Béton armé : la construction d'une image - CDH - EPFL
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Si les accidents touchant les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> remettent en cause sa sécurité et donnent aux<br />
dissidents une occasion pour attaquer le matériau, compromettant son <strong>image</strong>, ils sont susceptibles<br />
d’avoir dans un second temps des répercussions bénéfiques. En l’occurrence, l’accident de Bâle a<br />
incité les cantons à prendre communément des mesures visant à assurer <strong>la</strong> sécurité des <strong>construction</strong>s<br />
en béton <strong>armé</strong>, mettant en évidence <strong>la</strong> nécessité pressante que <strong>la</strong> Confédération en établisse une<br />
codification. Comme nous l’avons vu en amont, les accidents accélèrent en effet le processus de<br />
réglementation, indispensable à une légitimité acquise. 73<br />
Une autre question est de savoir si les accidents sont l’apanage du béton <strong>armé</strong>. En réalité non, comme<br />
en témoignent les journaux de l’époque, re<strong>la</strong>tant fréquemment des accidents re<strong>la</strong>tifs aux voies de<br />
chemin de fer, à d’autres écroulements d’ouvrages, tels que des ponts en pierre, ainsi que, plus<br />
régulièrement, des incendies. Ceci permet de se resituer dans une époque où, de manière générale, <strong>la</strong><br />
sécurité des <strong>construction</strong>s (et des chantiers) était bien moins assurée qu’aujourd’hui ; dans cette<br />
condition, il semble que le béton n’apparaît pas plus dangereux que d’autres matériaux de<br />
<strong>construction</strong>. En outre s’il présente quelques difficultés au moment du chantier, il est difficile de<br />
trouver des exemples d’effondrement d’ouvrages achevés, ce qui va plutôt dans son sens. Par ailleurs,<br />
le grand nombre d’incendies re<strong>la</strong>tés dans <strong>la</strong> presse est utile pour comprendre <strong>la</strong> valeur de l’argument<br />
majeur du béton <strong>armé</strong> : il résiste aux incendies.<br />
8. UN MATERIAU EN QUETE D’IDENTITE : LA PROBLEMATIQUE DE L’EXPRESSION<br />
On voit bien que le béton <strong>armé</strong> a été en premier lieu une affaire d’ingénieurs, soucieux de faire valoir<br />
le potentiel d’une innovation technique afin de lui donner une p<strong>la</strong>ce au sein des pratiques<br />
constructives. Le béton et ses qualités sont alors envisagés sur un p<strong>la</strong>n essentiellement technique. Pour<br />
Jacques Gubler, « il existe effectivement un déca<strong>la</strong>ge entre l’apparition de nouveaux matériaux et <strong>la</strong><br />
réflexion théorique sur leur signification architecturale » 74 . Il identifie le fait que les nouveaux<br />
matériaux, tels le béton <strong>armé</strong>, mais aussi le Linoléum et l’Eternit, « entrent dans les moeurs du<br />
bâtiment bien avant que les architectes ne se posent <strong>la</strong> question de leur utilisation spécifique »,<br />
ajoutant que « le problème de <strong>la</strong> signification expressive du béton <strong>armé</strong> ne se débattra que dans les<br />
années 1920. ».<br />
On peut penser que ce déca<strong>la</strong>ge ait eu des conséquences sur <strong>la</strong> représentation du matériau. Le fait que<br />
le matériau se soit développé pendant plusieurs années sans faire l’objet d’une réflexion sur son<br />
expression peut expliquer qu’il donne le sentiment d’être banal, sans intérêt, sans noblesse. Cyrille<br />
Simonnet parle d’un « manque d’iconicité » 75 pour désigner cet état de chose. Le béton a ceci de<br />
particulier qu’il est un matériau p<strong>la</strong>stique, liquide. Pouvant tout former, il ne correspond pas à une<br />
expression toute trouvée, inhérente à ses propriétés, comme on pourrait le dire de l’acier qui se<br />
formalise en un assemb<strong>la</strong>ge de profilés donnant à toute <strong>construction</strong> de ce type un caractère é<strong>la</strong>ncé et<br />
élégant. De plus, les <strong>la</strong>rges possibilités du béton <strong>armé</strong> ne le prédestinent à aucune destination en<br />
particulier. Il semble ainsi que ses plus grandes qualités le desservent dans sa quête d’identité.<br />
Si le béton prendra toute sa légitimité architecturale dans le mouvement moderne, dont il se fera<br />
l’icône, les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> datant de <strong>la</strong> période qui nous intéresse mettent déjà en exergue<br />
certaines questions re<strong>la</strong>tives à son expression.<br />
Le béton peut-il être montré Ses qualités doivent-elle se plier à un <strong>la</strong>ngage c<strong>la</strong>ssique de<br />
l’architecture, ou sont-elle l’occasion d’inventer une autre expression <br />
73 SIA, « Compte-rendu du comité central sur les évènements et activités majeures de l’année 1902 », in BTSR, n°15, 1903, p.<br />
234.<br />
74 GUBLER Jacques, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de <strong>la</strong> Suisse, Lausanne, L’Age<br />
d’Homme, 1975, p.57<br />
75 SIMONNET Cyrille, in op. cit..<br />
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