Afef CHOUAIB et Férid ZADDEM - rimhe
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Le climat éthique au travail : pour promouvoir<br />
des relations interpersonnelles de confiance<br />
<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> 1 <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong> 2<br />
Résumé<br />
C<strong>et</strong> article propose d’éclairer l’impact du climat éthique au travail sur<br />
les relations de confiance interpersonnelle. Une étude exploratoire basée sur des<br />
entr<strong>et</strong>iens semi-directifs a été conduite auprès de diverses entreprises tunisiennes,<br />
dans l’objectif d’identifier les climats éthiques dominants, tels que perçus par<br />
les répondants, <strong>et</strong> de détecter les liens significatifs potentiels avec la confiance<br />
interpersonnelle. Les résultats de l’enquête soutiennent le poids du climat éthique<br />
perçu, associé à une expérience positive ou négative pour l’employé, dans le renforcement<br />
ou, au contraire, dans la dégradation des relations de confiance envers<br />
le dirigeant <strong>et</strong> les collègues de travail. Aussi, lorsque c<strong>et</strong>te confiance existe, elle<br />
revêt tantôt un aspect fortement affectif, tantôt un aspect cognitif, <strong>et</strong> ce relativement<br />
à la nature du climat éthique perçu.<br />
Mots clés<br />
Climat éthique - confiance affective - confiance cognitive - dirigeant - pair.<br />
Abstract<br />
This article suggests lighting the impact of the <strong>et</strong>hical work climate on trust relationship.<br />
Exploratory study based on semi-directed interviews was conducted<br />
across Tunisian companies in order to identify dominant <strong>et</strong>hical climates as perceived<br />
by respondents and to d<strong>et</strong>ect potential significant relationships with interpersonal<br />
trust. The results support the perceived <strong>et</strong>hical climate weight, associated<br />
with positive or negative experience for the employee, in reinforcing<br />
or contrarily damaging trust relationship to employer or colleagues. In addition,<br />
when this trust exists, it som<strong>et</strong>imes covers a deeply affective aspect, other times a<br />
cognitive aspect, and this is according to the perceived <strong>et</strong>hical climate.<br />
Keywords<br />
Ethical climate – affective trust- cognitive trust – employer – colleagues.<br />
1 - Doctorante en Sciences de Gestion, Institut Supérieur de Gestion, ISG de Tunis<br />
chouaib_afef2003@yahoo.fr<br />
2 - Professeur à l’ISCAE, Université de Manouba, Responsable du Mastère Management <strong>et</strong> du Programme<br />
d’Appui à la Qualité (PAQ).<br />
RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management <strong>et</strong> l’Humanisme<br />
n°1 - NE - mars/avril 2012 - Ethique <strong>et</strong> Organisation<br />
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Le climat éthique au travail : pour promouvoir des relations interpersonnelles de confiance<br />
<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
Introduction<br />
L’éthique est un thème en vogue depuis des années déjà. Le besoin pressant<br />
pour promouvoir une telle valeur dans les organisations n’est pas<br />
seulement dicté par la volonté de s’aligner sur une tendance managériale<br />
ou de répondre à un impératif économique <strong>et</strong> social, mais c’est aussi <strong>et</strong><br />
surtout un moyen qui s’offre à l’organisation pour asseoir sa légitimité <strong>et</strong><br />
développer des relations de confiance, essentielles à sa crédibilité <strong>et</strong> à sa<br />
pérennité (Boyer, 2002). Personne ne doute aujourd’hui que la société vit<br />
un véritable changement où les valeurs morales <strong>et</strong> religieuses connaissent<br />
quelques fissures. Des aspects comme la montée de l’individualisme, la<br />
primauté de la « raison instrumentale » <strong>et</strong> la recherche démesurée de profits,<br />
témoignent d’une « morale débridée » (Ball<strong>et</strong> <strong>et</strong> De Bry, 2001) <strong>et</strong> sont<br />
à l’origine d’une fragilisation du système social (Dahmani, 2010). Les<br />
dérives morales <strong>et</strong> les écarts de conduite des gestionnaires, ayant mené à<br />
des scandales financiers, sont au cœur d’une crise de confiance, à laquelle<br />
les entreprises doivent faire face. Promouvoir un climat de confiance au<br />
milieu organisationnel semble de plus en plus reposer sur l’adhésion à un<br />
ensemble de règles <strong>et</strong> de principes de conduite, prônant des valeurs éthiques<br />
partagées par les membres dans l’entreprise. Plus particulièrement,<br />
nous proposons dans le cadre de c<strong>et</strong> article, de nous intéresser au rôle du<br />
climat éthique comme un catalyseur des relations de confiance au travail.<br />
Le climat éthique est perçu par l’employé comme le miroir des valeurs<br />
éthiques prédominantes ainsi que des comportements organisationnels,<br />
des pratiques <strong>et</strong> des politiques éthiques gérant son vécu dans l’entreprise.<br />
Les valeurs <strong>et</strong> les pratiques éthiques qui caractérisent le contexte de travail<br />
sont, à notre sens, des préalables pour le développement de la confiance<br />
en milieu organisationnel. C<strong>et</strong>te idée n’a pas fait, à notre connaissance,<br />
l’obj<strong>et</strong> d’une recherche empirique même si elle a été proposée timidement<br />
par certains chercheurs comme Hosmer (1995) <strong>et</strong> Ruppel <strong>et</strong> Harrington<br />
(2000). C<strong>et</strong> article est structuré comme suit : premièrement, nous<br />
traiterons des connaissances théoriques se rapportant aux concepts de climat<br />
éthique <strong>et</strong> de confiance interpersonnelle. Nous exposerons ensuite la<br />
méthodologie <strong>et</strong> les techniques mobilisées pour la conduite de l’enquête.<br />
Nous discuterons enfin des principaux résultats générés. Les implications,<br />
les limites de l’étude ainsi que les voies futures de recherche seront présentées<br />
à la fin du texte.<br />
1. Le climat éthique au travail<br />
