Béton armé : la construction d'une image - CDH - EPFL
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<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Badin Nico<strong>la</strong>s, Beaudoin Lorraine, Joud Christophe<br />
Section Architecture (ENAC)<br />
Projet SHS de 1 ère année master<br />
Encadré par<br />
Humair Cédric, Gigase Marc, histoire sociale et culturelle des technologies<br />
Rapport présenté le 24 mai 2008<br />
Essais de résistance d’une poutre Hennebique,<br />
Lausanne, 1893, S. de Mollins ingénieur<br />
Lausanne, année académique 2007 – 2008
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Remerciements à :<br />
- nos encadrants,<br />
- Véronique Czàka, pour son importante notice bibliographique,<br />
- Matthieu Jaccard qui nous a accordé de son temps pour des<br />
compléments d’information,<br />
- Pierre Frey et le bureau des archives de <strong>la</strong> Construction Moderne.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
TABLE DES MATIERES<br />
1. Identification de l’objet technique………………………………………………………………… 3<br />
2. Bibliographie………………………………………………………………………………………. 4<br />
3. Problématique…………………………………………………………………………………….... 8<br />
4. L’entrée en scène du béton <strong>armé</strong>………………………………………………………………....... 9<br />
5. Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances..................................................................10<br />
5.1 Les constructeurs et fournisseurs.......................................................................................11<br />
5.2 Les scientifiques, à <strong>la</strong> recherche de fondements théoriques……………………………..13<br />
5.3 Les organes de réglementation..........................................................................................14<br />
5.4 Les commanditaires.......................................................................................................... 16<br />
5.5 Le milieu intellectuel........................................................................................................ 17<br />
6. Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion............................................. 18<br />
6.1 Les revues techniques et les journaux...............................................................................19<br />
6.2 Les concours et les expositions......................................................................................... 20<br />
6.3 La photographie et <strong>la</strong> publicité......................................................................................... 21<br />
7. Un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique..................................22<br />
8. Un matériau en quête d’identité : <strong>la</strong> problématique de l’expression............................................... 24<br />
9. Conclusion........................................................................................................................................26<br />
Dossier de sources<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
1. IDENTIFICATION DE L’OBJET TECHNIQUE<br />
Le présent document porte l’attention sur l’objet technique suivant : le béton <strong>armé</strong>.<br />
Nous proposons, dans un premier temps d’en esquisser une identification.<br />
Le béton <strong>armé</strong> est un matériau de <strong>construction</strong> qui se fabrique à partir de composants hétérogènes mais<br />
complémentaires. Son intérêt résulte dans l’association du béton pour ses qualités de résistance à <strong>la</strong><br />
compression et de l’acier pour ses qualités de résistance à <strong>la</strong> traction.<br />
- Le béton, sorte de pierre factice est obtenu par liaison de différents agrégats naturels (gravier,<br />
sable…) au moyen de ciment mé<strong>la</strong>ngé à l’eau.<br />
- L’acier, qui se présente sous diverses formes (tubes, profilés…), est un métal dur alliant fer et<br />
carbone.<br />
La naissance du « béton <strong>armé</strong> » est délicate à situer et <strong>la</strong> définition de <strong>la</strong> paternité du procédé reste<br />
floue. Il est en revanche l’aboutissement d’une série d’expérimentations sur <strong>la</strong> matière qui ont toutes<br />
