preface. - Notes du mont Royal

Notes du mont Royal
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L'ILIADE
D'HOMERE,
TRADUITE
DES
Par MADAME
EN FRANÇOIS.
, • - f •
AVEC
REMARQUES.
DACIER.
TOME PREMIER.
• A PARI S,
Chez RlGAUD, Direàeur de l'Imprimerie
Royale, rue de la Harpe.
M. DCGXI. '
Artc P»iyiz.EGZ DU ROT.

I BIBLIOTHECA
KEGlA
JMOMCEN'SIS.

%e*>ï«Wii *tt3& ^m &&. €>• «M
PREFACE.
DEpuis que. je çfie "fiais amufée à- cfcrirc
& que j'ay ofé fendre publics mes amtifements
, j'ay tousjours eu Fambition de pouvoir
donner à noAre-fiede une traduction
d'Homère, qui, en conlêrvant ks principaux
traits de ce grand Poète « puft faire revenir la
plofpart des gens de monde du préjugé deP
avantageux que -leur .en ont donné des copies
difformes qu'on en a faites. Mais j'y ay trouvé
fong-tcrapsdcsdtfficultez qui me parofllbien t infurmontebles
&qui m ont rebutée bien des fois*"
Il n'y a rien de.plus diffitile*que de faire
bien entrer, ks hommes dans le véritable gouft
du Poëme Epique, & de leur faire connoiftre
fyn eienœ. L'art de ce poème a efté fi ignoré *
dans tous k$ temps, que l'Antiquité .ne nous
fournit que deux poëtes qui Payent bien connu.
Homère eft le premier qui Fa monftré aux
tommes; or comme dk.VeHeïus Patercuius»
Jl n'a eu perfenne muni. luy qu'il ait pu imiter*
Tdpeffenne.après luy qui ait pu-le fume* Neque
amc tUum * quem Me imiiaretw; nequepêfi imm,,
qui eum iimêari pûfti* im.emus efi»
Avant Homère il y avoit des poëtes comme
iy .ayoit dti tméoçm : mais ç'eftoient des poëa
ij " •;

y . P--R E FÀ'-C E. •' K
tes qui faïfoient des hiftoires en vers, éc,quî
mefloien t toutes fortes de Vers dans leurs ouvra*
ges. H y en a eu aufli après luy ; -mais il n'y en
a pas eu un feuf, je ne dis pas qui Te foit élevé
m la hauteur d'Homère, mais qui ait mefme
connu fon art. Par tout ce qui nous Telle de
l'Antiquité, nous voyons que cet art a fouffert
depuis ce poëte une eclipfe totale en Grèce,

PREFACE.- /,
lez que j'ayd'abordenvi&gcesdansl'exécution
de mon defiein, & qui m ont fait craindre pouf
Je foccés de mon ouvrage. La plufpart des gens
font gaftez aujourd'huy par la leclure de quan- , •
tité de livres vains & frivol65,& ne peuvent foufi
•fin ce qui n'efl pas dans le -mefme goufh L'ajftoùr,
après avoir corrompu les mœurs, a corrompu
les ouvrages. C'eft Famé de tous nos efcrits.
Les-païens ont-bien mieux jugé que nous
de cette paffion j ils ont parfaitement connu
que ne venant que de fbibleflê,.ellene pouvoil
famais avoir rien de grand, ni contribuer'au
grand. Voila pourqeoy Homère, qui n'a pas
lait difficulté de la donner à fc$ Dieux, s'eft Hmntte la
bien gardé de la donner à fes héros. L'Iliade ne t mi À f' g
prcieme point- Achille amoureux f & I Odyiiee ce qx*die
noffreà nos yeux qu'un amour conjugal liés par- e fi f*« w '
faiLUlyffefidelleàfafemmei^iicMallm^Z ^
mortalité , à, une immortalité tousjours jeune,
€ft aimé de deux Dieflesj il fouffre leur : amour'
lins y reïpondre qu'autan t. que l'y oblige la prur ,
dence pour fe ménager leur fecours. Dans Vir*
nie Enée n'eft pas plus amoureux qu Acnii!e le
.Ulyflfe le font dans Homère. Ces payens-,
comme on Fa remarqué avant moy, n'ont point '*£ 3* p ; **
fouillé la majefté de leurs -Epopées par ces ga- UTmittééL
hiiterj^„dapg€ieufes; Ulyffe eîl froid chez Ciï- ^m*E^
m & triïte chez. Caiypfo ; Achille n'eft fenfibîe,
mi a l'affront qu'on luy fait en luy enlevant Bri*,
îéisi Camille n'a point d'amants .dans FÊneïde;- •
à peine y parfe-t-on de f amour deT«fnus^& "
toute la paffioa de Didon. efi adat-iappoitée
" aii|

-

P-&EFAÙÉ* , Ifl
iif paroËent aujourd'huy trop outrées & hoià
€ fa vray-femblance que -nous demandons*
Comment faire fupporcer à noftre iîecîe des
trépieds qui marchent fmb & qui vont aux- aflemblées
î des ftatuësd'or qui aident VulcaJn
dans fan travail! des chevaux qui parlent, &
plufieurs autres imaginations de cette natufe f
Et la cinquième enfin, qui eft celle qui m'a
le plus effrayée, ceft la grandeur,la aoblefle
& l'harmonie de la diAion,dont perlbeiie n'a
approché, & qui eft non feulement audeflus de •
mes forces, mais peut-eftre mefme âudeflùs de
celles de noftre langue.
Tous ces filets-décrainte m'avoient extre*
mement découragée; mais enfin fay fait réfle^
xîon que l'ignorance ou fœ a cftéâ long-temps
ftur la nature du Poëme Epiqiac, a pu dire -entièrement
diffipeepar deux ouvrages excellents
qui ont para fur cette matière L'un eft' le Traité
duPoëmeEpiqie da R. P..îeBoiTu î chaeoine
regolicr de famteGemevicve,où ce fçavant Re*
ïgieux explique admirablement fart des poèmes
d'Homère A de Virgile pai les règles a'A- •
riftote; & Faune, la Poétique mcéne tfArMtote
traduite en François, & enrichie de commentaires
qui font parfaitement fenûr la certitude &
la vérité de ces règles par l'expérience mefme
& par h raifcn, J'ay crû

*ÎJf . PREFACE f .
régies ont efté faites3 & j ay penfé que pour le
«légouft d'un petit nombre de gens, qui refuferont
peut-eftre de revenir de leurs préjugez, il
ne Moit pas priver les autres de la fidelle traduction
de ces deux grands originaux r l'Iliade
&I'Ôdyflee. Pour fes rendre mefmeplus utiles r
je ne les ay pas absolument abandonnez à ma
fradudion, je les ay accompagnez de Remarques
quî pourront aider les leéteurs à déinefler
Fart du poète, & leur faire entrevoir
les grands avantages qu'Homère a fur tous
ceux qui Font fuivi.
Voilà pour Je premier point. .Le fécond, qui
cft ccluy des allégories & des fables, eft fans
doute plus épineux. Du temps d'Homère c et
toit la couftume de propofer aux peuples les-
• plus grandes veritez fous àts fables & des paraboles.
Les figes fe fârfoient un mérite de pénétrer
ces my fieres & d en découvrir le fens; &ie
peuple refpecloitfçes fçavantes ténèbres- : '
Noftre fiecle mefprife ces voiles & ces- om-
§res, & n'eftime que ce qui eft fimple & clair..
Ce n eft pas encore là ce qu'il y a de plus fort,
contre Homère: ce poëte, dit-on, a pouffé fi
loin les allégories, à. les a portées à un tel excès*
ue les payens mefmes luy ont reproché que
Sans fes fidions il parle ïbuvent des Dieux. d'u«.
ne manière qui prefente d'abord quelque chofe
2m t t e : 7 * d affreux & d'impie. Longin dit qu'en voyant
dans ce poème les liguesjes playes, les fupplices,les
larmes, les emprisonnements des Dieux,.
& tous les aunes accidents où ils tombait

PREFACE,
k
fans ceffe, il ïuy femblc que ce poëte s cft efforcé
défaire des Dieux,de ces hommes qui furent
au fïege deTroye f & qu'au contraire des
Dieux mefmes il en a fait des hommes, & fouvent
efes hommes très vicieux. Et pour remonter
plus haut, Platon, de peur que ces fablesmal
entenduës f en jettant Tes citoyens dans l'erreur
& dans l'ignorance fur la nature des Dieux,.
n'empoifbnnaflènt leurs âmes par des exemples
d'autant plus pernicieux qu'ils eftoient d'une
authorité plus grande,chafTe Homère de fa:
Republique.Quel ulâge pouvons-nous donc faire
avqourcThuy d'un poëte que des Philofophes
payens mefine ont proferit f
•II cfl certain que la Poëfiè Epique cft un - art
qm n'a eftémventéque pourFutilité des hommes;
Si Homère a pu eftre nuifible & dangereux
pour les mœurs, il a péché contre.les règles
de fon poëme,qui n'eft fait que pour donner
des inftruclîons de vertu, & par confequent
il ne mérite pas le grand nom dcPûè'tt, à.
moins encore celuy de Poëte très divin, que
Platon mefme ïuy a donné. Voila fur quoy il*
faut juftifier Homère, pour effacer la tache que •
fa cenfure de Platon a imprimée à fa poëfie.
"Je ne diray point icyqu'Homère n'a publié'
des; Dieux que ce qu'on-enavoitditavant-Iuy».
& qu'il n'a fait que fuivre F ancienne Théologie
payenne, comme Ariftote fa fort bien vu. Je
me ferviray bieotoft de cette râifon beaucoupplus
fortement qu'Ariftote, en faifant voir non
feulement que ce poëte a fitivi l'andenneThco-

x
PREFACE.
logîe payenne, mais encore que cette ancienne
Théologie eft fouvent conforme à la plus faine
Tfaeologie,&: qu'on trouve dans (es Udions des
traces de certaines grandes veritez, que ces payens
avoiententreveûës quoy qu'oblcoremenr,
& dont la tradition leur avoît donné quelque
connoiflance. En attendant foppoferay à Pla- -
ton le jugement d'un Legïflateer auflî feverc
que luy, cfun Legiffateur que l'Oracle avoit appelle
l'ami des Dieux, èr Dieu pluftoft qu'­
homme; .d'un Legiflateur qui a fondé une des
1>lus nobles, des plus pures & des plus excelentes
Republiques qui ayent jamais elle, je
veux dire de Lycurgue qui-rend à Homère ce
Plmy, ^ grand témoignage % Que les inpuâmis morales
dTijfmT apolitiques, quefespoëfies renferment, ne font
pas moins utiles que fes € ont es irfes fiâions
• font agréables. Je luy oppoferay celuy de Plutarque
qui afîêure, Que lors qu'on examine a '
rîlfZmJ md les f ahles à* les fiâions que ton blafme k
mtr.t il faut plus dans ce poète, on tes trouve pleines d'une
Un la pect. ires w{[ e inpuâiûn 'ir d'une fpcculation profonde.
Je luy oppoferay enfin le jugementi un
grand Empereur, de Juftinien melme,qui dans
fa préface des Pandedes l'appelle, Le rere de
toute vertu.
. S'il ne fuffifoit pas de combattre une autho»
îité par des autlioritez plus fortes-,. & qu'il fal-
Juft entrer dans le détail des.raifons,iI feroit aile
et faire voir que Platon a poufîe trop loin (e&
fcrupu!es. Je diray plus encore, je croy quoi*
pojt dcmçûltjer que les reproches que ce pbi*

- X RE FACE. xi
ïofbphe- fait à Homère font inj'uïtes, que les
idées de ce grand poëte s'accordent fcuvent
mieux que celles de ce philofophe avec les idées
que nous ont donné de'Dieu des efcrivains
plus efclaircx que Platon! puifquife eftoient inf»
truies & ïnfpirez par refont de Dieu mdme„-
C'eft ce"que j'ay tafché de developer dans les.
rémarques quand foccafion s'en eft prefentéej
mais il ne fera pas inutile d'en dire kyun mot.-
En travaillant à jullifier Homère, je travaille à
juftifter auffi ma tradullion : car jeneFaypastraduit
pour m'attirer la vaine louange il feroittrès
pernicieux, & j'aurois bien mal employé le
temps «que fay mis à l'expliquer &ife traduire»;
Procfus a fait un livre entier pour iè défendre
contre tous les reproches de ce ph'riofoph*»
H a traité cette matière avec beaucoup de pro*
fondeur, & il y a un grand profit à ïaire dans fa
le&ure de cet ouvrage. Je ne ie fuivray point
icy dans tous les raifonnements, ils me mené- •
roient trop loin. D ailleurs comme la Iburce de.
la vraye Théologie eftoit inconnue a ce philo*
fophe payen,il ne pouvoh pas*fi bien que nous*
défendre ce poëte fur ce qu'il a dit de la Divin**
Ai» Je vas donc tafcha de rclpomlre icy aux
a v)

xï|- PREFACE,-
reproches les plus importants de Platon. II y en "
a fix, ks autres font examinez dans les remarques;
I.- Homère n'a point fondé de République ;•
il n'a ni conduit heureufement écs guerres, ni
enfeigné à ks conduire; H-n'a point inftkué de
•fede.
IL II introduit des Dieux qui fe trouventmalheureux,
qui lamentent, qui lé plaignent,-
qui fe repentent, qui fe battent, qui font en- fureur.
IIL II dit que les Dieux fe Iaiflént fléchir•'
parles prières, & par les facrifices qu'on leur
offre.
IV. -II aflêure- que-Dieu eft la caufe desmaux,&
il met par cette rai'fon aux deux coftez •
de • fon throfnc deux tonneaux remplis, l'un de.
maux & l'autre de biens.*
V. II fait que les-Dieux-paroiflent aux hommes
fous une forme-vifible, & par confequentfâuifivpuifque
cette forme n eft pas Dieu.-
• VI. Enfin il reprefente Jupiter envoyant à
Àgamemnon un longe trompeur-,. & luy or~
donnant de dire un menfonge : ce-qui eft indi--
gne de Dieu qui n eft que vérité, • /"
Homère n'a point fondé de-Republique, il-
»'a pas donné de loix, il n'a pas conduit des
guerres y il n a pas fondé de fede. Je ne diray
pas comme Proclus que le temps a pu nous deïober
la connoilîance de tout le bien' que la (a-
cfiè -d'Homère avoit fait à plu/ieurs villes,
e paffe à Platon tout ce qu'il veut. Je diray
f

PREFACE,
xïi|
fcuîement^|ue ce n'eft ni le but do poète, ni là*
fin de la fable. L'un à, l'autre ne fe propofent
que

xhr
PREFACE.
regarder comme k père de prefque toutes les
fedes'i car on trouve dans tts eferits les fêmeiices
de la pfufpart des chinions que les phiio'fephes,
venus long-temps après luy, ont embraf
fées. D'aiileurs ne la t'on pas regardé comme
ïïpfl. 2. du un des plus grands philofephes, & Horace n'afigv.
/. feure-t-il pas qu'il enfeigne beaucoup mieux
que les philofophes les plus habiles, ce qui eft
honnefte & deshonnefte, utile & pernicieux,
Platon convient luy-melme qu'Homère fait
fort bien fentir h différence qu'il y a entre la
juftice & l'injuftice, & qi'il monftre que les
guerres,qui defo!entfufiivers»ne viennent que
de l'ignorance des hommes fur le jufte êc fur
Finjuftc. Porphyre avoit fait un ouvrage, Sur la,
m§>\ ms Philofophie d'Homère, où il prouvait qu'il nef-
Ofufpf* toi| p^g moins grand pMIofophe -que grand
***»¥**. poêle. Et Maxime de Tyr dans'fafeiziémedif*
fertation le nommç le Prime des philofophes,
, & il appelle ékgammentfa philofophie un inf
ww^ci- gfi mem £ toutts fortes d'harmonie, pour faire
p w *t* entendre, à mon avis, qu'on y trouvok les prin-
***' cipes de toutes les fecles.
Sut h féconde objection, il fuffit d'oppofer
^ le jugement du fçavam Religieux i dont j'ay
Bsjjl'tmii' p^rlé,. qui plusfage & mieux inftrait dans la
dm poëme feience de Dieu que Platon, & que tous les pa-
%f.^.j. yc 0S $ n ' a p^ craint de dire que les fictions
^** d'Homère méritent plus de taûange que de
XAdmz-Pêut-onkréprendre, dit-il, i/Vnwr attrh
hué aux Dieux les pajfions des hommes! na-î-il
faspûmefme ks fête butin eomre les hommes^

PREFACE.
it
É*avons-nous pas des exemples de ces 'expreffions
ir de ces figures dans les Cw'esfacrei if
dans la véritable Religion ! ir s'il eft permis
quelquefois de parler ainfi des Dieux en Théo*
hgien, il y a men plus de raifon d'en ufer de
mefmeélans les fiAions de laphyfique £r delà
morak,
II faut, ou défendre aux poètes de parier dm
adions des Dieux, ou leur permettre de les ex*
pliquer par des expreflions empruntées des actions
des hommes; c'eft la-feule langue qu'ifs
puiffent parler & la feule proportionnée a leur
Intelligence. Ils peuvent donc attribiicr à Die*-
la colère, la foreur Je dépit,fa tf IfteïTe, Je repen^
tir, la vengeance, comme ils luy donnent une
bouche, îles pieds, des bras. Dieu non feule-»
ment a fouffert que les SS. Prophètes & les au*
tres Efcrivains facrez ayent parie de luy de cette
manière, mais a en a parlé ainfi luy-mefme^
parce que tout autre langage n'auroir pas efié
entendu. C'cfl le feu! moyen d'inftruhre les
hommes. H ne faut qu'ouvrir les livres de f££
criture fainte , on verra en mille endroits que
Dieu dit, qu'il a de hêdouleur, qu'il eft en colère,
qu'il eft en fureur, qu'ilfe repent, qu'il va fe
venger*
A fe/gard des ligues é. des combats des
Dieux, on peut dire quHomere eft encore a
couvert de nos œnfures;f Efcriture fainte non*
prefente des exemples qui méritent tout noftre
refpeâ &. toute noftre veneration.Noos voyonsim$
laGenefe un Ange lutta avec Jacob. Le

PRE PA.CE: . m •xvff
confiderer qu'Homère, en parlant tînfi des
Dieux, excepte tousjours le Dieu fupreme, &
n'atfujetit à ces foiblefTes & a ces accidents que
fes Dieux inférieurs. Cefl à dire les Anges,eps,
l'Ecriture fainte appelle auffi Dieux*
Ainfî bien loin que les fictions. d'Homère
doivent le rendre mefprifable, en le faifant regarder
comme impie & dangereux, elles doivent
au contraire k rendre confïderable & le
iâire regarder comme très utile par la conformité
de fes idées avec ces veniez. Conformité
très remarquable,& dont on peut faire un grandufage
dans l'explication de nos Livres falnts.
Homère fait fi bien fentir fa différence'qu'if
met entre le Dieu fbuverain

ftvllj È RE FA CE,
Dieu' en -plufieurs perfonnes^commeen àutartt
cfattributs, fous les différents noms de Jupiter,
de Junonydc Neptune, &G Il n'a rien dit de,
ces Dieux qui ne foit bon, qui ne leur convienne,
& qui ne foit mefme conforme à la manière
dont la plus faine Théologie a parlé.
Comme poëte phyficien, il fait des Dieux*^
des caufes naturelles; & il leur donne des
mœurs f des difcours & des adions par rapport
à la nature des chofes que ces Divinités
reprefentent.
. Enfin comme poëtç moral # il fait des Dieux
de nos vertus & de nos vices. Si Ton prend Iz
peine d'examiner fclon ces trois différents 1 eA
gards tout ce qui paroift de plus outré dant
Homère, non feulement on le fauvera uns peine,
mais on démeflera avec plaifir tout ce que
ce grand poëte a cache fou* ces'allégories, &
fous ces fables; ©n trouvera*}» tous les repro*
ches qu'on luy a faits font vains,; •& 'on admirera,
la .grandeur de ics idées, les veniez qui
leur ont donné le fondement, & la vafte étendue
des connoifiânees donti'efprit de ce poë-»
te efloit enrichi.
Le troiiîéme reproche que Platon fait à Homère
d'avoir -dit que les Dieux fe {aillent fléchir
par les prières & par les fàcrifiœs qu'on
leur offre, mérite d'eftre examiné. Il eft ronde
fur ce que dans l'onzième Livre de l'Iliade,
Phœnix dit à Achille, Que les Dieux mefmes^ .
je laijfcmfléchir, ir que tous les jours les hommes,
après les avoir ofen€t\ par des tranfgrefr

FRET ACE *îi
fiân s crimlmUeSfparviemem enfin à ks.appaifer
par des vœux, par êtes prefenis, par desfaai*
fiées, par des Ubaàans if par des prières, Platon
prétend que Phœnk .parie icy félon l'opinion
qui regnoit dans ces temps de ténèbres,
où l'on croyoit que les Dieux offenfez fe lait
foient tousjours fléchirpar des fkrifiœs & par
des prefènts, comme s'ils eftoient des ufuriers
avares qui filent trafic de leurs dons & de leurs
grâces, defbrte que les richeseiloient afleûrez
2e tout feirc impunément $ mais il me iêmble --
que le 'paflkge d'Homerc ne prefeote point ce
mauvais (em 9 & ce que Phoenix dit me paroift
très COBéMWC a ce que nous Ufam dans f E£
criture ûhtte. Safomon, en parlant du tempfe
qu'il avoit feafti,dit: Qpicumque ûrmerit m bcû St fâfdim
yfo, exmidi de haMêaeub tuo, ideftdeemUs, è'pm.- #. i*
prépjtiœre* Qukûnque wus adrefferàfes'prbpres
dans -ce Xeu,exaucei-ie de wofiu{dmeJemewe 9
c'eft à dire du euh èrjoyei appaifi* Les prières,
les fieriftefes, les oMaûons, (es libations croient
des moyens ordonne» de Dieu pour deÊurmet
fa colère,& pour attirer (es grâces, non pas par
eux-mefines, mais comme eftant tes marques
du changement du coeur & de la volonté,*
c'eft ara» que ce paiage d'Homère doit cftre
pris. En appelant les prières, Filles de Jupiter,
il s'eft aâez expliqué fuy-mefine : les prières
que forment la crainte ou fintereft, fans le
changement de la volonté à. fans aucun repentir
, ne font pas Ie$ fillesdu ciel, mais les fille*
de h terre. Ce reproche de Platon cft donc tré»

*• ^ PRE'FACE,.*.
mal fondé, & ce mot d'Homère, spàflo/ «Àî il
%$j Bios arnsL Les Dieux eux-mefmes fe laifjent
fléchir, eft un mot -divin ; ceft Je fondement
de la religion & Tunique refiburce des'
hommes.
La quatrième .objection, que Dieu eft fa
caufe des-maux, n eft pas plus-folide :c'eft igrio*
1er la nature de Dieu que de nier que ce feil
ïuy-mefme- qui envoyé aux hommes les bien» -
& les maux. Dieu ne dit-il pas danskDeuteronome,
3 2. "23. Congregabo fuper eos mata-,
ir compléta fagittas me as in eis uaffembleray
fur eux tous -les maux, if je raffafieray mes fié- '
clies de -leurfang- Et dans le prophète Amosv
3. 6i Si erit malum in cvAtate quodDomtnus
nonfecerit, Eft-il dans la mllejjuelque tml.qm.
k Seigneur n'ait pas envoyé!'Et dans/Michée»-
M2. Quia dejeendit malum à.Domino in portam
Jerufalem : Le mal defeend, de Dieu ftm
Jerufalem*
Et pour fa fiifliop de ces deux tonneaux,
«l'Homère place aux deux coftez du throfnç
te Jupiter dans le dernier Livre de l'Iliade, bien
loin de pouvoir eftre bfafmée, elle paroift au
contraire digne d'admiration 9 car c'eft la met
me image que David donne de Dieu au pfeaume
74. Calix in manu Domini vim meri plenus
mixto : irinctinavit ex hoc in hoc ; verùmtamen
faxejus non eft exinanita: bibent omnes peccatores
terrà* Le Seigneur tient en fa main une
eoppe de vin pur, qu'il méfie ir tempère, if qu'il
$erfe de l'une, dans l'autre pour la faire _ boire,

"PRÉFACE. • «j
Max pêcheurs, &c. On peut voir mes remar*-
ques. De là font nées ces exprefiions fi ordif
Bâfres dans f Efcrkure fainte, Boire le nn de la
colère de Dieu •: le vin pur .qui eft méfié dans la
coupe de fa colère., • '
- La cinquième objeélion, qu'Homère donne
• aux Dieux des formesvifibles,a elle folidemenf
refutée par M. Dacier dansfa préface lûr Platon ^
dont il a dorme deux volumes. Si Platon, dit-if,
navoit employé fon raifennement que pour
battre en ruine les ridicules metamorphofes
que les poètes attribuent aux Dieux, H aurott
îaifcn; mais de s'en farcir pour--combattre la
manière dont il a fouvent plu à Dieu de fe
rendre vifibfe fous-la formed'un Ange ou d un
homme, qu'il a crées à fon image & dont il a
pu prendre la figure fans tromper leshommesj
& fans fe départir de (es perfections, cfeft une
erreur. Àuffi rfa-t-etfepas éebapé aux yeux de
fon difciple Ariftote, qui bien que d'ailleurs
moins efclairé que luy fur la nature divine a
pourtant mieux connu ia'beauté & la verké de
ce fentiment d'Homère, qui dit dans fc dode*
ptiéme livre de fOdyfiee, %ie les Dieux pouvant
aifémentfe revejHr de mutes fortes de fert*
tnes,prcmentla figuredejkangers ifwm dans
ks -villes -pour efire témoins des wjvftices des
hommes,à* de leurs bonnes aâ'wns. Et mirait
par ce poète, il a reconnu qu'il n'eft pas indigne
de Dieu, de le reveftir de la nature faumaint
pour délivrer les hommes de-leurs erreurs,
--. Jouant au fpege trompeur .envoyé à*Aga* '

• *»} P'RE FACE*
memnon par Jupiter, & au menfbnge que- ce
Dieu luy ordonne de dire à ce prince dans le
A*. 4t. fecond'Liyre de l'Iliade, Homère a encore efté
f *- bien juftifié dans les mefmes remarques fur la
Jailli poétique, où M. D'acier fait voir que Je men-,
ibnge,que ce fonge trompeur dit a Agamem-
Bon, ne vient pas de Jupiter, mais du longe*
Or il n'eft pas extraordinaire de voir un fonge
menteur, & Jupiter quifouffre qu Agamem*
non foit deçeu,n*a nulle partà cette tromperie;
il la permet lins en élire l'authcur. L'Efcriture
fainte nous fournit un exemple tout pareil
ï. f*du dans f hiftoire d'Achab, Roy alfraçl,- quand
fm. tt. ip. Dieu.voulut le faire périr, car Dieu envoyé a ce
M% lu
Roy fefprit de menionge pour le ieduire,con>
me Jupiter envoyé icy à Agamemnon ce fcege
pour le tromper.
Il n'y a rien de plus femblable. Le Jupiter
iFHomere n'eft nullement un menteur ni un
fcdufkur dans ce paflâge,comme le véritable
Dieu ne feft pas dans cette hiftoire d'Achab*
Mais Homejre a connu cette vérité,: que Dieu
fê fert de la malice des créatures pour accomplie
fsi. ij§, (es jugements» On peut voir mes remarques.
*•*' Jf Cet exemple eft d'autant plus remarquable,
qu'il eft du temps mefme d'Homère, car ce,
poëte vfcoitdansie temps qu' Achah eftoit Roy
rflffaëi, & Jofaphat Roy de Juda..
En général Platon examine la poëfie d'Ho*
mère par rapport à laLpoiitique,& il teooridam*
ne quand Eue. la. trouve pas cmémurn aux re* -
fks qu'un; boupçÉtiquc doawf wr b conjfej>

PREFACE. ndij
vairon- des Eftats & pour le bonheur des peuples.
II n'y a rien de plus iojufte, à. cett
pour s oppofer à cette injuftice qu'Ariftote a
cicrit : Il faut bien fe fomerûr qu'on tie doitpas F%. àï f^
juger de Vexcellence de kpoëfee comme de ceUe st.
Je la politique, ni mefme comme de celle de
tous les autres arts» Le but de la poëfie eft d'imiter,
èi fou imitation pourrait eftrevideufe
en bonne poïkique,qu eHe feraitexcellente en
bonne poëfie. Mais ce qu'il y a de malheureux
pouf Platon, c'eft que l'imitation d'Homère
ji'eft pas mefme contraire-*la bonne politl*
que, puisqu'elle eft conforme à la vérité mefme,
comme je viens de le &*re voit.
Venons prefentement à ce que ma tfadur*
étioo peut craindre du coite des mœurs, des
ufages & des caraderes* Homère peint par tout
h Nature telle qu'elle eftoit dans fâ première
implicite, & avant que déchue de h dignité &
de fa noblefle, elle euft cherché à eftayer lés
ruines fur une pompe vaine, qui n'efl jamais la
marque

inriv PREFACE.
-adions. Le Poëme Epique citant donc Omît»»
tîon d'une action, le poète doit rendre exadcanent
les mœurs telles qu elles font dans les
temps qu'il defigne, autrement fon imitation
•fera fauflè, &fes héros ne feront que des héros
«de Roman-qui n'ont que.le nom de ceux qu'ils
-reprefentent, & qui ne difênr& ne fbruiien
«fui ne-démente-leur caradere, & qui ne (oit
•oppofé aux -ufages des temps où fon fuppofç
qu'ils ont vefcu. En un mot le poëme imite ce
qui eft, & non pas ce qui n'a efté qu'après luy.
Homère ne pouvoir pas fe conformer aux .nia- _
,ges des fiedes fuivants ; &ceft aux fiedes fui- '
vants à remonter aux ufages de fon fiede.C'eft
-un des premiers préceptes de Fart poétique de
èien marquer les mœuis 9 Notandifunt tibimores,
Des fiedes des pays efludiei les mœurs*
Mais, dit-on, eft-if défendu-à un poète dem-
•fcellfc.& d'ennoblir les fujets .qu rrarake, & A~
*iftote mefme n'a-t-il pas-dit que le poëte.doit
.faire fes héros plus beaux l ouy, pourvu qu'il
-conferve la reffemblance: & ce n'eft pas la conserver
que de donner aux temps & aux perfon-
-nes des mœurs & des ufages qu'ils nom pas
' connus. C eft perdre tous les traits caraderi*
fftiques qu'on eft obligé de garder, &istns Jef-
.-quels if -o'y a plus de rdTerahlance entre l'original
& là''C8gie. Ariftote ne Jaiflc aucun lieu
de douter dufehs du précepte qu'il donne aux
.poëtes: Ils doivent, dit-il, imiter les fans peinr '
mes qui, en donnant à chacun fa véritable fur*
m Irm cenferyant la TcjfwmW, les reprer
* - -- - fenicm •

PREFACE.
met
fenùmtlûusjûws fks.éeaux.lCcû à dire-qui»,
comme les .Peintres cherchent ce qui peut au* •
gmeoter la beauté de la perfonne fans altérer
la reflèmblance, & fans rien changer
awx proportions de fa taille & de fon vifagel&
qulb.donnent tous les.agréments qui peuvent.
«'ajufter avec fes traits véritables & .tes relever;
les Poëtes,doivent de mefme chercher tout ce
qui -peut .embellir leur héros, pourvu qu'il s'accorde
avec le fond de fon caradere; Achille cft
colère & injufte, Homère le fait vaillant; Ulyf-
. Ce cft di(fimulé,il fuy donne la prudence, car fa
prudence va fortWen avecladiffimulation, comme
la valeur avec la colère. Rien ne feroit phic
tidicule que de*endre plus beau en deiîmifant
• Ja refibmblance. Qu'une femme veuille qu'un
peintre fa peigne -plus belle, quand mefme il
ne conferveroit aucun de k$ traits, je conçois
les raifons de cette faufleté, elle veut tromper
.ceux qui ne l'auront jamais veûë, mais de vouloir
que des temps, qui ne nous touchent en
rien, nous reflemblent, fadvouë qu'il y a là une
' forte d amour propre que je ne conçois point.
Pour moy je penfe tout autrement,^ je trouve
ces temps anciens d autant plus beaux, qu'ifs
reflemblent moins au noftre. Il en eft des
mœurs comme de la diclion, qui neft jamais
plus belle que lors qu'on la deguife par des
mots eftrangers ou figiuez*car,comme ditAriftote
dans fa Rhétorique:.Ce qui vient dès ef
. rangers paroifiadmkabk 9 ir UUt ce qui eâad^
•' wfcable pldfi if réjouit, •,/ - '
Tme L - ,»> %

txvf"
PREFACE,
; Homère parle fouvent de chaudrons, de
marmites, de'fang, de graifle, d'inteftins,&c.'on
y voit des Princes defpoiïiller eux-mefmes les
belles & les faire rôtir. Les gens du monde trouvent
cela choquant; mais on fait voir que tout
cela eft entièrement conforme à ce que l'on
voit dans l'Efcriture fainte; qu'il n'y avoit alorf
rien de plus augufte ni de plus vénérable, &
qu'on ne peut en faire des railleries fans impieté,
puifque, comme fa.fort bien remarqué le
fçavant Religieux qui a fait le Traité du Poëme
Epiaue, les Livres d'Homère en font encore
•moins remplis que les Livresfâints,qubn expofepar
là aux railleries des libertins & des athées.
Dans Homère Agamemnon & les autres
•princes tuent eux-mefmes les vidimes, parce
que c eft fade le plus augufte à. le plus folemnel
de laReligion : c eft pourquoy a Rome mefme
les Cenfeurs, qui eftoient les magiftrats de
la plus grande authorité, faifbient la mefme
fondion;&pour en marquer l'importance,ils
.la faifoient avec une couronne fur la'tefte & veftus
d'une robe de pourpre. Il n'y a donc rien à
reprendre dans Homère de ce cofté-là. Mais,
, dit-on, qui peut fouffrir que des Princes préparent
eux-mefmes leur .repas; que les fils des
.plus grands.Roys gardent les troupeaux,qu'ils
. travaillent eux-mefmes, & qu'Achille fâflê chez
- luy les fondions Ies.plusfervile$. TeHes eftoient
les mœurs de ces temps héroïques, de ces heu-
.. rêux temps où l'on ne connoifioit ni le luxe ni
j moleffe,& où Ton ne ùiifàt confifter {agloifc

