les mecaniciens de l'inutile - Mission Ethnologie
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le fait que leurs véhicu<strong>les</strong> sont loin d’être “ propres ”. Ils semblent même le revendiquer<br />
hautement. A l’image <strong>de</strong> Christian D. “ De l’huile, on en fait un coup tous <strong>les</strong> huit, dix<br />
kilomètres. On inverse le robinet. En inversant le robinet, vous avez une dose. C’est un<br />
robinet doseur qui vous donne un petit peu d’huile, qui vient graisser le palier arrière puis le<br />
palier avant. Le reste <strong>de</strong> l’huile va dan,s le bas moteur. En tournant, <strong>les</strong> masses montent au<br />
cylindre, graissent le cylindre. Et le reste va par terre. On appelle ça l’huile perdue. Les gens<br />
me disent : ‘Mais vous per<strong>de</strong>z l’huile. C’est dégueulasse. Vous polluez ! ‘ Mais la voiture, elle<br />
perdait l’huile. C’était un quart d’huile aux cent kilomètres. C’était ça le Zèbre. ” L’émotion<br />
prit <strong>de</strong>s proportions considérab<strong>les</strong> lorsqu’un projet <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s voitures contenant <strong>de</strong><br />
l’amiante fut connu du public. “ Voynet veut envoyer à la casse toutes <strong>les</strong> bagno<strong>les</strong> qui ont<br />
<strong>de</strong>s pièces en amiante. Alors, c’est la fin <strong>de</strong>s vieil<strong>les</strong> bagno<strong>les</strong>. El<strong>les</strong> ont toutes <strong>de</strong>s pièces en<br />
amiante, toutes, toutes ou presque. Mais tout ça, c’est un prétexte parce que ce qu’elle veut,<br />
elle et <strong>les</strong> autres, c’est nous interdire <strong>de</strong> rouler et détruire toutes nos voitures. Ce qu’ils<br />
veulent, c’est rayer définitivement tout ça <strong>de</strong> la carte. Allez ! hop ! à la ferraille ! ” Le moins<br />
que l’on puisse dire, c’est que Mme Voynet 1 n’est guère appréciée dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />
collectionneurs, incarnant cet inacceptable –et improbable sans doute- projet <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction.<br />
Très floue 2 , cette menace est sans cesse ranimée, brandie par <strong>les</strong> collectionneurs. Parce qu’elle<br />
est indispensable. J’ai longuement insisté sur ce caractère autobiographique <strong>de</strong> leur machine<br />
et <strong>de</strong> leur pratique. Le spectre <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction, qu’ils agitent sans cesse, leur donne une autre<br />
dimension : il ne s’agit plus <strong>de</strong> restaurer la voiture du grand-père mais <strong>de</strong> sauver, <strong>de</strong><br />
“ conserver ” un inestimable “ patrimoine industriel ”. Car on le comprend : à construire un tel<br />
récit autobiographique autour <strong>de</strong> la voiture, celle-ci risque <strong>de</strong> n’avoir d’autre aura que celle <strong>de</strong><br />
cette famille précisément. La difficulté, pour <strong>les</strong> mécaniciens, est diamétralement opposée à<br />
celle <strong>de</strong>s châtelains qu’Eric Mension-Rigau a analysée : ces <strong>de</strong>rniers, héritiers <strong>de</strong> châteaux, <strong>de</strong><br />
monuments historiques, tentent <strong>de</strong> mettre en scène l’intimité, la vie familiale, tente en somme<br />
<strong>de</strong> faire passer le monument du côté du privé et du familial. (Mension-Rigau 2000 : 85-101)<br />
Les mécaniciens doivent eux parcourir le chemin inverse, “ pousser ” leur engin <strong>de</strong> famille<br />
vers l’appropriation collective, le construire en même temps comme un bien collectif, qui<br />
engage tout le mon<strong>de</strong>. La seule façon est <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction.<br />
Mais il ne suffit pas, pour faire du patrimoine, d’évoquer la <strong>de</strong>struction prétendument<br />
arrêtée <strong>de</strong> ces véhicu<strong>les</strong>. C’est doucement <strong>de</strong> façon minutieuse qu’il se compose.<br />
Voyages en ancienne<br />
J’ai déjà évoqué, en préambule, le premier rallye auquel j’ai participé, la bala<strong>de</strong> à<br />
Cocumont, à l’occasion du jumelage. Nous avons passé la journée à attendre, allant <strong>de</strong> place<br />
en place, <strong>de</strong> la rue principale du village à la cave coopérative pour un apéritif, <strong>de</strong> la cave<br />
1 A l’époque où certains entretiens ont eu lieu, Mme Voynet était ministre <strong>de</strong><br />
l’environnement. Son retour à la vie civile n’a pourtant rien changé. Elle reste l’incarnation <strong>de</strong><br />
“ l’écologiste ”, “ celle qui est contre tout ”. Et dans le cas présent contre <strong>les</strong> “ mécaniciens <strong>de</strong><br />
l’inutile ”.<br />
2 Tout est lu, interprété comme relevant <strong>de</strong> ce complot contre <strong>les</strong> mécaniciens <strong>de</strong> l’inutile.<br />
Ainsi ai-je plusieurs fois entendu affirmer que la disparition progressive <strong>de</strong> l’essence ordinaire<br />
n’avait été qu’une manœuvre parmi tant d’autres pour <strong>les</strong> gêner dans leur passion, leurs<br />
engins fonctionnant précisément avec ce carburant. “ Si tu y mets du super, tu gril<strong>les</strong> le<br />
moteur. Et d’ailleurs, ils ont remplacé l’essence par le sans plomb. Et ça, il y a rien <strong>de</strong> tel pour<br />
te flamber un moteur. Alors, tu vas pas me dire qu’ils l’ont pas fait exprès ! ”<br />
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