pour but <strong>la</strong> recherche de <strong>la</strong> compacité et de <strong>la</strong> dureté. C’est ainsi qu’au cours de ce long processus se<br />
succédèrent <strong>la</strong> pouzzo<strong>la</strong>ne, le pisé, <strong>la</strong> chaux, <strong>la</strong> chaux artificielle, le mortier, le ciment, le ciment <strong>armé</strong>,<br />
le béton aggloméré…<br />
Cette recherche constante du monolithe, qualité première du béton <strong>armé</strong>, va se retrouver dans ses<br />
différentes applications. D’abord utilisé de manière segmentaire, c'est-à-dire pour des fragments<br />
d’ouvrages, et des éléments fonctionnels de base (voûte, p<strong>la</strong>ncher, poutre, poteau), il servit ensuite<br />
d’« outil<strong>la</strong>ge passif » de petites ou grandes dimensions, en exploitant sa capacité à être coulé dans un<br />
moule.<br />
Voici quelques dates significatives :<br />
- 1729 : Bernard Forest de Belidor publie La Science des ingénieurs, dans lequel il utilise le terme<br />
« béton » pour décrire un mortier.<br />
- 1818 : Vicat publie ses Recherches expérimentales sur les chaux de <strong>construction</strong>, les bétons et les<br />
mortiers ordinaires, dans lesquelles il re<strong>la</strong>te avec précision sa méthode pour produire de <strong>la</strong> chaux<br />
hydraulique. C’est l’an zéro de l’ère du ciment.<br />
- 1849 : Joseph-Louis Lambot présente une barque de son invention, composée d’un « réseau<br />
métallique enrobé de matière p<strong>la</strong>stique » à l’Exposition Universelle de Paris.<br />
- 1854 : W. B. Wilkinson dépose en Angleterre un brevet pour les éléments de <strong>construction</strong> résistants<br />
au feu, composés de poutres métalliques et de fils de fer noyés dans du mortier.<br />
- 1867 : Joseph Monier dépose un brevet de Systèmes de caisse-bassins mobiles en fer et ciment<br />
applicables à l’horticulture.<br />
- 1877 : T. Hyatt démontre par l’expérience l’adhérence du fer et du béton.<br />
- 1887 : G.-A. Wayss et M. Koenen publie le premier traité de <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong>, Das system<br />
Monier, Eisengrüppe mit Cementumhülung.<br />
L’Histoire culturelle et sociale du béton porte ainsi en elle une particu<strong>la</strong>rité, matériau sans nom utilisé<br />
dès l’époque romaine, oublié pendant le Moyen-Age, « sans forme » durant le XVIII ème , affaire<br />
d’ingénieurs au XIX ème , célébré par les architectes du mouvement moderne au XX ème , il constitue<br />
aujourd’hui notre quotidien. Afin de faciliter <strong>la</strong> lecture, nous emploierons pour <strong>la</strong> suite du document le<br />
terme de « béton <strong>armé</strong> ».<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
2. BIBLIOGRAPHIE<br />
LITTERATURE SECONDAIRE<br />
- OUVRAGES<br />
ANDREY Georges et alii., Nouvelle histoire de <strong>la</strong> Suisse et des Suisses. Tome III, Lausanne, Editions<br />
Payot, 1983.<br />
BOSC Jean-Louis, Joseph Monier et <strong>la</strong> naissance du ciment <strong>armé</strong>, Paris, Editions du Linteau, 2001.<br />
COLLINS Peter, Splendeur du béton. Les prédécesseurs et l’œuvre d’Auguste Perret, Paris, Editions<br />
Hazan, 1995.<br />
CZAKA Véronique et alii., Les débuts du béton <strong>armé</strong> en Suisse. Contribution à une histoire sociale et<br />
culturelle des techniques, Lausanne, Université de Lausanne, 2002.<br />
DELHUMEAU G. et alii, Le <strong>Béton</strong> en représentation. La mémoire photographique de l’entreprise<br />
Hennebique 1890-1930, Paris, Ed. Hazan, 1993.<br />
DELHUMEAU Gwenaël, L’invention du béton <strong>armé</strong>. Hennebique 1890-1914, Paris, Norma Editions,<br />
1999.<br />
GUBLER Jacques, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de <strong>la</strong> Suisse,<br />
Lausanne, Editions L’Age d’Homme, 1975.<br />
JACCARD Robert, Histoire de l’économie vaudoise, Lausanne, Imprimeries Réunies S.A., 1959.<br />
JOST Hans Ulrich, Les avant-gardes réactionnaires. La naissance de <strong>la</strong> nouvelle droite en Suisse,<br />
Lausanne, Editions d’en bas, 1992.<br />
KINOLD K<strong>la</strong>us et alii., Architecture et <strong>Béton</strong>, Munich, atelier Kinold, 1994.<br />
