</strong>s bonbons et <strong>de</strong>s jouets,<br />
proposant pour <strong>les</strong> plus jeunes un jeu <strong>de</strong> pêche aux canards. Un marchand <strong>de</strong> couteaux et<br />
d’artic<strong>les</strong> artisanaux –ouvrages <strong>de</strong> cuir, <strong>de</strong> bois- a même déplié son stand. Une buvette<br />
payante offre <strong>de</strong>s rafraîchissements. Enfin, un bœuf, installé sur une broche géante, œuvre <strong>de</strong>s<br />
restaurateurs <strong>de</strong> tracteurs eux-mêmes, rappellent à tous que l’on peut s’inscrire au banquet du<br />
soir qui accueille chaque année, dit-on, huit cents personnes, plus <strong>de</strong> personnes que n’en<br />
compte le village. Un orchestre sera là pour assurer l’animation, un orchestre “ mo<strong>de</strong>rne ” qui<br />
jouera <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers airs à la mo<strong>de</strong>, fera monter sur scène <strong>de</strong>s danseuses, dûment vêtues<br />
d’atours <strong>de</strong> lumière, très directement inspirées <strong>de</strong>s spectac<strong>les</strong> télévisés. Il s’agit bien d’une<br />
fête <strong>de</strong> village, plus vraiment une exposition <strong>de</strong> véhicu<strong>les</strong> anciens. Tout est fait pour accueillir<br />
le spectateur. On lui offre <strong>de</strong> quoi divertir ses enfants, <strong>de</strong> quoi boire et manger. Les tracteurs<br />
sont toujours présents mais ils sont statiques, garés, tels que <strong>les</strong> pilotes <strong>les</strong> ont abandonnés la<br />
veille. Les spectateurs déambulent entre ces engins, ten<strong>de</strong>nt le cou pour mieux voir un détail.<br />
Mais personne ne se hasar<strong>de</strong> à monter ! Les tracteurs servent <strong>de</strong> décor, <strong>de</strong> toile <strong>de</strong> fond au<br />
sens premier du terme, à d’autres manifestations notamment une démonstration <strong>de</strong> chiens <strong>de</strong><br />
troupeau puis <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>, une exposition <strong>de</strong> machines agrico<strong>les</strong> miniatures exécutées par <strong>de</strong>ux<br />
retraités.<br />
Au milieu <strong>de</strong> l’après-midi, le clou du spectacle : le battage à l’ancienne. On fait cercle<br />
autour <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> blé, semée à cet effet. On se bouscule même pour mieux voir. Et ne<br />
reculant <strong>de</strong>vant aucun sacrifice, l’association a fait appel à un commentateur qui, aidé d’une<br />
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