- PREFACE. nvf
^ue dans le travail

«fevfij
.PREFACE.
de faire la, comparaifon des lemps, comme •
Flutarque a fait celle des hommes illafire%
dont il a efcrit la vie, on trouverai entre ces
temps-là à. le noflre la mefme différence qui fe •
trouva e»trela ïlatuë d'airain, queLvfippe avoït -
fait d'Alexandre j & cette melme natuë apré$
i|ue Néron l'eut fait dorer; il fallut luyoffer
cette dorure, parce qu'elle avoit corrumpu tou-
Wïm Uv. tè fâ bçauté ; Quum pretiûpcriifei gratta artis, _
§4. € q. i, jeffaflyà €jt mrum0 La dorure qui gafte npftre
fiecle, & qull faudroit ofter pour luy redonner .
fa beauté & fa force ,our admirateurs.
'• Pour ce qui eft de la quatrième difficulté
quife tire de (es fidions, qu'on traite d'outrées
& 4&aoyables, parce jp'oa ne les upuve fif

TRETACÊi ë mtm
lansïa way-fanblancehumaine, fene myfe*
fois pas arreftée fije ne voyois encore tous Ici
fow^ des gens qui les reprochent à Homère*
Je prciidfay donc la liberté de leur dire icy
qu'ils n'ont aucune idée duPoëfneEpiqué;J'ai»
voue que tous «es contes, bien loin aeitre vray-
Jémblables, font naturellement impoffibles;
mais ce poëte les fût rentrer dans la vray-femblance
par la puiffance infinie des Dieux .qui
opèrent toutes ces merveilles: car ce qui cft
impoffible à l*homfne,éft non feulement poffible,
mais facile à Dieu. Âini rien ne doit-fafre
plus d'honneur à Homère, que d'avoir connu
que les événements les plus extraordinaires- à,
les plus merveHfeux ceflèroient d'eftre incroya-
Mes dés que le miniflere des Dieux interviens
droit, Si que tout elprit de. critique cederoit à
cette intervention.
• Le défaut de vray-leiribîanee,qu'il faut bla£
mer dans les poètes & dans tous les efcrivaïos,
cefl lors qu'ils fontexécuter aux hommes, fans*
sucun fecours des Dieux, des chofesqui pafiênt
les forces de la nature, & qui font m diffus de
l'humanité.
• Mais voicy pour moy l'endroit terrible, c eït
la dkftion. J advouë que de ce cofté là je n'ay
point de bonne apologie. Mon entreprife paf
oiflra avec raifon la plus téméraire, ou pfuftoft
la plus follequ'on puiffe Élire en ce genre d'eC
crire.Plus un original eft parfait dans le grand
& dans le fublime, plus il perd dans les- copies.
Cela ci certain $ il ny a donc point de poëte

qui perde tant qu'Homère dans une tradudioftj
où il n eft pas poflible de faire pafler la force,
l'harmonie, la noblefTe &Ia majeflé de fes ex«
preffions,& de conferver Famé qui eft repan-
•due dans fa poëfie, & qui fait de tout fon poë

PREFACE. »$
"âc fens,fe feront efcouîer avec plus'd empire
que les chofes les plus raifbrinables, dites dure-»
ment & avec des fons defagreables. l!oiïie eft
le plus fin., le plus délicat & fe plus fuperbe de
tous les fens, & ceft celuy dont il faut le plut .
toft fe rendre m'aiftre û Ion veut régner fur fef
aprit. Qu'on démonte les vers de Lucrèce, &
u'on dîfe platement éc grofîierement ce qu'il
ebite fur la nature de f ame,& fur la manière
dont fe fait laveûe.il n'y a perfonne aujourcThuy
qui ait la patience de l'entendre, tant fes
principes paroiffent àbfurdes & oppofez à la ve*
rite. Qu'on prononce les vers de ce grand poète,
il n'y a poînrd'oreiile, qui, charmée parieur
harmonie, ne fe iaiflê aller à ce doux attrait, àt
_ foreilfe charmée'furprendbientoft fa railbn.Si
l'harmonie feule a tant de pouvoir, que ne peut
elle point quand elle eft jointe avec la raifon &•
Ibuftenuë par la beauté, par la vérité & par Ja
grandeur des chofes, & que l'efprit eft inftruit
& nourri pendant que l'oreille éft fatisfâite Cer*
tainement il n'y a point de charme égal à ce*
iuy-ià, ôL tel eft le charme d'Homère.
* La beauté de fexprefffon confifte dans h
clarté & dans la noblefies elle eft-claire par Ie#
mots propres, & noble par k$ mots empruntez.
Pour eftre convaincu de la beauté que don*
fient à la didion ces expreffiom figurées, pour-t
wû qu'elles foient .convenables, bien pbeées & ^ri * &ie
mifes avec mefure, il ne faut que prendre les ^v ^. é*
vers d unPoëmeEpique oud'uneTragedie & y "•
-fe'iiif *
j

mcrij P REPA C E.
changer les termes-, 'fi au lieu des metaploîcsj
des mots eftr angers à. de toutes les autres fi-»
gures, on y fubft ituë les mots propres, on gaftcra
tout ; toute leur beauté fera perdue.
• - Homère a encore deux grands avantages,
qu'Arillote n'explique point; le premier, c'eft'
que les mots propres, qui rendent fa diétion
- .mire, luy donnent auflrtrès fbuvent autant de
force & de nobleffe que les mots figurez,je dis
mefme les mots propres fes plus fimpfes, les
plus communs &. les moins agréables, qui! a
efté obligé d'employer en defcendant, comme
il fait quelquefois, dan s le détail des plus petites
• chofes. Dans ces occafions il n'a pas efté en ion
. pouvoir de choifir les termes, car fes nomspro*
' près ne fe changent point Qu'a-t-îl donc fait
pour cmpefchcr fa poëfie d'eftre deshonorée
par ces termes fi capables de l'avilir l il a fçeu
la relever par l'harmonie, en les meftant enfemble
avec art, & en les fouftenant par des partial
les fonores,& par des épithetes magnifiques ou
gracieufes,qui cachent tout leur defagrément.
C'eft ce qu'il a merveilleufement pratiqué fur
• tout dans le dénombrement des vaiflèaux, qui
DmirU ^ e ^e ^econ^ Livre. Denys d'HaUcarnafle a
imté, • rendu cela fenfible, en rapportant les huit pre-
*e4 m- miers vers de ce dénombrement comme un
fir. êw^ échantillon de tout le refte, & en faifant voir
que tous ces noms de lieux *n'ont ni beauté ni
grâce, mais qu'Homère a trouvéîe fecret de le
* ôviuikeiiimfvmt ê m U mp&mm iimmiA®*
Veut ïfgrm.

PREFACE, radli
h faire paioiflre très beaux-& très magnifiques-'
Ainfi ^yant reçeu des mains de laJMature des
noms durs & defagreables, i a fçeu les rendre
doux, harmonieux & agreabïespar fou art &pac
Ion cfprit. On n'a qu'à lire ces vers dans forigi-
, Bal,on eft eftonné de leur magnififence.
. II en eft de la poëfie d'Homère comme de
la mufique, qui fçait ranger fousfes loix & faire
entrer clans ion harmonie les fons les plus def
agréables & les moins harmonieux ; tout tyjff
obéît & vient faire l'effet qu'elle 'ordonne-
• Le fécond avantage d'Homère dans fa dt* t
Abn,c eft qu'en méfiant des termes durs, ru«
des & communs avec les termes les plus DO!m
& les plus coulants, il a fait une compomion
moyenne qui tient de faufterè ou de la rude, *
de la gracieufe ou de la fleurie : & par ce moyen*.
il mêle admirablement! art &k nature, la paf. •
lion & les mœurs, comme Denys-d'HalicarnaA
nafle Ta fort bien expliqué. c - Quelque endroit
que l'on prenne dam ce poète, dit cet. excellent
critique,, on k tromera parfaitement varié par k
ces deux forte s de ftUe ir d'harmonie*
Cet heureux meflange donne à Homère,
une force & un charme dont perfeiuie n'a pu
h dMi ûtrmç mm& WAAùSç itaînç auvv$et.¥tf n$l '
wptmsBLm famAùf.

wxîv PRE PA C E.
approcher : & ce qu'il y a de merveiffeair, c f eû
qu'on nefent nulle part ni travail ni peine, tout
couîe de fource, êc on trouve par tout une grâce
de facilité, comme û le poème entier avoit
elle didé tout de fuite à Homère par la Mufe
qu'il a invdtruée.M. Defpreaux a parfaitement
expliqué cette grâce dans ces vers, qui font d'une
très grande beauté:
On du oit que pour plaire, injkuit par la Na*
îure,
Homère ah a Venus dérobé fa ceinture;
*" Son Livre eft d'agréments un fertile threfar;
" Tout ce qu'il a touché Je comertk en or; .
"• Tout reçoit dans Je s mains une nouvelle
grâce;
• Tous)'ours il divertit à 0 jamais il ne laffe*
Mais cette compofîtion méfiée, fource de ces
grâces, eft inconnue à noftre langue;elle n admet-point
toutes ces différences ; elle ne (çait
que élire d'un mot bas,dur,oudefagreable; elle
'n aTten dans fes threfois quelle puiffe emr
ployer pour cacher ce qui eft défectueux • elle
n'a ni ces particules nombreufes,dont effcpuifi©
Ibuftenir fes termes, ni cette différente harmonie
qui - naift du différent arrangement des
mots, & par confequent elle eft incapabfe.de
rendre la-plufpart des beautezqui éclatent dans
cette poèïie. Voila ma condamnation , & ma
condamnation très jufte, fi on veut me juger à
il rigueur, car jadvouë qu'il n'y a pas un feu!
tos dans Homère où je ne fente une beauté,
une force, une harmonie, une grâce qu'il ioa
elle impof&bk de confêrver.

P J* £ FA C R ^ ' xm
* Pourquoy-donc faire une entrepri/ê où Tort
ne peut reiiflir l voicy mes-Taîfons ; elle forme*
font peut-eflre une excufe afléi valable.
Les merveilles du ftile-4'Homere, & toutes'
les beautez qu'il a/çeu tirer'de fa langue, ne
font pas ce qu'il yadeplus-eftimafek dans û
poefie ; il y a des 'beautez fûperieures à celles
aeFexpremon,& des beautez dont ceux qui né
font pas entièrement privez de fentiitient, ne
peuvent s'empefeher

mvj ^ ^FRE F AXE.
nombre, à l'égard delquels ce poète efl com«
me mort;& j'efcrisi encorepour ceux qui corn-.
•mencent à le lire,& qui doivent travailler à l'entendre,
avant qu'ils puiffent eflre en cftat d'en'
fêntir les beautez..
« A I'égartf des premiers» jçeft. à dire, de ceux
qui font privez du plaifir de lire Homère en,
Grec, qu'ils me permette»! de faire ky une
image, qui en leur marquant le jugement que
jp-Éûs moy-mefine de mon travail, mettra ma
tradud|on hors.,des atteintes-de leur censure,
& Foriginal a couvert de leurs mefpris. Des images
peuvent-elles eftr-e employées plus à propos,
que lorsqu'on parle du père de la poèïle !
:• Supposons donc qu-'Helene mourut en E*
gypte, qu'elle y ait embaumée avec tout l'art
des Egyptiens, & que (on corps, confeevé jufqu'à
noftre temps, eft porté aujourd'huy en
Jrance. Cette mumie n'attirera pa* toute fad- ;
mirationqu'Helene vivante attira àfon-setour
. de Troyc 9 a lors que tous les peuples, açcoifc* '
roient en foule fur fon.paoage, pour voir cette
keauté fameufe quiavoit armé l'Europe contre
l'AfieAfak deTroye le bûcher detantdç.hevos
; mais elle ne laifiera -pas d'exciter quelque,
curiofité, & de faire un certain plaifir; on -n'y j
5 lerrapas ces-yeux pleins de feu, ce teint animé;
. • Vi&y* dtCnie, Uv. é. PoUqoam coghituiir
Hclcnâm caveniffe, mufti uodique vink ac
muliebxe fera confluant, aveores. dignofeere*
CDJUS gracia arbis penc totas ad bellum cxm-
Ipiialret»

PREFACE.
xrm*4
Jes couleurs les plus naturelles & les plus vivet*
cette grâce, ce charme, qui fâilbit naiire tant
-tfamoufs, SL qui fefiyfoit fentir aux glaces mef»
me de kvieillene; mais on yreconnoiftra encore
fa juftdTe & la- beauté de fes ftaitl, on f
demeflera h la grandeur de fes yeux, fa petitef»
le de fa bouche, l'arc de fes beaux fourcils, &
Ion y découvrira fa taille noble •& majcftueufe 5
& l'imagination frappée de ces relies précieux
ira ju/qua concevoir que celle qai conferve
encore de la beauté dans les bras mefmes de h
mort, devoit véritablement « reflêmbler aux
Déefles immortelles pendant fa vie.
Voila certainement l'idée la moins lateufe
que fe puifle donner de ma tradudion; ce n'eft
pas Homère vivani êc animé, je l'avoue, mais
€eft Homère; on n'y trouvera pas cette force,
cette grâce, cette vie r ce charme qui ravit, & ce
feu qui échauffe tout ce qui l'approche; mais
on y demcllera tous fes traits, & fa fymmetrie
admirable de toutes fes parties; j'ofe mefmeefperer
qu'on -y trouvera encore daflfez vives
couleurs pour pouvoir douter un' moment Vil
n'a pas encore quelque refte de vie; en un root
c'eft Homère ,•& Homère bien moins changé
fue dans les-traductions qu'on en a faites, oà
h - Ce flnt les termes- dmt s'êft fervê Cmftamin-
JMamJfes dsm le. prtmit qu'il s fait à 3 Me*
Ime*
• * C'eft l f e%ge que tes màllmis de Twye Uty. dm*
mm dms le j, Xw« defjMsde*

mvttf _ PRÉ F>Â C E.
en la fi eft rangement défiguré, qu'il n'eft plu*
rcconnoiflable.
• On dit fur cela qu'il y a un moyen plus feur
d'approcher de I original, c eft de Je traduire en
vers, car adjoufte-t-on, il faut traduire les poe«*
. tes en vers pour conferver tout le feu de fa poëfie.
Il n'y auroit afleufement rien de mieux fi
on le pouvoît - s mais de le croire poffibie c eff
«ne erreur, & qui, à mon avis, peut cftre dé*
ïnonflrce. J'ay ofé l'avancer autrefois dans ma
préface fur Anacreon ; & depuis ce temps-là je
me fuis entièrement confirmée dans mon fen*
timent ]>ar le peu de fuccés qu^ont eu les tra«
duclions qu'on a faites en vers. Le malheur de
ces traductions ne peut venir du défaut de génie
de leurs autheurs, puifqu'il y en 'a parmi eux
qui ont beaucoup de réputation, & qui doivent
cette réputation à la poëfie.Il vient donc de la
chéfe mefme où il çft -impofTïble de revuTir ,

PREFACE, < irodic
•tes les beautez «d'Homère & d atteindre à fou
- élévation ; elle pourra fe fuivre en quelques en*
droits choifîs; elle attrapera heureuiement deux
vers, quatre vers,fix vers, comme M. Defpreaux
la fait dans fon Longin& M. Racine dans quelques
unes de fêsTragedies: mais à la longue fc
tiffu fera fi fbible, qu'il n'y aura rien de plus lanf
efibus d une poëfîe languiflante à. froide, puif
uiflant. Èh que peut-on imaginer qui foit au
que meffflë tout y eft infuportable s'il n'eft ex*
cellent! Je pourrois rendre cela très fenfiblc
par des 'exemples, mais ces exemples font pu*
blicsy & chacun peut fe convaincre foy-roefme
de cette vérité. Ouy, je ne crains point de le di»
.rc, & je pourrois le prouver, les poètes traduiti
en vers -ceflênt d'ettre-poètes.- •
* Virgile difoit quilauroit cftéphis aifé d'an %
tacher à Hercule fa mafuë', que de dérober un \^^^^
yers à Homère par l'imitation» Si Virgile- trou- Ii cbram
voit cela û difficile en faiangue nous devons

Il PREFACE. '
qu'elle ne doit faire que très rarement, cafrcelf
eft dangereux, c'cft. deluy-mefme quelle emprunte
ce quelle luy prefte:ôLdansfafimplklfé
& daps fa-mediocrité mefme eHe né laifle pas
de fe fouftenir. Je ne dis pas que la mienne ail
fait tout cela, je dis feulement que laprofc le
peut faire. Àriftote mefme a reconnu que la
profe n'eftpas ennemie duPoè'meEpiq.ue,puif«
qu'il a efcrit que l'Epopée fe fert de la profe
comme des vers ; & il fêroit aife de prouver fa
erité de ce fentîment par la nature de cette
imitation. Platon dans fe troifiéme livre de fa-
Republique a mis en profe une trentaine de "
vers du commencement de l'Iliade; & quoyqu'il
ait changé limitation en fimple narration,
cela ne Iaifiê pas d mterefler & de plaire. Que
ne ferok-ce point s'il avoit confervé l'imitation,
c eft à dire, fi au lieu de dire en hiftorien, un
tel & un tel dirent cela, il avoit introduit les pcr*
ïbnnages parlant eux-mcfmes ! "
II faut donc nous contenter de la profe pouf
traduire fes Poètes, & tafcher d'imiter les Hefcreux,qui
n'ayant pas de poëfie,c'eft à dire une

PREFACE. ±11
Qu'une miaûkm envers: auffiStrabon eferit,
• vmÇç hi'pç'ip wstumLtuAopiinç, fMjumpm *mê

tlt) \ PREFACE. f
chant principalement qu'à conferver I efprit/ne
laiiïe pas, dans les plus grandes libertez,de conferver
auffi la lettre ; & par fes traits hardis,mais
tousjours vrays, elle devient non feulement la*
fidelfe copie de fon original, mais un fécond
original mefme. Ce qui ne peut eftre exécuté
^ue par un génie-folide, noble & fécond..
• Ce que je dis là, je Je dis pour tafeher de détromper
certaines gens, qui peu' inftraks de h
nature à de la beauté des ouvrages, ont furtout
une idée_ très defavantageufe & très, ratifie des
traductions. Ils s'imaginent quec'eft une imi*
tation fervile,©ù la fleur de fefprk& l'imagina»
tfon n'ont point de part, en un mot qu'il n'y
». nulle création. Ceft afiêurement une erreur.
très grande ; il n'en eft pas de la tradudioo*
comme de la copie d un-tableau, où le copifte
s'affujetk à fuivre les traits, les couleurs, Jes-pro*
portions, fes contours, les attitudes de l'original
uil imite|cela eft tout différent: un bon tra-
n eft point û contraint; il eft tout au
3ucleur
plus cSmme un ftatuaire qui travaille d'après
l'ouvrage d'un peintre, ou comme un peintrequi
travaille d'après l'ouvrage d'un ftatuaire ; il
eft comme Virgile qui peint leLaocoon d'après
joriginal de marbre, ouvrage admirable, qu'il
svok devant les yeux. Et dans cette imitation^
comme dans toutes les autres, il faut que lame *
pleine des beautez qu'elle veut imiter, & enyvrée
des beureufes vapeurs qui sélevent dû
ces fources fécondes, fe làiffe ravir & tranfpor-»
ter par cet enthoufiafoie efkanger - 9 qu eie k h

FREFA CE. # *fir r
ïcnde propre ,& qu'elle produife aînfî'des ex**
preftions & des images très différentes, quoyque
femblabks. II rt'eft peut-eftre pas impoffi-^
We de rendre cela fenfible par une comparaiion
empruntée de fa mufîque : on voit tous les
fours des mufîciens, qui, très fçavauts darls leur
sort, chantent exadement & rigoureulément la
note des airs qu'on leur prefente, il n'y font pas
la moindre faute; mais le tout eft une faute,
parce que dépourvus de génie & froids, ils ne
îaififlënt pas Fefprit dans lequelces airs ont efté
compofez, & qu'ils n'y jettent ni les agréments,
il! les grâces qui en font comme l'âme ; au lieu
uon en-voit d autres, qui plus vils & doûea
3'un plus heureux génie,chantent ces airs"dans
Fefprit ou lis ont efté compofez, leur confère
vent toute leur beauté, & les font paraître très '
différents, quoyqu'îis-foient les melme& Voila»
fi je ne me trompe, la différence qui fe trouve
entre les bonnes de les mauvaifes traductions s
Tune par une imitation baffe & fervile rend h
lettre fans Fefprit, & l'autre par une imitation
libre & noble, conferve Fefprit fans s'éloigner
de la lettre, & fait une choïè toute nouvelle d'um
Jûjet desja connu.
Je reviens à Homère. Tay desja averti que
fe ne Fay point traduit pour ceux qui le
filent en fâ langue; à l'égard des autres ,c'eft
à dire de ceux qui ne le connoiffenî; point du
tout, ou de ceux qui commencent à le lire dans
l'original, je puis me latter que mon travail ne
Jeux fera pas inutile 9 à qu'il ferviia à lé faite

-*fi* . PRÉFACÉ.
connoiitre aux uns & entendre mx âufrèsvffo*
tnere neft pas ft'aifé que fon'penfe; on croit
communément que dés qu'on m initié dans les
lettres Greques, on eft en eftat de I entendre, &
fon fe trompe infiniment. Cafâubon, ce critique
fi fçavant& û leur, & qui avolt fait autrerois
des Commentaires fur ce poëte, qui ont
fans doute efté perdus, dit dans fesnottes fur
Strabon : Neque enlm divimm huncpoëtam om*
-nés inteBgunt, Tout le monde rtentend point ce
divin poëte. C eft ce que fay foutent éprouva
moy-mefmeJ'ayiûHomere'pIufiéurs fois, car
pour fay la mefme paffion qu'avoit le pfii*
Î^ay
ofopheArcefîfas,qui foir& matin nemanquoit
jamais de lire quelque endroit de ce.poëte,' &
qui difoit tousjours en prenant fon livre, qu'Û
alloit afes amours. Cependant avec toute cette
grande paffion & ce long commerce,!!'je fay en»
tendu pafîablcment, ce n f a elle que iorsquefay '
travaillé à le" faire entendre aux autres; Quand
on ne lit que pouf fcy^on 'fe contente tîes
fouvent d'une idée légère & fuperfidelie*- mais
quand on lit pour les autres, l'obligation de donner
dés idées nettes à. diftinétes fait qu'on s f ar«
• relie pour approfondir les-fujets, & alors la neceffitéfervant
cTaiguiHon à Fefprit, luyfait découvrir
des beautez & desfens que la rapidité
de la ledurp ne luy avoit pas faifle voir. Encore
avec toute l'application que fay apportée à le
bien entendre, fe fuis bien perfuadée que je
ii ay pas laiffé défaire des fautes. Les- bonnes
ctofa fe font avec beaucoup de travail ai' df

PREFACE. • xïf
£jeuic » & ' cs fautes fe commettent très facile*
xnent. Mais comme on eft fort accoutumé i
Imputer à Homère les fautes & les baffêflçs de
fes traducteurs, j'avertis aumoins qu'on neluy
attribue pas celles qui pourront m'eftce écha- /
fiées. Je dedare qu'Homère ,ea eft innocent » '
& qu'elles doivent eftre toutes «ifes fur mosi
.compte.
Quelque admirabk que foit ce poète par h
beauté de fâ Poëfie, ou trouve dans fes poëmes
4es chofes encore plus admirables & plus pre«
.cieufes;unfçav

%h) P RE FA CE.
II n eft pas poffible de rendre fenfibles toutes
ces différentes beautez par fa feule tradu-
^Uon, il eft abfolument neceflaire de l'accompagner
de Remarques,& voicy quelle a elle ma
veûë dàns£e fecoftd travail Je n'ay jugé à propos
de defcendre que très rarement dans «ne
critique de mots ; rien n'eft plus fec f plus ilerife,
ni plus defagreable. A quoy bon remplir un livre
de minuties de Grammaire qu'on trouve
par tout l Dans un poëte comme Homère, où
tout eft grand, il n'y a rien de plus ennuyeux à.
"de plus petit que de s'amufer à éplucher des lettre
& des fyliabcs. De tous les ouvrages de l'antiquité
profane cefuy qui eft le plus, ancien eft
Venu heureufement à nous le plus entier Scie
plus correcl : car comme toutes les parties-de
ces poèmes eftoient dans la bouche de tous îes
hommes, 6c que tous les hommes en faifoient
leurs délices, elles n'ont pu élire considérablement
altérées par le temps, la corruption & l'altération
des ouvrages ne venant d'ordinaire que
'de l'oubli où ils oroupiiïènt^à peine trouve-t-on
deux ou trois fautes dansi'lliade. Le foin qu'on
a eu de ne rien perdre de ce grand poëte,aefté
fi loin, que les anciens nous ont confervé juf -
qu'à des vers que des critiques trop fcrupuleux
& trop délicats luy avoient oftez, & qui en effet
ne paroiftênt plus dans nos exemplaires.
Il eft donc inutile de defcendre dans cette
critique de mots, il faut aller à ce qu'il y a de
plus confiderable, &tafcher de raonftrer ce fu-
J>lUn£& ce merveilleux qui regçent par tout

PRéFACE:
dans fîomere. II faut fortifier les éloges qu'A-
Tiftote fuy a donnez, qu il a excellé;en tout fur
les autres poètes & qu'if eft divin auprès deux;
qu'if a mérité deftre loué pour plufieurschofes;
mais furtout parce qu'if eft fe feul de tous fes
poètes qui ait bien connu ce qu'if failoit faire;
& enfin qu'if eft le feul qui mérite fe nom de
poëte.
Il faut expliquer ce fçaVoîr profond; demefler
cette antiquité; faire fentir fa variété de fes
mœurs 6c de fe*-caraderes;monftrer fa fageiïe
dans fes fi «fiions mefmes fes plus furprenantes;
devcloper les préceptes exceliérits qui font reo
fermez dans fes difcours; écfaircir les opinions
Theofogiques qui regnoieht de (on temps;
ntarquer jufqu'où fes Grecs & les barbares'
avoient porté J'art mlRtaire; enfin prouver fa
conformité de fes idées, & de fon ftile avec ce
que nous avons de plus (acre.
- Cefa ouvre un vafte champ à une critique
plus relevée & plus agreabfe que celle des mots.
Ce n'eil pas que. celfe-cy n'entre en quelque façon
dans ce deftèin, mais ce n eft que par ce
quelle a de plus noble, je veux dire par fes figures
dont il faut bien' expliquer fa beauté,
Îtuifqu'elies font une des caufes qui contribuent
e plus au grand & au fubiime,& qu'elles font fe
plus fènfibfe pfaifîr des fedeurs. Je fuis perfua*
dée que de faire bien fentir fa delicateffe & fa
force des tours & des penfees d'Homère, c'eft.
ce qui! y a de plus utile & de plus important'
Voila ce que je me fuis propofë dans me*
^
: 5cîvr f

shiij TMM FA C Es
Remarques. Cela-eftok audqflîis de mes £ot

9 PRE FACE. xlh*
lonïbe n'eft piife que paria volonté & par for-
{Ire de Jupiter. Ce qui s'accorde avec ce que
noflre Seigneur nous dit dans faint Matthieu,
i ©. 29. Il ne tombéaucnnpaffereaiifansPerdre
de veflre Père, Sur quoy les Hébreux ont
fait ce proverbe: Sine cœlis ne una quidem avh '
€MJa capta efi aucvpio*
Quand on examine à fond les dogmes
d'Homère, & fes «ficlions, il rfeft prefque
pas poffihle de douter que ce poëte n'euil eflé.
inftruit en Egypte de beaucoup de chofes de la
«loclrine des Hébreux ; ou que la tradition •
n'euft répandu de fon temps en Grèce la con-,
noMânce de certaines grandes veritez qui ont*
donné fe fondement à fmidées. Ceft ce que''
ay fait voir dans mes Remarques. J en rapporteray
encore icy deux ou trois preuves, qui me'
paroillênt dignes de quelque attention. '
Dans le 1. Livre de l'Iliade on voit que Jupiter
avoit précipité du ciel Vulcain,^dans le,
8% on voit que ce mefme Jupiter menace les*
Dieux inférieurs de les précipiter dans les profonds
abyfmes. duTartare ténébreux, dans les
cavernes affreufes de fer & d'airain qui font'
Ibus la terre. *
11 y a bien de lappareriçe qu'Homère• avoît
entendu parier de ce quefHiftoire fainte nous •
rapporte des Anges rebelles, non feulement
précipitez du ciel, mais précipitez dans le foncf*
duTartare : car lexpreffion du poëte ell la meC
me que celle des Apoftres, qui nous ont con*
%yé h mefme méÛ9U:SiemmJ)msAm^ £££*£

î PRE F'A CE. t #
peccantibus non peperât,fed rudentibus infant
' detraâos in Tartarum tradidk auciandûs in
... , judkiumrejavarl^iSJnA^Angebsverkqm
w * Wi nûnfervamunt fuuin ' principatum f fed aère fa
auerwttjuum domkiliumAn judkium mapûdm
yinculis œternisfub ediéne refervarit.
Dans le 19. Livre de l'Iliade ^Homère dit
crae Jupiter précipita du Ciel le Démon de difcorde
& de maledidion, qui exerce toutes les
fureurs dans le malheureux fejour des hommes*
• Peut-on s'imaginer que. ce foit une idée pure-
• ment poétique / ne voit-on pas clairement
que cette idée a fon fondement dans la vente !
mais ce qu'il y a de bien remarquable, ceit
qu'Homère eft le pif mier eferivain qui aiuendu
témoignage à cette eftonnante vente d un
Démon malfaifant,précipité du ciel en terre.Ce
ne fut que cent ou cent cinquante ans apres ce
poëte, que le prophète Ifaïe y fit allufion, mais
comme à une hiftoire connue, en difant au
Roy de Babyione, qu'il compare à ce Démon :
'Quomodo cecidlfti deCœh Lucifer, qui manè
MB
ariebaris ! corruifli in terram qui vulnerabas
rentes 1-M.ixcpie feure que long-temps avant
ce prophète,.Ia tradition avoit, répandu cette
ïtïftoire dans tout FOrient.
' Quand ce poëte parle de la pelle, qui ravagea
le camp des Grecs, il feint qu'Apollon defcend
armé de fes traits, & fait dans tout ce
camp un carnage horrible. On pourrait croir|
«rue c'eft une idée poétique dont Homère eft
ttèvcnteur; mais on trouve cette meûneidee

PREFACE, . |
• Jans la iaintc Efçr kure,oàIon voit véritablement
un Ange exterminteur 1 arnié de Ion glaive,
frapper de la peïle ks fujets de David dans
tout le pays cflfraël pendant trois jours. Mifit u Fgfdïfm
quoque DûmuiusAngeluminJerufalem, utpyr* 2'i.-//. iê,
cumet eam s ire* Lemnsque-Dmtd OCCUIûSJUûS,
yiditAngehim Dcmini Jlatttem inter Cœlum è*
urram s irevaginatumgladtum m manu ejus*
Homère donne à Jupiter des balances pour
pefer les deftinées des. hommes, comme dans
ce paflàge du 22. Livre de l'Iliade : Akrs Jupiter
prenant fes balances dur, met dans leurs
èdjfms les définies d'Heâûr ir d'Achille tir -
les élevant de fa main tûute.puifame, il examine
kur pûids 4 Cette idée fi -grande & fi noble efl
corifacrée dans nos ûints Livres. Salomon, Provèù.
pendus èrfiaterajudicia Dmtfini Dieu déclare " ' "'
à Baltazar Moy deBaby!one,qu'il avait elté pe- Dmkl § :
Je dans la b2,lmœ 9 Appenjus$smJlatera,ik Job 2 J^ Jt: é
v €
dit: Que Dieu me peje. dans les balances deju ' ' '
jujhce,ixilconnoifira men imccence,Appenaat
me m'Jlatera juflitiae, à* agn^ùeî D/sus perfe*
ûionem rneam» ' • '.
. 11 ne m appartient point-de parle! de guerre,
cela eu trop au deffus de. moy : mais je. croy qu'il
m'eit permis de faire reroarquel• les progrés qu«
Çart militaire avoitdesja fuit*efrGrece du temps
{l'Homère, & combien ks Grecs: cftoient fupe*
ikurs aux barbares, quc^qu'ils- fuffent encorebien
éloignez de la perfection. On verra donc
icy avec plaifir la méthode de mettre les trou* *
ps jen touille,4 la maoiçiedont on les mo»

* On ptui
voir T(Mfbâ'il
¥*>
èreliït de
Éofamaa
rajani,
llj _ P RE FACE. . ...
noit au combat; Fart d'attaquer les places & de
les défendre, & Fart de fe retrancher ; & l'on fera
furpris d'y trouver des retranchements composez
d'une muraille avec des tours d'efpace en
cfpace ëc d'un foffé paiÈàdé ; je ne fçay fi on en
trouvera des exemples dans toute l'Antiquité
qui a précédé Homère, & la guerre dçTroyel
11 y a encore une chofe finguliere,qui mérite
d'eitre remarquée, ceft: que les médecins de
formée vont eux-mefmes au combat, & font
médecins & foldats: car les héros apprenoient
ïa médecine. Ceft fans doute après ces grands,
exemples qu'Alexandre avoit eftudié cet art,
comme Plutarque nous 1 apprend dans fâ vie;
* Dans la milice Romaine on trouve quelquefois
des foldats médecins.
* Ppifque je fuit; fur cette matière, je me ha-,
farderay à faire encore icy une reflexion, que
j'ay oubliée- dans mes Remarques, & qui neff
peut-eftr e pas hors de propos, ceft for l'ufage
des chars i je ne comprends point comment les.
Grecs, qui eftoient fi fages, fe font fervis fi
long-temps de charsaulieu de cavalerie, & COKK
ment ils n'ont point vu les grands inconvénients
qui en naifibient. Je ne parle point de la
difficulté dç manier un char, bien plus grande
que celle de manier un cheval; ni du grand ter,-
yein que Ici chars ocaipbient; je dis feulement
3
u'il y avoit deux hommes fur chaque chances
eux'hommes eftoient des gens considérables,
éctous deux propres au combat) il py ert avoit
pourtant qu'un qui combatif!, l'autre-n'eftoie