SIMONNET Cyrille, Le béton : histoire d’un matériau. Economie, technique, architecture, Marseille,<br />
Editions Parenthèse, 2005.<br />
- ARTICLES<br />
HALHING Albert, « Dans <strong>la</strong> vallée des Ormonts, un intéressant monument d’histoire technique : le<br />
Pont des P<strong>la</strong>nches près du Sepey », in Revue Historique Vaudoise, 1990, pp.85-100.<br />
JOST Hans Ulrich, « The introduction of reinforced concrete in Switzer<strong>la</strong>nd (1890-1914): social and<br />
cultural aspects. », in CHS-Newsletter de <strong>la</strong> Construction History Society, n°75, 2006, pp.5-8.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
SOURCES<br />
- JOURNAUX ET REVUES<br />
- Le <strong>Béton</strong> Armé. Organe des concessionnaires et agents du système Hennebique<br />
« Le système Hennebique », n°13, Juin 1899, pp.1-2.<br />
« Escalier monumental de 11m de portée. Exposition de Genève », n° 7, Décembre 1898, pp.3-4.<br />
« De <strong>la</strong> coupe aux lèvres », n° 46, Mars 1902, p.142.<br />
« L’accident de Bâle et les accidents de chantier », n°49, pp.5-8.<br />
« L’insécurité des ouvrages métalliques », n°47, Avril 1902, pp. 164-165<br />
« L’accident de Bâle », n° 48, Mai 1902, pp.163-164.<br />
« VII ème Congrès du béton <strong>armé</strong>. Communication à S. de Mollins sur <strong>la</strong> réglementation des<br />
<strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> en Allemagne et en Suisse », n°57, Février 1903, pp.149-152.<br />
« Les trahisons du fer », n° 48, Mai 1902, pp.175-176.<br />
« Le système Hennebique dans le monde », n°69, Février 1902, P<strong>la</strong>nche I.<br />
- Bulletin de <strong>la</strong> Société Vaudoise des ingénieurs et des architectes<br />
SCHÜLE F., « Le concours des ponts de Lausanne », n°2 et 3, 1899, p.145.<br />
VAUTIER A., « Le béton de ciment <strong>armé</strong>: système Hennebique », Vol. 20, 1894, pp.176-180.<br />
- Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande (BTSR)<br />
BEZENCENET, « Hôtel des postes et des télégraphes, à Lausanne », n°15, 1902, pp.189-194.<br />
« Constructions en béton <strong>armé</strong>. Enquête sur l’accident de l’Aeschenvorstadt, à Bâle. », n°2, 1902,<br />
pp.133-134.<br />
ELSKES E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>. Quelques faits nouveaux », n°16, 1901, pp.133-137.<br />
ELSKES E., « Divers. À propos de béton <strong>armé</strong> », n°18, 1903, pp.253-254.<br />
E., « Assemblée des délégués de <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et des Architectes, à Berne le 25 Mai<br />
1902 », n°11, 1902, p.148<br />
E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>. Encore quelques faits nouveaux. I. Le pont sur l’Inn à Zuoz. », n°2, 1903, pp.33-35.<br />
E., « <strong>Béton</strong> Armé. Encore quelques faits nouveaux. Notes sur les ponts sous rails en béton <strong>armé</strong>,<br />
construits dès 1894 par <strong>la</strong> Compagnie de chemins de fer du Jura Simplon », n°15, 1903, pp. 201-205.<br />
« Essais de béton <strong>armé</strong> », n°1, 1906, p.23.<br />
5
« Fendillement des surfaces en béton », n° 18, 1906, pp.216-217.<br />
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
I.-S., E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>. Magasins Badan & Cie, à Genève. », n° 15, 1905, pp.189-191.<br />
MURET Henri, « Commission du béton <strong>armé</strong>. Réserves de MM. .Muret et De Vallière », n°1, 1903,<br />
p.15.<br />
« Passerelle en ciment <strong>armé</strong> », n° 17, 1906, p.224.<br />
« Prescriptions provisoires pour les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> des chemins de fer suisse », n°22,<br />
1906, pp. 212-213.<br />
« Procès verbal de <strong>la</strong> première séance du 16 février 1901 de <strong>la</strong> commission du ciment <strong>armé</strong>, instituée<br />
par le ministère des travaux publics de France », n°1, 1901, pp.106-107.<br />
« Rapport sur les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> et sur les <strong>construction</strong>s de p<strong>la</strong>nchers présenté au<br />
Directeur du Département des Travaux de Bâle-ville. », n°19, 1902, pp.256-259<br />