D’une manière générale, le climat éthique est défini comme « l’ensemble<br />
des perceptions partagées de ce qui est un comportement éthiquement<br />
correct, <strong>et</strong> de la manière dont les problèmes éthiques devraient être traités<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
dans une organisation » (Victor <strong>et</strong> Cullen, 1988 : 109). Il émerge dans<br />
une large mesure des processus organisationnels transm<strong>et</strong>tant les attentes<br />
managériales en termes de comportements moraux, de processus de résolution<br />
des problèmes éthiques <strong>et</strong> exerce une influence déterminante sur les<br />
attitudes <strong>et</strong> les comportements des membres de l’organisation. Depuis les<br />
années 80, ce concept a suscité de nombreuses recherches se rapportant<br />
essentiellement aux conséquences qu’il génère sur un éventail de comportements<br />
<strong>et</strong> d’attitudes au travail (P<strong>et</strong>erson, 2002 ; Cullen <strong>et</strong> al, 2003 ;<br />
Mulki <strong>et</strong> al, 2006 ; Leung, 2007). L’idée de perceptions partagées, associée<br />
à la définition du climat éthique, confère à ce concept un aspect subjectif,<br />
<strong>et</strong> fait que l’existence d’un type de climat éthique ne se confirme que<br />
lorsque la majorité des membres dans une organisation ou unité estiment<br />
que certaines formes de raisonnement ou de comportements éthiques dominent<br />
le fonctionnement du système (Martin <strong>et</strong> Cullen, 2006). Le climat<br />
éthique sert également, selon Cullen <strong>et</strong> al. (2003), de « lentilles perceptuelles<br />
» qui supportent le manager dans l’effort d’identification <strong>et</strong> de résolution<br />
des dilemmes éthiques. La théorie du climat éthique est classée<br />
dans le champ des travaux antérieurs sur l’éthique, comme l’une des théories<br />
« médianes » (Wacheux, 1996 : 47), s’inscrivant dans une perspective<br />
collective de l’éthique 3 . Deux théories distinctives ont constitué un catalyseur<br />
des travaux sur ce phénomène : il s’agit des théories de la philosophie<br />
morale <strong>et</strong> des théories en psychologie cognitive, <strong>et</strong> plus particulièrement<br />
le modèle de développement moral de Kohlberg (1984). Les théories en<br />
philosophie morale, utilisées comme des grilles d’évaluation de l’aspect<br />
moral des pratiques <strong>et</strong> des actions en management, sont constituées principalement<br />
des théories « utilitaristes » <strong>et</strong> « déontologiques ». Les premières<br />
évaluent le caractère éthique d’un acte sur la base des conséquences<br />
qu’il génère ; les secondes jugent la dimension éthique contenue dans un<br />
acte par rapport au respect de normes universelles prédéfinies. Le modèle<br />
de développement moral de Kholberg (1984) suppose que les individus<br />
évoluent de façon séquentielle <strong>et</strong> unidirectionnelle dans la façon dont ils<br />
raisonnent à propos des obligations morales (niveau pré-conventionnel,<br />
conventionnel, post-conventionnel) (Kholberg, 1984). L’approche du climat<br />
de travail constitue aussi un ancrage théorique important des travaux<br />
sur le climat éthique. Ce dernier se réfère à un type de climat de travail reflétant<br />
les politiques, procédures <strong>et</strong> pratiques organisationnelles ayant des<br />
conséquences morales (Martin <strong>et</strong> Cullen, 2006). Différents modèles sur le<br />
climat éthique ont émergé dans la littérature, proposant chacun une ma-<br />
3 - Ces théories ont été développées par certains chercheurs de l’éthique des affaires, en réponse à<br />
une question d’accessibilité <strong>et</strong> d’une plus grande opérationnalisation par rapport aux théories morales<br />
classiques (Hirèche <strong>et</strong> Al Mourab<strong>et</strong>, 2005).<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
nière spécifique pour appréhender les fac<strong>et</strong>tes de ce construit (Reidenbach<br />
<strong>et</strong> Robin, 1990 ; Vidaver-Cohen, 1995 ; Arnaud, 2010). Mais le modèle qui<br />
est à l’origine de plus des trois-quarts des écrits sur les climats éthiques<br />
est celui de Victor <strong>et</strong> Cullen (1988). L’intérêt des travaux de ces deux<br />
chercheurs réside dans leur tentative d’établir une typologie des climats<br />
éthiques pouvant être testée empiriquement. En se basant sur les travaux<br />
antérieurs en théorie de l’éthique, en développement moral <strong>et</strong> aussi en<br />
théories sociologiques de l’organisation, Victor <strong>et</strong> Cullen (1988) ont identifié<br />
une double dimension pour classer les climats éthiques au travail. La<br />
première dimension du « critère éthique » fait référence à la philosophie<br />
morale dominante dans la prise de décision. Elle renferme trois critères<br />
étroitement alignés avec les trois classes majeures de la théorie éthique,<br />
à savoir l’égoïsme, l’utilitarisme <strong>et</strong> la déontologie (Fritzsche <strong>et</strong> Becker,<br />
1984). La deuxième dimension intitulée « lieu d’analyse », dérive de la<br />
théorie sociologique portant sur les groupes de référence (Merton, 1957).<br />
Elle reflète trois niveaux de la préoccupation éthique des entreprises : niveau<br />
individuel, niveau organisationnel <strong>et</strong> niveau cosmopolite. En croisant<br />
ces deux dimensions, Victor <strong>et</strong> Cullen (1988) déterminent neufs types<br />
théoriques de climats éthiques. C<strong>et</strong>te typologie bidimensionnelle est présentée<br />
dans le tableau 1. Bien que les organisations aient souvent un type<br />
de climat éthique dominant, plusieurs types de climats éthiques peuvent<br />
coexister dans une même organisation (Victor <strong>et</strong> Cullen, 1987 ; 1988). A<br />
travers c<strong>et</strong> article, nous plaiderons pour une prise de conscience de l’impact<br />
du climat éthique sur la confiance en milieu professionnel.<br />
Individuel Local Cosmopolite<br />
Egoïsme Intérêt individuel Profit de l’entreprise Efficience<br />
Bienveillance Amitié Intérêt de l’équipe<br />
Principes<br />
Morale personnelle<br />