•PREFACE.
fit{
feceupe qu'à conduire-les.chevaux De déuK
bommes' en voilà" donc un^eâ pure perte. De •
plus il. y avoit-des chars non feulement à deux*
mais à trois & à, quatre chevaux pour un feui
hpmme de fervkc,, autge-'perte qui meritbit
quelque attention. Cependant les, Grecs ont
elle long-temps fans- le connoiftre, & nerf finalement
les Grecs, mais les,Egyptiens & les peuples
voifins deTÉgypte. On voit dans ÎEfcrittt* '
rc fainte, Currus ir équités f iks chars ir des
cavaliers. Mais les cavalier s font là -comme*
dans Homère, iVaifCf» pour ceux qui-montoient
les chars. II me femble qu'on, ne voit la cavalerie,
proprement ditte, diftinguée du chars que
' vers le temps de Samuel SL deSavf, fix vingts
ans après Je ïîege deTroye, &. environ cent
trente ans avant Homère. Dans le i. livre des
Roys, ks Fhiliftins afffembiént contre Saiil
Vente mille chars &fix mUIe cavaliers. Chez Im
Syriens & autres-peuples, on voit vers Je met
' me temps la cavalerie, difiirtguéé des chars, &
"' dans Je 3. livre des Roys»on voit queSalomon
, aflèmbla des chars & des chevaux 5 il avoit mille
quatre cents chars à quatre chevaux, & douze
mille hommes de cavalerie. Ceft une jriatiere
qui meriteroit que quelque homme .fçavant
Youluft biehJ'approfondir, pour nous marquer
combien de temps Jes chars ont ejfté en uîage
uns cavalerie ; combien de temps ils ont efté
joints avec elle, à. enfin en quel temps la .cavalerie
a commence à cftrc feule & a entièrement
aboliJe>char$* . .. ';... ,
\* ' cli|

if PREFACE.
If ne me refte plus qu'à parier de la geogra*
phie d'Homerè. StraboH a fait voir que ce poë*
te a elle le plus exaft de tous les géographes,
& qu'il a enïeigné la méthode de cet art à ceux
qui Font fuîvi : car il ne s eu pas contenté de
bien defigner la fkuation des lieux, il en a mai--
que .la nature, & a parfaitement caraéterifé
leurs habitants, en nous apprenant fes employs*
les inclinations, ies couftuittes des peuples, &
fouvent mefme ia-arçon, de leurs habits. Il a
fort bien diftingue toutes les différentes nationsde
la Grèce. Je me fuis contentée de ks marquer
coihfne luy.dans le dénombrement des
"vaifleaux Livre 2. mais dans la fuite je les ay
toutes comprifes fous le nom gênerai de Grecs
pour m'accommoder à nos manières. Homère
iuy-mefine les a fouvent defigncz par un feul
nom, en les appellant Ummmeùç & ilara jcsqov*-,
II n'y auroit rien eu de plus delâgreable dans fa
tracfudion que ces différents noms ,Achiens f
Hellènes, Argkns, Phthiotes, &c.
Il a auffi fort bien diftingue tous les peuplef
de laTroade, &tous les pays des alliez -des-
Troyens, tant ceux qui font au de là de l'Hefc
Jefpont, que ceux qui font fur la colle d'Afie
depuis la^Paphlagonk jufqu'à la Lycie. Je ne
ine fuis pas particulièrement attacnée à faire
iêntir la vérité & la beauté de ces connoiffances*.
& Je ne les ay relevées que quand il fa fallu ne-»
"ceffairement pour l'intelligence du texte,
A propos de géographie, il feprefente natu*-
tellement une miiiculté f c'eft comment toutef

. . fREfÀCË* If
*ei mations Grecques & ces nations Antiques .
p©u¥oknt s'entendre fiui3Trucheman.il/em-f
Mé que DeoysdPHtlîcarnaflè ait voulu la relbudre,
en & attachant!fairevoir-dans fon r. livre
que ksTroyens eft oient originaires de Grèce*
par Dardanus, qui avoit mené une peuplade*
d*Arcadie en Phrygie ; & parTeucer, qui y ayojt
pafte deFAttique avant Dardanus. Cela peut
cfire, maîè je ne fçay fi par là on refout entièrement
la difficulté, car outre qu'il n eft pas trop
vray-'femblable que là langue Grecque fe fuft
confcfvéè bien pure dans la Phrygie pendant
cïncf ou foc.générations au milieu de tanl de
peuples barbares, comment tes Grecs à-les alliez
des Troyeos s'entendoient-ifs ! Tous ces
alliez, fesPercottens,1es Ciconiens, ks Paphla-i
goniens, &c. eftoient-Ms aufli " originaires de
Grèce ! cela me paroift embarraifant. Il vaut
mieux dire qu'on ne demande pas-compte sux
poëtcs de ces fortes de fi&ions -, ifs fuppofent
que tous les peuples entendent & parlent la langue
dans laquelle ifs ont cfcrit. Dam FEneïde
de Virgile, Ènée ôcTurnus s'entendent fort
bien, quoy qu'ils fcttfent eftrangers l'un à f autre.
•
Avant que de finir cette Préface, je croy qu'il
eft neceflâire d'expliquer de quelle manière les
poëfies d'Homère fe Jbnt-coniêrvées, &com-t
ment elles font venues entières jufqu'a nous.
Quand ce poète eut compofé fcs poenies»
on en.fixtfi charmé,qu'ils furent bientoftrepan-
Smdms toute l'Ionie. Ils eftoicn t continus, &
c iiij

Ivj , PRÉFACÉ.
nullement dîvifez par livres: mais comme tout
le monde ne pouvoit pas les avoir entiers, à.
. qu'il y avoit des gens qui gagnoient leur vie à
€*gj& € tU ^es réciter >Hs coururent par parties détachées,
Rhapfodes, & l'on donna à ces différentes parties des noms
K/* w |j rez jç ce q a ' € u es contenoient, car on les ap*
pelloit, La celere d'Achille ; le dénombrement
des yaîjfeaiix; le tombai de Paris ir de Mené la s;
la revue; les exploits de Dïomede ;Fédïeu d'He*
Bor ir d'Androma^ue ; ainfî de toutes les autres
parties, de l'Iliade & de fOdyflee, qui a-
voient chacune leur nom. On peut voir fur cela
Elien dans (es hiftohrçs diverfes*liv. i 3.C 1 5.
• Ces différentes pièces produisirent enfuite
le partage par livres, tel qu'il eft aujourd'hùy, à.
ce fut l'ouvrage des Grammairiens qui vinrent
long-temps après. On ne-fçauroit dire precifement
en quel fiede ce partage commença, mais
Homère n'eft jamais cité par livres chez les Anciens.
Homère entier n'eft oit pas connu en Grec©
avant Lycurgue. Ce fut ce grand legiflateur,
• qui, eftant aué en lonie & y, ayant trouvé les
• corps entiers de ces deux poèmes, prit luy-mtf.
me la peine de les copier, & apporta ce threfor
en Grèce où il n'y avoit qu'un petit nombre
de perfonnes qui euffeni vu quelques unes de
Ces parties détachées, dont je viens de parler;
Voilà ce qu'on peut appeller la première édition
d'Homère qui ait paru en Grèce plus de
cent ou ûx vingts ans avant Rome baftie.
• • Cela eftant j'advouë que je ne comprends

PREFACE. t Ivif
-joint ce que Platon efcrit dans Ion dialogue inûwàé-Hipparque
$ û ce dialogue efl véritable-
. ment de Iuy;il dit,que Jes Athéniens avoient
fobligation àHipparque,fi!s aifné de Pififtrate,
de pofleder Homère entier, & que ce fut luy
qu=i le porta le premier à Athènes, & qui obligea
les Rhapfodes à chanter fesvers dans les.
ïeftes Panathénées.
. -.Pififtiaté' s'empara d'Athènes vers l'Olympiade
LUI..|rois cents vingt ans ou environ
après Lycùfgue ; Comment ces poëmes, qui a-
voient efté portez àLacedemone par Lycurgue
avoient-t-iis pu élire û long-temps inconnus à
^Athènes l fâçidroit-il accufer de cela la jaloufie
çaturelie des Lacedemoniens, qui n'aimoient
pas à Élire part de leur ïcience à leurs voifins,
comme Platon nous l'apprend dans le Protagoras,
& qui par cette raifon n'admettoient aucun
cftranger dans les convergions qu'ils avoient
avec leurs Sophiftes l J'aime mieux dire Amplement
que les copies de Lycurgue ne s'eftant pas
multipliées, & ces parties détachées ayant continué
de courir f les Athéniens furent jufqu'au
temps de Solon & dé Pififlrate fans avok ces
poëmes entiers ; à Pififlrate,qui avoit beaucoup
de fçavoir êc d'efprit s qui eftoit un fort galant'
homme, c\ le /cul qui auroit pu rendre la tyrannie
aimable, fiJa tyrannie mefme la plus douce
pou voit jamais eftre aimée, ayant rama/fé toutes
ces parties, les fit aflembfer par fon rilsHip*
parque, & qu'ainfi les Athéniens eurent le$
deux iprps entiers deflliade&defOdyffée»
c v

Iviij , PREFACE.
Cette édition faite par les ordres de Pififtra^
te eut cours en Grèce pendant plus de LX O-
lympiades,oudeux cents quarante ans,fufqu'au
temps d'Alexandre; & dans cet intervalle les copies
d'Homère devinrent û communes, que les
Rhapfodes recitoient fes,vers dans toutes les
villes de Grèce & dans les ifles, & qu'on les lifoit
publiquement dans les efcoles,témoin Phi£
iiT **'
Î0 ' ÎTC ^e ^dias, qu'on peut voir dans mes Remarques,
&'celle-aAlcibfade, qui citant entré
dansfefcole d'un Rhéteur,'luyxlemanda qui!
luy lujl quelque partie d'Homère, & le Rhéteur
luy ayant refpondu qu'il n'avoit rien de ce poète
, Âlcibiade luy donna un (buflet, comme
n'eftant plus permis à un profeffeur public de fe
meïler d'inftruire la jeuneile fans 'connoiftre-
Homère.
• Il eftoit bien difficile que dans cette grandie
quantité de copies qui cour oient de ces deux
poëmes, il ne s'y foit enfin glîfTc des fautes par
la négligence des copiftes, & mefme des additions
par la témérité des Rhapfodes; Alexan-"
dre,qui aimoit Homère avec tant de paflion;
qu'il le mettoit toutes les nuits avec fon efoéê*
fous fon chevet, qu'il fappelloit, Ses provifions
de tort militaire, & qu'il voulut ~que la caffette
ineftimable, qui fut prife parmi les dépouilles
de Darius,ne fervift qu'à enfermer ces poëmes,
Afin, difoit-il, que l'ouvrage le plus parfait dei'ejprit
humain fuft enfermé dans laplusprecieu*
Je caffette du monde, Alexandre, dis-je, commit
des gens fçavants pour le revoir ÔL le if ndre '

PREFACE. m îx
plus côrresft,& il employa à cette tcwfm® deux
grands- Philofophes* Callifthene & Anaxarque,
quiiefuiv^ent à ion expédition 4'AHe, & il
voulut non feulement affilier luy-mefme. à
cette revifion-y mais encore. : efcrire -de fa main
Fouwage entier, comme ils le corrigeoient fur
les meilleures copies ; il conful ta mefme fur cela '
Ariftote. Cette édition d'Alexandre aipftcorrP f
gée, fut appeilée, l'Edition de la Cadette. A*é%^
Apres k mort d'Alexandre, Zenodote d'E* * ****
phefe k revit encore fousle premier des Ptoîo* m t êv ®*
niées. Enfin fous Ptolomée Philometor vers
FOlympiade CLVI. & cent cinquante,quatre
ans avant nôôre Seigneur,le célèbreAriftar-t
que en donna une nouvelle édition; il revit avec
loin celle d'Alexandre & celle de Zenodote, &
les différentes copies qu'il put ramaffer. Cette
édition eut une û grande réputation que les
copies s'en multiplièrent extrêmement. Elfe
produifit apparemment la copie de Marfeille &
de Sinope, & cfeft de cette copie que font v©*
nues fans cloute nos éditions.
Par une lettre dé Libanius il paroift que de
.fon temps,trois centsfoixante,ou trois cents foi-*
xante & dix ans après Jefos-Chrîftjl s'eftoit re*
pandu un bruit qu'il y avoit à Athènes une co*
pie de l'Odyfleê ,• qu'on pretendoit eftre du
temps_ mefme d'Homère ; Libanius.pi k un de
fes arais dei'achetter à quelque prix que ce foiL
Je ne fçay pas quel fuccés eut cette commiffion^
mais je fuis très perfuadée que c'eftoit -une vi->
Jbn,ou pçut-eftre mefme une fourberiepare%
c v)

fa % PREFACE,
le à celle dont on voulut fe fervjr II y a 3 o. ans,
pourfurprendre un grand mîniftre en tafchaçt
de luy perfuader qu'il y avoit je ne fçay où, un
manufcript entier de The Live, qui nous ren«
droit tout ce qui nous manque de cethiftorien.
-. ' On voit avec quel empreflèment les. ouvrages
d'Homère ont elle recherchez, & avec quel
• foin ils.ont efté revus; on ne s'appliqua pas (eu*
lement; à revoir le texte, on travailla auffi à l'expliquer
par de içavaats' commentaires. Du
temps de-Platon on avoit desja fur ce poëte les
ouvrages de Glaucon, deMetrodore de Lampfaque,
deStefimbrote deThafos & de plu-'
fleurs autres, de femmes mefme, comme de
Damo fille de Pythagore, car je ne fuis,pas h
feule qui ay afpiré à cet honneur. Apres Je.
temps .de Platon- il y eut encore plufieurs
grands critiques qui travaillèrent à l'expliquer.
. Ariftarque accompagna fon- édition , de '
'grands commentaires 1 mais il eftoit-tomi>é
dans deux grands défauts; le premier-d'avoir
trop donné dans.les fentiments de Zenodote,
en recevant plufieurs corrections qu'il avoit
faites, & en retranchant,comme luy, plufieurs _
vers qu'il devoit conferver % corn me on le verra
dans mes Remarques ;& le fécond d avoir condamné,
toute allégorie. JLes anciens Commentateurs
d'Homère eftoient partagez fur la m**
niere dont il falloit entendre ce poëte; les uns
prenoient tout allegoriquement, & comme s'ils
.avoient eu honte qu'il euft parlé quelquefois en
homme,, ils convertiflbient en allégories- k*

PREFACE.
hj
cliofes les plus hiftoriques êc les plus fimples-j
Agamemnon, Achille, Neftor, Ulyffe, & tout
les autres héros, n'eftoient que âes perfonnages
fabuleux & allégoriques. Les autres au contraire
prenoient tout Amplement &'ne fou&
fraient pas la' moindre allégorie. Ariftarque
avoit fuivi les derniers ; mais cet e^ccés ne me
paroift guère moins vicieux que le premier. IJ -
cft certain qu'il y a dans Homère beaucoup de
chofes auxquelles on ne fçauroit donner un
bon fens fi Ton n'a recours à foilegorie. Il faut
tenir le -milieu, ceft à dire prendre Amplement
SL hiftoriquement ce qui cft fimple & hiftorique,&
fâuver par f allégorie ce que la fettr* pre

îxîf PREFACE.
chofes qui ne font ni du mefme gouft, ni de la
mefme authorité; \\ faut que le le&eur fe ferve
de fcn jugement pour^n faire la différence.
Si nous avions tous les ouvrages- de tant de
gens ficélèbres, je fuisperfuadée qu'aucune des '
beautéz de ce poète ne nous efchaperoit Les
commentaires immenfes d'Euftathe,Àrcheve&
quedeThefîàionique, quivivoit fous f Empereur
Manuel Comnene vers le xn. iiecle, ne
peuvent nous confofer de cette perte; ce n'eft
pas un fort grand critique ; il s'amufe longue*.
ment a des minuties; il court après de vaines applications»
& il ne remonte jamais à la vraye
fourœ des idées de ce grand Poëte ; mais, quoy
qull ne foit pas ftvorable aux femmes, & qu'il
ne perde aucune occafion de les maltraiter tort
mal à propos, je ne laide pas de luyrendre ju£
tice ; ceft un homme de bon fens ; il dit fouvent
de fort bonnes chofes ; $ fur ce qui regar*
de les mœurs & les coullumes, on y trouve des
eonnoiffances qu'on chercherait vainement ailleurs.
On peut fe fervir très utilement de fes
commentaires, pourvu qu'on s'en ferve avec
choix. J'en ay tiré plufieurs remarques qui doivent
luy faire honneur, & qui ne me paroiflènî
pis inutiles.
• Ce qui fert le plus à l'intelligence d'Homère
ceft tout ce qui eft-répandu dans les eferits de»
anciens philosophes &Rheteurs,comme de Platon,
d'Ariftote, de Denys d'HaïicarnafTe, de
Strabon, de Plutarque, de Demetrius Phalcfeus,
de JLongin, &ç,Ces grands homme»*'ont

.RUE FA CE, ^ Wif
pÉÉteommentéHomère entier, maïs H* en ontexpliqué
beaucoup de paflages; & par ces explications
ifs' nous ont marqué une. méthode
feure pour arriver à l'intelligence des autres, &'
€*€Û cette méthode que fay taiché de fuivre.
Apres que les poëmes a Homère eurent e&
té partagez en 11res, quelque Grammairien
Grec fit les arguments de chaque*fivre comme
nous les voyons aujourdTïtty. J aurols pâ me
contenter defes traduire; mais ils mont para 1»
pf ûlpart û peu juiles & fi peu exacts-, que f ay
crû eftre obligée de les refaire prefquc tous*
Ils pourront tenir lieu d'indice.
J'avois refolu de faire encore dans'ectte Pre* •
fzee deux chofes qui me paroiflbient impoN
tantes" ôcneceflàires. Lapremiere^debienefta*
blir les règles du Poème Epique, &d examiner
enfuite fur ces règles un de nos Poëmes Epiques
& un de nos Romans,pour faire voir coro> *
bien tous ces ouvrages font éloignez de ces véritables
règles; la féconde, ceftoit d'examiner
1 opinion de ceux qui ont crû qu'Homère a
principalement cherché à plaire dans fa poefie;
que finftruclion n'eft que i'accefibire; que la
îfioraleyeft fubordonnée àl'agrement,&qu'el- *
le n y eft employée mefme que comme un
moyen plus feur de plaire.
Mais cette Préface eft'desja fi longue qu'elfe .
ne me permet pas d'entrer dans une diïcuffiott •
qui demande une grande étendue. Je le ièray ^
peut-eftre un four dans un ouvrage particulier £
en attendant je me cftitenteray de dire fur le

hb
PREFACE.
premier article que le Poëme Epique, &a
fbn but.& par fa manière d 5 \miter, en un mot -
par toute fa conftitution,eft fort différent de
nos Poëmes Epiques, & encore plus de ces ouvrages
frivoles que f Ignorance & l'Amour ont '
enfantez; qui ne femblent faits que pour ériger
en vertus des foiblefles; où le bon fens & fa -
raifon font affez fouvent négligez & les bien-'
, ïêances mefprifées; où, au lieu dune fiction
ingenieufe & utile, on ne prefente pour l'ordinaire
qu'un menfonge plat, qui heurte de front
la vérité, & la vérité connue; & où l'on metamorphofe
en amoureux tranfis les perfonnages
de l'antiquité les plus éloignez de ces extravagances
, les héros les plus graves & les plus fe-
• rieux & ceux mefme que Dieu a conduits par la
main, pour leur faire exécuter les plus grandes
chofes. Il n'y a jamais eu parmi les nations de
Prince égal àCyrus; l'hiftoire profane efl pleine
de (es exploits, mais l'hiftoire fainte luy rend
des tefmoignages fi glorieux & fi magnifiques
qu'on ne voit rien de plus grand.
Dieu Fa fait annoncer aux hommes par un
de fes prophètes plus de cent foixante ans
avant fa naiffance. Il eft divinement infpiré,
Férélh. 2. Sujcîtœtit Dominus fpiritum Cyr'u Dieu luy- mef-
36. J»! me fa défîgné par des homs qui ne convien-
EfLt.i. n mni proprement qu'au MefTie:* CeJI moy qw
dis à Cyrus, VûUS efies le pafteur de mon troupeau,
ir yous accomplir ci ma volonté m toutes
* Qui dico Cyro, paftor meus es tu, omnem volontatcm
mcaro compWsis. Ifm* *. 44. v. §*

PREFACE. 9 hv
thâfes. "Et dans le chap. foivant: h Vûicy ce qêm
élit le Seigneur à Cyrus s qut efi mûn Chrift, que
fay pris par h main pour luy affujetir les nadons,
pour mettre les Roy s en faite, pour ouvrir
. devant luy toutes les portes : aucune ne fera fermée
;je marcheray devant vous, f humilieray les
grands de la terre, je romprayks portes d'air *
rain 9 irje briferay leurs barres de fer. Dans le
méfme chapitre, Dieu ordonne la naiflance de
ce Prince en des termes qui annoncent en méfme
temps celle de fon véritable Chrift : « Çieux
envoyé^ d'en haut vofre rofée, irque les nuées
faffent defcendre le jujie comme une p luy e ; que
Li terre s'ouvre ir quelle germe le Sauveur\ b*
que la juftice naife en mefme temps. En effet le
jegne de Cyrus fat un règne de juftice. II accomplit
tout ce qui avoit efté prédit de luy -, H
renvoya en Judée les Juifs queNabuchodono*
zor avoit tranfportez à Babylone; il leur rendit
tous les vafes d'or & d'argent que ce prince
avoit mis dans le temple de tes Dieux, & il leur
donna lapermifTion de rebaftir la ville de Jeh
H*€ dicit Dominas Chrifto me© Cyro, cojus
apprehendi dexteram, nt fûbjicîâm aotc facicm
ejm génies & dorCàRegum vertara,& aperiâtn
coram eo jânuâs & portx non claudcntur •
ego ante te ibo , & gîoriofos terne humiliabo
; portas «reas cornerais & veôes ferreoc
coofringam. Cbmp. +s.v.i.
c Roraie coeli defuper, Se mibes pluant juftum;
aperiatur terra & germioet Salvatortm > & juftitia
oriator-fimul. v.8*

ixvf P-RÈFACÊ,
rufalem & fon temple. Ceù ce que Dîcil dit.
^ dans le mefme cha,p,dlMci à Jel'ayfufcitépom
faire jufiice ; j'applaniray devant luy tous les
chemins, il rebafiira la ville qui mefl confacrée,
érilrenvoyera libres les captifs, fans recevoir ni
rançon niprefens, dit le Seigneur, k Dieu des
arméesé Voila ce que dit l'Hiftoire falote; l'hit
toire prophane eft d'accord avec elle. Ce Prince
fentoit fi bien fa naiflance extraordinaire *
h grandeur à ia quelle ii eftoit appelle, qu'He- '
rodote remarque,^/'*//* croyait plus qu'homme*,
& cet hiftorien adjoute un trait qui renferme
faccompliflement de toutes ces grandes prophéties
; car en parlant du bonheur qui l'avoir
tousjours accompagné contre fes ennemis, H
dit, qu'aucune nation, qu'il eufi attaquée, n'avok
jpûluyrefifier*
Après tous ces grands traits, qui forment un
perfonnage fi majeftueux & fi refpecflâble, je
m'eftonne que fiiiuftre fille, qui a' fait tant
d'honneur à fon fiede par l'eftenduë,ia facilité
& la fécondité de fon efprit, & qui eftoit encore
plus recommandable par les quaiitez de. fon
cœur, ait pu choifîr un héros d'un caradlerc fi
fier & fi marqué, pour le faire courir comme
unfcrfené après une maifheflë enlevée par fon
rivaî,& baftir un Roman fur une palfionfi malheureufement
imaginée.
ê Ego fufcitavi eum ad juftirïam, & omnes vias
cjusdirigam: ipfeâsdificabit civicatem meam,
& captivitatem meam dimittet, non in preti©
neque in muoeribus , dicic Dômiatts Deus
ezercitaum. v*/j.

•PREFACE. ^ îxvi{
Sur le fécond article je fois obligée de dire
«nie cette ©pinion f qoe le plaifir eft Punique but
du Poème Epique, neft pas née de nos jours;
effe eft fort ancienne ; il y a -prés de deux
mille ans qu'elle a efté fouftenuë par un homme
qui n'eftoit pas à mefprifcr. Eratofthene,
qui floriflbit du temps d'Archimeie &deMarcelfus,
& à quiStrabon donne ce grand éloge»
que non feulement il eftoit poète & grammairien,
mais encore qu'il extelloît dans laphilofophie
& dans les mathématiques, éloge un peu
flatté, puifqu'il ne fut appelle que le beîa des
phibfophes, parce qu'on jugeoit qu'il ne tenoic
parmi eux que le fécond rang, Eratofthene, disje,
a avancé, que tout poète fe propofc,non d'inf- mtm^9
mitre, mais déplaire b*ae divertir. Cette met „£,' m^m
me opinion a elle rcnouveifée de noftre temps £1^ ^w»
' par des gens de beaucoup defprit,& elle a trou- %&*pytm
ié des partions d'un grand mérite: mais fi ceux ^ àJkç
qui la fouftiennent l'avoient.hien examinée, ils w*fo»
àuroient *u que c eft une erreur. Strabon met
me Fa combattue avec beaucoup dç force. Il
y a un grand plaifir à voir un pWlofophe Stow
cien,comme Strabon» prendre en main la de-
. fenfe de la poëfie, &.monftrer comment ' les
poètes, pour mieux reiiflk à faire goûter leur
morale, ont appelle le plaifir à leur'fecours»
Comme fâ di/Iertation eft fort longue, je ne la
mettray point icy,on peut la voir dans fon premier
livre; je me contenteraydedire que cette
erreur eft refutée non feulementpar tout ce que
ks aaciem les mieux inftruits de la poëfie^ &

PREFACE.
fur tout de la Poëfie Epique,en ont efah* s rttaïô
encore plus par la nature melme du Poëme,
qui eft une fable générale &univerfelIe,comme
les fables d'Efbpe, & rendue particulière par
fimpofition des noms. Peut-on s'imaginer qu-
Efcpe n'ait cherché qua plaire dans fes fables»
& queFinftroétion n'y foit que comme un affaifonnement
pour faire mieux goufter le pfaîfir
l c eft abfblumem deftruirela nature de la fable
qui n eft qu'un dsfcours inventé pour former
les mœurs, & pour corriger par des inftra

PREFACE. . kîx
agréablement Finftrudion qui y eft cachée.
Affèura que le but principal -de la Poëfie
Epique eft déplaire, ceft fouftenir que farchiteiflure
n'a pour but que le plaîfir, &
qu'an Palais eft bafti pour les yeux, fans cjue
le logement & la commodité du maiftré
entrent aeir aucune façon dans les veûës de
l'architecte.
Ccupnient 'refuferoit-on au Poëme Epique
la louange d'avoir pour but principal i'inflruclion
des lecteurs, on la donne mefme aux Ro- M. Mm
mans Un des plus fçavants hommes de noftre J^^jL
ïiede nous zffeuttque le divertiffemem dit le- tmd m
éleur, que le Romancier habile femble jepropo- de*~%h
fer pour but, neft qu'une fin jubordennée a la n£iSm
principale, qui eft l'inftruéiion de l'ejprk b* la
carreélion aes mœurs.
Je ne parleray point icy de ceux qui'ont
fait des critiques d'Homère, j'en ayaflèz parlé
dans les remarques. Zoile "fe figoala par deflus
tous les autres|.il prefenta au Roy Ptoleméc
les livres qu'il avoït faits contre ce poëte, où il
meiïoit la ' piaifanterie à la critique; mais il fut
fort mal receu;Vitruve eferit qu'il fit une fin
tragique; ce qu'il, y a de feur, ceft que ce miferabfe
a efté diffamé dans tous les ftecles, ôc
qu'après luy fon nom a toesjours fervi a defiglier
ceux qui par une noire ,envie fe font attachez
à' deferier ce qui eft digne tfeftime. Les
p1aifânteries,qu'on a voulu faire fur ce poëte,ont
fort mal reufft dans tous les temps,& n'ont fait
que rendre leurs autheurs très ridicufesJesMu*

' ïxx - PREFACE,
fcs ayant tousjours pris- loin de venger leur fa*
.vorî, * ;
Je nem'âmuferay pas îcy à recueillir tous les
éloges qu'on a donnez à Homère, on en compoieroit
des volumes. Politien a dit que quoy
qu'Homère ait efié loué de tout k monde, irpat
les plus grands génie s f il nefipourtant pas en* .
core lotie s & que (es louanges ne font' qu'ébau- "
f .chées. Je renvoyé leieâeur au i. chap. du i o.
t*ô^ Ao- iw, de Quintilien; mais je ne fçaurois m empeP
T v m

P R£ FA C t. % 'hxj
affligée de fe livrer icy un momeof à 6 douleur.
Je Içais bien que je ne dois pas exiger
qu'on ait pour" moy la mefine complailânce
.qu'on a eue pour de grands hommes,anciens
& modernes,qui dans la mefme Situation ou
fe me trouve, fe font plaints de feur malheur,
mais fefpere que l'humanité feule portera le
public à ne pas refufer à ma foiblefle ce qu'on
a accordé à leur mérité; jamais on ne s'eft
plaint dans une plus julle occafion. 11 nous
reftoitune fille très aimable,qui. eftoit toute
noftre confection, qui avoit parfaitement reC»
pondu à nos foins & rempli nos vœux, qui eftoit
ornée de toutes les vertus, & qui par Ja vivacité,
Ieftenduë,&laibliditéde/on efprit,&
par les talents les plus agréables,rendoit délicieux
tous le moments de noftre vk; la mort
vient de nous la ravir. Dieu n'a pas voulu continuer
jufqua la-fin'de nos jours une félicité fi
grande. J'ay perdu une amie & une compagne
iidcfle ; nous n'avions jamais efté feparées un
fcul moment depuis fon enfance. Quelles feiflurcs
! quels entretiens ! quels amufements 1
Elle entroit dans toutes mes. occupations) elle
me^déterminoit fouvent dans mes doutes j
fouvent mefme elle m'efclairoit par des traits,
qu'un iêntiment vif & délicat laiffoit efchaper.
Tout cela s'eft évanoui comme un fonge : à ce
commerce û plein de charmes, fuccedent la
folitude & l'horreur. Tout fe convertit pour
nous en amertume ; les Lettres mefmes accoufiumees
à calmer les plus grandes afflidioos,

kxij PREFACE.
ne font qu'augmenter la noftre par les'cruels
fouvènirs quelles reveillent en nous. II ne
in eft donc pas ' poffible de me remettre Û
promptement à un ouvrage qui m eft -devenu
fi trille : ^ faut attendre qu'il ait plu à Dieu de
me donner la force de furmonter ma douleur,
& de m'accouftumer à une privation fi cruelle»
w,.^.,: s: ,;•:••. #
hA VIE

LA V IE
D' H O M E R E.
Rien n f eft plus nature!que le defir
de içavoir la vie & Iç$_ avantures
d'un grand Pocte comme Homère, qui
a tant- fait d'honneur à f homme par la
fublimité, & par l'eftenduë de fon efprit.
Tout le monde veut connoillre celuy
qu'if eft forcé d admirer;mais mafheu-'
reufement c'eft une curiofitéqui ne fera
jamais bien fatïsfake ; le plus célèbre
de tous les hommes fera tousjours le
plus inconnu. Ce n'eft pas que f es an : '
ciens n'ayent eferit fa vie ; Hérodote l'a
eferite fur les mémoires fabuleux ou
véritables que luy aveient fourni les
villes où Homère avqitvefcu, II eft vrày,
que quelques. Critiques., & mon Père
mefme, doutent qu'elle foit deluy. Je
croy que ce doute eft fondé principalement
fur ce que le temps,qu'on afîïg r
nê à la méfiance d'Homère dans^cej
jpuvrage, eft d$Œ««"de celuy qu'Hej
Tome U ' fl

% LAVîE
rodote pofe dans fon hiftoire, comme
je Fex.pliqueray dan§ la fuite.
Quoy qu'il en foit-on ne .-peut..pas
douter que l'ouvrage ne foit ancien ;
fon antiquité paroift par fon flile & par
les mœurs anciennes qui y font peintes,
Et on voit mefme queStrabon l'avoif
lu, •& qu'il s'en eftoit fervi.
Ariftote, Pfutaçpie, Proclus &pïu*
fieurs autres, dont on ignore les noms,
ont efcritla mefme vie après Hérodote;
mais comme ils n*avoient pas de nou-*
velles lumières, ils n f ont pu que copier
le premier, ou adopter des bruits popu*
iaires & des imaginations frivoles comme
celle qu'on rapporte du 3. liv. de
fa poétique d'Ariftoie, qu f une fille de
fine de d'Io ayant "eu commerce avec
un Génie, & fe fentant greffe, alla à E-
jgine,où efle fut prife pardesCorfaircs,
menée k Smyrae, qui çftoit alors fous
la domination des Lydiens, & donnée
guRoyMeon, qui Tefpoufa ; qu'elle accoucha
chez luy, Se que ce Roy reconnut
l'enfant.
. J^y nitureilemeul de fayerfioii

D'HôMt» E. •
^ôurtous ces ouvrages où le men/bnge
a pris fa place de îa vérité;jeitéra*,
porteray donc pas fcy tout c* qu'on t
• du de fabuleux, & je ne donneray pas
aa traduction de €ette vie entière qui.
on attribué' à Hérodote ; je craïndrofc
qu'elfe n'ennuyaft les ledeurej comme
•elle m'a ennuyée; mais auffî je eroy
«flrc obligée d'en rapporter ce qu'il y à
«le principal, & qui peut paroiflre lé
moins éloigné dé fa vrayfemWance.
Nous ne devons pas eflrepfus difficiles
qucStrabon, qui n'a pas dédaigné
de s'en fervir. D'aîHeurs if y a âcs chofes
iffez remarquables, cV; qui peuvent
donner lieu à des réflexions utiles, foit
pour ce qui regarde l'antiquité > foii
pour ce qui concerne les. mœurs.
La migration:Eôliqùe efl fort ame- o„ ^su
rieurc à la migration'Ionique, fil'on Z'!""" 1
confidere le temps du départ, lors que *»££•
les Grecs, appelle Eotiens, quittèrent ££fë
leur patrie pour aîler s'eflabïir ailleurs, %*ZL
car ils partirent foixante ans, ou envi- il "

4 LA VU -
ou du mefme temps, ou mefmepofteû
jieyre :car les Ioniens arrivèrent en A-
facent quarante an» après ia prifc de
Troye, #: ce ne fut que dix ans après»
.c'eft à dire cent cinquante ans après
;cette expédition, que lesEbliens bafti.
rentCumes. , . ••.'.••>
x Dans ;ces commencements, unnom»
"Jf ;«je Magnefie ; appelle Menalippe,
alla s'eftablir àCumes, où il efpôufa ia
fille d'un citoyen de la ville nommé
Homyres, &, en eut une fille appellëé
Cntheïs.Le père & la mereeftant morts à
cette jeune fille .fut fous la tutelle de
Ueanax ami du père. Soit que le tuteur
n euft pas grand foin de fa pupille, ou
que a hcence, qui règne d'ordinaire
dans les nouveaux eftabIi{Temcnts,

ïéfT fuç fotï terme, • 'alfa- un fout'' 'a une*.
fefteqife Sitfyrbe ctlébfmttûrlts bords*
du fleav^Meles : f es 'dottleuis la forpri-'J"
rem ; 'elle accoucha 'd'Homère, qu'dle :
nomma ' Melefigenev "farcie' qu'il -eftoir
né fur les bords d^tefi^W/C'ommé'
cfle n'avoïf 'point de fâtetf , r dlo fiit oMi- 1
géc de 'gagner (â vlé "à lier. -" * 1 • -
; Sur cette particularité confervéepar •
Hérodote , je rappôttera^ mie" tra^1
dïtïort * ancienne- qii_ nous' * apprend
qu'Homère a •voulu deferire fa vk'âc f
lanière dans ce partage du XVL Livre de*
I-Ifiade : Comme une femme 'tàhèrleufé'j
obligée de vivre du travail defes màiriSy
éf. pleine; de juftice 9 pt'enant la 'balance;
%j>efe avec équité de s 'laines quelle af~
lées,pûur en recevoir le prix, ''&pourfubvenir
à la nourriture de Je s enfants, &c:
Grand éloge pour une femiûe, de con-*
foyer l'exacte juftice dam une'extiré-'
me pauvreté, qui eft la j>lifc féurepierw
re.de touche'de fa vertu* ;
* II y avok-afofs à Sînyrne-un homme
appelle Phêaihis; qui enfeigriblt les-bel-
^Ics lapes &ia œufiquie; cet'homme
dur

ê .*-A- Vil • -,
ayant 'vu Souvent Critheïs, qui: h^emm
#|ans fon voifinagfe, charmé de fa bon-i
me conduite* la prit chez luy, afin .