« Rapport de gestion du comité central sur les années 1902-1903 », n°17, 1903, pp.233-234.<br />
« Résumé du rapport des experts sur les projets de re<strong>construction</strong> du Pont du Mont-B<strong>la</strong>nc », n°2, 1902,<br />
pp.99-105.<br />
SIA, « Rapport de gestion du comité central sur les années 1903-1905 », n° 15, 1905, pp.192-195.<br />
SPIRO J., « Des inventions brevetables en Suisse », n°2, 1902, pp.182-184<br />
« Traité théorique et pratique de <strong>la</strong> résistance des matériaux appliquée au béton et au ciment <strong>armé</strong>. »,<br />
Rubrique Bibliographie, n°12, 1905, p.138.<br />
« Une usine entièrement construite en béton <strong>armé</strong> », n°10, 1903, pp.142-143.<br />
VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du Pont Chauderon-Montbenon », n°2, 1902, pp.12-14.<br />
VAUTIER A., « Section Vaudoise de <strong>la</strong> Société suisse des Ingénieurs et des Architectes. Commission<br />
du béton <strong>armé</strong>. Rapport. », n°23, 1902, pp. 314-316<br />
VAUTIER Alph., « Poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », n°14, 1903, pp.189-192.<br />
VAUTIER Alph., Rubrique Bibliographie, n° 18, 1906, pp. 212-213.<br />
- La Gazette de Lausanne<br />
« Une maison qui tombe », 29 août 1901.<br />
« Une maison qui tombe », 30 août 1901.<br />
« Bâle-ville », 31 août 1901.<br />
« Bâle-ville », 2 septembre 1901.<br />
« Bâle », 3 septembre1901.<br />
« Bâle », 6 septembre 1901.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
« Bâle-ville », 10 septembre 1901.<br />
« Enquête sur le système Hennebique », 11 octobre 1901.<br />
« Ecroulement d’un bâtiment », 24 août 1905.<br />
« La catastrophe de Berne », 25 août 1905.<br />
« Berne », 26 août 1905.<br />
« Berne », 31 août 1905.<br />
- Heimatschutz<br />
BOVET Ernest, « Le Heimatschutz et les ingénieurs », n°7, 1910, p.80.<br />
BOVET Ernest, « A <strong>la</strong> rue du Pré à Lausanne », n°4, 1909, p.31.<br />
GODET Philippe, « Beauté et patrie », n° 1, 1906, p.25-26.<br />
- La Patrie Suisse<br />
« Un accident à Berne », n°312, 1905, p.216.<br />
BONARD A., « Le nouvel Hôtel des Postes de Lausanne », n° 199, 1901, pp.111-113.<br />
BONARD A., « Pa<strong>la</strong>is de <strong>la</strong> Banque », n°173, 1900, pp.112-113.<br />
BONARD A., « Un sky-scraper à Lausanne », n°146, 1899, p.108.<br />
D. A., « Une ville qui se transforme », 1894, p.34.<br />
KHUNE E., « Exposition nationale de 1896 », n°48, 1895, pp.176-178.<br />
KHUNE E., Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière, n°55, 1895, pp.256-257.<br />
KHUNE E., « Au vil<strong>la</strong>ge Suisse », n°51, 1895, pp.249-251.<br />
« Sur le Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière », n°68, 1896, p.108.<br />
« Les prisons de Lausanne », n°296, 1905, pp.18-19.<br />
- Schweizerische bauzeitung (SBZ)<br />
FAVRE A., « Le béton <strong>armé</strong> système Hennebique : rectifications, Vol.29/30, 1897, p.68.<br />
de MOLLINS S., « Le <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> Système Hennebique », Vol. 33/34, 1899, p.109.<br />
RAPPAPORT S., « Berechnungen der Monier-Träger (System Hennebique) », Vol.29/30, 1897, p.61.<br />
RITTER W., « die Bauweise Hennebique », Vol. 33/34, 1899, pp.41-43, pp.49-52, pp.59-61.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
3. PROBLEMATIQUE<br />
Cette étude constitue pour nous une occasion de s’intéresser à une innovation technique ayant marqué<br />
<strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Dans l’imaginaire collectif, le béton <strong>armé</strong> est encore aujourd’hui un matériau<br />
controversé. Cette représentation peut-elle se comprendre dans ses origines historiques<br />
La grande dépression qui touche l’Europe aux alentours de 1870 va faire p<strong>la</strong>ce, dès les années 1890, à<br />
une période marquée par une forte croissance économique qui s’accompagne d’une expansion urbaine<br />
importante. Ce contexte a favorisé l’émergence et le développement d’un ensemble d’innovations<br />
techniques parmi lesquelles figure le béton <strong>armé</strong>.<br />
La Suisse, quant à elle, apparaît comme une société partagée entre sa modernisation et l’exaltation de<br />