Règles <strong>et</strong> procédures<br />
de l’entreprise<br />
Responsabilité<br />
sociale<br />
Lois <strong>et</strong> codes<br />
professionnels<br />
Tableau 1 : Les différents types théoriques du climat éthique (Victor <strong>et</strong><br />
Cullen, 1988, p. 104)<br />
2. La confiance : Définition <strong>et</strong> fondements moraux<br />
La confiance est généralement considérée comme un état psychologique<br />
comprenant l’acceptation d’une vulnérabilité, fondée sur des croyances<br />
<strong>et</strong> des attentes se rapportant aux intentions ou aux comportements d’une<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
autre personne (Rousseau <strong>et</strong> al, 1998). Mayer <strong>et</strong> al. (1995) ont apporté une<br />
réelle avancée dans le regroupement de ces attentes <strong>et</strong> ce en constatant<br />
dans la littérature (Butler, 1991 ; Mishra, 1996) l’existence d’un panorama<br />
de déterminants relatifs aux caractéristiques du « trustor » (celui qui est<br />
digne de confiance). Ils proposent un modèle intégré de la confiance incluant<br />
trois catégories principales à savoir la capacité, l’intégrité <strong>et</strong> la bienveillance.<br />
La capacité renvoie à l’ensemble des aptitudes perm<strong>et</strong>tant à un<br />
individu d’être fiable <strong>et</strong> performant dans un domaine particulier ; la bienveillance<br />
est synonyme d’une volonté de soutenir <strong>et</strong> de protéger les droits<br />
<strong>et</strong> intérêts des autres suite à un attachement émotionnel ; l’intégrité est la<br />
croyance que l’autre adhèrerait à un ensemble de principes perçus comme<br />
acceptables (Mayer <strong>et</strong> al, 1995). De plus, il est largement admis que la<br />
confiance contient à la fois des composantes cognitives <strong>et</strong> affectives (Mc<br />
Allister, 1995 ; Erdem <strong>et</strong> Ozen, 2003). La confiance cognitive est objective<br />
par nature. Elle est basée sur des processus « rationnels » <strong>et</strong> méthodiques<br />
d’évaluation des capacités des individus à assumer leurs obligations (Morrow<br />
<strong>et</strong> al, 1999). La confiance affective, par contre, traduit un attachement<br />
émotionnel, un lien d’identification découlant de la proximité mutuelle qui<br />
existe entre les deux partenaires. Elle se réfère, selon plusieurs auteurs, à<br />
une croyance dans le caractère moral de l’autre, dans sa bienveillance <strong>et</strong><br />
dans ses « bonnes intentions » (Uslaner, 2002). Ce point de vue moral est<br />
partagé dans la définition de Granov<strong>et</strong>ter (2002) qui conçoit la confiance<br />
comme « la certitude que les autres agiront dans le sens de nos intérêts,<br />
en dépit des motivations économiques qui les inciteraient à se comporter<br />
autrement ». Ring <strong>et</strong> Van de Ven (1994, p. 96) proposent, pour leur part,<br />
de définir la confiance comme la « foi dans l’intégrité morale ou la bienveillance<br />
des autres ». Hosmer (1995, p. 381), quant à lui, appréhende la<br />
confiance comme le résultat d’un comportement « bienveillant », « correct<br />
», <strong>et</strong> « équitable », c’est-à-dire des actions <strong>et</strong> décisions moralement correctes,<br />
basées sur des principes éthiques d’analyse, <strong>et</strong> qui reconnaissent <strong>et</strong><br />
protègent les droits <strong>et</strong> intérêts des autres dans la société. En eff<strong>et</strong>, de plus<br />
en plus de travaux reconnaissent qu’une gestion éthique dans l’entreprise<br />
est vitale pour construire des relations durables avec ses employés <strong>et</strong> susciter<br />
leur loyauté envers les managers <strong>et</strong> le système d’une manière générale<br />
(Mercier, 2004). Dans la lignée de ces travaux, le présent papier se<br />
propose de démontrer que le climat éthique dans l’entreprise est un préalable<br />
crucial pour instaurer les fondements de la confiance interpersonnelle.<br />
Plus précisément, nous nous intéressons à l’étude de deux niveaux de la<br />
relation de confiance : la confiance accordée par l’employé au dirigeant <strong>et</strong><br />
celle accordée à ses collègues au travail. Le choix de ces deux niveaux se<br />
justifie par leur pertinence dans la constitution des perceptions des membres<br />
de l’entreprise des climats éthiques dominants. Premièrement, les<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
dirigeants sont les premiers responsables de la définition des standards<br />
éthiques, de leur communication formellement ou informellement à travers<br />
leurs propres conduites <strong>et</strong> décisions, les stratégies mises en œuvre,<br />
ainsi que leur appropriation par les membres de l’entreprise (Ambrose<br />
<strong>et</strong> Schminke, 2003). Les employés ont tendance à accorder confiance à<br />
leurs dirigeants lorsqu’ils perçoivent un climat éthique positif dans lequel<br />
supérieurs <strong>et</strong> managers se comportent éthiquement <strong>et</strong> avec bienveillance,<br />
tiennent leurs promesses, agissent comme des « modèles éthiques » (Trevino<br />
<strong>et</strong> Brown, 2004). Les dirigeants constituent aussi un « référentiel » <strong>et</strong><br />
un « miroir » des comportements encouragés, ou au contraire intolérables<br />
pour les employés. Ce constat vient justifier en partie la prise en considération<br />
des « collègues » comme un deuxième partenaire focal affectant,<br />
par ses conduites, les perceptions des membres quant au climat éthique<br />
dominant dans l’entreprise. Qualifiés d’« agents de contagion » (Lavelle<br />
<strong>et</strong> al, 2007), les collègues de travail occupent largement l’environnement<br />
social immédiat de l’employé <strong>et</strong> jouent un rôle majeur comme des agents<br />
d’influence sociale (Tan <strong>et</strong> Lim, 2009) dans la perpétuation <strong>et</strong> le partage<br />
d’interprétations, de motivations, d’attentes <strong>et</strong> d’attitudes communes. Les<br />
perceptions individuelles des employés peuvent, à c<strong>et</strong> égard, être influencées<br />
par les attitudes de leurs collègues, jugés comme faisant partie d’un<br />