Voir les ïîèux dont if ferait-obligé de
parler, & de -s'inftruiire des mœurs qui
£regnoient, profita de cette occafiom
lï s'embarqua donc *aVec Mentes , &
dans fe» différentes, cotafes il ne manqua
pas de recueillir arec foin'tout'ce qui
luy parut digne d'anientton-; jamais perfbnne
n'a efté plus exacfl que luy à mai>
quer la fituatipn des lieux f les indi*
nations , & les différentes' couftumes
des peuples. Comme un pbifofôphç
•voit mieux & remarque mieux que les
hommes ordinaires", toutes les découvertes
qu'Homère -a faites dans la geo-
. graphie font excellentes ; & if a appris
la véritable méthode de cet arr» ceux
qui ont travaillé après luy. '
• H'cft lepremier qui ait dit quek terre
eft une lUe environnée de tous coftez
de la mer ; que le foleil fe levé de l'Océan
, & fe couche dans l'Océan ; &
que le cercle arélique eft tousfours expofé
aux yeux, & nefecoucHejamais.
• Il parcourut l'Egypte, FAfirique • &
i'Efpagne, îa mer extérieure* c'eft à âï~
m l'Oceap, & la ma intérieure, c'efi à
à Hîj"

direla mer Méditerranée, &|iïa emt&ef*
li (es deux poèmes de beaucoup de choies
curieufes & utiles, qu'il avoit apprîfes
dans (es voyages. Mais ce qu'il y a d'historique
, il le mêle ingenieufemenf a-
vec la fwftion pour le rendre plus agréable
:. car, comme dit fort bien Strabon,
c'eft la coulume d'Homère d'attacher
•à toutes fes. fiétïons des vegtez certaines.-
Il apprit en-Egypte beaucoup de
particularisez .fur le voyage de Paris f :
lors qu'il s'en retourna .à Troye avec
Hélène. • *
M. Huet, ancien Evefque d'Âvran^
ches, eft perfuadé que ce Poète avoll.
pris des Egyptiens cet e/prit fabuleux,
qui eft Fajne de (es poèmes. Voicy
THHJL ^€S " termcs : Homère', qui avoit vîfité.
l'm^e h s Egyptiens , rapporta • de "che^ eux
^md!iS -cet e/prit fabuleux qui ky fit inventer,
non feulement les admirâmes \poemes^
quil nous a laifje^, mais encore mille
nouveauté^dans ta généalogie, les dig~
nite^ éfles, employs des Divinité^ • Gre*
que s; & ce fat là qu ilfe perfectionna
dans la pdefie, qui y a tousjours eJH *
foigneufemmt cultivée.] *

D'H T 0 T 'fc4£*E: a /

'$0 ' ,*: |Az.V«'r .
qu'â-aVbit formé le plan 4e lUibdê a-
vaut fes voyages, & 'par eonfequoif
qu'il avolt bafti'fa fable, fui en cil le fondement;
d'ailleurs il dit fuy-mdïne en
tw. ss.de quelque .endroit, que. k* jeunes garçons
& fes jeunes filles,:qjii s'entretiennent
cnfemble, parient ordinairement .de fables
: preuve certaine que les fables e£
toient familières en Grèce du temps
4'Homere, & avant luy. On en pouç»
rpit donner, encore d'autres preuves^
^uffi Strabon ifeconnoift que les fables
» ciloient receûës en Grèce long-temps
avant Homère. Ses paroles font remar**
quabfes. * Les poètes ne font pas les
Jenls qm ont reçeû UsfaUeà: mais long**
temps avant: eux- les villei .éf kskgïfla*
teurs les mt admifes asaufe Je leur -utilité
t regardant au penchant naturel de
i animal mifonnàbh; caf T homme par fa
mat me efi pur té à apprendre* & 'l'amour
des fables luy ouvre- cç ihtmn* \
dmsl ft$tf dûl mktiç mAu mf>e*npw f K$j o! ro*
mfvmmf m%ç mi Kûymi Çdktrf txufijuuêt

-D'H-OMERC.'
"" tr
Je* ne fçay pas non plus fi Pon peuc
dire qu'Homère fe perfecftionna'dans la
poëfie en Egypte, car "quelque pen*
• chant que les Egyptiens ayent eu pour
elfe, M ne paroift pas qu'ils y raflent biem
parfaits ; ifs eftoient au moins bien éloignez
de la fagefle & de la régularité
qu'on voit dans les ouvrages de ce Poète,
& je ne croy pas que f Egypte ait jamais
rien produit de femblabîe en ce
genre, ni qui puiffe leur eftre comparé*
JLaiflbns à Homère la gloircde f invention
Se delaperfeétionril lie les doitqu'-
à fon'génie, ou,fifart de l'Epopée eftoic
connu avantluy^ ce qu'Ariftote n'a pas
voulu décider, ce n'eft pas en Egypte
.qu'il en avoit vu les modelles, & il le
perfectionna , ppilqu'Arîftote reconnoift
que ce foftluy qui enfeigna le premier
aux autres poètes à faire comme
il faut ces ingénieux menfonges.
En revenant d'Eipagne, I aborda à
Ithaque, où il fut fort incommodé 'd'une
fluxion fur les yeux. Mentes prefé
d'aller faire un tour à Leucade fa patrie,
laiffa Homère chez un des prince
i vj -

"ta -LA VIE *
paux d'Ithaque nommé Mentor, à qui
II le recommanda, & qui en eut tous
les foins poflîbfes. Ce fut là qu'Home—
re apprit bien des chofes d'UÏyïfe, donc
il profita dans la compofition de fou.
OdyfTée. , •
. /Mentes àfon retour à Ithaque trouva
Homère guéri. Ils fe rembarquèrent,
& après avoir employé beaucoup de
temps à vifiter les coftes du Pelo.ponnefc [
& les iffes, ils arrivèrent à Colophone,
où Homère fut encore attaqué de fa
fluxion furies yeux, mais avec tant de
violence, qu'on prétend qu'il en perdit
la veûe. Ce malheur le fit refoudre .à.
retourner à Smyrne,où il finitfon Iliade. '
.. Quelque temps après,le.nfauvaiseftat
de fes affaires l'obligea d'aller à Cumes,
ou il efperoit de trouver plus de
fecours. En chemin il s'arrefta.dans un
Heu appelle knouveau mur* qui eftôit.
. $ Hérodote n'eft pas d'accerdavec Siraben;
il affaire que le nouveau mur fut une Cû—
lonie de Cumes, ér bafii huit ans après'fa
métropole; irStrabon dit au contraire qu'il*
fut bafti avant Cumes, contre les Pelafges
qui tenoientLariJfepOnpeutlcyoïXtlh. 13. ;

.D'HOMERL 'tj
xmt colonie deCumes, Là if etftra-cbez •
HB cefebre armurier -nommé Tychim,
ou il .récita quelques hymnes qu'il a--
voit faits pour les Dieux, & fon poème
de l'expédition d'Àniphiarâûs contre,
Thebes. L'admiration qu'il attira, luy
fournit quelque temps les moyens de
lubfifter. Hérodote afleure qu'on j.
monftroit encore de fon temps le lien,
où Homère .avoit accoutumé de s'af-,
feoir quand il reçitoit fes vers ;.& que,
ce lieu eftok encore en très grande ve- ;
X}eradon.
• •
- U affa enfuite-à Cumes comme if Pa-*\
voit refofu; & en paffant par Larifle fi ..
qui eftoit -for f e chemin- à -quatre vingts^
Û^dcs de Cume^il fhl'épitaphc deMy--
das, Roy de Phrygie, qui venoit de;
mourir, if fût receu à Guipes avec une
tremefoye.
Le grancf gouft qu'on tefmoignst:
pour fa poëfie,, l'encouragea à deman-,
cCer qu'on luy affignaft fon entretien fur.
le tfirefor publie ; & comme il fentoir
bien fes forces, il afleura que û on luy
accordoit cet honneur, il rendrait Çu- V

^4 LA Vl E.-
mes ïa plus célèbre de toutes les vflfes2
Ceux qui fe favorifoient, luy confeiflé*
rent de faire luy-mefme fa demande an
Sénat. II y eft introduit ; il prefente fa requefte.UnféuImagiftrat,qui
fans doute
n'ainioit pas la poè'fie, s f y oppofa, repreientam
que fi on vouloit nourrir tous
les aveugles, ils en fêroient accablez :
€tt avis fit revenir les autres, & l'emporta.
Homère-fit quelques vers pour fë'
" plaindre, de fon infortune, mais il s'en*
plaignit avec plus de douceur que ne*
feroit aujourd'huy un'de nos plus me-»*
diocres poètes. Ce mot du magîftrat fie
perdre à Homère je nom $&Metejïge->
ne, qu'il avoit porté fufqu'à lors, il ne fut*
plus appelle qu 9 Hûmere, c'eft à dire Va*
veugle, dans fc langage des Cuméens/
En fortant deCumes pour fe ret%er a
Phocée Mil fit cette imprécation qu'if'
BC naquift jamais à Cumes de poëte qui
pull la célébrer & luy donner de Véclat,"
regardant avec raifon la naiffance des
grands poètes & des grands eferivains,
non feulement comme le plus grand or- *
jïemcnt des vUfes ou ils naifient, mak

D'HOMEIË. t§
coTnméfa plus feurcfource ponrelfe*
d*une gfoire immortelle, qu'ils font feufs
capAlet de leur procurer par leurs décrits.
• ' • " • .
: Homère aïïoit-ainfi de ville en ville
liïânt fes poèmes, & telle.eftodt la couA
tume de ces premiers poètes. Où peut
dire que comme les anciens héros. Hercule,
Tfiefêe, couraient le monde pour
purger la «erre de monftres, & pour.
Ikire jouir les villes* & les campagne»
_4es fruits de .leur valeur , qu'ils, n'emn
ployoienc que pour fe bonheur de»
l hommes; les'premiers poètes allaient
de mefïne dans les villes, poux les faire
fouir des fruits de leunl travaux, & poup
répandre partout lesbeautez & les mer^
veilles de leur potfi&.On a voulule^
comparer à nos Troubadours, qui al-
' Joicnt auffi de ville en ville chanter
leurs chanfons. La çomparaifon n efl
fzs noble pour Homère, mais eQe-l'ed
beaucoup pour ces -poctes-faus: génie;
& fans gouft. • '
• Eftant à Phocée, il lifoit fes vers dans*
- Jps - aflâoabléesl 1 y aveât alors .dm$ lat

Tft '• LA :VlB^
.^l 1 . ville un homme appelle-*ThéAaride&i
dut > fils d§ , . r t , . , f r r
lf , .* ... .
r%^r. qui enleignoit les belles lettres à la jeu-*
nèfle: il offrit à Homère de le -prdfidrechez
luy & de Fentretenîr, s'il vouloir
hiylaificr èfcrire'fes pocTies'; Homère
accepta'ce parti, & fit che2" luy le poë-,
me zppdléla'-petite Ma'de, Se un autrepoème
appelle la -Phocëide. Quand
• Theftorides eut- ces poèmes, il quitta*
Phocéej & alla- à Chio,'où H les debkr
comme" Cens. Cette indigne Tuppo-^-:
fition fut bfentoft irecoimu&!Hôinfere f'«
_ qui en fut averti, *vouiut aller à Ghio i
&. n'ayant.trouvé- qu'un radeau qu'on
menoit à Erythres ,> il fe mit deflus, &-
d'Erythres, il paflalChiodans-un bat- 1-
teau de pefcheurs^qui le débarquèrent,'
& eurent ht* cruauté de l'abandonner fur'
le rivage, où il pafla la nuit,'Un aveugle
ne pou voit que s'égarer dans un pays '
fi defert ; il-fe mit pourtant en chemin 1 '
dh le lendemain, & erra prés de deuc*
fours fans trouver perfonne 'quipuft* fe :
fecourir & le conduire. Enfin fur le foir
il entendit des' chèvres prés de fon chemin,
il -alla, du collé où il les entendo% :

^Êk ïî auïoit elle dévoré par le* r chien$i
fi le berger, nommé-Glàuois, ne fa voie
délivré. Ce-berger ayant appris Ion a-
vanture, le mena dans fa cabane, & fe
regafa le mieux qu'il fuy fut poffiblc ' ïc
poète tafcha de divertir ion hofte, eh.
Iuy racontant ce qu'il avoit vu de piu^
curieux dans fes-voyages. < ;
• Cette avanture d'Homère, à l'aveuglement
prés, reffembfe bien à'celle
d'Ulyffe, qui en arrivante fa maifon de
-campagne, aurait js&é ' dévoré par fe»
chiens, û Eumée ne fuft accouru' a fon»
fecours, _ comme cela eft raconté au
commencement du. 14.livre de FO-

une terre appelléc Boliffus, près

B r HoMÏ«X\ , tç
fe fen&t a leurs tohfèik, & Fort prétend
que, pouffe procurer la faveur de£
Grecs, il a4jtofta-daitt fon Iliade & dans '
fcrt Odyffée beaucoup de vers à la
louange depIufieursE'ftats delà (3rece,_
fk fur tout à celle dtt Atlënlefis .& n.
celfe des ; peuples d*Àrgos. '
" II partit d'ônc de Chio, & aborda à"
Sambt, ou on le retint, & où 3 paffa Phy-
•cr j de Samos il alla à Io, une des Mies-
Sporades, dans le 'âcflein de continuer
fe route ^ei$ Athtii'ësï mm il tomba:
mafade dans xeneiile 9 '&"y mourut. On
hty ût desiunergillçs Honorables, §c on
l'enterra fur le rivage de la mer, cap
c'eftoit fa coullume de plaça: les tombeaux
des grands perfonnages dans les
Meus: où ils pouvoient eftre le plus expofez
A la veûë àc$ paflants.
Piufieurs autheurs ont eferit qu'il
mourut de %iuleur de n'avoir pu-expliquer
un énigme que luy propoferent
des pefeheurs qu'il trouva fur le rivage.
Mais Hérodote, qui rapporte cet énigme,
s'oppofe avec raifon à une addition-
firidicule. -Les anciens fe font flm

Jouventà donner au^, grands htôteltfil
des naiflances &- -des. morts eytraOïdi-*)
nair es.C'eft ainû quç FQP a dit qp'Arifio-*-
te s'eftoit jette dans FEurype, ou détroit"
de Negrepont,, pour- n'avoir pu co.m- '
prendre la caufe :de fes prétendues fcpfr
marées journalières : deux ipftgnesfatif^
fêtez, comme mon Père Fa moitftré. dms
(es lettres. Le détroit deNegrépont n'a'.
point.de marées réglées ; il eft .dans unecontinuelle
agitation à c&ufe des flots'
que,le. pont Euxin• envoyé continuellement
dans la mer Egée ;- &"Ia 'mort
d'Ariftote eft rapportée tout autrementpar
des autheurs mieux informez. ï
. • Si ces mémoires d'Hérodote avoient
efté regardez comme -véritables,, ils: au*
r.oient vuidé le procès de tant de villesqui
fe difputoient l'honneur ' d'avoiî
donné -la-naiffance à ce grand Pôè'te, exterminé
les différents de tact d'autbeurs
célèbres, qui ne fçauroient s'accorder'
fur le temps où il ayeïcu. -Car, félon
Herodote,Homere eft Eolien, puifqu'il
naquit à Smyrne, ce qu'il fonde encore
fur ce que ce poète fuit ordinairement

D'HoMERE. .. Yl
'îes coiiilumes desEofiens, fùrtout dans
4es descriptions qu*il fait des facriftces. 1
Vpifâdônc fa véritable patrie trouvée
, & fe temps de fa naiffancebîen fi-
-3ié, pttîfqu'il affeure que ce poëte naquît
à Smyrne cent foixante huit ans après
la prîie deTroye, & fixcents vingt deu^c
"fcttls avant la defeente'de - Xerxes m
:
Kirtce: '• ' "- " • ; '
Maïs la fidélité de ces mémoires à
pu eflrefufpecfte avecràifon, & la fup-
- putâtion des temps doit faire" doutei
'qu'Hérodote foit Fautheur de cet pu^ .
wage;. car outre qu'elfe eft. fauiTe,'pui£
cjue depuis fan cent'foixante huifde la
prife deTroyefufqu'au paffage de Xerxes,
il n f y â pas fix cents vingt deux ans,
comme cet efcrivàfai le dit, mais feuieitiettt
cinq cents. trente deux, on voix
qu'Hérodote luit un autre calcul dans
ïe fécond livre de fon hiftoire, où il efr '
crit qu'il cft perfuadé qu'Homère eftoif
quatre cents ans avant fuy, c'eft a dirç
trois cents quarante 1 ans après la pfife •
de Troye, car Hérodote non/Toit (tm
cents-quarante ans-aprés cette jexpecu^
pan*

*« Ià VIE v ^
Nous voilà.donc retombez dansfdt
inefmes incertitudes, & fur le lieu de &
.naiflànce & fur Je-temps.
La première ne fera jamais iieir é~
iclaircie, Se fou ne peut faire que des
_ conjectures, / ' *, 1
Ceux qui n*ont conIMcé que feu ftyîe,
qui eft Ionique prçiqtte|>aF tottt,£>»t
crû pouvoir inférer de là qu'il eftoi
d'Ionie : mais cela ne prouve rien, comme
mon père Fa remarqué, Hippocrate
Se Hérodote ont tous deux eferit en Ionien,
quoy-que le' premier fuft de Fille
deCos, & l'autre d'Haïicârnaffe,oàFop
parloitDorien. Les eferivains Grecs ne
/affujetiflbient pas à fuivre dans leurs
ouvrages le dialeéle de leur pays; ifi
choififloient celuy qui leur p!ai6>U d'à*
vantage. Homère a préféré l'Ionique»
/parce qu'il eft incomparablement plus
fceau que tous les autres, & qu'il eftoit
le plusrfonnu Se le plus eftimé, comme .
îa bafe Se le fondement de. h langup
Cîrecque, & comme le Grec le plus pur,
Strabon le croy oit de Fille de Chio#
$ur. te ^u'il parie volontiers de h m$t

D'HOME RI. if
Icarîene, comme d'une mer qu'if
voyait fouyent; maïs cette preuve cft
foiMe : car, Homère parle de cette
mer, comme en ont parlé tous les poètes
; c'cft à dire comme d'une nier ora^
geufc & difficile, à çiufedela quantité
d'Ides dont elle eftfenaée J •
....... crebris fréta cencita terris.-
II faut pourtant ayoiier que cetw
opinion, qu'Homère'eftoit de CEio-, t
cité la plus fuivie. Le poète Simonide
l'appelle kpéête de CAh, fkThcoci'm
en deux endroits le chantre de Chio* P
Que dis-je ! Homcre luy-mefme eferit
en propres termes qu'il habiioitàChio,
cpiand M dit auxMufes dans fen Jhym*
ne à Apollon, Rêfpende^que e J eJtfa^
feugle ^ui demeure à Ckiû.
Tuf A$ç mnfjimj Ji %m in vmfTmheiom* •
'Car .on prend ce mot étui, demeure*
pour- ejl né, comme il le fignifiequcL
quefois dans Homère mefme.
C'eft fur cela qu'infîfteLeo Alïatius,
pour.fbuftenir que ce poète eftoit dç
Ghio. Mais iFy a deux choies à refpôn-
'$re; la première,

»4 " L A VlÉ"-
pas d'Homerc, non plus que les'au très
qui portent fonnom; ou que s'il eft de
ïuy., comme Thucidide Fa certainement
cru, -les anciens ont pris ce moi
èm s demeure, non pour le lieu de If
miflance, mais pour cefuy de la (impie
habitation. Et nous avons vu qu'Homère
a effectivement fait un long.fép&ur
à Chio. Comment peut~on concevoir
que tant de villes euffent difputé
entre elles l'honneur d'avoir donné h
nalfTance à Homère, fi ce poëte avoit
piarqué fî.précifement luy-mefmc le
lieu où il eftoit né ! . >
, - Les Homerides de Chio, fur lefqueîs '
Xeo Allatius fe fonde encore, n'efta*
2>liflent pas d'avantage fon opinion. Les
Homerides ne font pas des defeendants
d'Homère, mais des % Map/odes, c'eft à

D'HOMèRE. *$
«Turc des gens qui recitoient fes vers dam
les affemblées publiques-, & fur tout
dans les jeux que l'on celebroh tousles
cinq ans àCWo en fhonneur d'Homete,
& dont onxonfervoit h mémoire
par ées médailles* que f on faifoit frapper;
il y en a encore dans les cabinets
des curieux. Du temps de Platon il y t-
voit beaucoup de ces Homerides, nom
feulement à Qiio, mais ailleurs : car il
en eft parlé dans fon dialogue intitulé
Ion. Peut-on s'imaginer que du temps
de Platon, plus de cinq cents ans après
Homère, il y euft encore, en tant de
lieux, des descendants de ce poète, &
cn.aflez grand nombre pour conferver
le nom $ Homerides ! cela feroit bien
ris & de Mendas, dont on a fait le j. Livre*
m teUe autre qu'un leur demandait $ ftz^m**
Ihs 9 pcuftwnç mi ëSki. Cette dernière oph
9iien eft la plus wayfembkble ; m- plufofi k
feuk vraye* Cefi ainfi que Sophocle dans f m
Oedipe appelle le Jphinx fci-faJiv, paret
qu'il rendait différents oracles félon qu'on
* tinterregeoit. Au refte, il y 'moit deux fortes
' de Rhapfodes, ks uns uennent fans cham* A
ter, & ks mm€s temokm m chantait».
Tome h . "• c

a£. LA VIE \
fingulicr. Enfin û Homère avoit dit îuy
mefme qu'il eftoit né à Chio f jamais A-
r'iftote ri'auroït affeuré le contraire,
B*U h §. comme il k fait formellement.
fâejty L'opinion la plus vrayfemblabïe eft

#
D'HoMEftE. 27
connue, & de grande réputation dan*
tout'fe .pays^d'oùîl infère* qu'il Yivoit
;peu - de teàips-' avant' que Memphis fuft
jiaftié, ou qtfelle fuft parvenue à h grandeur
où elle.fe trouva, & qui effaça celle
de Thebes. Mais cette conjecture
n'cA pas feure, &.-ne pçut fervir.à nous
fixer ; car Thebes fut encore 1res Modifiante
longtemps" après Homère, puifque
fa première ruine ne vint que par
^Nabuchodonofor, &-i! y- avoit desja
long- temps que-Memphis eftôit une vu-
-le très florWante.Cherchons-dpnc quel*
iq.ue choie de plus précis.-
- II me paroHl qu'il n'eftoit pas bien.
4ifficïle de diffiper cette incertitude.
Oeil une règle feure, que quand le
temps de la vie d'un homme n'eft pas
marqué précifement par des Epoques
certaines, on peut le fixer à peu prés par
la vîc de ceux- qui ont vefeu peu de
. temps après luy. Nous fçavons, comme '
Jft Fay desfa dit dans la Préface, que Ly+
curgue eflant aHé enlonie y trouva la
.freines d'Homcre chez un desfifs oulies
petits fils de Creophyle qui avoH

% "ft8 IA VlÉ ' •
logé ce poète. Homcre eflçit donc
f uelique temps avant m Legfffateur,«pii
yivoît trois cents» aas a§œéf ta prife dç
Troye, & par œnfeqpebl Homère vi*
voit cinquante -on fokante ans avant
• Lycurgue, & deux cents quarante, ou
deux cents cinquante ans après ia prife
de Troye. - - •
H çft vray tjuc les marbres 'd'Aronfiel,qui
font ce que nous avons de plus
feur, mettent Homcre fous l'Archonte
Diognetus, c'eft,à dire trois cents ans
après la prife de Troye,- Se neuf cents
feize ans avant la natflànce de noftre
Seigneur. Cehuné s'accorde pas entièrement
avec l'Epoque que j'ay marquée
,• à moins qu'on ne dife qu'Homere,
bien que plus vieux que-Lycurgue,
vivott .encore defon temps, eommeCiceron
& Strabon Font cru. II eft tousfours
confiant que ce .poète floriflbit
vers le milieu du troiûéme fiecle aprés^
Ja prife de Troye, & cela fuffifc 0» aç
Jçauroit le reculer plus loin. - - ,;
H n'eft pas û eftonnant que f on ait
ignoré la véritable patrie d'Homère,

• D'HOMèRE. 29,
& Je temps précis oàM a vefcu.cju'îf l'eil
que Ton ne fçaçhè pas fou véritable
nom. Celuy è&'Melefigene a 'trop l'air
d'une fabfe.
Homère s'eft-caché avec un très
grand foin ; .dans- tous (es- ouvrages il
n'a rien- dit quilepuiifc faire connoiftra
Dion Ghryfbffame, admirant cette modeftie
Poppofè à la vanité île' ces efcrivains
qui mettent leur nom au corn*
mencement,à.lafin* & dans le cours
roefme de feras ou vragts, & qui fe nom*
ineroient à chaque page s'ils Fqfoient :
& frappé de la grandeur d'âme de ce
grand poète, il luy donne ce bel éloge â
* Qu J U afait comme lesfreftres,fui rendent
les Ôtacles desDkux;em eespreftrès
ne méfient wint leurs noms aux infi
fkatwns fuifs mi rêemès, if tendent
leurs rèfpmfesfansfe manfirer.
Quelques auftMwrs ont préttucfa.
. qu'if porta tousjours ceïuy d'Homère,
>arce qu'il eftoit ai«ugle né. Mais Véïeïus
Paterculus a fort bien réfuté ce
Î
' e iij

JO LA VlE« '
Miem § -conte. Si quelqu'un, dit-il,croit quHûviis
ça- % mère, efl, né aveugle Jlejl'aveugle luy-meft
C uT BUMC, me\&privé'Jetous lesfjens'.Proclusdîf fa
un&bm m€^mc chofe : Tous ceux qui affhurerii
oibin cft. -qu Homère ejl 'né aveugle me paroijjint
'mvoirperdu le Jens, car cepdite a plus vu
•if mieux vu que tous les autres hommes.
. En effet, Homère a peint au naturel
. une infinité de chofes dont il n'auroh
Jamais pu avoir la moindre comtoiffan-»
ce s'il n'avoit eu de fort bons yeux.
D'autres ont prétendu qu'il eut ce
nom, parce qu iî fut donné en ôftage
}>ar les habitants de Smyrne à ceux de
Chio pour terminer quelque guerre de
ion pays* car les Grecs appellent les Q£
tages, Homeres; c'eft-ce que je trouve
«le'plus apparent If me fembfe mefme
que ce prétendu aveuglement d'Homère
cil démenti par les médailles firap*
. pées en fon honneur ; car il y cft représenté
affis, 6c tenant un volume qu'il lit f
marque feure que dans le temps de ces
médailles, la 'tradition, qui l'a fait aveu-
.gle, n'avoit pas encore commencé ; elle
cil poflerieure aux médailles, & n'a eu

; . D'HOMèRE. 31
•d'autre "fondement que la fignificatioà
du mot.
Cette ignorance, où fon eft fur- le
pays, fer la vie & fur le nom mefme
d'Homère, pjôuve admirablement \%
vérité de ce que dit l'Empereur Marc
Aurele^ qu'un homme inconnu peus
cftre un homme divin*
: Outre fHiade & FOdyffée, on prétend-
qu'il aYoit fait quantité d'autres
ouvrages ; Hérodote, ou celuy qui a
fait ûL vie -, Juy" attribué" des hymnes
pour les Dieux ; un poème (m f expédition
d'Ampkiarous contre Thebes ; la
petite I&ade ; la. Phecëide ; (es Cer cèpes*f
les Epkichlides ; le cembat des gremuiths
& des rats, 8c plufieurs autres,
dont on n'a confervé que les noms. H
avoit fait-un poème intitulé Morgues*
où. il avoït méfié plufieurs fortes de vers f
comme nous l'apprenons d'Ariftote;
on prétend mefme que c'eftoit fon pretnier
ouvrage','& qu'il avoit efiayé par
là fon talent pour la poè'fie. Nous Savons
aujourd'fmy que fon Iliade & ion
OdyïTée. Le combat des grenouilles Se
c iii)

j2 LA VIE, .. -
des rats eft fort douteux, auffi bien qpe
fes hymnes à Apollon, à Diane, à Mercure
,.& à quelques autres Dieux. Les
plus fçavants Critiques eftimént que ces
©uvrages ne font pas de fuy. H en efl
de mefme de la petite Iliade : if paroift
qu'Ariftote n'a pas crû qu'il en fiift I'au-
BMS h th. Aeur, & if en dit de fort bonnes rai*
2 *: fi
ik u fous."C'eft faire grand tort à Homère
de fuy attribuer un poème où font vio-
^ fëes toutes les règles de fart qu'if a fi
fcien fuivies dans fcs deux poèmes. If y '
a bien de l'apparence qu'on fuy a encore
attribué d'autres ouvrages .qu'il auroh
.défitvouez, & tel eftoit le poème
appel lé * Cypria, les Cypriaqùes. Ari£tote
fait entendre qu'il n'en eftoit non
plus, faucheur que de fa petite Iliade,
que tes anciens monuments attribuent
avec plus de raifon .%poè*te Lefchés,
& if le donne à un poè'te appelle Dicaiogene.
Avant ce phîfofope, Hero- '
# Cefloit an poème dont on ignore UfujeU
L'autheur y parlait de l'enlèvement a Hélène
: if cela fait croire que c'ejloil un re»
cueil d'avaniures amourenfes* •

D'HOMèRE, JJ
dote avoit prouvé par de bonnes &loîides
raifons que, ces Cypriaques n'e£
toient nullement d'Homère. On peut
voir ce qu'il eh dit dari^Ie 2. livre de
fon hiftoire.
Les poèïies d'Homère n'ont pas fak
feulement les délices de l'efprit, ellesont
fait encore dans tous les temps le
plalfîr des yeux ; les plus grands peintres'
Se les plus célèbres fculpteurs ont"
tiré delà les fujets & les deffeins dç
leurs plus grands ouvrages; elles ont
fait les plus beaux ornements des Tem- •
pies 6c des Palais. Parmi les fu jets,qu'on;
peignoit ordinairement dans les galeries
& dans les portiques, Vitpive met
les combats dTlion & les erreurs d'U~
iyile. Hieron avoit fait repteff nter toute
la fable de l'Iliade fur' le plancher
de fon navire en ouvrage de marque-
' terie; & tout lewonde fçaït que Bran*
çois I. ce Père des Lettres, a tiré de FOdyffée
FembelMement d une des galeries
de Fontainebleau, L'antiquité par- •
le mcfme de certaines coupes de gran4
prix que fou appelloit fcyphfsHme-..
- • et

34 LA VIE • .
ricos, coupes d'Homère, parce .qu'on y
avoit gravé des fujcts tirez de (es poèmes
, ou mefme plufieurs de fes vers.
Néron les aimoit paffîonément, comme
le rapporte Suétone, & c'eft cette paffion
qui a perfuadé au fçavant M. Fa-
'fcretti qu'un Stuc où font fculptez en petits
bas reliefs, d'une manière.très élégante
, les fîijets des Livres de PIliade,
cft du temps de ce Prince. Le malheur
cft que' cet ouvrage n'eft pas venu i
nous entier: on n'en a que le bas réfief
*du premier Livre, & ceux des douze
•'derniers ; les onze autres manquent.
Homère n a pas feulement efté regardé
comme le plus grand Foëte dans
l'Epopée > mais encore comme cefuy
qui a donné les idées des autres genres
de goèïie les plus* importants, ccû à dire
de la Tragédie & de la Comédie.
Oeft ce qu'Àriftote afleure dans fa Poefêcti.
' % ue : Comme.Homère, dit-it, a tenu
«*• 4» Jans contredit le premier rang dans le
genre héroïque &* tragique, car U'efflè.
Jeul qui merke le nom de Poète, non feu-
• Imeht parce tfi'il a bien eferit, mais en-.

