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Canavesio, décorateur de Notre-Dame-des-Fontaines

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L’INSPIRATION RELIGIEUSE<br />

Giovanni<br />

CANAVESIO<br />

« On fait vingt lieues en partant <strong>de</strong> Nice sur le<br />

chemin <strong>de</strong> Ten<strong>de</strong> […] on traverse le village<br />

alpestre <strong>de</strong> La Brigue : on trouve, une lieue plus<br />

loin, dans un site âpre, désert, triste, une chapelle<br />

isolée qui domine un ravin. Cinquante sources qui<br />

jaillissent et bouillonnent et écument autour <strong>de</strong>s<br />

rochers, capricieuses, intermittentes[…]emplissent<br />

<strong>de</strong> leurs sifflements ce repli solitaire […]. Une<br />

impression étrange vous attend à l’entrée. L’église<br />

entière, la nef, les voûtes, l’arceau qui surplombe<br />

le chœur sont enluminés comme un livre,<br />

complètement illustrés <strong>de</strong> fresques du XVe siècle.<br />

Rien n’est plus surprenant que <strong>de</strong> rencontrer à ces<br />

hauteurs, en pleine Alpe, à l’écart <strong>de</strong> tout, dans ce<br />

défilé parcouru par un vent éternel, cette espèce<br />

<strong>de</strong> missel ou cet écrin d’images… » 1<br />

Giovanni <strong>Canavesio</strong> ou l’expression <strong>de</strong>s<br />

sentiments<br />

La vie <strong>de</strong> Giovanni <strong>Canavesio</strong>, qui a réalisé avec<br />

la décoration <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>-<strong>de</strong>s-<strong>Fontaines</strong> à La<br />

1 Louis Gillet, historien <strong>de</strong> l’art relate ainsi sa visite <strong>de</strong> la chapelle in<br />

« Revue <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s », juin 1942<br />

Brigue le chef-d’œuvre majeur <strong>de</strong> notre<br />

département, reste mal connue, sa date <strong>de</strong><br />

naissance, notamment, n’a pu être établie avec<br />

précision. Toutefois les nombreuses œuvres qui<br />

subsistent permettent d’évoquer une personnalité<br />

riche et singulière, nourrie <strong>de</strong>s courants artistiques<br />

italiens, flamands ou germaniques.<br />

Pour la première fois, en 1472, on relève la<br />

mention d’un « presbiter Johannes Canavexii » et<br />

<strong>de</strong> son frère dans un acte d’engagement à réaliser<br />

une Vierge en Majesté. De ses années <strong>de</strong><br />

formation et <strong>de</strong>s influences artistiques qu’il reçut,<br />

on sait finalement peu <strong>de</strong> choses. Luc Thévenon 2<br />

n’émet pas <strong>de</strong> doute sur sa formation piémontaise,<br />

« dans l’ambiance turinoise », remarquant qu’aux<br />

influences <strong>de</strong>s peintres amis <strong>de</strong> l’Italie du Nord,<br />

Giacomo Jaquerio et Vincenzo Foppa, se mêlent<br />

certainement <strong>de</strong>s influences provençales et<br />

flaman<strong>de</strong>s.<br />

En 1470-1471, affecté au service <strong>de</strong> la cathédrale<br />

d’Albenga en Ligurie, il va effectuer, à partir <strong>de</strong><br />

ce point d’ancrage, <strong>de</strong> nombreux chantiers en<br />

Ligurie et dans le Comté <strong>de</strong> Nice. De Taggia à<br />

Pigna, <strong>de</strong> Diano <strong>de</strong> Castello à Saint-Etienne <strong>de</strong><br />

Tinée, on trouve trace <strong>de</strong> ses œuvres, qu’elles<br />

soient <strong>de</strong> chevalet ou pariétales. Celles qui lui sont<br />

attribuées, ou qui témoignent <strong>de</strong> son influence, à<br />

Peillon, Luceram, Taggia…, contribuent<br />

également à <strong>de</strong>ssiner le portrait d’un artiste<br />

majeur <strong>de</strong> la phase finale du Gothique<br />

International en Ligurie et dans le Comté <strong>de</strong> Nice.<br />

Pétri d’influences, <strong>Canavesio</strong> retient du Gothique<br />

International, les détails minutieux, le chatoiement<br />

<strong>de</strong>s étoffes, la richesse <strong>de</strong>s couleurs. Il s’ouvre à la<br />

gran<strong>de</strong> peinture italienne et à la Renaissance en<br />

intégrant, dans ses fresques notamment, la<br />

représentation du mouvement et <strong>de</strong>s nouveautés<br />

en matière <strong>de</strong> perspectives et d’éclairage dans <strong>de</strong>s<br />

compositions qui se simplifient. Sans doute doit-il<br />

à l’influence <strong>de</strong> Ludovic Bréa et <strong>de</strong> Jacques<br />