vécu organisationnel similaire (Salancik <strong>et</strong> Pfeffer, 1978). A c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>,<br />
l’employé jugeant travailler dans un climat favorable, où ses collègues<br />
partagent des perceptions équivalentes <strong>et</strong> se conduisent également d’une<br />
manière bienveillante <strong>et</strong> respectueuse, est amené à leur accorder un plus<br />
grand crédit de confiance.<br />
3. Méthodologie de la recherche<br />
Malgré le fait que les thèmes sur l’éthique <strong>et</strong> la responsabilité sociale de<br />
l’entreprise aient fait l’obj<strong>et</strong> de multiples recherches dans le contexte américain<br />
<strong>et</strong> français, l’éthique demeure encore un suj<strong>et</strong> émergent dans le langage<br />
des entreprises tunisiennes, <strong>et</strong> profondément dépendant du contexte<br />
<strong>et</strong> de l’orientation stratégique de chacune d’elles. Ainsi, compte tenu du<br />
faible degré de développement des recherches sur l’éthique d’entreprise<br />
dans le contexte tunisien, nous avons jugé pertinent le recours à une approche<br />
qualitative pour explorer les liens potentiels entre climat éthique<br />
<strong>et</strong> confiance interpersonnelle. Plus particulièrement, la présente recherche<br />
se propose d’une part, de contribuer à l’identification des types de climats<br />
éthiques au travail, tels que perçus par les membres dans les entreprises<br />
tunisiennes étudiées, <strong>et</strong> d’autre part, de mieux comprendre le rôle de ces<br />
climats dans le développement de relations de confiance au travail. La<br />
technique de collecte de données adoptée est l’entr<strong>et</strong>ien semi-directif. C<strong>et</strong><br />
instrument est privilégié compte tenu de sa grande flexibilité <strong>et</strong> de la ri-<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
chesse des informations qu’il peut générer (Miles & Huberman, 2003). Un<br />
guide d’entr<strong>et</strong>ien a été élaboré <strong>et</strong> structuré en trois parties principales. Une<br />
première partie vise l’identification du répondant <strong>et</strong> de l’entreprise qui<br />
l’emploie. Une deuxième partie comporte des questions visant à comprendre<br />
l’environnement de travail, la nature des relations qui existent, le style<br />
de leadership adopté, le vécu social au travail, l’équité dans les décisions<br />
<strong>et</strong> les pratiques de GRH, le traitement éthique subi par les répondants, …<br />
Une dernière partie a pour objectif de déceler les liens que les répondants<br />
établissent entre le climat éthique perçu <strong>et</strong> le développement des relations<br />
de confiance avec leurs partenaires au travail. Vingt <strong>et</strong> un entr<strong>et</strong>iens d’une<br />
durée moyenne d’une heure <strong>et</strong> 15 minutes ont été conduits auprès de cadres<br />
dans sept entreprises tunisiennes, présentant des contextes différents<br />
<strong>et</strong> des caractéristiques organisationnelles différenciées. La diversification<br />
de l’échantillon des entreprises enquêtées avait pour objectif l’identification<br />
<strong>et</strong> l’étude de climats variés <strong>et</strong> la compréhension de leur impact sur les<br />
relations de confiance. Le tableau 2 présente un récapitulatif des caractéristiques<br />
des entreprises étudiées <strong>et</strong> les profils des cadres interviewés.<br />
L’analyse des données qualitatives a été réalisée au moyen de l’analyse<br />
thématique de contenu.<br />
Code de<br />
l’entreprise<br />
Effectif<br />
Secteur<br />
d’activité<br />
PL 4.000 agroalimentaire<br />
Type<br />
d’entreprise<br />
Groupe<br />
Tunisien<br />
MN 55 public Municipalité<br />
TG 80 public District<br />
FC 40<br />
produits<br />
chimiques<br />
LM 280 pétrolier<br />
TP 250 pétrolier<br />
BC 45 bureautique<br />
PME<br />
tunisienne<br />
privée<br />
Filiale d’une<br />
multinationale<br />
Entreprise<br />
tunisoautrichienne<br />
Entreprise<br />
tunisienne<br />
privée<br />
Personnes interrogées<br />
1 responsable RH<br />
1 responsable de production<br />
1 cadre administratif<br />
1 cadre du servie social<br />
1 responsable de formation<br />
1 cadre administratif<br />
1 responsable RH<br />
1 responsable financier<br />
1 responsable technique<br />
1 responsable commercial<br />
1 cadre technique<br />
1 responsable en production<br />
1 cadre en RH<br />
1 Ingénieur informatique<br />
1 responsable des proj<strong>et</strong>s<br />
1 cadre en RH<br />
1 Ingénieur informatique<br />
1 cadre financier<br />
1 responsable RH<br />
1 cadre administratif<br />
1 directeur technique<br />
Total 7 entreprises 21 personnes<br />
Tableau 2 : Descriptif de l’échantillon de recherche<br />
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4. Interprétation <strong>et</strong> discussion des résultats<br />
L’objectif assigné à c<strong>et</strong>te recherche exploratoire est d’examiner la plausibilité<br />
des liens entre les différents types de climats éthiques perçus <strong>et</strong> le<br />
développement de relations de confiance au travail. D’une manière générale,<br />
les personnes interrogées dans le cadre de c<strong>et</strong>te étude accordent une<br />
importance très significative au climat de travail <strong>et</strong> au traitement éthique<br />
subi, comme critère principal de l’évaluation de l’honnêt<strong>et</strong>é, de la bienveillance,<br />
de la loyauté <strong>et</strong> de l’intégrité de leurs partenaires dans l’organisation.<br />
Ces critères précités qui constituent, entre autres, des déterminants<br />
de la confiance (Mayer <strong>et</strong> al., 1995 ; Campoy <strong>et</strong> Neveu, 2006), renferment<br />
grandement les fondements de valeurs morales (Hosmer, 1995). Ils témoignent<br />
de l’attitude <strong>et</strong> du comportement éthique du partenaire en interaction.<br />
Une analyse des discours par individu, nous a permis d’identifier<br />
des groupes semblables d’interlocuteurs ayant développé des perceptions<br />
homogènes quant au climat éthique qui règne dans leurs entreprises. En<br />