D'HOM ERE. ' .35
''Cêre'parce• qu'il a fait des imitaiions
dramatiques-; Il a ejlê : auffi le premier
qui. ait donné tomme un crayon de la
Camedie , : en changeant en plaifanteries
les railleries piquantes des premiers
poètes: En effet ,fon Margites a le wefme
rapport avec la Comédie, qt^Jon Iliade*
&*Jhn Odyffêe ont avec la Tragédie.
L'authorité d'Homère a tousjours
cfté fi grande, & comme mon-père faremarqué,
on* a tousjours eu tant de -
relpeifl pour fes cfcrits, que fcs anciens,
croyoient avoir allez bien prouvé- une
choie quand ifs produilbient le moindre
partage de fes -poèmes • pour appuyer
leur opinion. Je ne parle pas feulement
des poètes, des géographes* des
Rhéteurs ;" je parlé auffi des- Théologiens
j desrhyficiens, des Jurifconful-
'tes, desPhilofophes, & mefme desGe*
'neraux d'armée. Un de fes-vers a ter r
miné quelquefois des différents ;confe
«[érables, &'donnégain de caufe à ceux
qui i'avoîerit de leur collé. _ r
La vénération des hbmmej*poïir-.C€
grandPoè'tenes'arrefta pas*libelle ail*
e vj

%6 LA Vil
jufqu'à luy efïever des temples. Ptofejmée
Philopator, troîfiemc Roy d'Egypte
, luy en efleva un très magnifique ,
dans lequel il plaçca la llatuë d'Homere,
& tout autour de cette ftatuëil mie
les pîans des villes qui fe difputoieof
l'honneur d'avoir efté Ion berceau.
Ceux de Smyrne firent baftir un
grand Portique de figure quarrée , &
au bout un Temple à Homère avec (a
'ftatuë. ,
A Chio on ceîebroït tous les cmq
ans des jeux en l'honneur de cePoëce f
& on frappoit des médailles pour con~
ferver la mémoire de ces jeux. On faifoitla
mefme chofe à Amaftris, ville du
Pont. . . '
" • À Argos on invoquoit Homère
avec Apollon dans les facrifices publics.
On fit mefme à Homère des facrifices
particuliers, êc on luy érigea une ftatuë
de bronze. •
Ces honneurs rendus à Homère en
tant de lieux, donnèrent a un ancien
fculptepr de Prietie, appettéArchelaiîs,
'fidée de faif€ en* marbre. l'apotheofc

D'HOMèRE. 37
de .ce Poète. Ce marbre, qui eft d'une
beauté fingulierc, & qui marqoeparfaitement
la fageffe, feftenduëd'efprit, le
grand fçavoir & l'habileté du fcuîpteur,
fut trouvé heureufèment vers le milieu
du dernier fiecle dans des ruines prés
d'une maifon de campagne de l'Empereur
Claude. II a efté gravé plus 4une
fois, & M. Cuper en a donné en 1 6 8 3.
une explication' fort cftenduè*.
Dans les cabinets-des curieux, omj*^^^
voit .encore des médailles d'Homère um £^'
frappées a Chio, à Smyme, a Amaftri& Ufùmh*
Maïs comme ces honneurs ne com-f*^^f
mencerent que long-temps après &[*»***•'
mort, on n'a point défigure d'Homère
tirée fur l'original; elles'ne font toutes
qued'idée & de fantaifie. Au moins c'ei
ce quePlîne nous fait entendre, liv. 3 5.
chap. 2. ïnBibliothecis dkantur illi quâ- •
rum immorta/es anima in iifdem mis
ibi loquuntur. Quinthw etiam ^qua non
Juntfinguntur.pariuntque defideria nom
. traditi vultus % Ji€ut in Monter 0 evenk.
On cûnfatrf dans les Bibliothèques la figure
de ceux dont les âmes immortelle^

38 LA VIE
y parlent encore. Bien plus on feint ce
qui n 'exifle point; &des tefles, qu'on ne
nous a pas confervées, enflamment nofttê
curiofitê & excitent de violents défit s,
comme cela efl arrivé futHomère.
Delà vient fans doute que ces telles,
qui paroiffent fur ces médailles, font fi
différentes, à moins qu*on ne veuille
dire que ces médailles & ces figures
d'Homère ont elle faites fur des portraits
qu'on a'voit confervez dans ces
villes, & qu'elles ne font différentes
qu'à caufe du différent âge ou ces portraits
avoient efté faits, ce qui eil difficile
à croire.
Mais, ni ces médailles, ni ces (tauiës,
ni ces Jeux publics, ni • ces temples ,-ni
cesiâcrifices, ni ces hymnes, ni cette *-
•potlieofe, en un mot tous ces différents
honneurs rendus à Homère dans k
Grèce par des villes, ou ailleurs par des
Princes eirangers, ne valent pas 1 éloge
que forme le confentement de tous
Jes hommes dans tous les fiecles & dans
tous les lieux : Car fi les foffrages d'u-
•ne feule ville ont fouveat fuffi pour fai-

D'HOMEHL 39
re obtenir à des hommes fes honneurs
divins, que ne doivent pas faire les fu£frage$
réunis de tout le monde, en tous
lieux & dans tous les zges L
C'efl: ce confentenjentfi glorieux de
tous fes temps & de tous les lieux, que
le (cuIpteurÂrchefaiis a fi ingenieufement
marqué dans ce marbre, dont fay
parlé, & dont je donne icy ce feul morceau
qui fait à monfujet, & dontvoicy
une explication très fimple.
On voit Homère affis fur un fiege,
accompagné d'un marche-pied, car
c f eftoit le fiege que Ton donnoit aux
EHeux, ou aux peribnnes confiderabfes
que Fon voufoit bien traîner. Dans le
14. livre de FIliade, Junon promet au
Sommeil un throfne d'or qui fera accompagné
d'un marche-pïed, afin qu'if
puifle eftçe longtemps à table fans fatiguer
fes beaux-pieds. Et dans le 1 8*
Livre, la femme de Vuïcain-, la belle
Charis, conduit Thetis dans un richef
appartement, la fait afleoir for un throfne
magnifique, & met fous fes pieds délicats
un marcàe-pied.

40 LA VIE
Ce poè'te a le front ceint d'un bandeau*
comme eftant le grand Preflrc
des Mufes, ou pluftoft le Roy ou le
Dieu des poètes, car le bandeau autour
de la tcfte t n'eftoit .pas feulement la- marque
de la Royauté & delà grande Pre£
trife, maïs encore de la Divinité.
II tient de la main droite un volume,
& de la' gauche un fceptre, ou une
hafte, au bout de laquelle on voit une
leur, qu'on prétend eftre le Lûtes, peuteire
pour marquer POdyfféc; car dans'
le'9.Livre, Ulyffe raconte les effets
miraculeux de cène plante, "qui avoif
fait oublier à (es_ compagnons, qui en
avoient mangé, je"defir de retourner
dans leur patrie.
' Des deux figures, qui font 'derrière la
çbaife,- celle qui eft à la droite, & fous
laquelle on voit ce mot ...KOïMENH.
pour OIKOTMENH , le fëmps ayant
' rongé Ja première fyllabe, c'eftCybefle
avec une -four fur"la tefte,ouIfis
avec fon. boiflfeau, médius  pour reprefcnter
la Terre; elle met une/couronne
fur la telle d'Homère, pour marquer
t

D'HOMèRE. 41
^ue ïa terre entière a déféré à ce poète
la couronne de la poëfie.
JLa figure aillée* qui eft à ïa gauche,
c'eft le Temps* comme le mot XPONOZ S
qui eft au défions, le fait entendre ; il afftfte
à ce couronnement, comme partie
necefTaire 5 tenant un volume dans chaque
"main, f Iliade & f Odyfféc, pârcf
que c'eft le Temps feul, qui en confa-*
crant les eferits des grands poètes, ou
îles efcrivaîns illiiftres, met le fceau i
leur réputation, & leur affeure une
gloire qui ne finira jamais.
Aux deux collez de la chaife, il y a
deux petites figures à genoux ; celle
qui eft à Ja droite d'Homere^c'eftllIia^
de , comme l'apprend le mot 1 Ai AS.
qui eft au deffous* & fans le mot met
me on ne latfferoit pas de la connoiftre
'à fefpée qu'elle tient, & qui marque
les combats deferits dans ce poème.
La figure, qui çft à la gauche, &
dont on ne voit que fa tefte & la main,
c'eft rOdyffée, comme fe mot o AT2-
SEIà le fait entendre, & comme on la
reconnoMt à ce qu'elle tient à la main-,

42 tA VIE
qui eft'un ornement de h poupe cfun
vaifTeau, & qu'on appelle* acrojhlium,
& àplujlre/car c'eft pour marquer les
voyages cFUIyïTe , comme Strabon
nous apprend qu'à de pareils ornements,
que l'on voyok dans un temple de Minerve
en quelque ville d'EJpagne y on
teconnoiffoit qu'UIyffe avoit elle pifques-fà.
•
" Enfin Tous les pieds d 5 I|omcre ' an
Bas de fon marche-pied, on voit deux
rats qui rongent quelque ' chofe. On a
prétendu que c'eftoit pour marquer le
poème àc la Batrachomyornachie, du*
combat des grenouilles & des rats, maïs '
Î * en doute fort, & je fuis perfuadée que
'habile fculpteur a voulu marquer par
ces rats, ces iofedes jlu ParnafFe, ces
mefchants àutheurs, qui n'ayant pu parvenir
à faire eftimer feurs ouvrages, ont
voulu- fe venger de ce mefpris fur les
ouvrages les plus eftimez ; & qui lors
que fe Temps & fa Terre entière couronnent
Homère, ont pris à tafche de
le décrier. If y en a eu plufieurs â'ans
Fantiquité r comme nous. le voyons

D'HOMER'E. 43-
dans Ariftote, dans Strabon & ailleurs,
car il y a eu des goufts'dépravez dans •-
tous Jes fiecles. Cette faîte fi décriée
s'eft renou vellée dans les derniers temps;
peut-eftre mefme n*eft-elle pas- encore
entièrement efteinte aufourd'huy, mal- •
gré le ridicule affreux "dont elle a elle
couverte. Si fofois je prendrais Ia-.fi- -
berté de fournir à ces cenfeurs , qui
condamnent Homère fans le coilnoif- '
tre , un raifonnement qui me paroift
bien fînipfe, & que le fens commun
doit diefter. Je voudrois donc qtte chacun
de ces critiques fi prefomptueux
vouhift~'raifbniier de cette ^manière:
Tout ce qu'il y a eu de plus grands €
hommes & de plus forts génies depuis te
deux HïiHe cinq cents ans en Grèce, en «
Italie & ailleurs; ceux dont on cft for- «
ce "encore aujourd'huy d'admirer les ce
cfciks; ceux qui font encore nos mail- «
très, & qui nous enfeignent à penfer, à «
raifbnner , à parler, à eferire, tous ces ce
gens là reconnoiifent Homère pour le «
plus grand de tous les poètes-, & fe$ «
poèmes pour ta four ce des richefles- de «

LA
. 44
» toutes les autres pôè'fiés; c'eft'&r fayv
» qu'on a formé fes règles despks nobles
» de' tous les poèmes, pour en conftituer
»-Part; des hommes très écïairez,dès bornai
mes d'un efprit très pénétrant, & d'un
^jugement très jufte, nous y font remar-»
» quer des beautèz finguiieres-&des.cbar*
» mes infinis. Tous ces gens là ont porté
» leur jugement fur ce qu'ifs ont vu, exa4
» miné, connu ; au lieu que moy je juge
» 4 e ce que je n'ay ni vu, ni connu, ni
» examiné, puifque je n ay'jamais lûHo-
» mère dans fa langue, & que je fuis inca-
» pable de lé lire, ou de le bien lire; com^
* ment puis-)e donc prefumer que mes
» décifions prévaudront fur celles de tant
» de juges fi efclairez & fi refpeétables
» qui n'ont pu élire trompez ! cela n'eft
»pas poffible. Et enverité dans les chofes
mefmes que l'on auroit examinées avec
. le plus d'attention, & que l'on croiroit
le mieux connoillre, & entre égaux, la
fageffe, tousjours conforme à l'ordre f
& qui n'eft elte-mefme que Tordre, voudroit
qu'on foumift fon lentiment particulier
à celuy du plus grand nombre,
^ r £

D'Hb MERE, 45
t & encore plus à ephy de tous les temps-
1 & cfe tous les lieux.
Tous ces aveugles cenfeurs qui veulent
à quelque prix que ce foit critiquer •
Homère f auront ieau unir leurs efforts
, jamais ils n'pfteront à ce grand
Poëte la couronne que le Temps & la
Terre entière ont mife fur fa tefte, &
qu'il a fi bien méritée par fes eferits im- •
mortels.

Argument • du L Livre.
CHryfes, Prepi d'Apollon, vient m camp
des Grecs pour racketter fa fille, qui efiok •
efchve d'Agamemnon : ne pouvant l'obtenir, £f
'tant mefme renvoyé honteufement par ce Prince»
M adrejfefes prieras a Apdlm, ir le:prie de le
venger.; fes prières font exaucées ; ce Dieu envoyé
une horrible pep qtë ravage tout k camp.
Sur cela Achille convoque une ajfemblée,, dam
laquelle Calchas, après s'epe afjeuré defapro*
îeéMon, explique aux Grecs la véritable caufe
de kurs malheurs; il leur déclare qu'il n'y a de
moyen d'appaifer la colère du Dieu, que de renvoyer
Chryfeïs à Jon père fans rançon, fr de
mener mec elle à Cnryfa une hécatombe» Ck
avis defplaijl a Agamemnon; ît's'emporte contm
Calchas ir'contre AchUk, ir envoyé dans 'L
tente de.ce hews enlever fa captive Brifeïs» Cet
affront le jette dans une cûlere furicuje contre
les Grecs; il'nemutplus les fecourir; ilfc tient
dansfon quartier avec toutes Jes troupes, ir refafe
de les mener au combat. Thetis, a la priete
de fon fils,monte au Cul, if prie Jupiter de
rendre les Troyens viûorieux, afin défaire counoipe
aux Grecs le tort qu Agamemnon à eu
d'ofenfer Achille s Jwwn connoipim ce que Jupiter
à promis à cette Déeffejuy enfaitfespkmtes,
irfe brouille avec luy. Vukam ks raccommode
dans m fiJHn,
^ILIADE

L'I L I A D E
D'HOMERE.
LIVRE
\ E E S S E 3 chantez ïa coîere
! d'Achille, fils de Pelée; cette
J coîere pernfcieu&~qui caufà
tant de malheurs aux Grecs , & qui
précipita dans le fomtre royaume de
PIutOB les âmes genereufes de tant de
Héros, & livra leurs corps en proye
aux chiens & aux vautours, depuis le
Jour fatal qu'une querelle d'efdat eut
- divifé le filsd Atrée & fe divin Achille
; akifi les décrets de Jupiter saccompliffoient.
-Quel Dieu les jetta dans ces
diiïentioBs î Le fils de Jupiter & de
Latonc irrité contre le Roy qui avoi*
Tûmel
. A
L

ft U I L I A D E
deskonoré Chryfés fon fâcrificatcuf,
envoya fur l'armée une afirewfe ma*
ladie, qui cmportoit les.peuples. Car
Chryfés eftant allé aux" vaiffeaux dm
Grecs chargé de prefents, pour la ran-
1
çon de fa fil le, & tenant dans fes mains
, les bandelettes famées d'Apollon avec
le feeptre d'or, pria humblement les
Grecs, & fur tout les deux filsd'Atrée
» leurs généraux : Fils d'Atrée, leur dit*
P» il, & vous, généreux Grecs, que fes
p Dieux qui habitent FOIympe, vous
» fefTentla grâce de deftruire Jafùperbe
yy ville'dePriam,&de vous voir heureux
» fementde retour dans voftre patrie;
+ maisrendez-moy ma filleen recevant
) ces prefents, & refpecftez en moy h
• filsdu grand Jupiccr, Apollon dont les
. traits font inévitables.
. Tous les Grecs firentconnoiftre par
un murmure favorable, qu'il fklloif
refpeéter le miniftre du Dieu, & recevoir
(es riches prefents. Mais cette de­
i
mande defplut à Agamcmnon aveuglé
par ûL colère. 11 renvoya duremenf
Chryfés f & accompagna fon relus d«

tf H O M K R E. livre I. J
Itienaces : Vieillard, loy dit-il, que je *
ne te trouve pas déformais dans mon *
camp, & quïl ne frrrive jamais d y fé- *
venir, fi tu ne veux que fe fceptrê & *
les bandelettes .du Dieu, dont tu es fc «
mimiire, -ne te foient iputîks. Je ne te «
rendray point ta fille avant-qu'elle ak «
vieilli dans mon palais .à-Argosloin de «.
ia patrie* travaillant en laine & ayant «
ibin de mon îîét Rétîre-toy donc, & «
ne m'irrite pas davantage par ta prefen- •«
ce, ïï tu as quelque foin de tes jours. «
' ' Ces menaces intimidèrent ie vene*
table vieillard ; if obéît, & plongé dans *
une profonde triftefle, il s'en alla le
long du rivage de fa mer. Quand if fe
Vit feul Se -éloigné .du camp, il adreflk
C€tte prière à ÀpoIIott: Fils de Latone, *
^feoutez ma voix; grand Dieu,dont*
les brillantes flèches font fi redouta-*
Mes, qui protégez Chryfa & fa- divi- «
ne Cyffa, & qui deffendez .avec tant c
tf éclat Tenedos, Dieu de Smtnthe, û *
jamais fay orné de fêlions voftretem- «
•pie d'une manière qui vous ait efté a- *
grçaMe;fijamaw YQBI y.ous cftes pi»*'
À ,i)

» aux facrîfices de taureaux & de dievret
m que fay offerts fur vos autels, exau->
» cez mes vœux* & que Jes Grecs acca*
» Mez de vos traits payent chèrement
» mes larmes.
. Sa prière n'eftoirpas achevée, qu%
Apollon l'exauça. II defcehd des foin-»
mets de POïympe,Ie cœur plein de colère,
avec fon' arc &.fon-carquois : les
• flèches agitées par le vol rapide de cç
• Dieu irrité, rctentiflbient fur f^s efpau-
; les, & couvert d'un nuage, ilmarcfioig
femblable à fa nuit. II s'affk loin des
vaiffeaux & tira fcs flèchesqui fendis
• ren t lesairs avec un fiflemcntépouvan-*
table. II ne frappad'abord que les mu*
Iets-& les chiens; mais bientoft après
les Grecs furent cux-mcfmes fa proyo
de fes flèches mortelles, & fon ne
_.voyoit par tout, que monceaux, de
morts fur des bûchers qui brufloieni
fans ccflc.
Pendant neuf fournies traits duDien
volèrent dans toute f armée,& le dixième
four Achille infpïré par la DéefTe
Junon ; qui protegeoit les Grecs, & quj

&Ho M!ït Lhre /. f'
éloït touchée de les voir fi malheu-'
" seulement périr, convoqua une alleu*»
Mec. Les, Grecs eftant donc tous affêmJblez,
Achille fe ieva 5 & Yaddret*
finit à Agamemnon : Fils d'Atrée, luy «
dit-il, je vois bien prefentement queC€
fi nous fommes aflez heureux pour é- (c
vher la mort, nous ferons obligez de c
retourner fur nos pas, & d'aller en-C€
core errer fur la vafte mer, puifque a
lagueirc & lapeffe fe joignent enfem- *
ble pour nous defbuire. Mais voyons, c
confultons quelque Devin, quelque «
Sacrificateur,'ou quelque Interprète

Caïcbas fils de Theflor fe leva. -H et 1
toit le plus cfclairé de tous les Devins,
I fçavoit le prêtent, le paffé, & l'ave-*
nïr; & à caufè des grandes connoïffances,
dont Appollon i'avoit enrichi,
H avoh efté choifi pourconduire
- à Hkm les vaifleaux des Grecs r s'eftant
donc levé, il parla en ces termes^
qui marquoknt fa*prudence & fk &•
geiïe.
» Achille, vous m'ordonnez de de-
» çlarer le fujet de la colère d'Apollon,
3» & je vous obeïray ;mab affeurez-moy
» auparavant, & jurez-nioy que vous
». elles preft de me deiîêndre, non feuas
lement de parole, mais de fait. Car je
» ne doute pas que je ne m'attire celuy
Où qui cft icy le plus puiffant, & à qui
» tous les Grecs obeïffcnt. C'eft un re-
» doutable ennemi pour un particulier,
^ qu'un Roy irrité. Car quoyque d'à-'
» bord il furmonte là colère, il en cou*'
» ferve toujours dans fon cœur quel-
» que fouvenir, & dans les fuites H.no
» trouve que trop le moyen de fe fatis-*
» faire. Dites-moy donc fi Yousiaeg*-

fi' H â M •£ R E. Livre L- 7
fàntirez de fa fureur. Achilfe fuy dit : «
Ca f chas, expliquez-nous fans crainte fa

t VI L I A Dl
» Il voudra tien fc ïaifler fléchir*'
Calchas ayant ceffé de parler, s*aiî»
fit; & Agamemnon outré de colère
de ce qu'il venoit d'entendre, le cœur
rempli de foreur & les yeux eftincelants,
fe leva,. & jettant de terribles
» regards fur Calchas, Devin, qulnepré-
» dis' que des malheurs, luy dit-Il, tu
» ne m'as jamais rien dit d agreaMe tu ne
» te plais qu'à prophetifer des maux* &
» Jamais on n'a vu de toy une -bonne ac-
» tion, ni entendu une bonne parole.
» Prcfentement tu viens îcy débiter aux
» Grecs tes prétendus oracles d'Apoi-
» lon-,que les malheurs,que ce Dieu leur
» a envoyez, viennent de ce que je n'ay
» pas voufu recevoir les grands prefents
» qu'on m offroit pour la rançon de
» Chryfeis; en effet j'aimerois beaucoup
» mieux la garder, & je la préfère mef-
» me à la Reyne Qytemneftremafem-
» me : auffi ne luy cft-elle inférieure, ni
» en beauté, ni en efprit, ni en adreffe
» pour les beaux ouvrages. Cependant
a> je veux bien la rendre, fi c'eft Fimc-
» reft ic$ Grca. Car qui doute que |t

JD'Efo'lf ERE. Livre I. 9
ît*aïme beaucoup mieux le fâktde mon «
peuple que fa perte î mais en mefme «r
temps preparez-moy un autre prefent, ce
afin que je ne fois pas le feu! de tous les «
Grecs, dont fa valeur demeure fans re-

io *- LMlIÂD'ï
» non, n'efperez pas me tromper ; que*
» que redoutable que vous foytz, vout
* ne pourrez ni me perfuader ni me fur^
» prendre. Voulez

D* £To M E Itl. livre t n
- Achille, les yeux pleins de fureur,
Ah ïafche, luy dit-il, Roy r qui por-

12 L* I i i à'.J> A < -
» ré mon courage. Quand nous avons
s faccagé quelque.ville des Troyens »
» jamais ma recompenfe n'a elle éga-
» le à la voftre, Ceft pourtant fur imoy
s que tombe tout ce qu'il y a de plus pc-
.> riifeux & de plus difficile dans cette
» guerre; & forfqu'il s'agit de partager
» lesdefpoûilfes, on vous choifit ce qu'il
» y a.de meilleur; & pour moy,après
» que fay bie.n combattu , & que fay
» bien expofé ma vie, il faut que je me
» contente de porter dans mes vufleaux
» pour ma part, ce qu'il y a de moins
» confiderable : maïs je m'en retourne
» à Phthie; car il m'eft beaucoup plus
» avantageux de me retirer chez moy
a avec mes vai(feaux;& quand je feray
» parti, je ne penfe pas que dans le met
a pris où vous allez tomber,- vourfaf-
* fiez icy un grand butin % & que vous.
» y aimflïez de grandes ricbelTcs.
» Agamemnon luy répondit: Va,fay f '
3e puifque ton grand courage ne refpire
9 que la fuite. Je ne te. prie point de de-*
* meurçr pour l'amour' de moy, fay a£
fez d'autres braves guerriers qui m'ai^

B'HOMEII. '-livre l Ifferont
à me venger ;. & Jupiter furc
tout n'abandonnera pas ma défenfè. «
De tous les Roys, enfants de ce Dko

i ' -V'î tiABt

me : c'elt pourquoy, Achille, modérez- «r
vous, n'achevez pas de tirer f efpée, SL #
contentez-vous de repouffer cet a£ «
Iront par des reproches, quelque chofe #
qui puifTe arriver : car je vous promets «
que l'injure qu'on vous fait, iera hau- «
tement réparée par des, foumiffions & *
par un très grand nombre de niagnifi- *
ques prefents',qui vous confoierontde •
ix perte de celuy qu'on veut vous en- «
lever. Retenez donc voftre colère, fui- «
vez mes confdk Déefle, luy rcfpondit *
AchiIIe,ii faut obeïr à vos ordres,queI- « :
que irrité qu'on foit, c'eft tousjours le «
meilleur parti, car les Dieux efcouteet «
favorablement les prières de ceux qui «
leur obeïfTent.En achevant cesproles, •
M repoufla I'efpée'dans le fourreau, &
fuivit le confeil de Minerve. La Déefle
s'en retourna dans l'Olympe-au palais
ëc Jupiter, où eftoient tous les autret •
Dieux,.
• Elle n'eut pas pluftoft

*6 ' UILIADI
» bouche. Infenfé, luy dit-il, à qui les
» fumées du vin troublent la raifon, qui
3§ as l'impudence d'un chien dans les
*• yeux, & la timidité d'un cerf dans le
» cœur;tu n'as jamais eu le courage de
» prendre les armes pour paroiïtre à la
* telle de tes troupes un jour decorabat,
» ni pour aller en embufcade avec les plus-
»• vaillants des Grecs; car tu crois voir
2» par tout la mort à tes trouffes. II vaut
• » bien mieux courir par tout le camp,
» & ravir le tien de ceux qui ont l'auda-*
3» ce de te contredire. Roy qui tenour-
» ris du fang de ton peuple, parce que tu
» commandes à des lafehes; car fi tu com*
» mandois à des hommes, fils d'Àtrée,.
>5 tu nous aurois outragea aujourd 5 huy
» pour la dernière fois. Mais- j'ay une
» çhofe à te dire, & je te la confirmeray
» par ferment Jeté jure donc par ce feep-
» tre, qui depuis qu'il a elle feparé du
* tronc de l'arbre qui Fa produit fur les •
» montagnes, ne poûfle plus de feuilles
"» nide rameaux, & ne reverdit plus, dc-
» puis que le fer l'a defpouillé de fes feiiïl-
* ks& de fou efeorec ; je te jure* dis-je,-

• D ' H O M I R I , livre I. 17
fttr ce fceptreque ponent prefentc- «
ment dans feurs mains les Grecs, à qui «
Jupiter a confié Iesloix& la juftice, & «
c'efi le plus grand ferment que je puif- *
fe faire, qu'un four viendra que les «
Grecs auront grand befoin d'Achille, «
& que tu ne pourras les fecourir, quel- «
que douleur qui te dévore, torfque tu «
les verras tomber fous les coups de «
l'homicide He&or; ce fera pour lors «
•que tu fentkas defehirer tes entrailles, «
& que tu auras de mifmts remords «
de n'avoir pas mieux traïtté le plus vafl- '*
Jaht des Gréa* . *
En achevant ces paroles r il jetta à -
ferre fon feeptre, .& s'aflit. Agamem- -
non alloit fe porter à quelque extrémité
funefte, lorfque Neftor fe leva : :
il eftoit Roy de Pylos, & le, plus élo- •
quent de fon fieele : toutes les paro- •
• les qui fortoient de là bouche, eftoienc •
'plus douces que le miel. II avoit des-
|a" vu paffer deux âges d'hommes, Se •
il regnoit fer la troifiéme génération.
II parla en ces termes, qui faifoknc • '
connoMtrc fa grande prudence.O quel- «

; it VI LlÀfll
» le douleur pour la Grèce, êc queïffi
* foye pour Priam, pour fes enfants &
* pour tous les Troyens, s'ils viennent
* à apprendre les _ diffamons des deux '
» hommes gui font au deffus de tous les
» Entres Grecs par la prudence & par le
» courage!Mais croyez-moy tous deux,
» car vous elles plus jeunes, & j'ay fre
» quenté autrefois des hommes qui va-
[» loient mieux que vous, & qui ne met-
» prifoient pas mes confeils* Non, je n'ay
» jamais vu & je ne verray jamais de fi
» grands perfonnages que Pirithous ^
» Dryas, Cenée, Exadius, Polyphéme*
» égal aux Dieux, Thefée fils d'Egée f
» femMaMe aux Immortels. • Voilà les
» fins vâillancs hommes que la terre aie
» portez; mais s'ils eftbient vaillants, ils
» comhattoienc aufli contre des ennemis
» très vaillants, contre les Centaures des
» montagnes, dont la défaite leur a ac*
» quis un renom immortel. C*eft avec
» ces gens-là que j'ay vefeu à ma premie*
» re fortie de Pylos, loin du Pclopon-
» nefe ma patrie. Je tafehois de les efga*
* 1er félon mes forces* & -parmi touè

ï>* H ù M t t 1. Livre t. tp
ïes hommes qui font aujourd'huy, if à
m'y en a pas un qui euft ofé feur rien «
difputen Cependant, quoyque je fut- «
fe fort jeune, ces grands hommes ef- *
coutoicnt mes confeifs. Suivez 4eur «
exemple, car c eft le meilleur parti. «
Vous, Agamemnon, quoyque le plus «
puiflant, n'enlevez point à Achille la «
fille que les Grecsluy ont donnée. Et «
vous fils de Pelée, ne vous'attaquez *
point -au Roy : car de tous les'Roys «
qui ont porté le feepore, & que Jupiter «
m eflevez à cette glofre^M n'y tn a jamais «
eu de fi grand que luy» Si vous avez «
plus de valeur, & û vous eftes fils d'u- «
ne DeefTe, il eft plus puMant, parce *
qu*il commande à plus dépeuples. Fils «
d'Atrée, appaifêz voftre coïere, & je *
vais prier Achille de furmonter la fiert- «
ne ; car il eft le plus ferme rempart des «
Grecs- dans les fanglants combats. «
- Neftor, répondit Agamemnon, tou- «t
tes vos paroles font pleines de vérité, & «t
-marquent voftre grande fageffe ; mais «
cet homme veut dominer partout, cf- «
tre le maiftre par tout, emporter tout «

fto L • I l I A D E " •
p de hauteur & donner la loy à tout fé
» monde; & je ne penfe pas qu'il y ait icy*
» perfonne qui foit d'humeur à plier fous
» îuy. Si les Dieux immortels font fait
* vaiilant,luy ont-ils auffi donné le droit
p de nous dire des injures! AchilleFin-
» terrompant, Iuy dit,- II faudrpit que je
» fuffe le plus kfche des hommes, fije te
» cedoisen quoy que ce foit; comman-
, de donc aux autres, & jamais à moy f
® car jamais je ne reconnoiftray tes or-
» dres. Jeté diray bien davantage,-& eu
. » n'as qu'à t'en bien fouvenir ; c'eft quç
» je ne prendrayles armes pour cette fil-
» le, ni contre toy, ni contre ceux qui
m viendrontde ta part, puifque vous me
» rodez* après me l'avoir donnée; mais
» de toutes les autres chofes qui font dans
» mes vaiffeaux, il n'y en pas une feule
» que tu puifles m'enlèver maigre moy r
» & fitu veux, tu n'as qu'à en faire Ferai
perience pour faire efclater ton pou-
» voir aux yeux des Grecs; on verroie
a» bien-toft ma picque teinte de ton fang.
Après tous ces-emportements % ils fe
' • levèrent & rompirent FaffemMée. A-

B'HOMtËÉ, 'Livre T. 9t
ebHIe fe retira dans fou quartier avec
Patrocfe fils .de Menetius & les autres
Thcfiàiiens ; & Agamemnon fît mettre
en mer un de fes navires avec vingt
rameurs, & le fît pourvoir de victimes
pour l'hécatombe, qui devoit eftre offerte
à Apollon. Ily piena fuy-mefmc
la belle Chryfeis, & l'y fît monteri
& ^Jlyffe fut choifî pour la conduire :
on mit à la voile, & le vâiflcau fêndif
• le vafte fciii de la mer.
- Auffi-toft Agamemnon ordonna z
toute l'armée defe purifierrils fe purifiereniions,
& fetterentdans la mer ce qui
avoit fervi à leur purification. Sur fe rivage
mefmc on offiroit à Apollon des
hécatombes parfaites de taureaux &
cle .chèvres ; la vapeur de la graille des
vînmes mon toit au ciel dans de longs
.tourbillons de fumée,
Péndanrque l'armée eftoît occupée
m ces facrifices, Agamemnon n'oublioic
ias la menace qu'il avoit faite à Achille.
ÎI appelle Talthybius & Eurybate k$
deu-x hérauts, quifç tendent toujours
prés .de fe perfonne pour exécuter fa

ftt L'ItïADI
». ordres, il leur dit, Allez à la tente

D'Ho M E RE. 'Vme L i|.
Bwins; & vous, hérauts , foyez té-c
poins devait les Dieux & devant les «
hommes, & devant"ce Roy cruel & «
intraitable, fi jamais je fuis neccfiàire «
pour repoufTer fes malheurs .dont font «
• menacez les Grecs. Car pour luy, c'eft *
un furijeux, qui n'eft capable que de «
fuivre fes veûè's pemïcïeufes; & qui ne «r
pouvant Juger de l'avenir par le paffé, ce
ne fçauroit prendre les mefures necef-- «
feires pour mettre les Grecs en eftat de es
combattre fur leurs vaiflèau fans dan- *
gcr. ^ ce
Patrocle .exécuta I ordre d'Achille,,
il an^ena. Brifeis, &-Ia mit entre les •
mains des hérauts, qui auffi-toft repris
rent le chemin du camp;mais elle les
fuivojt à regret & dans une profonde
triftefle. .
Après leur départ, Achille verfânt des
larmes, s'aflit loin de fes amis prés du
rivage, les yeux attachez fur la mer ; &
ià, les mains étendues, il adretfbit fes
prières à Thetis : Puifque vous m'avez c
donné une vie, qui doit eftre fi courte, c
luy difofc-il, jppitcr.quilan.ee le tonne- «

s£. -' LMtlÀDS
» rc, devait m moins la rendre éclatant •
> te parie grands honneurs ; mais bien '
» loin de m'accorder. la moindre diftin-
* âion, il fouffre qu'Agamemnon me
» déshonore : car ce Prince a prefente-
» ment Iarecompenfe

'HoMEl 1, Lhri I. 15
jurent la belle Chryfeis pour le fils d'A- *
trée.Cfary fés père de cette fille & grand *
PreftrecPApollon, de ce Dieu dont les «
traits font inévitables, eft vend! aux «
vaifleaux des Grecs pour la rachepter, *
chargé d'une rançon très riche,&tenant «
dans fes mains la couronne d'Apollon «
& le fceptred'or.II prîoit tous les Grecs «
& fur tout les deux filsd'Atrée leurs «
généraux: les Gréa recevoientfavora- «
blertent les prières, & eftoient d'avis «
qu*on rclpeétaft le grand Prellre, & «
qu'on receuft fesprdfens; mais cela n'a «
pas plu à Agamemnon, il a renvoyé. *
Chryfês avec des paroles fort dures.

