Béton armé : la construction d'une image - CDH - EPFL
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Par suite <strong>la</strong> question des ouvriers se pose et notamment celle de leur connaissance technique envers un<br />
matériau nouveau et dont <strong>la</strong> mise en oeuvre, à cette époque, dépend exclusivement de l’organisation et<br />
de <strong>la</strong> performance sur les chantiers. A noter que les ouvriers ne sont plus les garants du savoir faire<br />
comme pouvaient l’être, à l’aire industrielle, les maîtres charpentiers métalliques, ou encore les<br />
compagnons maçons. On est désormais en présence de nouveaux métiers ouvriers indépendants qui<br />
interviennent de manière segmentaire sur les chantiers : « le boiseur, le coffreur, le ferrailleur… » 14<br />
Ainsi, <strong>la</strong> <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong> sépare et multiplie davantage les tâches au cours du long<br />
processus d’é<strong>la</strong>boration, invente de nouveaux intermédiaires dans le domaine du bâtiment construisant<br />
peu à peu aux yeux du public l’<strong>image</strong> d’une importante organisation ; bientôt le statut des ouvriers se<br />
verra augmenté de sécurité, des normes seront mises en p<strong>la</strong>ce…<br />
Le développement d’entreprises de <strong>construction</strong> pose également en parallèle <strong>la</strong> question de leur<br />
approvisionnement en matières premières et donc principalement du réseau créé avec les cimentiers.<br />
Il est à noter qu’avant le développement significatif du béton <strong>armé</strong> en Suisse au tournant du siècle, les<br />
cimenteries ont d’ores et déjà vu le jour sur le territoire depuis une vingtaine d’année. Le ciment est<br />
alors utilisé comme liant (mortier) dans des ouvrages de maçonneries, où il remp<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> chaux pour un<br />
coût moins élevé ainsi que dans des réalisations en béton. Les fabriques de ciment exploitent une<br />
matière première calcaire particulièrement abondante en Suisse, qui leur permet de rivaliser avec les<br />
marchés étrangers.<br />
A cette même période, les industries minières de fer et charbon subissent, quant à elles, un re<strong>la</strong>tif<br />
déclin avec <strong>la</strong> perte de compétitivité et l’épuisement de ces ressources peu généreuses. Beaucoup<br />
d’entre elles s’empressent alors de se reconvertir et adaptent leur structure pour <strong>la</strong> fabrication du<br />
ciment, en utilisant les couches calcaires des exploitations minières jusqu’ici négligées.<br />
Le terrain suisse est donc très propice à l’essor du béton <strong>armé</strong>, ce qui n’échappe certainement pas aux<br />
entreprises qui décident de s’y imp<strong>la</strong>nter, telles que <strong>la</strong> firme Hennebique. Entrepreneurs et cimentiers<br />
s’engagent dans une course aux marchés ; en effet, <strong>la</strong> qualité du ciment est un gage important de celle<br />
du béton <strong>armé</strong>, dont elle détermine en partie <strong>la</strong> résistance. Les fabriques se manifestent alors<br />
abondamment aux travers des expositions, qui, en fonction de leur productivité et de leurs innovations,<br />
leur attribuent des médailles. La presse technique regorge de publicités où se joue <strong>la</strong> concurrence des<br />
fabriques de ciment qui vantent les médailles obtenues 15 .<br />
Mais l’analyse de ces presses, ne nous permet pas pour autant de percer les véritables enjeux<br />
économiques cachés qui relient les cimentiers aux entrepreneurs, les nécessaires re<strong>la</strong>tions de fidélité<br />
ou de partenariat qui pourraient exister...car, on le devine, l’enjeu commercial prend toute son<br />
ampleur.<br />
Dans ce contexte, les constructeurs métalliques, déjà déstabilisés par un minerai en mauvaise posture<br />
derrière le ciment, voient naturellement en l’avancée du béton <strong>armé</strong> un affaiblissement de leur marché.<br />
Ils s’engagent alors activement dans le débat et utilisent principalement les accidents de <strong>construction</strong><br />
en béton pour troubler l’opinion publique. 16<br />
Cette bataille qui consiste à discuter les catastrophes respectives des deux modes de <strong>construction</strong> est<br />
particulièrement bien retranscrite et alimentée dans le discours que véhicule <strong>la</strong> firme Hennebique dans<br />
sa revue mensuelle : Le <strong>Béton</strong> Armé. Se définissant comme un « organe d’enseignement mutuel » 17 ,<br />
cette revue <strong>la</strong>ncée en 1898 produit une certaine ému<strong>la</strong>tion interne à <strong>la</strong> firme qui permet d’affronter<br />
avec force <strong>la</strong> concurrence. Au-delà même, un avis est <strong>la</strong>ncé aux lecteurs pour qu’ils deviennent leurs «<br />
col<strong>la</strong>borateurs en [leur] envoyant des notes et croquis, dessins ou photographies sur tous les travaux<br />
qu’ils exécutent ou voient exécuter autour d’eux [...] »<br />
Usant du sarcasme et de l’ironie, elle présente systématiquement « les trahisons de l’acier » 18 en<br />
réponse aux attaques manifestées par les constructeurs en métal.<br />
14 SIMONNET Cyrille, in op. cit., p.60.<br />
15 (voir Image 4) Publicités de cimentiers, in BTSR, n°10, 1903.<br />
16 JOST Hans-Ulrich, the introduction of reinforced concrete in Switzer<strong>la</strong>nd (1890-1914) : Social & Culutral Aspects<br />
17 « Avis », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°48, mai 1902, p. 163<br />
18 (voir Image 5) « Les trahisons du fer. Incendie de l’usine de Derendingen (Suisse) », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n° 47, avril 1902,<br />
p<strong>la</strong>nche 3.<br />
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