eff<strong>et</strong>, bien que ces personnes aient fait référence à différentes étapes de<br />
leurs discours à des types différents de climats éthiques, notre objectif<br />
est d’identifier la nature du climat dominant. Nous nous sommes ainsi<br />
focalisés sur les perceptions partagées par les interviewés d’une même<br />
organisation. Cela nous a permis ultérieurement de classer les entreprises<br />
auxquelles appartiennent ces répondants sur la base des récurrences <strong>et</strong> de<br />
l’homogénéité des catégories du climat éthique qui s’en dégagent (Miles<br />
<strong>et</strong> Huberman, 2003). Le tableau 3 rend compte de c<strong>et</strong>te classification.<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
Métacatégorie<br />
Souscatégories<br />
Climat<br />
bienveillant<br />
Codes des<br />
entreprises<br />
identifiées<br />
BC<br />
TP<br />
TG<br />
Exemples de mots ou de groupes de mots<br />
utilisés par les interviewés<br />
Famille, consolider, soutien, souci pour<br />
l’autre, entraide, équitablement, culture,<br />
amitié, intérêt collectif, échange, fraternité,<br />
positiver, traitement éthique, partage,<br />
équilibre, intérêt commun, bien-être, portes<br />
ouvertes, écoute, fraternité, empathie,<br />
veiller, sentiments, ouvertement,……<br />
Nombre<br />
des<br />
références<br />
codées<br />
172<br />
Climat éthique au travail<br />
Climat<br />
égoïste<br />
Climat<br />
déontologique<br />
MN<br />
FC<br />
PL<br />
LM<br />
méfiance, abus de pouvoir, individualiste,<br />
clans, malhonnête, iniquité, culpabiliser,<br />
matérialiste, pouvoir, administratif, domine,<br />
gap, intérêt personnel, au détriment des autres,<br />
recherche exclusive du gain personnel, intérêts<br />
particuliers, ignorer les intérêts d’autrui…..<br />
Règles, normes, principes, procédures,<br />
professionnalisme, formel, prévoir les<br />
dilemmes éthiques, transparence, unifier les<br />
conduites, référentiel collectif, rationalité,<br />
miroir de la culture, maîtrise, objectivement,<br />
adhésion, documents, travailler dans les<br />
règles de l’art, normalisé, comportement<br />
correct, convenable, énoncés, officiel, bien<br />
être de la communauté, convention,…..<br />
78<br />
133<br />
Tableau 3 : Classification des entreprises étudiées selon la catégorie du climat<br />
éthique dominant à partir d’une analyse du contenu narratif des discours<br />
4.1 Le climat bienveillant : une éthique relationnelle en faveur d’une confiance<br />
interpersonnelle affective<br />
Certains interlocuteurs perçoivent leurs entreprises comme faisant preuve<br />
d’un climat bienveillant. La redondance de quelques thèmes dans leurs<br />
discours, le support organisationnel, l’écoute, l’équité perçue <strong>et</strong> la démonstration<br />
d’intérêt, révèle l’importance d’une éthique relationnelle<br />
comme valeur partagée enracinée dans la culture de l’entreprise. Les salariés<br />
œuvrant dans ce climat, notamment dans les entreprises BC, TP <strong>et</strong><br />
TG, s’aperçoivent qu’ils ne sont pas en dehors des préoccupations de la<br />
direction, <strong>et</strong> que celle-ci est à leur écoute <strong>et</strong> intervient pour les aider <strong>et</strong> les<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
soutenir dans les évènements importants dans leur vie professionnelle <strong>et</strong> /<br />
ou privée. Leurs entreprises constituent pour eux leur maison, leur famille.<br />
Ce sentiment est particulièrement développé dans les entreprises à taille<br />
humaine, caractérisées par une faible distance hiérarchique <strong>et</strong> fonctionnant<br />
avec un style paternaliste, protecteur. C<strong>et</strong>te situation contribue à accroître<br />
chez les subordonnés la perception de ce que certains auteurs dénomment<br />
P-O-F (Person-organization fit) c’est-à-dire le niveau de congruence entre<br />
les valeurs individuelles <strong>et</strong> les valeurs organisationnelles (Sims <strong>et</strong> Keon,<br />
1997). C’est dans ce sens que le responsable des ressources humaines<br />
chez TP nous rapporte ses perceptions : « Tu sens que la TP est à tes côtés<br />
pour te supporter que ce soit matériellement ou moralement. C<strong>et</strong> intérêt<br />
se manifeste de la part de la direction aussi bien envers un cadre ou un<br />
simple ouvrier. Il n’y a pas plus motivant <strong>et</strong> plus moral pour les employés<br />
que de se m<strong>et</strong>tre à leur place, de reconnaître leurs besoins <strong>et</strong> leurs difficultés,<br />
<strong>et</strong> de les soutenir ». D’après les résultats de notre recherche, il apparaît<br />
que dans les entreprises concernées par ce climat, le dirigeant joue<br />
un rôle crucial pour instaurer les fondements d’un climat bienveillant. Il<br />
communique les attentes éthiques de l’organisation <strong>et</strong> transm<strong>et</strong> aux employés<br />
le sens de partage des valeurs morales. Les répondants dans ces<br />
entreprises jugent la loyauté de leurs dirigeants en passant par une évaluation<br />
du caractère éthique de leurs décisions <strong>et</strong> comportements, ainsi<br />
que de leurs motivations. Leurs perceptions de la bienveillance de ces<br />
personnes dépendent des bonnes intentions de celles-ci, de leurs considérations<br />
des besoins <strong>et</strong> du bien-être des employés, de leur support <strong>et</strong> leur<br />
attitude respectueuse envers eux. Ces valeurs empathiques <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te sensibilité<br />
éthique dans les comportements des dirigeants sont soulignées par<br />
les interviewés comme des aspects qui renforcent les liens émotionnels<br />
<strong>et</strong> inspirent la confiance envers ces personnes. Dans ce sens, un cadre<br />
administratif dans l’entreprise BC affirme que : « Un employé sentant<br />
qu’il est équitablement <strong>et</strong> éthiquement traité s’engage à réciproquer c<strong>et</strong>te<br />
même bienveillance envers ses partenaires. Ce qui nous unit tous ici c’est<br />
la recherche de l’intérêt collectif <strong>et</strong> du bien-être pour tous. (...) L’équité,<br />