36 ' V I l Î.À D ï
* » niefme tcmpi que fesGrçcs mènent î\
» Cfiryfa cette fille avec des viétimes
y> pour ce Dieu, les hérauts font venus de
» la paît dans ma tente, & ont emmené
s> Brifçis qui m'avoit elle donnée pour
: s» recompenfede mes travaux; c'eftpour-
*> quoy, fi vous le pouvez, feeourez vof
» tre fils, montez dans l'Olympe & flé-
» chiffez par vos prières le grand Jupiter,
% fijamais vous fuy avez elle utile,' foie
» par vos confeils, foïtpar vosfervices :
m car Je me fouvïens de vous avoir fou*
.» vent ouy vanter dans le palais de mon
* pere,que vous aviez feule fàuvéceDicu
* du plus grand danger qu'il euft jamais
» couru, Torique les autres-Dieux Ju-
•% non, Neptune & Minerve avoient ro
>> folu de le fier : vous feule vous prévinfe
tes l'effet de cette confpîration & vous
b le garantîtes de ces cfiaifnes, en appelb
laotdans le Ciel le géant à éent mains,
» que les Dieux nomment Briarée & les
s© hommes Egeon, qui ayant plus de for^
*> ce quefon père, s'affit prés de Jupiter
» avec une contenance fi fiere & fi-ter*».
9 rible, que les Dieux épouvantes re»

tP H O M % E R S. JCflW /. «^
'fiôncereEt à leur entreprïfc. Faites le *
donc reflou venir dé ce$grands'ferv.kes «
que vous luy mveE rendus ; & en ein- «
bïafiant&s genoux, >ta&hez de I'oMi-«
fjcr à -fccounr lesTroyens, & à per-^ «
mettre que les Grecs foïentipouffez & c
renfermez ém$ leurs vaiflcauj[ avec «
.une grande perte., afin qu'ils jouiflent «
tous de la fageffedb leur Roy ; -&-

%f • V I 1 1 A D K
a hommes, tout ce que je croiray ïe pïuf
^ propre à le fléchir;cependant 5 mon ûh 9
9 demeure fortes vailfeaux, & donne aux.
a Grecs des marques detonrcïTentiment,
B en t'abilenant de- combattre : car Juplja
ter alla hief aux-extremitez de FOcéan
>5 chez les fages Ethiopiens, qui Font
a prié à un feftin; tous les Dieux. Font
^ îuivi, & il neretournera au Ciel que le
a douzième jour ; je ne manqueray pas
, de me-rendre auffi-toft dans fon palais^
^ j'embrafleray fes genoux, & fefpere
-^ qu'il ne rejettera pas mes prières. En a*
. chevant ces mots 5 elle difparut, & faiffâ
Achille plongé dans la douleur de h
perte de la belle Brifeisque Fon venoii
de luy-enlever.
• . CependantUlyffe, qui conduifoit à
Apollon l$ecatombe facrée, arrive
dan* le part de Chryfa; on plielesvoïles,
pn ; abbat- le mail for -le courtier. &
à force de raines on aborde; on jette
les ancres, & on attache les cables à la
pouppe-du vaiffeau pour le retenir; on "
defeend furie rivage, on fait fortirles
vidimes. Chryfeis defcenclauffi, &

D'HOMER E.-L'ivre I.. sp
.XJJyiTe la prenant par la main la mené
%'TautcI, & la prefente à fon Père, '&
îày dît : Chryfës, le grand Roy Aga- «
fnemnon iti a envoyé pour vous amc- «
ner voftre fille , & pour offrir à Ap-'«
pollon née hécatombe facrée en fa- ce
veur des Gréa f afin que nous faffions «
tous nos efforts pour appalfer ce Dieu «
qui nous a accablez de maux épou- «
vantables que nous ne fçaurions affe ce
pleurer.
ce
- Après îuy avoir aïnfi parlé, ïî ïuy
remet la fille entre lés mains. Chryfés
la reçoit avec MI» extrême foye, -
En mcfme temps ïçs Grecs • rangent
les vuSimes autour dti 'futef,ils lavent
les mains, & préparent l'orge fitàré,'neçeHàire.
pour I'oblatfon du faaifice,
pendant -que Chryfés levant les mains
gu "Ciel' prioit pour eux à baute voix;
Grand Dicu dont les traits font fi rc- c€
^foutabfes, qui protégez Chryfà & la «
divine Cylfa, .& qui deffendezTene* «
dos avec tant d'efclat ;' vous avez déjà «
exaucé mes vœux, vous m'avez ven- *
•gé\ & vous avez fait fentir aux Grca %
' Bfij '•

•p . . ï / ï I . I A D fi- .
» les fanefles effets de voflre coîere;daî*
» gnez exaucer de Hiefme aufourd'huy
» f es prières que je" v'om addirefle en : leur
> faveur, & effoignez d'eux la pelle qui
» les dévore.
Apres ce prières, qui furent exaucées-
dan-s le 1 moment, ils confièrent
• les vidmies par forge fac'ré, ils leur
tourhent la telle vers fe ciel, ils les
cfgorgent & les dépouillent; ils coupent
enfuite les cuifles, ils les enveloppent
d'une double graïffe, & met*
tent par deffus des morceaux de toi»-
, tes les autres parties» |x facrificateur les
lait bruffer luy-mefme fur le bois de
faute,!, & feit les afperfions de vin*
Prés de luy de jeunes hommes tejioient
des broches à cinq rangs toutes
préparées, Quand les cuifles- furent
toutes confumées parle feu;&qu' oa <
eût goufté aux entrailles, on coupa le
ïeic par morceaux, & on le fitroftir
avec grand foin. Tout eftan&preft, -les
tables forent fervies & ftm fe plaça*
Chacun fut content delà portion qui
luy avoit elle dMkibuée ; & quand ffr

tepàs fut fini* .de jeunes gens rempli*
rent de vin de grandes urnes, d'où ifs
¥erfoient dans les coupes qu'ils préfet
toient à tout le monde. Apres avoii
fait les libations on ne s'occupa le relie
du jour qu'à defarmer la colère d'-*
Apollon , en chantant des hymnes à
fou honneur* & ce Dieu prenoit plai-
'"fir à fes entendre.
Quand le ibleil fut couché, & que
les ténèbres commencèrent à le répandre
fur la terre 9 les Grecs iê retirèrent
'& paflêrent la npît prés de leur vaif*
feau; & fe lendemain dés que f aurore
aux,doigts de rofes euft doré fe fomftiet
des montagnes, ifs fongerent à s'en
ïetourner au camp. On commença
donc à appareiller pour le départ, 011
drefla le maft & on déploya les voiles.
AppoIIon ïeur ayoic envoyé UH •
vent fifavorable, que dans un moment
if leur déroba fe rivage; fes ondes et
cumeufes batioient avec grand brek le
vaifieauqui fendoit rapidement le feiii
de la vafte mer.
Dés qu'ils furent arrivez à l'armée,
'Biiij

9pL LMl'lADf '
cjulls eurent tiré le vaifTeàu fur ïc riva*
ge, & qu'ils l'eurent mis fur les rouleaux,
ils fe difperfercnt dans leurs feules
& fur leurbords. ' -
Cependant Achille irrité, fe tenoit fur
fes vaiffeaux, *& n'alloh ni aux affem-
Mées ou les-hommes acquièrent tant de
gloire par leurs figes -confeils, ni aux
combats ; mais il demenroit-Ii fans action,
fefaïffant -dévorer 1 la triftefTe, &
- foupirant après fes alarmes &Ies aflauts.
Le douzième jour, dés- que Jupiter
fut retourné fur l'Olympe avec tou$
ks autres Dieux, Thess qui n'avoït
oublié ni les prières de fon fils, ni la
jpromeffe qu'elle luy avoit faite, quitta
à la pointe du jour les profonds abyf*
mes de la mer, & ferendit au Ciel : elle
trouva Jupiter à l'efeart fur le plus haut
fommet de l'Olympe. La DéefTe s'affîc
devant luy, & embrafônt fes genoux
de h main gauche, & prenant de là
droite fon menton ,elle le fupplia en ces
» termes : PuifFant Jupiter f fi |amais|'ay
» eu le bonheur de vous donner des
» avis utiles &

ft'R.OMERi. LlmL 53
*es qui vous ayetit cfté" agréables, je ce
vous conjure d'exaucer mes vœux & «
de combler d'honneur mon fils. De c
tous les héros, c'eit celiiy dont la vie m
doît-eftreia plus courte ;'

34 Lrj'trïirf :.-.
lie Dieu qulfancêîé tonnerre luyrc^.
» pondit avec un profond foupir : Quek _
3t> funeftes malheurs af fez-*vous caufer en
» m*obligeant à me fefcher contre Ju^
» non, qui ne 'manquera pas^de venir t
» inirriter par fes plaintes ordinaires tour
3> jours pleines d'inveélives ; car elle ne ,
» perd pas une occafion de me quereller,
ai & de s'emporter contre moy en preà
fènee de tous-' les Immortels; elfe me "
» reproche finisceflfe que je favorife les '
»> Troyens : mais retournez-vous-en, de
' % » peur qu'elfe ne vous voye, fauray foin
» d'accomplir ceque voasfoufaâittez; &
n afin que vous n'en puiffiez douter t |fr
» vais voi*s fe confirmer par un figue de
* teftejMpu eft fa marque la plus feu^-
» re doit feTcefle fa vérité des'promet
» les que je f*is aux Immortels» Car tout
^» ce "que ' j ay authorifé par fa majefté '
» de ce ligne, ne trompe point , efl'irro-
» vocable, &ne manque jamaisd'ani-»
:
ver; En mefme temps M fituii figne- de
lès noirs fburdfsi les facrez cheveux
- forent agitez fur fa telle immortelle du
Dieu- ^ & il ébranla tout l'Olympe» ; - • " '

• 'Après cette promeffc Ils fe fcparc—
îrcnt. Thetis quitta le brillant Olympe
& fe plongea dans la mer, 6c Jupiter
retourna-dans fon palais. A fonarrivée
les Dieu^iè levèrent : il n'y en eût pas -
•un qui ofâft fattendre fur foafïege, ils
allèrent tous au devant de luy :M fe plaça
fur fon throlhe, & Junon f qui n'igno-
•roit pas fon deffeîn, parce qu'elle favoit
veu avec la belle Thctis, luy fitces
reproches avec beaucoup d'aigreur*
Trompeur que vous elles, à qui eft-ce «.
des Immortels que vous venez de don- «;
lier audience ! vous prenez "tousfours c
-plaifir.à vous cacher de moy, &i for- «
•mer desentreprifesfecrettes, & famaïs «
de vous-même vous ne m'avez lait «
part du moindre defiefri que vous ayez.«
•formé.
: Le père dm Dieux & des hommes,
ïuy refpondit : Junon, n'efperez pas «
d'entrer dans tous mes confeils, ce far- «
deau feroit trop pelant pour, ^vous , «
quoyque vous foyez ma femme. Pour «
tout ce qu'il eft jufte & raifonnable que •«
fom fichiez p il n'y a pas un Dku ni «
3 vj

•%6 x V Ix I A D E
»• pas une créature mortelle qui en foîf
» informé avant vous.Du refle, fur tou-
~ »• tes fesrefolutions'que je voudray pren-
» dre fans les' communiquer aux autres.
» Dieux, efpargnez«*vous la peine de
» vous en informer, & ne-vousopiniaf-
» trez pas à les vouloir apprendre.
La grande Juo on fuy repartit :Ter-
5» rible filsde Saturne, de quelle manie-
» re venez ^ vous de me parler ! II mé
» JemMe que jufqu'à'prefent je ne vous
-» ay pas beaucoup tourmenté pour vous
•» obliger à me faire des confidences, &
m que je ne me fuis guère mife en'peine
-m de pénétrer vos iecrets. Je vous ay
-* faiffé former affez tranquiilement toup
tes les refolutions que vous avez voit-
» lu pendre ; & fi je vous importun
» au jourd'huy, x cc n'eft que parce que je
» crains que. m belle Thetis rie vous ail
3 furprk-; car vous ky mm donné ce
* matin une affez longue audience, EHc-
» a embraie vos genQti& &• je fuis pei 1 -
» fuadée que ce figue, do»t nous nous
» fommes apperçeâs, ne fera pas vain,
» & que ce n'a ffié que pour luy confi*-

B'HOMIRE. livre /.' ; ' 37
iner la promeffe que vous.luy avez ni- «
te de combler de gloire fon ûk f Sc de *
•faire tomber fous les', coups des Tro- «
yens la plufpart ie$ Gréa • fur 'leurs m
vaiffeaux mefmes. • «
• - Deeffe eurieufe & inquiète, luy ref «
pondit le maîftre du tonnerre K voilà «
lousfours de vos foupçons; je ne puis «
•rien faire que vous ne vouliez pêne- «
frer; tous vos efforts font inutile^ vous m
•ne -m'empefeherez pas de fairexe que «
je veux: mais vous me deviendrez plus «
odieuie, & cela, vous fera bien-plus*
4ur à fupporter. Si ce que vous loup- «
•çonnez eft vray, c'eft qu'il me pitift & «
qu'il doit eftre. Àffeyei-vous, &• vous «
tenez en repos, ^oyet^oioy, de peur «
que fffapppfintis fut vous mon bras**
invinciMe,touslc$ Dieux* qui habitent «
l'Olympe, ne puiflmt vous délivrer. m
Cette grande Deeffe, effrayéf de cette
menace, s'affit & gardait filence,furmontant
le reffentiment de fon coeur*
••Tous les Dieux de l'Olympe furent
. touchez de fon dépkifir ; & Vuïcain
i Mkftre dans fon art, leur parii amfi,

39 < . VÏLiÂB'r ;• :
• pouf olmer & adoucir l'efprit cïc &
m mère. Voilà des çhofes bien terribles,
B •& des malheurs bien infuppertables, fi
» pour^de miferables mortels, vous ne
» faites que vous quereller T & mettre '
» tourle ciel en defordre. II rfy aura plus-
» moyen de gonfler leplaifir des hûins,
m &' de |omir des délices du Gel;puifquc
» la divïfion règne parmi les Dieux met
m mcSr-Pour moy je coniêille à ma mère* '
» quoiqu'elle n'ait pas • hefoin.de' mes^
» confdls, d'avoir de lacpmpïaifànec'
» pour Jupiter* afin qu'il ne fe mette pas
9.en. colère^ & qu'il ne trouble pis not-
* ire" feïtin ; car s'il veut, M peut nousm
chafler de fon palais, puifqu'il eft plus-
9 fortquc tous les Dieux enfemble; c'eft
» pourquoy dkcs-luy quelque chofe-de
9 doux.& d'agreabic, & vous verrez que
9 fur l'heure mefiuc, il nous monïirert
» un-vifàgefêran.
En, fmiffant ces mois, S fe leva, Se ,
.preienta à- fa mère une coupe, & fuy
9 dit: Prenez patience, ma mère, &'iiip-
9 portcfecôûrageufêmènt ce qui vous ar-
» «ve^uefqueiioiilairqisc vous enref

Vie d'Home rc
paa.jjp.
.KOYMENH XP0N02 IAIAX OAYS2EIA OMHP02

B f H ô-Jkttt fi. ï. -Zfcr*- /. gr
feiitiesÊ, jfe peur que je n'aye'fe dej>la*~«-
ir'de vws.voir maltraiter à mes jmx $ «
Ikns que jepuïffevousfecourincaron «
ne lutte pas impunément centre Jupi- *
ter* & je n'ay jamais oublié qu'une fois «
que je voulus ailer à voftre fecours,il c
.• méprit par un pkd,& œe précipita, du «
Jkre. parvis. Je loulay tout le fou «
cfcnsïès airs ;& corofcnete fokil fe cou* «
choit, je tombay prdque fans vie dans «
fifle de Lcmnos. Les Simiens me m
relevèrent & m'emportèrent, ' «
La belle Junon ncyujts'empefchcr
de foufrirc", & en foiffiritafreMe prit k
coupe des maim de fon ftïs,*quîprefen--
taenfuite à tous fes Dieuxle divin nec-
* tar qu'il puifoit dans fcs urnes facréej# •
11 s'effeva entre les bienheureux Immortels
un rire, qui ne finition point,
de voirVulcain s'eropreflêr à les fervir.
. Ifs pafferent ainfi à table tout le jour
jufqu'au coucher du fokil; & ils nV
voient rien k délirer, ni pour l'a bonne
;chere, ni pour la mufique; car Apollon
jouok de la lyre,. & les mufes chantofent
tour à tour. Mais fitoft que la

illante lunikre du foleilfe cacha dans
Tonde, ils allèrent tous fecoucher,chacun
dans les riches appartements que
Vulcainieur avoit faits par fon art merveilleux
•; Jupiter fe coucha dans le
ïiét ou il avoît accouftumé de goufter
quelque repos, lorfque" le doux fomnieil
fermoit fcs paupières; & Junon
fe coucha prés de ky»

- B'H'O.Mlll.' 41
J
v.. Argument cb Livre IL
r UpkerfeJommt de la prière deThetis,
_ir'voulant relever la gloire• d'Achille, ilen-,
voyé un fonge trompeur à Agamemnon, pour
luy ordonner de combattre mec 'toutes[es troupes*
Agamemnon communique ee fonge' aux
principttux-chefsyif -en •mefme^tempsil^^eque
une afemblée des, Grecs, 'dans la quelle
pour les fonder il leur donne ordre de fe pre~ ^
parer à partir-pour s'en retourner danslew
patrie, Ces troupes laffes de la longueur du
$ege, if ne pénétrant point le defein du Rûy,
fe difperfent en mefme temps, if vont préparer
'leurs Vaifeaux; mais Ufyfe if Neft&r.
Tes retiennent, les uns pat prières if les au-*
hres par menaces*- ÛfyffecÈaftie ïinfolence. de
: Therfoe qui s'emportait contre Agamemnon.
'Ce Général après avoir fait unfacrifice a Jupiter
if un grand feftin à tous les généraux',fak
mettre fes troupes en bataille, ce qui donne
'lieu au dénombrement desVaifeaux des Grecs
ir de leurs Capitaines, if à a luy des Troyens
if de leurs alliei*
mm

mmmtf m $+«**¥
L'I L I A DE
CHOMERE
*
L'IVRE IL : ;
TOus les autres Dieux & fous
les hommes dfû 'camp dés Grecsclorm
oient tranquillement pendant la
nuit; mais Jupiter ne gouftoit point
les douceurs du fommeil, car il chelrchoit
en fuy mefme ïes moyens "ïes "
plus prompts, pour relever la, gïoirc
d'Achille, & pour faire tomber-les-
Grecs fous les coups des Troy cns dans
leurs vaiffeaux mefmes. Enfin fexpepediént
qui ïuy parut le plus propre à
ion deffein, fut d'envoyer'un fongo
trompeur au fils d'Atrée ; il appelle
s* donc ce Songe,& ïuy dit: fongefedu-
»ltair, allez promptement aux vaM^

L'IiiÂD.'tf jffîdHERE. 43
Jean» des Grecs centrez dans la tenté q
cPAgamemnon f & dites à ce Prince %
îout ce que je vais .vous ordonner;**
commandez-fuy qu'il fàffe armer tous «
les Grecs, qu'il mette toute fon armée «
en* Bataille;faites-iuy entendre que.«
vofcy te jour qu'if va fe rendre maiftre «
de la grande ville d« Troye ; que les m
£)i€ux immortels, qui habitentîehaut c
Olympe, ne font plus divifcz ; que Ju- ç*
nom les a fléchispar fts prières ; & que «
- la dernière ruine pend fur h telle des «
Troyens,
f
- Le fonge part après avoir receu cet
ordre : dans le moment il arrive aux .
•vaiïfeaux des Grecs, & va droit à Aga- v
memnon.* H le trouve dans fz tente ,
plongé dam un profond'fommeil; S .
4b place fur fa telle ; & prenant là £gu-t : _
Te de Neflor fils de Nelée, qui de tous
fes vieux chefs-eftoit ceïuy qu'Agamemno»
confideroit le plus,il luy a-
dréile. ces paroles : FMs du grand>Atrée> m
tfuoy. vous- dormem ! Un gênerai qui «
prefide à tant de. confèils, qui

|4 - Vi t-rlû.E r
% chargé de tant de foins, ne doit pas
n dormir les nuits entières ; mais efcou-
* tes-moy ; car je fuis envoyé de la pari
si de Jupiter, qui ,»qupy qu*efIoigné de
» vous, ne laifle pas d'avoir foin-devoir
» tre gloire, & d'eftre touché .des peines
39 que vous fouirez. II FOUS ordonne de
• 3i faire aimer tous les Grecs, & de met*
35 tre toute voire armée en .bataille ; car
à voicy le jour que vous allez TOUS ren-*
% dre-maiftre de la grande ville de Troye;
% IesDieiiximmortcIs,qui habitent FÔi
lympe, ne font plus divifez ; Junon les
% a-fléchis par fes prières, & la- dernière
m ruine pend fur la tefte des Troyenr,
* par l'ordre de Jupiter. Que mespafo*
. ^ les foient donc bien gravées, dans vo&
»xre- efprit, & prenez bien garde que
, l'oubli ne les efface., lors .que te dome
aifommeil vous aura quitté. - .
En finiflant ces paroles il fe retire*
• & laifle ce Prince roulan* defa dans.
* fâ tefte mille beaux projets qui ne de*
voient pas s'accomplir. II croy oit aller
:
fe rendre maiftre de la ville de Priam|
"• çc |our4à mefme; imprudent qu'ilJ&
W
^

D'HOME'RlL EiWê IL 45
toit, îl ne fçavoit pas tout ce que Iuy
préparait- Jupiter, qui devoit encore
accabler les- Grecs & les Troyens detravaux
& de peines dans les fknglants
combats. H fe réveilla donc de (on
fommeil, & en s'éveillant, il Iuy fem- •
-bla que la voix divine, répandue touf
autour.de Iuy, retentiffoit encore à (es •
oreilles. Hs'affied fur fou liét, prend
•une tunique très fine, qui ne venoic
que d'eftre achevée, met fon grand
manteau- royal, couvre fes beaux
pieds de brodequins magnifiques, met •
fon' baudrier d'où pénduneriche épée f
& avec le feeptre de fes ayeux, ce feep-* •
tre immortel dans fa famille., il fe rend
aux vaifleaux des Grecs. :
L'Aurore -ne venoit que de monter -
fur l'Olympe pour annoncer la himJe- •
re à Jupiter & aux/autres Dieux. A- •
gamchmon ordonne à fes hérauts dap- •
Ï elfer tous les Grecs à une affembléç # •

46 l/l'l. f A» 1 ' . .
Vieux Neftor, où il les appeffa, êc ïeii
découvrit un deflem .qu'il avoit formé,
& qui marquok une profonde lam
gefle:Ecout€z-moy,mcs amis, leur dic-
3» il, un fonge divin s^cft apparu à moy
» cette nuit pendant mon fommeil; il a-
» voit la taille'& toutes les manières de
» Neftor. II s'eft placé fur itia telle & m'a
» dit en propres tenfies, fils du grand
•» Atrée, quoy vous dormez ! un genèse
rai qui prefide à tant de €onfeiIs,quîa
» ~um de peuples fous fa conduite, &
» quieft chargé de tant de foins, ne doit
3a pas dormir les nuit§ entières; maïs é-
» coutez-moy, car je fuis envoyé de fa
s» part de Jupiter, qui bien qu'efloigné
» de vous, ne laiffe pas d'avoir foin de %
» voftre gloire & d'eftre touché des pei-
• 3§ nés que vous fouirez ; il vous ordon*-
se ne de faire armer tous ks Grecs, .& de
» les mettre en bataille, carvoicy le jour
» que vous allez vous rendre maiftee de
» la grande ville de Troye. Les 'Dieux
» qui habitent le haut Olympe, ne font
& plus divifez, Junon lesa fléchis .par (es
' » prières, & k-deroiere'' raine pend ïm '

'Ho'-MSllE.. livre IL 47
îa telle des Troyens par l'ordre de Ju- •«
; piter. Que mes paroles demeurent « v
clone gravées dans voftre efprk. Aces c
mots il a difparu d'un vol rapide ., & ;
mon Ibmmeil s'eft diffipé. Voyons
dçmc comment nous pourrons ikîre
prendre les armes aux Grecs. De mon
cofté je vais les fonder & tafter leurs .
courages, je vais leur ordonner de s'enfuir
fur leurs vaiffeaux^; vous de voftrc
collé, "vous les retiendrez par vos paroles.
Apres avoir ainfi parlé, il s'affit»
Le Roy de # Py!os, le vieux Neflor, le *Surhflm^
leva & leur parla avec beaucoup de pni- v Ammn
f
dence : Sages généraux, fiquelqu'au*-c< * u -
ire des Grecs nous racontoit ce fonge, «c
BOUS l'acculerions de Méfier la vérité, «
& Botts-e'adjoiifterions aucune foy à «
les paroles ; maisceluy à qui Jupiter fa «•
envoyé, c'eft le plus puiflantdes Roy s «c
& celuy qui commande l'année ; c'éft «
pourquoy allons, voyons finous pour- «
jops faire prendre les armes aux Grecs. • c
En ftnifiantcesmots il fortit du corifcîT:
ils fe levèrent tous, & tous ces •
Jiojs obcïrcEt a leur gênerai En mçf.- •

4*'
L f I L I à & ï
me lemps le^ troupes arrivent Coni #
me on voit fortir d'un rocher creux,
. des Icgîons infinies d'abeilles, fort fer*
rées, &inceflkmment fuîvies de nouvelles
légions volkrpar efTaims furies •
leurs du, printemps, & fe difperfer de
toutes para, on voyoît demefmc ces
bataillons fortir des tentes & ics vaiffeaux,
& courir par pelotons, Lame£
fagere de Jupiter, la divine Renom- *
mée brîlloît à leur telle, & les excïtoit
à marcher; faflèmblée fc forme,
on voit de tous coftez cet amas de
troupes s'avancer; la terre gémit fous '
leurs pas pendant qu'ils courent prendre
leur place ;. l'on n'entend- qu'un
murmure confus ; le tumulte & le
Bruit régnent par tout fur le rivage*
Neuf hérauts crioient à haute vofac
pour obliger les troupes à faire filence
& à écouter les Roys ; enfin le peuple
eftant affis & le bruit calmé,Ie Roy
Agamemnon fe leva. II avoit dans m
main fon Sceptre, ouvrage incomparable
de Vulcaîn, qui l'a voit donné au
fils de Saturne; Jupiter en fitprefent à
Mer-

D'H0M-ïfc£. v Znw //. 49
Mercure,' qui le tfonna à Pefojps ha- ;
Me à dompter des chevaux ; Pefops . •
le-tranfmit à Atréè Pafteur des peu- .
pfes; Atrée le laïfla à Thyefte riche cm .
troupeaux,-&Thyefte le fitpaffer en- ;
ire les mains 4 5 Agaroemnon,-afin qu- ;
il regBâft fur plufieurs liles & fur tout .
le pays d'Argos.Ce Prince,appuyé fur :
ce Sceptre, parla en ces termes; Mes m
amis, héros de la Grèce, diïcipies du %.
Dieu Mars, Jupiter m afflige d'une ma- n
niere Bien cruelle ; cet -impitoyable *
Dieu qui m'avoit promis, qui m'avoit *
afTeuré par. un ligne infaillible,-. que «c
je retournerais dans ma patrie après %
avoir 'Jâccagé le'fuperbe Iiion*, me*
trompe auf ourd'huy ; il me comman- «
de de retourner honteufement à' Ar- ce
gos, aprésque fay .perdu icy une gran- «
de partie de mes troupes. Telle eft «c
donc la volonté du puif&nt Jupiter, «
qui a renverfé tant de fortereffes, &

p Ut L1*DÏ
s>méefi Viombreufe^ & fi belliqtteft^
» ft, ait fait fi longtemps inxtiilémenl
» Iaguarr€ContrcIes ( eniîcmis ; fi5bégauÉ
» €E pombre : & -qu'après taiït-données
» |afinparoïlfeauii , cfIoîgnéc , quc-ic.pi i o»
» inier jour ! car 4i4es Gi^ecs & les Tro*
35 yenstronfentèienrà une-creveconfir*
» TOéepardes ràl dcïsuns & dés-autres»; que-IesTro»
» yens fe mifîentd'uncollé ;qtie de i'ài*-
D tte 'nom nous rangeaffions par dbm~
» nes/&-que nous priffioes-par dixaiîifc
% un Troyen {tournons verferdu vto,
» nous aurions -encore plufieurs dixai-
* nés qui ihanqueroient 'd'cfcbjanfcn,
s> tant il eft vrayque les' Grecs fucpafTem
» les Troyenstmiiombre/Maisxes'deiv
1» niers ont des troupes les qui leur ont envoyé du^feéotiiv&
P c'eft cç-qurrenverfe''tous-mes- dépeins*
» Çc qui'-m^empélchede faceager Troyc*
v Neuf années* entîeresdugratwl Jupitef
3o fe-foht désja : écoulées, le bois-de nos
» vaifleaux eft*corrompu, Icurs-corda-^
% gçs ukz r nos "femmes a & nos jeunes

, rfH-OMEJUE. livre IL ftcnlâots
-nous .attendent dans nos mai- c
fans, & îcy .nous nousconfuroons a- «
prés tux.cntreprife .que nous avons fin- •«
te avec tinttd'édat & *pri ne pcutcike «
terminée* "Maïs .allons, faïfcns ce que *
|e.vai5^Qusdîce 9 obéiflbnstQus 9 ftiyons «
fiir nos mifleaux , regagnons noftre «
chère {Btrie^carn'/ofperoiis pas defor- «
maisde'iioiis rendre•maiftre&îdïllon. «c-
-Ces ; patelles touchèrent toute la
multitude qui ne poncerait :pas le def- -
Ion -.d'Àgamcfltnon. L'a&mblée s'émut
comme lesJIot&eniaffez delà mer
lorîcnnCjIor&qu'Hs font agitez parles
vents d , orient& demidy ,quïfbnt foras
avec vioknce-du ifekLdes .nues, amoncelées
par Jupiter : ou .comme on voit
dans k plaine ks motions ondoyer à
grands flots lorsque kzephyreexerce
fur elles toute &rage*& les force à baif
fer ktefte fousfesépouvantaMes coups»
.telle s'émût toute l'aflemblée. Les foldats
courent à. leurs vàilfeaux avec de
grands.crïs;de defibusleurs pieds se-
•lèvent des nuages de poufficre; ils s'exbotteot
-ks uns ks autres-à .préparée '

D'HOMERE. Livre II *JJ
JQ demeurait fans a&ion, & nedonnok
.aucun ordre pour fcs vaiiTeaux •; car
/on coeur & fou efprit eftoiem fâifisde.-
tdouJeur & de trifleffe. Minerve s'ap- .
.prochant, luy parla en ces termes :Di~ «
^vin fils de Laërte,UJyfTe,quipar voflrc «
-prudence trouvez~tant de rcflburces «
-dans les plus grandes extremitez,quoy, *
rvous vous enfuirez dans voftre patrie «
.en vousjettant en foule dans.vos vaîf- «
feaux, & vous Jaifferez à Priam & aux .*
Troyens ce fujet de triomphe , cette «
•Hélène pour laquelle tant de Grecs cc
font morts, fous fes murs d'Uion loin «
.de leur chère patrie l mais allez, fans cc -
pefdre. temps-dans toute f armée des K -
jGKecs, retenez-les par vos douces pa- «
joies, &-nefouffirez pas qu'ils mettent «
leurs vaiffeaux en mer, ' ". *
; < .tJïy.fTe entendit fa voix de îaDéefife,
& fe mit à courir, jettant fon manteau
qui fut ramafll par fon héraut Eu- .
tybate qui le fuivoït. II rencontra fur
fon chemin' Agameranon , de qui M
prit le... Sceptre divin, avec lequel if fe
XOîdi.tifiîfieTÎvagç. Quand il trouvent.
C iif- '

54 • UILIJIIJï
quelque Roy on quelque chef de F»^
Ȏe y il ufeboit de le retenir par fa don-
3i- cew de fes< parafes; Généreux .Prkce^
» cei/efl point à vous i-craindrecomme
» un lafêhc* ztftâtz & donnez Fexeiîi^
» pfe aux autres ;car vous nefçavez pas
. ii encore Gerramemcm queffe cft h pen-
% fée d'Âgtineiimofi* Ce qu'il fait pre-
* fenicœetn, cVfl pour éprouve fis
A troupes, & bicu-foÉ if Ici chaftiew.
* Nom n'avons pas tous entendu ccqu'l
j> a die dans fe confeif ; prenons bien gar-
% de qu'if cre fâife ientir aux Grecs fesef^
% hu de fa col ère; car fa colère d'un Roy >
5» filsde Jupiter-, ci terrible. La gïoire
% dont il eftreveftujuy vient de Jupiter
% mefme, & c'eft ce Dieu puiffant qui
% l'aime & qui fe tient fous fa protection.
' Mais quand if voyoit quelque fofdai
mutin êc feditteux, il fefrappok de fou
fceptre& fe tançoit rudement :MaI-
» heureux demeurée repos Se efeou-
» te tes fuperieurs qui font plus vaillant!
» que toy ; tu n'es qu'un fafche, tu n'as ni
» forceni courage: & ne ïçats-tu pas que
» tu n'es compté pour rien,, ni dans les

çomhm m dans les. cos^ife. Qpoy «
êom ferw^-mous tous,RoysJcy! là*
pluralité de» Mays n'# kp%rit ^onne.c€
Qu'il y qpwfcul chef &uçtf«jif Roy * t «
. & que w hk celuy à.qui te fib. 4® &&> €€
«urne* dont les.confeils. (bnt ippene-: ç *
trafeies., a confié ft>» fceptre & fçs lo'm, cc
afin qu'il règne fur les peuples,, *
En parlait apfi avec adreffe & autorité,
il rotenoit l'armée. Ou vayoii de
tans coftei les foldats (ortir de leur*
vaiffeaux pour-une féconde aflemWée,
avec le mtfm® mugiffement que fonc
les ¥agues irritées Iqrs qu'elles fe brifent
contre les rochers du rivage f &
que la iqer en retentit Tous les'Grecs
prirent leur place & suffirent dans un •
profond fîlence.Le feulTherfite, parlant
fans mefùre & fans bornes,, faifoit
un bruit hojaihkil ne fçavoit dire que
des injures & toutes fortes de groffie- -
retez, il s'attaquAt ineeffamment aux :
Roys avec infolence, & difoit tout ce
quiluy¥enoitd4nslahouche,&qui luy -
paroinbide plus propre à faire rire les
Gréa. Avec cela c'eftoit Je plus laid.de
C iii|

yS ' \ £ f î L"l À"t> l'
' tous ceux qui eftoient venus à Ifioflr}
* il eftoit louche & boiteux;il avoit les
• épaules courbées & jamaffées fur la
-" poitrine,- la telle pointue"-&'• parfeméc
de quelques cheveux. Du relie c'eftoït
• ïe plus grand ennemi d , Ufyffc& d s A~
; " chiite , qui eftoient f objet éternel de
-• fes inventives ; mais alors il n'en voti-t
foit qu'à Agamemnon,à qui avec une
Voix aiguë, il faifok mille fanglants
reproches, ce qui rempliffoït les Grecs
d\me}ufteindignarion,dontil«avoient
bien de la peine à fe rendre les mailtres;
mais il ne laiflbh pas de pourfuivre toujours,
& criant de toute fa force, il dî-
» fbityFîb d'Atrée, de quoy te plains-tu^
» ou qu'eft-ce qui te manque l tes tentes"
» regorgent de richeffes; elles font pleine
nés de belles femmes que nous te don-
» nons dés que nous nous fommes rendu
3> maiilres de quelque ville des ennemis.
3> Es-tu encore afFamé€'or! veux-tu que
3& lesTroyensdefcendent d'IIion,& qu*r
» ils t'apportent la rançon de leurs en-
» fants,que moy ou quelqu'un desGrecs
Saurons amenez prifonniers l veux-tu