Durandy une certaine façon <strong>de</strong> jouer avec la<br />

lumière et d’éclairer <strong>de</strong>s paysages et <strong>de</strong>s visages<br />

délicatement <strong>de</strong>ssinés. Enfin, les spécialistes <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> l’art décèlent dans l’œuvre <strong>de</strong><br />

<strong>Canavesio</strong>, l’influence indirecte <strong>de</strong>s peintres<br />

flamands, Jan Van Eyck, Petrus Christus, ainsi<br />

que du graveur I. Van Meckenem-le-jeune.<br />

Une œuvre poignante : <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>-<strong>de</strong>s-<br />

<strong>Fontaines</strong><br />

Au XVe siècle, le sanctuaire <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>-<strong>de</strong>s<br />

<strong>Fontaines</strong> se situait sur l’important chemin<br />

muletier qui conduisait vers la Ligurie ou la<br />

Riviera. Il attirait <strong>de</strong> nombreux pèlerins, car<br />

2 Thevenon (Luc), Giovanni <strong>Canavesio</strong>, <strong>décorateur</strong> <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong><strong>de</strong>s-<strong>Fontaines</strong>,<br />

Nice-Historique, 1997, n°2


l’édifice était bâti sur <strong>de</strong>s sources intermittentes<br />

auxquelles on attribuait un pouvoir miraculeux<br />

lors <strong>de</strong> leurs résurgences. Une légen<strong>de</strong> ancienne<br />

voudrait que le sanctuaire ait été bâti à la suite<br />

d’un vœu <strong>de</strong>s populations, qui privées d’eau, sans<br />

doute à la suite d'un tremblement <strong>de</strong> terre, avaient<br />

invoqué la Vierge pour retrouver le précieux<br />

liqui<strong>de</strong> indispensable à leur quotidien.<br />

L’état actuel du bâtiment résulte <strong>de</strong> diverses<br />

transformations architecturales, la chapelle aurait<br />

été agrandie dans la secon<strong>de</strong> moitié du XVe siècle<br />

et le petit porche reposant sur pilastres fut rajouté<br />

au début du XVIIe siècle pour permettre<br />

d’accueillir, sur le terre-plein actuel, un plus grand<br />

nombre <strong>de</strong> pèlerins. D’importantes modifications<br />

touchèrent la faça<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntale : <strong>de</strong>ux portes<br />

latérales furent ouvertes en 1605 remplaçant la<br />

porte primitive qui fut bouchée ; un oculus, percé<br />

dans la faça<strong>de</strong> pour améliorer l'éclairage intérieur,<br />

a endommagé la fresque du Jugement <strong>de</strong>rnier<br />

réalisée à son revers.<br />

Œuvre <strong>de</strong> collaboration, la décoration <strong>de</strong> la<br />

chapelle est due au peintre Baleison pour le<br />

chœur, à G. <strong>Canavesio</strong> pour le reste.<br />

Seul le centurion qui surveilla l’exécution du<br />

Christ se tient toujours dans l’espace à sa gauche,<br />

mais sa déclaration <strong>de</strong> foi inscrite au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

lui, rappelle sa conversion et l’espoir, pour chaque<br />

homme, <strong>de</strong> passer d’un camp à l’autre pour<br />

racheter son salut.<br />

Laissons Georges Normandy, cité par Guillaume<br />

Boréa 3 donner sa <strong>de</strong>scription du saisissant Judas<br />

pendu qui forme le panneau précé<strong>de</strong>nt.<br />

La Passion du Christ est figurée en 25 panneaux<br />

disposés en <strong>de</strong>ux registres superposés sur les murs<br />

<strong>de</strong> la nef. Chaque panneau est chronologiquement<br />

cohérent, seul le panneau consacré à la mort <strong>de</strong><br />

Jésus, double en proportion, mêle <strong>de</strong>s événements<br />

se déroulant avant, pendant, et après la mort du<br />

Christ. Dans cette scène complexe, qui juxtapose<br />

les évènements, et où sont représentés près <strong>de</strong><br />

vingt cinq personnages, c’est la croix qui marque<br />

l’axe <strong>de</strong> symétrie du tableau, groupant à la droite<br />

du Christ les personnages remarquables et<br />

reléguant les méchants à sa gauche.<br />

« Le Judas pendu constitue à lui seul un<br />

effroyable chef-d’œuvre […] il est pendu à une<br />

branche d’olivier, le corps flottant et inerte ; mais<br />

ses yeux convulsés, sa bouche tordue, sa langue<br />

pendante, témoignent <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières crispations <strong>de</strong><br />

l’agonie, <strong>de</strong> la torture <strong>de</strong>s remords, <strong>de</strong><br />

l’épouvante <strong>de</strong> la damnation, l’expression <strong>de</strong> celui<br />

qui n’a pu trouver dans la mort la paix <strong>de</strong> l’âme<br />

est poignante jusqu’à l’horreur. Les Ecritures ont<br />

dit « Et suspensus crepuit medius et diffusa sunt<br />

omnia viscera ejus » aussi le ventre du disciple<br />

félon est-il ouvert, mettant à nu ses viscères et<br />

laissant pendre ses intestins […]. Un démon a<br />

violé cette chair damnée, il a fouillé ses entrailles<br />

abominables et il en extirpe avec effort l’âme<br />

traitresse, s’arc-boutant pour sa sinistre besogne<br />

aux flancs du misérable »<br />

3 Boréa (Guillaume), Les fresques <strong>de</strong> Jean Canavesi au<br />

sanctuaire <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>-du-Fontan à La Briga in<br />