l’intégrité <strong>et</strong> l’honnêt<strong>et</strong>é dont faisait preuve notre dirigeant, à plusieurs<br />
occasions, renforcent la confiance qu’on lui accorde (...) Elles contribuent<br />
aussi à initier au rang des employés des conduites éthiques <strong>et</strong> à favoriser<br />
l’éclosion de relations affectives <strong>et</strong> confiantes ». Dans c<strong>et</strong> ordre d’idées,<br />
plusieurs travaux affirment qu’un cadre organisationnel, caractérisé par<br />
des valeurs conviviales, est propice pour le développement de la confiance<br />
interpersonnelle (Galois, 2007 ; Lamsa <strong>et</strong> Puc<strong>et</strong>aite, 2008 ; Rosanas,<br />
2008). La faible distance hiérarchique, la démonstration d’intérêt, l’équité<br />
<strong>et</strong> l’intégrité du dirigeant sont valorisées <strong>et</strong> fortement appréciées par les<br />
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<strong>Afef</strong> <strong>CHOUAIB</strong> <strong>et</strong> Férid <strong>ZADDEM</strong><br />
subordonnés dans la relation d’emploi. Elles constituent une marque de<br />
loyauté <strong>et</strong> un relais de la confiance affective envers le dirigeant. D’après<br />
la théorie des évènements affectifs développée par Weiss <strong>et</strong> Cropanzano<br />
(1996) les réponses émotionnelles, comme la confiance, sont générées par<br />
une évaluation cognitive par les subordonnés des évènements vécus au<br />
travail. Ces auteurs suggèrent que la fréquence d’expériences affectives<br />
peut être source d’émotions discrètes qui agissent subséquemment <strong>et</strong> cumulativement<br />
sur les attitudes <strong>et</strong> les comportements au travail.<br />
La confiance accordée par les interlocuteurs à leurs dirigeants s’étend à<br />
leurs collègues pour promouvoir un climat général de confiance. En eff<strong>et</strong>,<br />
le climat éthique est le refl<strong>et</strong> des attentes managériales qui influencent<br />
aussi les comportements éthiques des membres (P<strong>et</strong>erson, 2002). Les valeurs<br />
morales des dirigeants imprègnent la culture <strong>et</strong> les valeurs partagées<br />
par les membres de l’entreprise. Ainsi, les personnes interrogées constatant<br />
que leurs collègues se sont alignés aux conduites bienveillantes de<br />
leur dirigeant, attribuent une appréciation très positive à la qualité de c<strong>et</strong>te<br />
relation <strong>et</strong> acceptent de se montrer vulnérables vis-à-vis de leurs pairs. Les<br />
perceptions partagées <strong>et</strong> les comportements d’entraide, d’altruisme, d’empathie,<br />
d’intégrité de la part des pairs renforcent les liens émotionnels envers<br />
eux <strong>et</strong> consolident la confiance affective accordée à ces personnes.<br />
Ces analyses perm<strong>et</strong>tent de dégager les propositions suivantes :<br />
Proposition 1 : un climat bienveillant affecte positivement la confiance affective<br />
accordée au dirigeant.<br />
Proposition 2 : un climat bienveillant affecte positivement la confiance affective<br />
accordée aux collègues.<br />
4.2 Le climat égoïste : une éthique ignorée <strong>et</strong> méfiante<br />
Un deuxième type de climat éthique a été identifié à partir des discours de<br />
certaines personnes interrogées dans le cadre de c<strong>et</strong>te enquête. Ces dernières<br />
appartiennent plus précisément aux entreprises MN <strong>et</strong> FC. Les répondants<br />
m<strong>et</strong>tent en avant la domination d’une culture instrumentale, qui<br />
transparaît dans les actions managériales ainsi qu’au niveau des relations<br />
interpersonnelles. Les actions <strong>et</strong> les décisions des membres dans ces entreprises<br />
privilégient une attente principale qui est la recherche exclusive de<br />
l’intérêt individuel, parfois même au détriment des besoins <strong>et</strong> intérêts des<br />
autres. Ce résultat est tout de même surprenant notamment pour l’entreprise<br />
MN qui est une entreprise publique, où le sentiment d’utilité sociale<br />
devrait normalement être au cœur de l’identité de ce type d’institution.<br />
Selon l’un des répondants de MN « l’administration publique a été détournée<br />
de sa mission principale, celle de servir l’intérêt commun, pour<br />
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servir des intérêts particuliers ». Dans ce même sens, l’un des répondants<br />
dans l’entreprise privée FC nous rapporte avec un grand soupir « L’employé<br />
est presque oublié ; il est là par sa posture seulement, mais il est<br />
défavorisé sur plusieurs plans : rémunération faible, pas d’évolution dans<br />
la carrière, iniquité entre les catégories d’employés dans la formation <strong>et</strong><br />
le développement des compétences. En plus de ça, l’employé ne jouit pas<br />
de l’écoute nécessaire de la part de ses responsables….On sent que tout<br />
ce qui compte pour c<strong>et</strong>te entreprise c’est de réaliser ses objectifs lucratifs,<br />
avec le minimum de coût possible, <strong>et</strong> cela vient toujours au détriment des<br />
intérêts des employés ».<br />
En outre, la redondance de certaines expressions dans le discours des<br />
interviewés, comme opportunisme, abus, détournement, iniquité, témoignent<br />
des comportements dysfonctionnels <strong>et</strong> non éthiques caractérisant ce<br />
climat égoïste. On assiste alors au niveau de ces entreprises à un remplacement<br />
des valeurs <strong>et</strong> des normes éthiques par d’autres qui s’écartent des<br />
principes d’équité, de loyauté, d’honnêt<strong>et</strong>é, d’intégrité. « Les conduites<br />
non éthiques se propagent dans l’entreprise, au point de devenir parfois<br />
même la culture « récompensée » par les décideurs », nous confirme le<br />
responsable de la formation dans MN. Les répondants dans FC <strong>et</strong> MN<br />
déplorent l’ambiance de méfiance dans leurs entreprises. Selon eux, l’individualisme<br />
<strong>et</strong> l’autorité excessive des dirigeants dans ces entreprises<br />
contribuent, consciemment ou inconsciemment, à renforcer une culture<br />
ambivalente de contre-normes (Jansen <strong>et</strong> Glinow, 1985), régie par l’opportunisme,<br />