- b'HoMmc. Livre. Il 57
quelque nouvelle captive pour tes piaf- ce •
t firsy&que tu retiennes par force daos «
la tente î eft-H jufte qu'eftant le gène- ce
rai desGrecs^tuIeiiriaflestantdemaux ce
O lafehes que nous fommes, oppro- ce
très de la nature, femmes & non pas ce •
hommes, retirons-nous dans nos mai- ce
fonsavecnosvaiffeaux&lelaiffonsicy « •
.devant Troye confumer fes richefles, «
afin qu'il connoiffe le befoïn qu'il avoit ce
jde nous, & le feçours que nous luy ce
jdonnions,àIuyquivîentdcdcshono- « *
rer la vaillant Achille, en luy enlevant «
la recompenfê que nous luy avions' « *
donnée. Ah ! le courage a bien man- « <
.que à cet Achille, & il a elle bien pa- ce
tient de fouffirir cet af&ont l s'il avoit «
fait le devoir d 9 un homme, tu nous ce
«s4ltraiteroisau|ourd huy pourlader- «
jiiere fois. * -
, • Aînfi parfa l'jnfolent Therfite con- ,
tre ïe grand Roy Àgamcranon.UIyffe ,
fe. leva auffi toft, & le regardant avec -
des yeux pieinsde colère: Therfite» qui *
parles fans mefure & fans jugement,«
• £uy a dit-il, quelque grand difeou r *
Cv

'58- i'ï t Î'AB E
» rtur que tu ibis, je te conMIc de rt^
» tenir fimpegoofiné-de cette fangvie et
» frétiée»& de ne tfattaquerpas tout feuï
* aux Roys ; car je lie fmfe pasqu^it y
» ait encore un autre iioramc suffi laJ-
» die& auffi mépriâbfcqpertoy, pamii
* t

D'HOMERE* livre lï. $
ràftrc plus appelle le pore de Tcïc- *
maque, -fi fe he te prends, fi je ne te. «
feiç'éépoiiiilcr ignomiiîieuferoent,,& «
jfifejçie ic reqvoyjede Faffembljéedans «
Ijcs yalflcaux, après t'avoir déchiré à «
fouille yerges comme un vil efck- «
V.Ç.
m
Eu acjic^ant ces mots, I lui donna
jdb-foa Sceptre liir le dos & fur lesp^puiies.
TfaeEÛic pjlia fous le coup,
jk fe mita jrietuser. H -s'jéleya fiir fou
jios #fe mmepr fivider jeaufée par le
^œptcejfjwjil a'affit .t0ut-,tJ3emHant f •
Jc.de J^odfeuF .qu'il (entit, âffittaun
fegpd iiideux-, & fe ouf à effuyerfef
famés. Qpclque affligez *que raflent
les Gnces, ils «ne purent .s enipefciier
de rire, & chacun .dtfeit à fou cômftagnon
; cerado^paait JJlyfle a -£uç-.«
' jnUIel>QDiies avions, ibitea Jonnani.«
4es con&ifs fopt fages, «foîc en- -com- •.«
«battant iui-mefme av.ee «beaucoup àç .«
valeur.; nia^s É «'a jamais rien fait de .«
.plus utile, que d'avoèrimpofé filence à •.«
« pernicieux èaranguqur. Je ne çmj .«
-pasxpe cet infokf t àYécrçuseian-ay- **
C VJ

•6o ' ;IH LïAD E"
» quandil n'y auioit que la douleur cTei- %
: :

D'H OM-E R E. Une II et
•|rc ' fi long-temps efloigné de h man «
.Ion : car même l'on voit tous les jours. «
•des hommes, qui n'ont quitté leurs «
femmes que depuis un mois, fe con- «
•fumer de regret & d'ennuy fur leur *
vaiffeau,' lorfque des tempeftes & une «
pier irritée les retiennent clans quelque «
port efloigné; & il y a déjsa neuf ans «
entiers que nous- attendons ky , c'ëft s
.pourquoi |e pardonne aux Grecs s'ils %
fe laiffent dévorer à Fennuy fur leurs «
yai/Teaux,& s'ils n'ont plus a yeux-que *
pour leur chère patrie. Mais pourtant ce
M feroit bien honteux d'avok elle fi *
long-temps à ce fiege, & de perdre %
le fruit de tant de travaux. Mes arais «
prenez-d-ône courage & demeurez en- «
core, afin que nous fçachions^fi les %.
prophéties de Cakhas font vrayes ou %
fauffes. Car nous nous fou venons fort m
bien, & vous elles tous tefmoins, vous *
que la Parque fatale a efpargnez, la «
chofe cft encore aifez récente , nous «
•nous fou venons, que noftre flotte s'af- «
femMant dans le port d'Aulide, & me- «
naçpt Pxiam & les Troycns de mille *

6t Ut t I A 0 E
* malheurs ,• nops cillons auiour d f une
y>fonwm È & nous offrions aux Im-
» mortels des hécatombes .partîtes fur
» cksÀutelsiacreZj à l'ombre d'un pk*
» ne du pied duquel coufoit une fourec
» d etu pure. Là il arriva pu gratid pre-
» dige : up bairible dragon-marqueté de
» tacfhes de fipg» envoyé ^par Jupiter*
» (je glMff nt de defibus f Àctel, m€mm
^fàpidefiîeittfiarie. plan*; av fa»v« #«r
* ne "branche, oè étaient huit petits
» palfer-eaux cadwz fous des feiiles avec
* leur-mère •: 4e dragon dévon mMhmr.
m Uemcnt les petits : fa mère (ameatanc
* fessiers enfants, £c -chcrifhaptMes dé-
* défendre, voiofc ton* -amour, & ft
p» Hioaftre fe -tournant -tout d'un co»p f
•» la frit par l'jâlb, & la dévor a malgré
* les aïs. Mais après

D'HOMEIE Vmt 11. 6}
nant prodige, &Cakfias 'nouscxpli* •
quant enfiihe les orades des Dieux,
Gencmix Grecs, nous dît-il, pour- «
quoi vousirots-fe dans cette confier- *
nation & dans ce profond frience!' JH- *
piter, pour nous montrer de loin for- «
dre des deÊiaécs, wu* «nvoye ce- «-
grand figne, «fQÎne lera pas va», gui *
aura fon éfiêt, quoique tard, & dont *
la gloire feaéteracfle -: or comme ce *
dragon a dev«wé 'les fmh -cnfeiits'du m
•ptlTereau -& leur merc, no®s ferons m
autant d'aimées acomktt&e côntve les m
Tr-oyms, & la dixième année nous «
BOUS remêmm -maiflres dr îew îriHe. *
Àiefi -paria Cafdias, & prefeucniciH *
les prédictions s'accompliilcnt. De-*
meurez-donc,-vaiHiBts 'Grecs , jufifu'à «
ce que fg&pabe ViHe4e Priant fok«
faceâgée. • *
Apres qu*M eut ocfll de parler, 1$
"jetterait tous de grands cris :les'vaiË'
'iêaux mentirent

» s'écria-t-H, vous vous amufez ici àdi£ •
» courir comme des enfants qui ne pein
» fent -nullement à la guerre.. Que der
» viendront nos prome(fes.& nos fer T
»' ments,- nos délibérations,, nos refolu- -
» tions, nos libations, & la foy que nous
» nous fommes donnée, & à laquelle
as nous nous fommes confiez.! tout cela
» a donc difparu avec la.fumée de nos
» facriftces. Nous nous arreftons ici à .
» difputer inutilement, & nous ne pou-
» vous trouver aucune fin à nos tra-
»;vaux, après avoir efté icy tant dan r
» nées. jMais, fils d f Atrée K armez-vous
m d'un courage invincible comme vous
» avez toujours £&*& fans tant de diïpu r
a>^es, foyez le maiftre; mettez-vous à la
» telle des troupes, & les menez au comw
bat. S'il y a un ou deux feditieux qui
a» veuillent fe fêparer des Grecs- faîflez-
» les, fe confnmer, or ils n'accompli-
».ront ppint leur deffein, & ne partiront
». point pour Argos, avant que nous
» fçachions fi les promefles de Jupiter
».font vrayes ou û elles.font fauiïes. Eu
3» effet, le incline four que les Grecs.

ïm-OMèRE- Zhfe. IL *éj
s'embarquèrent, portant aux Troyens %
'là ruine & la mort, le puiflant' fds de %
tSaturne nous envoya un fignefavora- «
bïe 9 en faifant briller des efcfairs à nof- %
' tre droite ; c'eft pour quoy-que per- «
fonne ne fèhafte de s'en retourner dans «
fa pa tr i c, a va 111 q u c cl Vv o i r c; u po u r I o n «
partage quelque bel 1-e Trovenue, & «
que d'avoir vcngtTenlevcnKntd'Hc- *
Jenc, fes larmes & les foupirs. Que h a
quelqu'un veutopiniaftrément s'en re- «
tourner, qu'il touche leulementa Ion

66 ' IM&fÀB'E- '
» ce mcweafice^feni fesJDfeuxquivom
» eflftpcfcheM d^ vous roncbe- m»ftred«
» la ville-, on ft c'ei I» fa&httéon fepeu
» d^ferîciieedtvosibld'ats.
l^© Roy Aganacnmori luy mfpomr
31 dit : Sage Neftor, vous • fittpaffcs at
31 feurdaïqnttousfasGpfcs dans fa feien-
31 ce de bien parler, Plwft au grai^I Jifc-
» wier, à Minerve & | Àppoffou, q^e
* feuffe dan* mon armé© dix hommes
* comme vous pour fe- eonfeif, \% vif|e
* de Priam tomWoit bientQil, & nous
* Fâurlops^bïeiitoftfaec^gëe; raaisïefifs
» de Saturne nq m'envoye que des fu-
311 jets de douf eur : il BOUS jette âins des
"* diflentions & des querelles qui n'ont
31 point de fin : car fay eu un grand dé-
33 mêlé avec Achille* pour une capti-
» ve : if eft way, |e l'avoue, je me mis
s
emporté fe premier. Si jamais nous
3 femmes d'accord, les.Troyens fontdé-
9 faits, & rien ne pourra retarder un feui
» momept leur perte. Que fes troupes ail-
» "lent prendre quelque nqurriturë pour
* fe difpoferau combat, que chaçpnprem
pare fes armes,.qu'on falfe repaiftre

DTfo-MEftE livre II 'fy
les chevaux, qu*om mette tes cfcarscn «
ko» dkt, afin eppe nous-puiHons fou- «
tenir ionsies travaux de cette fournée T *
car M n%r aura pas un moment de rela£- «
•die fufcpf à ce que la nuit vienne ar- «
refter fa fureur efes combattants : la cc
fueur percera aujourd'huy jufqu'aux «
boucliers, les mains ferontfatiguees de (C
donner des coups de pique, & les che- c<
vaux feront hors d'haleine de traifncr «
fi longtemps les chars au milieu des «
morts & du carnage ; & pour ceux que «
Je trouveray en difpofition dedemeu- *
rer dans leurs vaifleaux loin de îa ha- «
taille, rien ne fera capable de les em- «
pefchcr^d'eftreen proye aux chiens & «
aux oy féaux. 11 parla ainfi, & les tirées «
Jettércnt de grands cris de joye : l'air
en retentît, comme fors que des iots
pouffez par des vents oppofez, qui le
fonda guerre, & boulverfantla mer»
fe brifent impetueufement contre un
rocher avancé qui s'oppofe à leur furie.
Us fe levait tons & fe difperfcnt dans
leur tentes; ils allument du feu , &
prennent leur repas» Chacun olfre des

:

paff de ïts compagnons mordent là«c
poufiiere.- •, . *
; . Le fils de Saturne n*exauça pas fes
vœux, • mais if' receûc fcn"facrifice Se •
I»y prépara des travaux infinis. Après' •
qu'ils eurent prié, & qu'ifs eurent con- -
iâoré ies vi«fïim€s par forge facré, ifs
Jeur tournèrent la tefte-yers fe Cief ;
ils.les efgorgérent, & les defpouille*'
reet; ifs feparérent les-cuiffes & fes en*
yeloppérait d'une double' graiflè 5 mi»
renr pardeffûs' de petits morceaux de
toutes fes autres parties , & fes firent
bruflerfur fe bois del'auteL Quand fes
cBiiTes furent conJfiimées par le feu, &
qu'ils eurent goufté aux entrailles, on
coupa le refte pair morceaux, & on-le
fit roftir avec grattd' foin.Tout citant'
preû, fes tables furent fervies & on fc
plaça. Chacun fut content de fa por~"
tioû qui fuy fut diftribuée; & quand
•' Ms furent raflafiez, fe vieux Neftor leur
parla en ces termes : Agamcmhon, qui «
dksle plus pwffant des Roys,.ne nous s
amufons pasicy plus long temps, &-«
.ne-différons pas davantage de combat^ «

jn L'iLfAM
» trc; profitons-de l'occafioa quM pk£+'
» ra à Jupiter de nous envoyer. Qift&ics
» hérauts «flemMent les -troupes fur le
» rivage ; •& allons iiious mettne en ia-
» faille, afin -quVm -donne ;fc ifîgnal -du
» combat. -
Le -fife d'Arëe/itiivit JWîs de Nestor
; • il 'Ordonna -aux hciauis dMemfcler
les ttoupes; les -hcimuts font .retentir
le camp>de leurs cris;.dansom
montent -MUS les^Gcecs s'aflèmMent f
& les 'Rois, qm sfuivratJlgamemi^
cousant deiaus- caftez,- les onectent .en
bataille & .les .rangent par lignées •&
par .'nattons. Au milieu d^cux paroii
Minerve armée ^deila^edoutaMe, de
f invincible., ;& de:iimmoiiclie .Egi*
de, de .laquelle-.pendent cent rangs de
fiangesjd'or.m«iwdIIeufement:travaillées,
& dbacune du prîxjfc jGentbeeuis,
Avec *c«tte Jïgide la Décflê parcourt
rapidententtûuslesiran§s 9 :les fait mar-*
~ cher & -les .remplit d'ardeur J& d'impatience.
.Dans Finftant la-guerre eut
pour-.eux plus de charmes que le re-
- ^urvGomnad^

D'H-OM EU I. Livre IL. yt
ravage -une vaille émefk for le iommcc
d'une -montagne»

72 . LTLï AD E '
Troyens les phalanges Grecques avides
de fang & de carnage. Les chefs
.' reconnoifToient &rangeoient chacun.
leurs troupes pour le combat, avec autant
de facilité que les pafteurs des plus
grands troupeaux de chèvres, en ont
a reconnoiftre chacun les leurs, quand
elfes font mcÛécs dans les pafturages.
Le Roy Agamemfton brilloit au mi-
~licu des conihattans avec une fierté incomparable.
II avoit latefte & les yeux'
' de Jupiter quand il lance la foudre, la
taille de Mars &Ia force de Neptune.
Tel qu'un fiertaureau qui règne fur les
troupeaux d'une prairie, tel parut alors
Agamemnon. Jupiter luy avoit donné
ce jour-là un efclat de majefté qui
efFaçoit tous ks héros de l'armée.
4 • Mules,qui habitez lehaut Olympe,
dîtes-moy prefentement, car eftant
Déefles, vous voyez tout & vous içaveztout;
& nous autres mortels nous
n'entendons que ks bruits confus de
la Renommée , & nous ne fçavôns'
rien de certain. Dîtes-moydonc le
nom de tous Icç chefs de l'armée Gre^
que:

T H o M KR*; livré IL- _ 7|
*cfuë : afr-je iie^pourfois-compter 1*
nommer en détail leurs troupes^quand
" faurois dix langues- & -dix touches,
' Une voix-frtfariguable & une poitrine
' Éàïmm 9 à-iïioïn&gue vous ne voulue
Éez : ffie r fôulâger •& m£ prefter vôftrç
^ {ecouri>Diyines"filles- de Jupi wr fm me
nommànt'you$-mc(mes tous ceux qui
font venus contre Troye. Mais-je me
contenteray de marquer iesCapitalnes
' & les vaifleâux^ prairies d-'Alkr^
Ttmel •• E|

Jf . .1/1 LIA DE ; .;
te, -Platées & Glyflante; Ceux quihto
bitoient la nouvelle Thebcs qui a de
fi belles murailles, Onchefte célèbre
par le beau temple de Neptune, Ame
fertile-en vin, Midée, ia divine Nifla
& Anthedon qui eft à l'extrémité de
la Beotie; ils avoient cinquante vaifféaux,
& chaque vaMeau portoitfixvingts
hommes.
Mais les Béotiens d'Afpfedon &
tTOrchomene ville de Minyas,eftoienf
conduits par Afcalaphus & Jalmenus
que le Dieu Mars eut de la belle Aftyochc
: car cette belle fillen'avoit pu
refïier à la force de ce Dieu qui favoit
furprife dans Ion appartement au
palais de fon père AcSlor filsd'Azeus;
cesdeuxChefeavoient trente vaifleaux.
. Schedius & Epiftro'phus, tous deux
fils dp vaillant Iphîtus & petits fils de
Naubolus, eftoient à la telle des peuples
de* la Phocide qui.babifôîeiitCy«-
pariflus, les Roches de Pytho, fa divine
Crîffa, Daulis & Panope, Aoer
œoréé & Hyam polis ; de ceux qui beuvoienilcs
eaux du divin Ccphiftis, &

D'H O M E R E. Livre II. n*
de ceux qui tenoient la ville de Lilea
ou ce fleuve prend fa fource.Ils me,
noient quarante vaifleaux, & ieurpoÊ
«e eftoit à la gauche des Béotiens.
Ajax léger à la courfe, fils d'Oilée
commandoit les Locriens. II n'efloit
I«K figrand qu'Ajax filsdeTelamon,&
il n eftoit armé que d'une cotte de maille,
mais parmi tous les Grecs, il n'y en
avoit point qui fe fervifi mjeux de I*
lance. Il menoit les peuples de Cyne
d'Opus, de CaJIiare, de Befle.de Scarphe,
de l'aimable Augéc, deTarphe,
& de Tnronic qui eft fur les rivesdu.
JBoagrms; il avoit quarante vaifleaux
de ces Locriens qui habitent au-delà de
lEubéc.
Les Belliqueux Abantes «PEubée
qui habitoient Chalcis, Eretrie& Hyfliée
fertileen bons vins, la maritime
Vennthc & la haute ville de Dium,
Caryfteck Styre, efloîent conduits par
ÇlphenorfilsdeChafcodon de la race
de Mars. Ce vaillant Capitaine eftok
àla telle des Abantes , qui n'ont des
cheveux que par derrière, &

^6 LTLïâDE ' '
1 fi.vaillants, que méprifant Fart de fan*
% cer le javelot, ils joignent toujours .
« l'ennemi, & à grands coups dé pique,
ils percent leurs boucliers & leurs eut*
• rafles : ils avoientquarante vaifleaux.
• :• Ceux qui habitoient la viiïe.d'Athènes,
la cité du genereux-Ereélhéeque
la terre enfanta, & .que Minerve prit
foin d'eflever elle-mefîne, & quelle
-plaça dans fon magnifique temple, ou •
les: Athenieiis ne manquent jamais de
luy faire des fàcrifices'de taureaux Se
â'agneaux*après certain nombre d an«
nées révolues, efloient menez par Me^
jiefthée fils de Pcteus. Il n'y avoit point
jd'bomme égal à luy ^ pour ranger en.
bel ordre de bataille la cavalerie & l'infanterie
; Neftor efioitile féutqui pourvoit
le lày difputer : :cac comme il ettoit
plus 7 âgé, il avoit plus d'experich-

., D^HOMEH." Livre IL ^
fês; murailles de Tirimhe, Hermionc
& Afine qui* ont des gof phes profonds,
-Trczcne^Eïones y Epidaure jdonr les
cofteaux font couverts de vignes ;
Ceux.d'jEgine &.de Màfete/avofent ;
pour Chefs, le vaillant Diomede f Sthejieïeus
filsdu célèbre Capanée, £c Eu- -
ryalus.égal aux Dieux, fifs de Mecif--
théë, & petit fds du Roy Talaus ; mais
•Dramede efloit le gênerai, & il corn-*
mandoit quatre-vingts navires. . .
Ceux de la belle ville de My cènes,
de la riche Corinthe f d$ Cleones qui •
cil fibien baftîe, d'Omées., :de ladéti*
cieufe Arethurée, • dç Sicy ons • ou • A-'
drafte régna le.premier; ceux d'Hy- • :
jierefie 9 de fa haute GomoefTe, de Pellene
& d'^Egion : ceux*de toute kcofle * m uuh
maritime & des environs.de-la grande im f°fif
de ~
Hefice , fuivoient A&amemnon (nr^Z5ï y Z*
cent vaillcaux.- i ou tes ces -croupes ty*tr*fi$ 9 au
toient trés-belfcs & trés-belliqueufes^^# s *'*-
mais ce qui attiroit fe plus les yeux,-
c'eftoit la bonne mine de ce Prince* re>:
, hauflee pârl'efçlat de fesarmes & pac .
la fierté & la majeftéquëiuy irrfpiroit
Diij

y% L'ILIADE .
la gloire de fc voir su dciTus «le tmtii
héros; & parce qu'il eftoit très vaillant,
& parce qu'il eommandoic à plus
de peuples. .
Baflc, f**> Ceux qui feabitoïentla fcafle & la
^'vifcLwcfenoBc, Phare, Sparte &
i# »MAH Mefle, fejour fi aimé des colombes,
$*** Bry fcés & fa ddirieufe Augéés, Amydést
& la ville mariomed'Helus». Law
& Octyfée avoient pourCheis le vaillant
Mcnelas frère d'Agamemnon ; M.
çominandoit foixante vaifTeaux ; fes
troupes eftofcnt feparées de celles de
Jbn frerc; il.jraarchoit à cette guerre
pouflep«rfort reflentiment, car il von*
loit vaegcr l'enlëvtment d'Heléne, les
foupirs & les larmes quelle veriâ après
• fon repentir.
Le vieux Neftor commandoit quatre-vingts
vaifTeaux, & eftoit à la tefte
des peuples de Pylos , de l'aimable A-
rene, de Thmon ou eft le guay de Y Ah
phée, de la belle ville d'Aëpy, deCy* «
parifle , d'Amphigenée, de Ptdéc f
d'flclos & de Dorie, ou les Mufes
rencontrant Thamyris leThrarîen qui

D'HOMëRE. Livre IL 79
Venoit cJPOechalié de chez le Roy Eu-
'lytusV le punirent dc.fon orgueil : car
il fc-vamoit qu'if:remporterait toujours
le prix de la mufique, quand les
-Mufes mefmes, fillesdu grand Jupiter
viendraient difputer de leur art contre
luy. Ces DéefTes irritées de fon Infolence,
ïe^ privèrent de la veuc & de II
voix, .& luy firent oublier fart de jouer
delà lyre.
- Les peuples cPArcadte, fous la haute
montagne deCyllene prés du tombeau
du héraut Aepy tus, qui produit de i
vaillants hommes, ceux de Phenée,
d'Orchomene riche en troupeaux, de
Ripa, de Stratfc.& d'Enifpe toujours
battue des vents, de Tegée-& de faf
irxhafte, eftoient conduits par Agapereable
Mantinée, de Stymphale & de
Hor fils d'Ancéequi commandoït foixante
vaifleaux montez-par des foldats
Arcadiens fort expérimentez dans le
meftïcr de Mars.' Agamemnoa a voit
fourni les vaifleaux tout équipez, parce
quelesArcadiens habitant au milieu des.
terres, ne s'appiiquoient pas à la marque.
• D iii)

Fer "" LT.LlÀDtf\'
Ceux qui habitoient Buprafïc & H
divine Elide,

B f HOMèRE. 'Urne Tt. tx
* 'Mais Ulyfle menoit les Cephalemiens
; ceux d'Ithaque & de la foreft de
Nerite; ceux de Crocylée & de l'escarpée
Aigilippe; ceux de Zacynthe
& cfeSamos, & ceux du continent au
«de-f àdesifles.Tous ces peuples avoient
fiom Chef le iage Ulyfle ; Il comraan-
. 'doit douze vaineaux, dont les proues-
& les poupes eftoîent admirablement
bien peintes..
-• Thoas, fils d^Àndrœmoiî, eftok m
îa tefte des Etoliens qui hàbitoi'eiic
fleuron,Ofene, Pyfene, la maritime
Cbalcis & Cafydon ceinte de montagnes;
car les enfants du généreux Oenée
n eftoient plus, niOenéeIuy»ine£me,'&
Meltagre eftoit mort ^r ,c'eft
pourquoy te Royaume d'Etoile eftoit
efcheu àÀndraemon gendre d'Oenée
& père de Thoas > qui avojt quarante
Vaifleaux.
* Ceux de Crète qui teiu>iemCnâfle*
Gortyite environnée de force* murait
΀ê, Lydie % Milet & Lytafte, Phflefte
& Rutie très bien peuplées : enfin tous
lm peupksdecatcMtquiaceitcyiHes^.
Tûtne 1.
Dv

,M2 . \ -LTILI AJD'E-
-fùivqiënt le vaillant Idometiée iSc Me-*-
-mon femblable à l'homicide Mars: ils
•avoient tous deux quatre-vingts'vaif-
.* féaux. ' ' '
:. * Les fiershabitans.de l'tfïe de.Rho*
:*des, partagez en trois différents peu-
• pies dans les trois vHfes de Linde f de
•Jalyffe Se de-Cambre, fuivoknt fiir
;neuf vaiffeaux le grand & le vaillant
Tfepoleme fils d'Hercule & d'Aftyo*-
xhiêé, que ce héros avoit prifedansE*
rphyre, fur lefleuve Sellas, après avoir.
'iaccage plufieurs' villes remplies dune
•fîoriffame feurreffe. Tlepolemc ayant
- elle eflevé dansIePaIais,tua par mégarde
Licymni«s,.,oncfe maternel de fou
père:-d'abord il fit bafiir des vaiffeaux,
affembla .quelques troupes & ; s'enfuit
-former, pour fe mettre à couvert !des .
jnenaces que les autres-fils'& petits •
fils d'Hercule avoient fait de punir ce
Meurtre. Après qu'il eut couru beaucoup
de mers & effuyé beaucoup df
fatigues, il aborda i Fifle de Rhodes,
où if partagea fes troupes en trois bandes
qui s'eftablircnt en trois différents

fHOKÏftÊ.' livre 11 %
lieux; & ils-fuient fkvorifezde Jupiter,
qui verfa fur eux à pleines :main«
d'immenfes richefles.
NIrée menoii trois vaHTeaux de PHIe
de Syme f Niréc filsde la Nymphe Ag—
laïa & du Roy Caropus, Niréç le plu*
beau de tous les Grecs, qui allèrent à
Troyfej fi Pan en excepte le divin A*
chiile qui cftoit d T une- beauté accomplie;
mais Nirée eftoitpeu vaillant, &
il avoit peu de troupes..
- Ceux qui habitoient les. Mes de NI*
fyre,. de Carpathus, de Cafus, de Cos*
9Ù avoit règne Eurypylus & les iflç$
Calydnes, cftoknt fous la conduite de
Phcidippe & d'Antiphus fils de Theffalus&
petits fils d'Hercule : ilsavoient
trente vaMTeaux. * .
, • Ptefentément, -divine Mufe f -, faite»
le.dénombrement, des peuples d'Argos
deTheflalie, Ceux qui habitoient
ÀIo*, Alope & Thrachine ; ceux qui
tenoïent Phthie, &• lu Grèce fertile en
belles femmes , &.qiti efioicnt cornprifes
fous les npms cte Myrmidom f
d'Achaïens,& d'Hellencs, obéïffokn*
-Dvj

«4 ,. - L'ItlÀ»"É\ *
a Achille qui avoit cinquante, vaifS.
-eaux*; maïs ils. ne prenoient/plu&-au*
cuné part à la guerre : car ils n'a- _
'voient point de Chef qui les menait
au combat; le divin Achille demeu-
-roitiur (es vaiffeaux* ne-pouvant"fe
confbfer de l'affront-qu'on* luy avoit
fait de luy enlever la-belle • Brifeis, Vu*
nique prix de tous (es travaux ; & qu'il
avoit prife après avoir faccagé Lyrnefîc,
renverfé les mure de Th^bes,.&
tué de fa^ main-'le- vaillant "Mynetes &
Epiftrophusfils d'Euehus,;& petits.fife
en Roy Seiephis : voila pourquoy A-
ehille dévoré par fon chagrin fe tenoif
iàfïns action, mais fa valeur ne dévoie
•phiseflrc longtemps imiiSleL: •.' i:
Ceux qui habitoientPhyiacé.&Ja '
fertile Pyrrhafus'cQrtfacrée k'Cèits,
Itone riche en troupeaux, la maritime
An-trône & Ptelée, quia de fîbeaux
herbages, ;eftoient commandez par-Ici
vaillant 'Protefilas qiilavoit menequarante
vâiffeau»; ipaisîtdcfceedit bientoft
dâîlsle tombeau,'laiflant fâ fem-
•mt Laodamie plongée dançie deuil'&

D'HoMfe&E. Une IL tf
îk mjfifon éteinte": car en abordant au
rivage de Troye ,• comme 3 fautoitde
fou vaïffeau à terre'avant tous les au-*
très Grecs i il fut tué par un-. Dardankii.
Ses troupes ne manquoien t pourtant
pas de Chef, carelleseftoicntcomïîiandées
par fou coufm germain, par
le vaillant Pocîarccs Ms cffphiciûs &
petit fils du riche Phylacus. Il efloi*
plus jeune que Protefilas, mais Proieîilas
avoitpïus de valeur; c'eft pour
quoy bien que lès troupes enflent un
bon & vaillant Capitaine, elles ne laiffoient
pas de regretter celuv qu'elles
avoient perdu.
Ceux qui habitoicntPhcres vis à vis
du marais Boibeïde , Boite, Glaphyres
& ïoîcosqui eftfibien baftie, luivirent
fur onze vaifïeaux Eumelus Jifs
d^Admcre&dcladivineAlceftclapIus
belle des fil les de Pclias.
Ceux de Mcthone, deThaumacic â .
de Mclibcc & de la haute Olizone, a-
voient pour Chef PhiIo

86 L'ILIADE
cun dcfquels il y a voit cinquante hommes
tien dreffez à combattre à coups
de flèches ; mais les Grecs i'avoient laif* '
fé à Lemnos, à caufe d'un ulcère incurable
qui luy cftoit venu de la pi*
queure d'un ferpent, & qui luy eaufoit
des douleurs mortelles : il paflbit
malheureufement fes jours dans cette
ifle accablé de chagrin ; mais les Gréa
dévoient bkntoflfc reflbuvenir de luy lu'
& implorer fon aide. Ses troupes
toient foifîblement touchées de fou abfence,
quoy-qu'ellesne foflent pis fans
Chef, car elles avoient à leur telle Mcdon,
fils naturel du vaillant Oïlée qui
Favoit eu de la Nymphe Rhena.
Ceux qui habitoient Tricca, FEÉ
carpée, Ithome & Oechalie qui eftoii
Ibus la domination d'Eury tus, foivoient
for trente vaîficaux , Podaiirc & Ma^
chaon fils d'Efculape, & tous deux excellents
Médecins. - -
- Geux qui tteooîent Ormenium* la
Fontaine d^Hypereïa 9 Afterie ' & les
Mancs fomiôets du mont Titane , rftokitt
commandez parle célèbre Eu-

fHoMERE. Lwre II 87
rypyfe fils d'Evzmon, qui avoit quarante
vai/Teaux.
Ceux d'Argifâi, de Gyrcone, cfOrthe,
d'EIone & de la blanche Oloofc
fon, avoient à leur telle le vaillant Polypoetes
filsde Pirithous & d'Hippodamie,
qui le mit au monde fe menue
jour que fon père Pirithous fifsde Jupiter,
punit les Centaures & les chafla
du mont Peiïon vers les montagnes
d'iEthicé. Polypoetes partageok ce
commandement avec fe brave Leontcus
fils de magnanime Coronus, &
petit filsde Cornée: ils commandoicnf
quarante vaiïfeaux.
Goneus menoïf de Cyphos vingfdcux
vaileaùx; if eftoit fiiivides Enienes
& des belIiqueux-Perehes qui ha*
bfcoient aux environs de fa froide Do^
done, & qui ad «voient fes campagnesarrafêes
par le délicieux Titarefius ,
qui fe jette dans le Penée finis méfier
fes eaux avec les eaux argentées-de
ce fleuve : car M nage au itffm comme
de Fhuife, amffi efc-8 un efcoulement
cks eaux dm Styx, par lequel k$

M
Vtlïlhl '".-
Dieux mefriies ne furent qu'avec fra^
yeur.
' •
Prothousfifc.cïeTeiithriedcra cèmfchandoh
les Magnetes qui habh'oient
autour du Penée & des forefts du PeiioB.
Tous ces peuples fuiv oient le vaillant
Prothous forquarante vaiffeaux.
• Voila les noms des Rois & des Capitaines-des
troupes Grecques*
Dites-moy prefentement, divine
Mufeu qui eftoit le plus viMIaÉt de tous
ces Princes qui fuivirent les filsd* Atrée,
& quels eftoiem lesmeilleurs chevauxi
• Euraelus Roy de Pherés fe pouvoil
vanter d'avoir les deux plus belles cavalles-'de
toute l'armée-, elles eftoient
•ïftescomme'dés oy féaux, toutes deux
àc m-efme poil, de mefnie âge & de
Bieime taille ;-ApolIdnIuy-niefnie a-
voit pris foÎB-de les nourrir fur les môn^
tagnesdePîerie, & elles portoienijw
/ijtfl&teirejirdeMars. * '
Ajax fils deTelamon eftoit fans €om