« Annales <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s lettres, sciences et arts <strong>de</strong>s<br />

Alpes-Maritimes », tome 23, 1914


Le monumental Jugement Dernier (4 mètres <strong>de</strong><br />

hauteur sur 7 mètres <strong>de</strong> large) qui compose le<br />

décor unique <strong>de</strong> la paroi occi<strong>de</strong>ntale, s’offre à la<br />

vue <strong>de</strong>s pèlerins qui quittent le sanctuaire et vise à<br />

les édifier.<br />

Là aussi, après une impression <strong>de</strong> confusion, car<br />

le regard se perd dans une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> scènes, la<br />

focalisation se fait sur le personnage central du<br />

Christ ré<strong>de</strong>mpteur.<br />

Aux portes <strong>de</strong> l’Enfer, les damnés se<br />

contorsionnent et crient dans une angoisse<br />

palpable, formant un tableau désordonné et<br />

violent. L'immense squelette <strong>de</strong> la mort, enserrant<br />

les condamnés <strong>de</strong> ses os démesurés est sans doute<br />

inspiré <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Jan Van Eyck, repris par Petrus<br />

Christus ; impitoyable, il les dirige vers la bouche<br />

acérée d’un squale monstrueux.<br />

Deux gran<strong>de</strong>s représentations s’opposent : celle<br />

<strong>de</strong>s élus, et celle <strong>de</strong>s damnés. A la droite du Christ<br />

les élus forment plusieurs groupes : au plus haut,<br />

les justes <strong>de</strong> l'Ancien Testament ; au milieu, les<br />

saints ; au registre inférieur, la procession <strong>de</strong>s<br />

Vierges et l'ensemble <strong>de</strong>s Saints Innocents. Au<br />

plus bas figure la résurrection <strong>de</strong>s morts.<br />

À la gauche du Christ sont représentées les scènes<br />

infernales. Saint-Michel archange, épée en main,<br />

précipite les damnés vers l’Enfer.


Le reste <strong>de</strong> la fresque utilise les co<strong>de</strong>s habituels <strong>de</strong><br />

la représentation. Le Christ Ré<strong>de</strong>mpteur est<br />

représenté torse nu, revêtu d'un ample manteau<br />

rouge. La main levée, les rayons qui s’échappent<br />

<strong>de</strong> ses plaies, viennent frapper les damnés nus, <strong>de</strong>s<br />

anges portant les instruments <strong>de</strong> la<br />

Passion l’entourent ainsi que les douze apôtres<br />

abrités par <strong>de</strong>s baldaquins. La Vierge Marie et<br />

saint Jean-Baptiste à genoux sont en position<br />

d’intercesseurs.<br />

Les fresques <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>-<strong>de</strong>s-<strong>Fontaines</strong>,<br />

fourmillent <strong>de</strong> mille détails qui permettent <strong>de</strong><br />

connaître la vie quotidienne, le sentiment <strong>de</strong> piété<br />

et les pratiques religieuses <strong>de</strong>s hommes dans les<br />

<strong>de</strong>rniers temps du Moyen Âge. C’est toutefois par<br />

l’expressivité <strong>de</strong>s sentiments exprimés, douleur,<br />

effroi, peine, que ces fresques continuent à<br />

entretenir avec ceux qui les regar<strong>de</strong>nt aujourd’hui,<br />

un dialogue fécond.<br />

Sources :<br />

- Thevenon (Luc), Giovanni <strong>Canavesio</strong>,<br />

<strong>décorateur</strong> <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>-<strong>de</strong>s-<br />

<strong>Fontaines</strong>, Nice-Historique, 1997, n°2<br />

- Boréa (Guillaume), Les fresques <strong>de</strong> Jean<br />

Canavesi au sanctuaire <strong>de</strong> <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>du-Fontan<br />

à La Briga. Annales <strong>de</strong> la<br />

Société <strong>de</strong>s lettres, sciences et arts <strong>de</strong>s<br />

Alpes-Maritimes, tome 23, 1914<br />

- http://www.culture.gouv.fr/culture/medieval/<br />

francais/in<strong>de</strong>x.htm<br />

Photographies :<br />

- Michel Graniou, photographe<br />

- Service du Patrimoine, cg 06

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