la tromperie, des pratiques clandestines <strong>et</strong> des valeurs non<br />
éthiques. La recherche exclusive de l’intérêt personnel (pouvoir, prospérité<br />
matérielle, développement socio-professionnel,…), <strong>et</strong> de l’efficience<br />
organisationnelle, la discordance perçue entre les actes des dirigeants <strong>et</strong><br />
leurs discours, les abus, l’iniquité, sont déclarés par les répondants comme<br />
le signe d’une violation du contrat relationnel <strong>et</strong> éthique qui les unit à leurs<br />
employeurs <strong>et</strong> à leurs organisations. Les expériences négatives dénotant<br />
le manque d’éthique au travail sont vécues par les interviewés comme<br />
une transgression morale. C<strong>et</strong>te « trahison », telle que qualifiée par les<br />
subordonnés, entraîne une fracture de la relation de confiance <strong>et</strong> affecte<br />
aussi bien des niveaux cognitifs qu’affectifs de la confiance accordée<br />
au dirigeant <strong>et</strong> aux collègues de travail. Les subordonnés interviewés ne<br />
croient plus en l’honnêt<strong>et</strong>é, la bienveillance, l’intégrité de leurs partenaires<br />
; les comportements de leurs vis-à-vis sont imprévisibles, non fiables<br />
<strong>et</strong> dénotent leur incompétence éthique (Nillès, 2002). De plus, les répondants<br />
ayant subi des dérives morales dans un tel climat de travail, déclarent<br />
qu’ils ne se sentent plus redevables envers quiconque ; ils sont plutôt<br />
méfiants à l’égard de leurs partenaires. Une telle attitude occasionne un<br />
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sentiment d’insécurité <strong>et</strong> enferme souvent les subordonnés dans un état de<br />
solitude <strong>et</strong> de r<strong>et</strong>rait. Selon l’un des répondants, « il est absurde d’évoquer<br />
une possible relation de confiance envers des décideurs très autoritaires,<br />
qui ne cherchent qu’à culpabiliser leurs employés <strong>et</strong> à abuser de leur pouvoir,<br />
ou encore envers des collègues, habités par des comportements de<br />
dénonciation <strong>et</strong> de tromperie ». Ces analyses confortent les propositions<br />
suivantes :<br />
Proposition 3 : le climat égoïste affecte négativement la confiance cognitive<br />
<strong>et</strong> affective accordée au dirigeant.<br />
Proposition 4 : le climat égoïste affecte négativement la confiance cognitive<br />
<strong>et</strong> affective accordée aux collègues.<br />
4.3 Le climat déontologique : une éthique formelle en faveur d’une confiance<br />
interpersonnelle cognitive<br />
Le troisième type de climat identifié à partir de l’analyse des entr<strong>et</strong>iens est<br />
un « climat déontologique ». Il est sous-jacent aux discours des répondants<br />
appartenant à une filiale d’une multinationale (LM) exerçant dans le secteur<br />
pétrolier, ainsi qu’à ceux des membres dans un groupe agroalimentaire<br />
tunisien de renommée (PL). Selon ces répondants, leurs organisations ont<br />
choisi d’assurer de façon formelle l’éthique envers les différentes parties<br />
prenantes via des politiques, des stratégies <strong>et</strong> des codes de conduite qui<br />
orientent les comportements des membres. Le responsable de production<br />
chez PL décrit ainsi le climat déontologique qui règne dans son entreprise :<br />
« Le climat de travail ici est fondamentalement basé sur l’adhésion <strong>et</strong> le<br />
respect des normes collectives prescrites qui préservent le bien-être de la<br />
communauté. Ces règles <strong>et</strong> ces normes sont l’écho de la philosophie éthique<br />
de PL ; les valeurs qu’elle transm<strong>et</strong> au fil du temps, sont des valeurs<br />
humaines que personne ne pourrait les contester. Il s’agit de choix nobles<br />
qui préservent un climat interne sain <strong>et</strong> éthique ». Les procédures éthiques<br />
formalisées régissant le contexte de travail sont considérées par les répondants<br />
comme « les traits stables de l’organisation <strong>et</strong> le référentiel éthique<br />
<strong>et</strong> moral ». Le but d’unifier les conduites des différents acteurs autour de<br />
valeurs communes, universelles <strong>et</strong> de « dicter » aux employés un comportement<br />
éthique relativement prévisible constitue un enjeu important pour<br />
ces entreprises. La formalisation via un code éthique semble donc incarner<br />
une conscience collective en s’imprégnant de la culture déontologique<br />
de l’entreprise. De l’avis des responsables ressources humaines chez LM<br />
<strong>et</strong> PL, ces entreprises sont fermement persuadées qu’il est essentiel de<br />
prôner la confiance, la transparence, le travail en équipe, à travers l’ancrage<br />
de valeurs éthiques, en vue d’assurer la croissance <strong>et</strong> la pérennité<br />
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du système. Ces valeurs sont déclinées en principes de conduite clairs, qui<br />
déterminent à priori les manières « correctes <strong>et</strong> convenables » du point de<br />
vue de l’entreprise, pour gérer les dilemmes éthiques. Selon les interlocuteurs<br />
chez PL, l’existence de ces repères déontologiques encourage les<br />
comportements éthiques <strong>et</strong> garantit la prévisibilité dans les conduites des<br />
personnes. Le respect <strong>et</strong> l’alignement des membres dans l’entreprise à un<br />
référentiel commun viennent renforcer la fiabilité des comportements <strong>et</strong><br />
légitimer les décisions prises. Selon les répondants, en se conformant à<br />
ces normes <strong>et</strong> procédures, personne ne risque d’être abusé, exploité pour<br />
des fins particulières ou de subir des injustices ; au contraire, ses droits <strong>et</strong><br />
intérêts seront protégés. Par conséquent, cela perm<strong>et</strong> d’établir une certaine<br />
confiance entre les membres, vis-à-vis du dirigeant <strong>et</strong> envers le système en<br />
général. Ces idées transparaissent dans les propos du responsable RH chez<br />
LM lorsqu’il confirme que : « Le traitement moral <strong>et</strong> égalitaire à l’égard<br />