ses valeurs traditionnelles. La nouvelle Constitution Fédérale adoptée en 1848 va favoriser, à travers<br />
diverses mesures, le progrès industriel. 1 D’un autre côté, l’identité helvétique s’affirme à travers une<br />
série d’expositions nationales organisées pour célébrer le « Vil<strong>la</strong>ge Suisse », qui magnifie le caractère<br />
rural et pittoresque de <strong>la</strong> Suisse.<br />
Dans ce contexte, l’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> apparaît problématique. A travers quelles épreuves<br />
l’<strong>image</strong> du béton s’est-elle construite Nous proposons de retenir cette question comme fil conducteur<br />
de notre travail.<br />
Pour y répondre, il nous paraît important d’examiner l’ensemble des débats, interre<strong>la</strong>tions d’acteurs et<br />
évènements qui ont favorisé ou au contraire freiné l’émergence du béton <strong>armé</strong>.<br />
La naissance du béton <strong>armé</strong> est difficile à situer précisément. En effet, l’invention à proprement parler<br />
du béton <strong>armé</strong> n’est pas le fait d’une seule personne, mais plutôt le résultat d’un ensemble<br />
d’expérimentations menées dans toute l’Europe.<br />
Dès lors, comment faire accepter un matériau sans référence constructive ni base juridique <br />
L’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> se manifeste dans un climat d’incertitude nourri par le scepticisme<br />
des théoriciens face à l’hétérogénéité des deux constituants du matériau : le béton et le fer. Malgré<br />
tout, nous pouvons relever dans les deux dernières décennies du XIX ème l’augmentation du nombre de<br />
dépôts de procédés d’assemb<strong>la</strong>ges ciment et fer, révé<strong>la</strong>nt l’espoir p<strong>la</strong>cé dans ce nouveau matériau.<br />
Quels arguments sont mis en avant Et comment ce nouveau matériau est-il passé de spécu<strong>la</strong>tion à<br />
invention puis à un mode de <strong>construction</strong> répandu et réglementé <br />
Si l’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> dépendait de son potentiel constructif, elle dépend aussi d’un<br />
ensemble d’acteurs, qui selon leurs intérêts, al<strong>la</strong>ient participer à en faire <strong>la</strong> publicité, ou tenter au<br />
contraire d’en compromettre l’émancipation. Le béton <strong>armé</strong>, en tant qu’innovation technique, a des<br />
partisans et des dissidents qui, à travers leurs discours, participent beaucoup à construire son <strong>image</strong>.<br />
Quelles ont été les stratégies des uns et des autres pour défendre leurs positions L’étude tentera de<br />
faire l’analyse des conflits d’intérêts en jeu, et de leurs impacts sur <strong>la</strong> représentation qu’on se faisait à<br />
l’époque du matériau. Sur quels supports <strong>la</strong> diffusion du béton <strong>armé</strong> s’est elle appuyée <br />
En outre, comme toute innovation qui se forme, des incidents arrivent nécessairement. Au début du<br />
XX ème siècle le béton <strong>armé</strong> est <strong>la</strong>rgement diffusé dans l’ensemble de <strong>la</strong> Suisse. La bonne résistance<br />
dans le temps de ces différentes réalisations motive un climat de confiance re<strong>la</strong>tive dans les différents<br />
milieux professionnels. Or, deux accidents en particulier, à Bâle et à Berne, surviennent lors de <strong>la</strong> mise<br />
en œuvre même du béton <strong>armé</strong>. La presse helvétique s’en fera alors l’écho au travers de nombreux<br />
articles. Comment ces accidents sont-ils traités par <strong>la</strong> presse en général, et <strong>la</strong> presse technique en<br />
particulier Quels impacts ont-ils eu sur l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong> <br />
1 JACCARD Robert, Histoire de l’économie vaudoise, Lausanne, Imprimeries Réunies S.A., 1959.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
S’il apparaît que le béton <strong>armé</strong> a eu comme première difficulté de devoir faire ses preuves sur le p<strong>la</strong>n<br />
technique, il a également en arrière p<strong>la</strong>n, suscité des questions difficiles concernant son expression. Le<br />