. ï> f HôMÊ!E* Ime IL Ef
plus brave que luy, &-fés chevaux *
meilleurs que cepjc d'Epmelus ; mais a ,
.héros ne fopoii point.de fes vaifFeaux,
à caufe-du ]*efièntimeiit qu'il confère" *
voit contre Agamemnon pour l'injure.qu'il
en avoitreceûë.
Cependant fes troupes fe.divertifïbient
fur le rivage de la mer a jouer
:audiique 9 ,à lancer le. jjlVelot, &-à trier
de l'arc; les chevauxcftoient dam
les tentes de leurs maiûresprés de leurs
chars bien couverts, & av.oient tou>joursdevant
eux en abondance leiotds
&1e faïn-foin;mais les Çhe&de cesban-
. des TheflàUenif es, fe proiîaenoient dans
le "camp fort trilles de ce que leur .General
ne les menoit plus aux combats. •
• L'Armée s'a vançoit, donc en" ordrede
bataille, A Pçfclat de fcs armes on*
i'aurpitprMepourunembraièmentquic
yavageoitla plaine; la terre retenti/Toit
ïbus leurs pieds, comme lors que Ju-.
piter irrité lance fcs fpudres fur le mont. :
qui couvre Tiphoeu^ dans le pays des-:
.Arïmes, ou l'on dit qu'eft le tombeau* .
Je ce Ge^nt; la terre retentifloit avec-

«o UIITADÈ
le mefme bruit fous cette formidable
armée qui s'avançoh Contre If ion. - p
• La meffagtredes Dieux, Iris plus le*
-gère que fes vents, alfa ânrioncer de fa
•part de Jupiter cette trifteriouveîleaux
Troyens qu'elle trouva tous âflemblez
' ourleconfeif aux portes du Palais de
Ç 'riam, depuis fe plus vieux-ju{qu'au
•pfus jeune. Elfe prit fa voix d'un des
fils dece Prince, de Polîtes, qui fe confiant
fur fa légèreté'de fes pieds, eftok
• enfendneile'hors de fa pface fur fe tombeau
du vieux Aifyetes, pour otferver
quand fes.. Grecs quitteroient leuA .
• vaifTeaux & s'avanceraient vers Troy é;
• imitant donc fa voix de ce jeune Prince,
elle parla ainfi à Priam :
:» Priam ', vous prenez toujours plaifir
»'à perdre fe- temps en difeours inutiles,
» comme fi vous eûkz en pleine paix:
» cependant voicy un combat inévitable.
» qui fç prépare. J'ay bien veû 'desba*
» tailles ; maïs je n'ay jamais veu tant de
*> peuples affemblez : les Grecs en auflî
' ^"grand nombre que les feuilles des ai>
» bres, ou que le fable de la mer, vien^

'HoMERC. tîvn II p
htm vous attaquer fous vos murailles, m
Medor, c f ell à vous quefe m'adrefle, «
lie manquez pas d'exécuter ce que je«
irais vous ordonner. Vous avez dans «
la ville beaucoup de troupes cftrange- m
res qui parlent toutes différent ïanga- *c
ge, feparez les & que leurs Capitaines «
-commandent chacun les troupes de m
leur pays. •

ft - *' V I L I À D. E "
courage-; ils. brufloient d'impatience
d'en venir aux mains &' de combattre
à coups de piques. .
Le brave E'néç» qui eftoit né des fa*
veurs qpe la Déeffe Venus n'avoit pat
dédaigné défaire à Anchife.fur les font»
bres fommetsdu mont Ida ,.commandoit
les. Dardaniens avec Archiloqu*
• & Acharnas fils d'An ténor., qui efr
«oient' d'une valeur efprouvée & dref-
Jêz à toute forte de combats.
Ceux qui habitoient la riche Zélée
au pied du mont Ida, -& qui beuvoienf
les'eaux profondes de F^E/epus, fuivoient
i'iiluftrePandarusfilsdeLycaoHj
à qui Apollon luy-mefme avoit donné
: un arc & des lèches. •
Ceux qui tenoient Adraltée,Ja cite*
d'Apaefus, Pityée & la haute montagne
de Terïé, avoient '.à leur telle A-r
drafte & Amphius armé d'une cotte
de mailfe, tous deux fils du Percofien
Merops, qui eftant le plus efdairé dej
Devins,' ne voulok pas que (es enfants
allaifent à. une guerre qui leur dcr
voit eflrc fonefte ; -mais ils n'obéïjrcai

D*H.O MEER"E»' : Lïvre IL . fj
point à leur père*: car leur dcûiti iné-
; vifable les precîpitoit à la mort.
Les peuples de Pereoce, ceux qui
clloïent fur les rivesdu Praétius, ceux
* de Selle & d'Abyde; & les habitants-de
la divine Ansbe, fuivoient fe Capitaine
Afius 'fils d'Hyrtacus. Afms montoit
âts chevaux d'une taille & d'une fierté
'extraordinaire, il eftoit venu d'Arisbe
'que baigne le fleuveSelleïs.
: Les bandes des Pelafges qui -habitoient
les fertilesplaines de Larifle, &
qui combattoient à coups'de'piques,
fuivoient Hippothous, & Pylaeus, dignes
difciples de Mars, tous deux fils
du'PetafgeLithus, & petit filsde Teutamus."
• ;
• Aearaas.-& le héros Pirous. me~
«oient les-Thraciens, qu'enferme lïm*
petueux Hellefpont.
:.. -Euphemus filsde Troezenus & petit
fifsde Ceus commandoitJes bel-*
liqueux Ciconiens, Pyraichmes .eftoit
à la telle des Peoniens/cpi fe fervent
j)e dards atachçz à une courroye : il
yenoit d'un pays fort efloigné ,,car. g

94 ""' ' LILIàD*
eftoit parti de la terre d'Amydon « des
rives du grand fleuve Axius,dont les
belles eaux arrofênt les campagnes.
Du pays des Henetes, d'où font venues
les mules fâuvages,rintrepidePyfemenes
menoït les Paphlagoniens
qui habitoicnt Cytore f Sefame & les
belles villes, qui font fur les rives fleuries
du Parthenhis, Cromne, iEgiafe
& les roches Erythines.
Odius ikEpiflrophuscommandoîenf
les Halizoniens qui venoient de l'extrémité
du Pont-Euxin, du'pays des
Aly bes, célèbre par fes mines d'argent,
À la tefte des My fiens eftoient Chromis
&Ennomus,le plus fça van tdesAu*
gures; maïs avec tout fou art il ne pue
- évherlamort;il tomba fous les coups
du vaillant Achille fur le bord du Xaifr
the, ou ce héros fitun horrible carnage
des Troyees & de leurs troupes auxiliaires.
- Phorcys & le divin Afcanlus impatients
de joindre l'ennemy f ' mc-
• noient les Phrygiens, de FAfanie II
plus efloignéc.

^D'-BOMERE.• Ltote II 9|
. Mefthles. & Antiphns fils, de Pytemenes
f & les deux plus vaillants Capitaines
que le marais Gygée ait portez,
commandoknt les Meoniens qui ha*
titoientau-piçd du mont Tmolus.
. LesCark^Hj qui partaient un langage
barbare, &qui habkoient Milet, fa
fombre montagne de Phthires, les rives
du Méandre & les hauts fommets
du MycaIc,çftoiept fous la conduite '
d'Amphimachus & de Naftes, illuftres
fils de Nomion. Amphimachus alloit
au combat'chargé d'ornements-d'or
comme une|eune fille;infenféqu'il eftoit,
car ces ornements ne purent legarentirdela
mort; Achille le tua dans le
combat qui fe donna fur les bords du
Xanthe, & emporta tout cet or donc
il s'eftoit fi .vainement-orné.
- Sarpedon & le brave Glaucus conv*
mandoient les Lycîens, qu'ils avoienc
"ànténez 'des extrémitez de la Lycie f
^cs bords du rapide Xanthe.

$$ L'iLlAÀEtfHoAt£R
V ' «®%*
riLlADË

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*•$ ô#» ^es#»

98 : • 'Vît l'A D*I ; "- ' \
les autres, & dé combattre fans laïchcr
Je pied! Comme le vent de midy coiv
vre quelquefois les fommetsdes mon*
îagnes (l'un brouillard peu agréable
aux bergers, & plus utik.aux voleurs
que fa nuit mefme, car alors la meilleure
ycûç ne peut s'étpndrp plus loin
qu'un jet de pierre; de mefme la marche
des deux armées fit lever des tour*
billonsde poufperg qui les empefchoient
de le voir, lis eurent bientoft
-traverfé la plaine; & lors.qp'ils-fureiif .
ten prefence & fur le point de donner,
Paris, femblable à un Dieu, s'avançt
jà la tefte des Troyens, couvert d'une
feau dp Léopard- & armé d'un arc 6ç
d'une cfpée; il tenoit dans fes~maim
deux jayelots garnis d'acier, & avef
une contenance fiere & menaçante, M
déficit les plus braves des Grecs. ' •
Menelas n'eut paspluftoftapperçeu
qu'il s'avançoit à grands pas à la .tcâi
des Troyens, que tranfporté de joye
comme un lion affamé, qui :eft "tombé
fur un cerf .d'une extraordinaire grau*
deur # ou fur une chèvre £mwgc;^u il

tfHoMERE. Une lit 99
«dévore malgré la vive pourfuite des
^meilleurs chiens, & des chaffeurs les
plus ardents-& les plus déterminez, telle
fut fa f oye de Menelas en voyant!c
ieau Paris, car il fc promettoit-dc pu- .
,nir la perfidie. Il faute-donc légèrement
•de fon char avec (es armes,' mais Paris
le voyant! la tefte des Grecs, fut faii
de frayeur & fe retira vers fcs troupes
-pour efvlter la mort. Tel qu un voyageur
qui apperçoit un horrible fêrpcnt
.dans fe fond d'une foreft, recule tout ,
tremblant, & fe vifage couvert d'une
pafleur mortelle, tel Paris el&ayé à fa
wmë t du fils d'Atrée , -fe retire & vt
- fe cacher au miHeu des bataillons Troyens.
Heétor rougiflknt de fa lafchetéjuy
fait ces terribles reproches : Malheu- «
teux Paris , lafche , qui .n'as qu'une «
mine trompeufe, &-qui n'es vaillant c
qu'auprès des femmes, perfide feduc- «
tcur, piuflaux Dkux que tu ne fufies «
jamais né, ou que tu fuites mort avant «
ton funefte mariage. Quel bonbeuc m
a'aeroit-cc pas dlé pour moj, & quel m
É ij

foo " . L 1 ! 11 AD I ' '
•» avantage pour toy-mefme, pfufïofhjtiè
.de te voir ainfi la honte & l'opprobre
» -des hommes ! • Quel fajet de riféc pour
:» les Grecs, qui trompez pat* ta bonne
;3fr-mine,te croy oient déjà le deffenfeurdes
3>.Troyens ! Mais tu es fans force & fans
» -.courage, fk avec ces belles qualitez tu
» .as travcrfé les mers,. tu as âffemblé

•fe'tf OMER'E. Livh fil lOf ' '
ton tën d f un monceau de pierres, pour «
tous lès maux que m leur as faits.

m VILTAVE' -
» ments &-par des fâcrifices, (c fepare^
» ront. Lei Troyens demeureront paï->
» fibfesdans leur ville, & les Grecs s'en
* retourneront dans l'Âchaie fi fertile cm
» Belles femmes.
• Heétor eut une-très-grande joye
d'entendre le difcoursde Paris $ & s a-
vançantau milieu de l'armée, ilfeifoïf
• ranger les bataillons des Troyens, cm
les pouffant luy-mcfme avec le bois de
• & pique. Les Grecs, qifi ignoroient (ondeffein,
faifoient pleuvoir fur luy unegreffe
de traits & de pierres, lors qu f A-
gamemnon scellant apperceû de ce qui
' îe paffoit dans l'armée des Troyens," fc
# mit à crier de toute fa force : Arrcftez
* genereuxGrecs & ne tirez plus, Hee-
# tor a quelque diofe à nous dire. .
En mefme temps les troupes ceffenH
de tirer ; il fe fait un profond fifencc,&
Hcétor s'avançant au milieu des deux
x armées^ leur tient ce difeours- : Troyens
M ôc vous valeureux Grecs, efeoutez ce
" » qxie j'ay à vous propofer de la part dé
» Paris qui feul a allumé cette guère : il
» demande que les Grecs & les Troyens

fi* H o-MrE R1. tiVfe lit. mj
jgiepem bas fcsarmes ; & que le grand « '
jMeii€la$j& iuy au-milieu des. deux ar- «
flaéés tetminem leur différent par un «
«omfeaçfifrguUer; que cekiy des deux «
ijui-âura l'avantage &• qui demeurera «
victorieux*-.emmené Heiene avectou- «
ççs fes richefles; & que les Grecs & les «
Troyeps Jurent,une alliance ferme Se *
fiûeerej & deviennent amis... / «
., A cette.'^opofitioBJefilerice aug-/ *
mtnit %St le vaillant Menelas prenant
là-parole, leur parie ainfi: Efcoutcz waf- «
fi jCc que JéJ- à vous dire; car mon cœur *
eâ .pénétré, de .douleur. & .de triftefle, «
pour tc»u«.; lies miùx^qiie vous fowfFréz; '*
mtfe.vofcyf heureux moment où jeC-''*
•pfre délivrer des Grfccs À-IesTroyea» «
d'unç guerre fi,funcfte,.quileur a déjà * •
fwfté tant de (mg^ & quin$ èfté tu- «
ippjifeque.poar.mà quereJfe & pour *
Ifomàïlt que f ayïeceûdéParis^iitiiqiie «
auteur de tous ces maux.-Que celuy de « f
^tousdeux que lès dêftinécs condam- «
Bent.à^pétir-aulourd'huyij-périfle, &c€
iJpWffMoft Jes" deux armées Je fépa- ce
rç'miqtte.cbaoMi sfcn retourne dan* fa* «
" E iii)

w4 . L'ÎXïÀBri
» maKon'. Que les Troyens apportent
' » donc proroptcment deux agneaux, ui*
» mafle blanc & une femelle noire, Pu»
* pour facrifier à la Terre & Patitre au*
» Soleif & nous en immolei ons-un ttoP.
» fiéme à Jupiter ; qu f on iâffe auffi venir
» Priam, & que -ce fok luy^mefme qui
» jure i'accord, afin que perfcnne ne vio-
' * le les ferments.dont Jupiter-va dire te
35 depofttaire, car pour fes en£iuits,€e font
* des impies & des perfides. D'ailleurs
» Pefprit desjeunes gens eft tpus jours in-*
* confiant & volage, "au lieu qu'un vieil-"
» lard dans tout ce qu'if entreprend en-*
* vifagetousjourslepaIe& Pavenir, &J
» n'oublie • rien pour faire que fes deu»
* partis trouvent également leur avant*»
* ge> cequifait lafeureté des traiter
Le dife^ours de Menelas donna une
* • grande joye aux Grecs & auxTroyens,
'car ils •efperoient de fe.:voè: btentoÉdélivrez
de cette cruelle guerre. Auffi-^
toft on fes voit defeendrede leurs chars,'
• & ranger leurs chevaux en ifite, ils dépouillent
leurs armes & les mettent b
terre les unes prés des aunes ; mf ïli'j*

D'H0MER£. Livre III. . 105
-.'avbit'qu'un très petit'efpace entre les
deux armées, Hedor envoya en dili- ""
gence :deux hérauts à Troye pour faire
venir - Priam & pour en apporter deux
agneaux ; & le Roy Agamemnon or- '
donnarà Talthybius d'aller aux vaif- "
féaux & d'en apporter un troifiéme. Le
héraut obéît.Cependant Iris va annon- '
cer-à Hélène ce qui fe paflbit, elle a- '
voit pris la figurede Laodice, une des
pju* belles filles de Priam & femme du
' Roy Helicaon fils d'Àntenor. Elle *
trouva Hélène dans fon palais qui travaillent
à un merveilleux ouvrage de "
broderie : cfeftoit un-grand voile brodé
par deffus & par deffous, tout brillant
d or,& ou eftoit employé tout-fart r
'de Minerve/Cette Princcfle y repre- •
fentok tous les grands combats que les
Troyens & les Grecs livraient pour el- -
le fous les yeux .mefmes du Dieu Mars. -
La prompte meflagere des Dieux, s'ef
tant .donc approchée d'elle, luy parla
eu ces. termes : Levez - vous, ma chère «
fœur, venez yoir avec moy des chofes *
" furprenantes, & que nous n'aurions *c
. E. v

io6 , UILIàDE •'
» jamais attendues- des Troyens & clef
» Grecs ; il n'y a qu'un moment qu'ils»
>J marchaient les uns contre les autres
» avec la dernière animofité, & ne rcf-
» pirant que le fàtfg & fe carnage , &
» maintenant les voilà dans un profond
» ftience ; k guerre el appaifée, ifs font
» tous appuyez fur leurs boucliers fans
» adion, leurs lances prés d'eux fichées
» à terre;-Paris-& le vaillant Menclas r
* vont feuk combattre, & vous ferezle
» prix du vainqueur.
La Déeffe ayant ainfi-parlé, fuy inïpira
dansl'inftan t un- très grand- dfcfîr de
retourner avec fbn premier mary & de
revoir fes-parents & Lacedeiûone. Secouvram
donc brufqucment d'un voile
plus blanc que k neige ,• elle fortit de
fâr chambre les yeux baign~ez'deplètti ! §.
' Acthra fille de- Pitthéé & kbelle Clymené,
deux defes femmes, tofcivircnf»
Lors qu'ellesiurent arrivées auxpotftes
Scéeç, elles trouvèrent au haut de
la-tour PriamvPanthoiis, Thymetes f
Lampûs, CIytius,-Hicecaon:dign-edefccndtfntde
Mars,.Ucafgon.& Ante-

D'Ho'MERE. Livre HI. ioy
BOr tous deux- pleins de fageffe ; ifs côtoient
aifîs fur la tour des portes" Scées.. *
I/âgc, en les difpenlant d'affronter les
hazards de la guerre, leur avoit donné'
une prudence conformée, & une
grande facilité de bien parler : comme
dès cigales, qui foibles &'prefque dé-.
^ Buéesdc fang, perchées toutielongdu
four fur la cime des" arbres'dans une foreft
$ font entendre inceffamment leur
voix hârmonkiife , tels ces"'Vieillards
affifau'haut d« la tour y difconroicnt
cn&mblê* & délibéraient fur les moyens
qu'il falloit preikhfe, pour faire
ceffer les malEeurs dùttt ils fé voyoient
'accaftlez.
. Ils n'éurettt pas plÉftoft' apperceu'
Hfelenè,

ioS> " VlltÂD-t . \
» point'noftre ruine &.,celle de nos OOK
» fants après nous. • - :
C'eft ainfi que parfoient ces ûgté
vieillards; maisPrïam appclla Hélène^
•* Approchez ma chère fille, luy dit-il,,
» affeyez- vous prés de. moy, afin que
» vous puiffiez* voirvoftrepremier mari,
' » vos pareils & vos amis ;; vous n'eftes passé
la caufe des maux que je fouftre, -les
» Dieux feulsenfont les auteurs, ce font
» eux qui m'ont fufeité cette cruelle guer-
» rc•& qui ont confpké la perte deTroye; :
» venezdonc,& me dkes quieft cet hom-.
•a> me qui a quelque chofe de divin, -ce
» Grec qui a Pair fi"martial, & qweftd'u-,
* ne taille fi avantageufe ; j'en vois bien.
» d'autres-qui font plus grands que luy,
a> mais de ma vie je.n ay veu un homme
30 fi.Beau, ni d'une mine fihaute ; il a l'air -
%
» & la majefté d'un grand Roy.
La divine Hélène prit -la parole, & •
» luy dit : Seigneur, Je fuis faifie de ret-
» peu &de crainte; plu-ft aux Dieux que •
» j'euffe préféré la-mort à la honte, quand -
» jefuivisicy voftrefils,&quefabandon-
» n-ay mon mary, ma maifon, ma fille

D'HOMèRE. Lhn 1ÎL io^- .
unique, mes fkres & tant d aimables *
oompagnesquefavoisàLaced^mone. *
Mais je n'eus nia/fez de courage ni af «c.
fez de vertu, & c'eft ce qui caufe là dou* »
leur fui-me confume.lt faut pourtant «•.
¥ous : obéïr & refpondre à voftre de- «*
Mande. Ce guerrkr-^dont la bonne mi- «.
«c vous-donne tant d'admiration & ex- ».
cite voftre €4iriolité, c'eft le Roy Aga- « ;
memnon, auffi grand Roy que grand.- *.
Caphaine;il eftoh mon beau nrere-He- « -
îul malbeureuiê. puis- je vivre &pen- *•<
fm

ÏIO VI L I A D E
autres excellents pour la cavalerie, touf
* ftsjets du Roy Otreus & de Mygdont
*• fêmbiable aux Immortels : ils eftoknt
& campez le long des rives du fleuveSan-
» gar; j'eftois de iamefme armée, & j'y
*• commandois les troupes auxiliaires des'
*• Troyens ;'mais toutes ce^ troupes, qui»
>* couvraient les campagnes,efk>ientbien
3* inférieures en nombre &• en- beauté à
3^'celles que commande Agaibemn'on.
Enfuite le fage Priam ayant apper-
»-ceu Ulyffe, dit à Hélène : Apprenez
» moy ma fille ,'• qui ci ce .guerrier plfb
y petit de toute la telle qu'Agamcmnon;-
» mais dont les : efpaules & la poitrine
* font beaucouj>plus larges. Ha lairtefes
larmes'à-terré, &• il 5 pàitéftùn fous Ies s
»• ratlgs de^foldaiftje le côm^rôrois à un
ar bélier-qui pifTë tranquillement au mi-
3^ lieu d'un »éupéau dë ; brebis' qui le îfcar
connoilîcii'f peur Roy.
La-fille de Jupiter, la* divine Ifelear
ne luy refpondir: CefWMè filsde Laër-
»• te, le prudent'Ulyffe, quiquoy-qu'-
x> eflevé au-miliendes peuples-d'Ithaque»
$ pays niée & greffier, ne : laifle-pafrde

_ - D'H o M'E RE. Livre III m
Iça voir toutes fortes de fineffes & de ru- m
ics de guerre, & d'eftre admirable pour
le confeîl Vous avez raifon, divine «
Hélène, reprit Antenor, or autrefois V
lors-qu'Ufyflc vînt icy en ambaffade «
avec le,vaillant Menelaspour vousre- *
demander aux Troyens,. je les receûs «
dans ma maifon & je leur rendis tous «
les devoirs qu exîge Phoipitadité : ainfi «•
J'eus Foccafioii de connoMtre Peften- «
due de leur efprit & leur grandie pru- «•
dente. Lorfquc dans 1 aflemblée des if
Troyens ifs fe ievoïent tous deux , «
Mcnefas eftoit à la vérité plus grand «
qu'Ufyffe; mais lorfqu'Hs eftokntaf* «
fis, Ulyffe paroiffok phis vénérable, «•
& quand ils "parloieni devant- le" peu- «c
pic, Menelas ne firifohpasde-longsdif .«
cours; il eftoit concis &ferré,carquoy- ce
que |eune r , il n'aimoir pas-les paroles «
vagues & inutiles: ilparIoitpeu 9 maisiI.«
parIoitagrcablement& avec beaucoup «
de force. Pour Ulyffe, quand tout d'un «
coup il venoità fe lever, ilfe tenoit de «
bout fans mouvement, commpufiefta- *
tue, les yeux attachez à terre & tenant •«

ta • L'IL-IàD I
» fon fceptre immobiIe,comme un hoim- .
» me qui ne fçait ce que-c 5 eft que de par- •
» 1er dans les âflemblées ; vous f auriez
» pris pour un extravagant & pour un in-
3» fenfé; mais fi-toftqu'il-commen§oit à
» faire entendre fa voix & que les para- ;
( » les fortoiem.de fa bouche, plus ferrées
» & plus abondantes que les neiges qui
» tombent pendant Phy ver, il n'y avok
s» point d'homme qui euft Pâudace d'en-
» treren lice contre luy. Alors nous n'ad-
» mirions .plus fa bonne mine, & cet air •<
» vénérable qui le fait refpecfter, & nous
3> n'eftions plus charmez que de fon é!o- & luy demanda : Qui eft .cet homme fi ,
»*graod & fifort, & qui pafle tous la au- >
» très Grecs de toutes les efpaules
» Le guerrier dont vous parlez, re-.-•
» prît la divine Hélène, ccft ce prodige \
» de valeur, cet Ajax qui eft un des plus .
» forts remparts des Grecs; & de l'autre •
» cofté au milieu des troupes de Creie .
» vous voyez debout le grand Idomcnée.

'HoMERK. Livre lit lif:
ffùe f on prendroit poi^r un Dieu ; prés *
de luy s'aflemblent les opltaînes dé «
Créée. Menelasfa fouventreceûdans «
fou .palais fors qu'il venoit à Lacede- «
mpne.tMais je voisiey prefquç tous les' «
pï»s grands capitaines de Greee qeefe «
connoïstous & dont je pourrais vous »
dire les narasy &.je n y vois pas mes «
deux frères*ces deux grands guerriers, •
Caftor fi célèbre dans les -combats à «
cheval, & Poilus firenommé dans f es «
exerckçsdttCeftercft^cequ'iJsnefont «
pas venus de Lacedemone avec l'armée •
de* Grecs l ou qo'eftaht Vernis, ils ne" ce
veulempàs combattre pour cette indi^-ce
gne qui les a déshonorez! Ainfiparloit»-«
Helcne ; mais il y avoit longtemps qu'-
ik eftoient morts .tous deux à Lacede- •.
- Cependant les hérauts portoienr an ••
travers de la ville, les vkflimes defti*
nées pour le facrifice ;-i!s portoient auf*
fi un outre 'd'excellent vin. Le Héros*
Meuseftoït chargé d'ufte grande urne,
d'argent bien travaillée & de coupes
fjfcr f & citant arrivé- près de Prâm f i• "

tff 'Vît Î-AD'Ê
* le preflbit de partir : Levez-vous fifs &-dansFA-.
»c&are*
: Priant faîfi de frâjèm au difcotirs

B f H O M E1' I. 'Livre III. nÇ
fient à laver aux Rois. Agamemnon
tirant fe couteau, qui eftdit tou'sjour» '
«taché au fourreau defon efpée, coupa
de la laine de la teftê des agneaux,
& les hérauts des Troyens& des Grec»
la partagèrent aux Princes ;• enfuite le
grand Âtride levant les mains au ciel,
m tout haut cette prière :
. Jupiter pere des Dieux & deshom--**
mes, qui elles adoré fur le mont Ida, *
& qui eftesreveftu de force, de ma- «
ptfté •& de gloire; Soleil qui voyez & «
qui entendez toutes choies; Fleuves, «
Terre, & vous divinitez infernales qui «
purifiez tous les parjures que la mort «
z précipitez dans le ténébreux fefour, «
foyez tous nos tefmoins, & faites oh- «
ferver l'accord que nous allons jurer «
en vottre prefence : û Paris tue Mené- «
las, il gardera Hélène & toutes fes ri- «c
cheffes, •& nous lèverons le fiege, & •
nous retournerons en Grèce fur nos «
vaiffeaux; mais fi Méndas tue Paris, les «
Troyens rendront Hélène avec toutes «
fes'Ticheffes, & payeront aux Grecs & «c
à leurs defeendants à jamais un tribut «

H$; " * -VlhlkJït' ; '
* qui les, dédommage des frais de cett(T
» guerre. Que û Priam & fes enfants re-
» nifentdepayer.ee tribut après la mort
» de Paris, je déclare que je demeure icy,
»' oc que je continué le fiege pour le feul
» tribut, jufqu'à ce que j'aye entièrement
* finiJa .guerre par la prifc d*Hîon.
Ayant achevé de parler,. il efgorgd
les agneaux & les jette à terre fans vie
encore palpitants; ôn-puifè le vin dan»
l'urne, on remplit les coupes,on fait les
libations & Porç addrefle k$ vœux auX :
Dieux immortels. Dans fes deux armées
ys on n'eïitend que cette prière : Grand
a Jupiter qui 'eftes environné de gloire t
,» qui prefidez à nos.ferments; & vous,:
» Dieux immortels qui habitez auffi PO*
5> ïympe, que. tout le fang des premiers
,» qui auront Pâudac'e de violer ce traité,-
» (bit verfé à terre comme ce vin ,• & non
» feulement tout leur fang, mais tout ce- »
> luy de leurs enfants, & que leurs fem- •
•a> mes fe déshonorent. Ils' faifoient cesprières,
mais Jupiter refit & de les exau-*. '
cer.
Incitations a : ckevées Priam fefcve;

i> 9 H'0MER'x;i:w///.vi 7
' & dit, Troyens laites fifence; & vous c
:Grees efcoutez-moy : je m'en retour- «
•ne au haut Hion, car je n'ay pas fa force «
de vofr combattre mon fils avec le fier «
Menelas; il n'y a que Jupiter & lesau^ «
très Dieux qui fçacbeiit celuy que fes «
inexorables Deftinées ont condamné «
à la mort. En finMTantces mots, ceve» «
«érable vieillard monte dans fon char,
après y avoir mis les agneaux; il prend
les guides, Àntenor monte prés de luy
Jkns reprenentle chemin deTroye; ' -
... Hedor & Je divin tJIyfle; mefurér
• rent premièrement le champ.de bataille;
ils mirent enfuite'fes forts dans un
• ofque, & les méfièrent pour les tirer,
i& pour voir lequel de Menelas ou de
Paris devok le premier lancer le jave-
. lot. Cependant les peuples, lèvent les
mains au ciel'&-addrefTent aux Dieux
leurs prières , on entend les Grecs &
•fes Troyens qui difent à haute voix :
Pulffant Jupiter., qui avez un temple

ii$ ' L'IllABft
* maux qu'elfe a déjà eaufés aux.Gsecs Se
» aux Troyens, tombe fousles coups de
» fon enaemy, qu'il defeende dans le
* Royaume de Pluton", & qu'après fit
» mort nous puïffions faire une paix -fo»
:
» lide & durable '
Voilà ce que l'on entendit dans
les deux années. Cependant le -bcf«-
Jiqueux Heétor deftournant la tefk
méfia les forts-; ccluy àc Paris fortic
îe premier : après cela Jes trpupes s'at»
firent toutes par ordre, chacun ayanc
rés de foy (es armes & (es. chevaux,
f aris mari de la belle Hélène fe couvre
-d'armes magnifiques ; il met d'abord
des cuiffards bien travaillez qui s'ate*
taçhoient avec des agraffes d'argent ;
il prend mfoixe h luirafle de fon frère
Lycaon, qui cftoit de mefme taille que
lu y, & un baudrier d'où pendoit une
large efpèe; il fe charge d un grand & r
pefant bouclier, & couvre fa belle tefte •
4'un calque d un travail exquis, au haut
^duquel il y avoifspour aigrette, une
jqueite de cheval que fevent agitoit 8c
jgyiitiy dojinattweiBme plus redou*

. D* Ht>» RRS. • Lkie III. itf
fiable enfin il prenfl un fort javelot qu'»
ilaëcoramodei fa main, Mehefas s'arme
4e la mefme manière. Tqus : deux
Stmfî a|rmj^f ils s'avancent au milieu
•lies deux armées'avec des yeuxeftîncelants.
Tous ceux qui. les voyenï
(ont £iifis-.d'horreur. Quand ils furent %
en prefenec dans le champ qui avoit efté
marqué r il§ s'arrefterent, le - javelot
preft.à lancer & fe mefurant l'un l'autre
d'un air. plein, de'furie. Paris lançai
le premier, & {tanna -dans Ip -bouclier
de-Mdnelas ; mais il n'en perça pas l'ai*
rain dont la trempe fit reboucher la
pointe de fon javelot. \G fils d'Atrée Je
grand Menela levé en mefjne temps
. fon dard, & addreffant fa prière '4 Ju- •
piter, il dit : Jupiter qui régnez dans le « •
dei&fur la terrCjj&qui.haïflezlafrau- m
de - & l'injuftipe, Élites que je punifle *
Paris qui m'a outragé, le premier , «
& qi| ! ii tomhe fous mes coup, afin» ce
que tous Jes hommes,- mefme dans les «
races futures -craignent d'outrager ut* ce
hoie qui les a receûsdans fa mâifori,:*
& qui lewad^nné démarques iç foH-fc.
nûttâ. • " '

- En finiflant ces.paroles il lance -fort
javelot ,-& donne-au -milieu du bou~
dier-du-Jils'de Priam. Le javelot perce
le bouclier d*outre en .outre, pénètre
la ciuraïTe , & defcfaîre la tunique prés
du flanc. Mais Paris voyant-partir le
coup a voit '£utj*n mouvement qui le
• -garentitdela mort,& dans lemomenc
' , Menelas tirant fôn efpée, en déebarge
un grand coup. fur le cafque de
- ion ennemi; mais Eèfpée (t rompt en
plufieurs pièces ,,& luy tombe de là
main. Le grand Ataride en gémit de daw
leur, .& levant les yeux au «ciel, • fi s'efr
T> crie : -Grand Jupiter, non il n'y a poinf
» de Dieu plus cruel & plus jmpii»ya-!
» ble que vous; j'efperois me venger'de
* la perfidiede Paris, & voilà mon e%éo
9. en pieces,& mon javelot lancé en vain.
En mefme temps il fe jette fur Paris,
le prend parle calque & le.tiroitdéjadu
-, collé des Gmcs, caria counroyequiat*-
. échoit fojnarmetpor Jeflbus le mentoii
• l'eftouffoit, &• il l'auroit tiré infaillible*
. ment &, auroi t remporté unegloireim»
, mortelle-, II kfiHc de Jupiter, la belle
Venus,

D'HOMëRë. Livré III m
Venus ne s'en fuft apperceué' & n'etift •
rompu cette courroye, qui eftoit d'une
force extraordinaire. Le cafque n'eftant
plus attaché fui vit la- main de ce fieras f
^ui Ic|etu de toute fa force du coflé
des Grecs; fes amis le ramaferent, & -
% furieux, & ne fongeant qu'à plonger
fa pique dans le fein de Paris, fc
lance une féconde fois fur fuy ; mais
Venus le dérobe fans peine à fa vengeaneccar
rien n'eft difficile auxDieux;
die le couvre-d'un efpais nuage, le
porte dans une chambre du Palais de
Priam, parfumée des parfums les plus
exquis, & l'y ayant Iaiffé elfe va ellemefme
faire venir Hélène qu'elfe trouve
au haut de fa tour., au milieu d'un
grand nombre de Troyennes. Avant
que de l'aborder, elfe prend la figure
d'une vieille femme, que cette Princeffe
avoit prés d'elfe pour les ouvrages
de faine, dés le temps qu'elfe eftoit '
encore à Lacedemone & qu'elfeaimoït
tendrement. Venus ayant pris cette
reflemblance, tire Hélène par fes beaux ,
habits qui refpandçiçjjt um odeur cen
Tm$ l " ' ' ' J' •'