de tous les membres, supérieur ou subordonné développe la crédibilité envers<br />
le système <strong>et</strong> envers les décisions des managers. C<strong>et</strong>te confiance vient<br />
du fait que chacun de nous est sûr que l’autre (supérieurs ou pairs) se<br />
comportera d’une manière équitable, saine, respectueuse qui ne nuit pas<br />
à l’intérêt collectif, mais au contraire qui préserve le bien-être de toute<br />
l’équipe <strong>et</strong> ceci dans le cadre de notre adhésion collective aux normes du<br />
code éthique ». C<strong>et</strong>te confiance provenant d’une identification mutuelle à<br />
des valeurs éthiques communes <strong>et</strong> prédéfinies se base donc sur une évaluation<br />
cognitive du comportement de l’autre, naît d’un accord explicite<br />
entre les parties pour respecter le contrat éthique qui les unit. La confiance<br />
s’apparente ici à un moyen de régulation <strong>et</strong> à un mode de contrôle social<br />
(Bornarel, 2007). Elle induit des relations de travail saines, stables <strong>et</strong> des<br />
actions prévisibles, nécessaires à la cohésion du groupe. C<strong>et</strong>te discussion<br />
suggère que la perception d’un climat déontologique affecte davantage des<br />
niveaux cognitifs de la confiance accordée par l’employé à ses partenaires<br />
dans l’entreprise. Nous formulerons ainsi les propositions suivantes :<br />
Proposition 5 : un climat déontologique affecte positivement la confiance<br />
cognitive accordée au dirigeant.<br />
Proposition 6 : un climat déontologique affecte positivement la confiance<br />
cognitive accordée aux collègues.<br />
Conclusion<br />
Les résultats issus de ce travail exploratoire affirment le caractère multidimensionnel<br />
du concept de climat éthique (Victor <strong>et</strong> Cullen, 1988).<br />
Le climat égoïste véhicule une situation de carence éthique. Le climat<br />
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bienveillant révélé chez certaines entreprises s’inscrit dans une approche<br />
culturelle de l’éthique, fondée sur une logique informelle de partage de<br />
valeurs, d’actes individuels <strong>et</strong> collectifs pour le bien-être de la communauté.<br />
La prédominance d’un climat déontologique dans d’autres organisations<br />
s’inscrit plutôt dans une approche structurelle, formelle, visant à<br />
faire converger les comportements des membres avec les intentions managériales<br />
<strong>et</strong> à assurer une continuité de l’entreprise suivant des principes<br />
éthiques prédéterminés. L’exploration des liens entre le climat éthique <strong>et</strong><br />
la confiance nous a révélé la pertinence des choix de notre recherche. Les<br />
résultats préliminaires de c<strong>et</strong>te étude indiquent qu’un climat égoïste suscite<br />
des relations de méfiance entre les membres de l’entreprise. Un climat<br />
bienveillant valorisant le bien-être collectif inspire davantage des formes<br />
affectives de la confiance envers le dirigeant <strong>et</strong> les pairs, ce qui favorise<br />
l’engagement envers l’organisation. En revanche, l’existence d’un climat<br />
déontologique renvoie plus à des formes cognitives de la confiance entre<br />
les membres d’une organisation. Ainsi, asseoir les fondements d’une<br />
éthique positive, bienveillante ou déontologique semble être un préalable<br />
à l’instauration d’un climat de confiance. Toutefois, l’identification<br />
d’une diversité de climats éthiques implique de développer des stratégies<br />
d’action adéquates <strong>et</strong> différenciées suivant la nature du climat dominant<br />
pour promouvoir un climat de confiance de qualité. Par exemple, un code<br />
éthique jugé pertinent dans le cadre d’un climat déontologique peut être<br />
inadéquat en présence d’une ambiance bienveillante, privilégiant une certaine<br />
convivialité <strong>et</strong> proximité psychologique entre les personnes. Dans ce<br />
domaine, comme dans bien d’autres, le respect des contingences locales<br />
semble être de mise. En définitive, proposer une formation éthique, notamment<br />
aux managers faisant preuve d’une attitude égoïste, pourrait être<br />
efficace pour accroître leur sensibilité <strong>et</strong> leur « compétence éthique ». La<br />
présente recherche n’est pas exempte de limites. Ces dernières peuvent<br />
constituer autant de pistes pour des études ultérieures. Compte tenu du<br />
nombre restreint d’entreprises faisant partie de notre enquête <strong>et</strong> des risques<br />
associés à toute recherche qualitative <strong>et</strong> exploratoire, une voie future<br />
consisterait à élargir l’échantillon des personnes interrogées pour valider<br />
empiriquement les liens préliminaires entre climat éthique <strong>et</strong> confiance.<br />
Une deuxième piste de recherche consisterait à étudier l’intégration des<br />
valeurs éthiques dans les pratiques managériales <strong>et</strong> de GRH, en vue de<br />
promouvoir un climat éthique <strong>et</strong> de confiance. En eff<strong>et</strong>, ces pratiques agissent<br />
comme des témoignages du traitement éthique à l’égard des salariés.<br />
Ainsi, plaider en faveur d’une GRH éthique <strong>et</strong> responsable, via l’intégration<br />
de valeurs <strong>et</strong> de principes de justice, d’équité, de transparence,<br />
de bienveillance, de reconnaissance <strong>et</strong> de dignité humaine, au niveau de<br />
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chaque étape du cycle de vie du salarié dans l’entreprise (recrutement, rémunération,<br />
formation, promotion,…) perm<strong>et</strong>trait de promouvoir davantage<br />
les termes d’un contrat éthique, psychologique <strong>et</strong> relationnel (De Bry,<br />
2002). Un tel contrat est propice à l’éclosion d’un climat de confiance,<br />
<strong>et</strong> au développement de relations d’échange durables avec les salariés. Il<br />
constituerait, selon Puc<strong>et</strong>aite <strong>et</strong> Lamsa (2008, p. 332), un « moyen thérapeutique<br />
» pour s’opposer à l’émergence d’une culture opportuniste porteuse<br />
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