béton a <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité d’être un matériau sans forme a priori (contrairement aux <strong>construction</strong>s en bois<br />
ou en acier, résultats de l’assemb<strong>la</strong>ge d’éléments). Les potentialités infinies du matériau l’ont desservi<br />
dans sa définition esthétique, parce que celui-ci ne dicte pas une manière unique d’être mis en œuvre,<br />
et par extension, ne correspond pas à « une expression toute trouvée ». Quelle expression donner aux<br />
réalisations en béton <strong>armé</strong> Et comment les objets auxquels il se substitue vont-il influencer notre<br />
représentation du béton <strong>armé</strong> <br />
4. L’ENTREE EN SCENE DU BETON ARME<br />
Avant d’être combiné à l’acier, le béton a fait l’objet d’expérimentations sur sa composition et ses<br />
propriétés. L’obtention de cette pâte sans forme procédait d’un dosage précis de ses différents<br />
composants que l’on cherchait à établir pour l’appliquer à <strong>la</strong> <strong>construction</strong>.<br />
Les premières expérimentations isolées sur l’assemb<strong>la</strong>ge du fer et du ciment ont lieu au long du<br />
XIX ème siècle notamment en France et en Angleterre, mais c’est à partir de 1850 que le béton <strong>armé</strong><br />
fait l’objet d’une série significative d’initiatives privées conduisant au dépôt de brevets. La barque en<br />
béton <strong>armé</strong> de Joseph-Louis Lambot, réalisée autour de 1855, a <strong>la</strong>issé une <strong>image</strong> marquante dans le<br />
monde de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Mais l’un des brevets les plus décisifs est celui d’un jardinier français,<br />
Joseph Monier, qui publie en 1867 son « système de caisses-bassins mobiles en fer et ciment<br />
applicable à l’horticulture » 2 . D’autres exemples encore montrent bien le caractère « bricolé » du<br />
matériau à ses premiers balbutiements.<br />
Pendant près de quarante ans, les expériences empiriques se succèdent autour de ce nouveau procédé,<br />
en même temps que celui-ci soulève le scepticisme des théoriciens de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. En effet, les<br />
deux constituants du béton <strong>armé</strong>, le fer et le béton, sont antinomiques du point de vue de leurs<br />
propriétés physiques. Ils posent alors <strong>la</strong> question de leur dissociation sous <strong>la</strong> contrainte et de leur tenue<br />
dans le temps. De plus, les calculs connus à l’époque pour dessiner une ossature porteuse sont ceux<br />
déterminés par <strong>la</strong> statique des ouvrages métalliques. Ces calculs qui donnent scientifiquement <strong>la</strong> forme<br />
au fer, ne sont pas transposables aux ouvrages en béton.<br />
Face à ce<strong>la</strong>, le béton présente aussi des qualités qui le rendent intéressant dans son usage : on<br />
découvre qu’il est notamment résistant au feu, imputrescible, et qu’il correspond à un coût de mise en<br />
œuvre avantageux. Pour certains, ces atouts constituent des raisons suffisantes de persévérer pour<br />
l’inscrire parmi les techniques de <strong>construction</strong>.<br />
Autour des années 1890, un tournant s’opère en Allemagne avec le brevet déposé par Wayss et<br />
Freytag en 1886. Ces ingénieurs allemands, s’intéressant aux brevets déposés par Joseph Monier,<br />
décident de le réemployer pour é<strong>la</strong>borer le premier système appliqué à <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Il s’ensuit un<br />
premier ouvrage théorique sur le ciment <strong>armé</strong> publié par Wayss et Koenen en 1887, qui embraye une<br />
série de réalisations. Ce système se voit rapidement concurrencé par celui de l’ingénieur franco-belge<br />
François Hennebique 3 , dont l’entreprise s’imp<strong>la</strong>nte vite dans différents pays d’Europe. En Suisse, il<br />
s’impose également à travers une succursale à Lausanne, pilotée par l’ingénieur Samuel de Mollins.<br />
Par <strong>la</strong> suite de nouveaux « systèmes » continuent d’apparaître en Suisse : les systèmes Lossier,<br />
Siegwart, Koenen… Ces différents systèmes s’appliquent uniquement à des parties d’ouvrages<br />
spécifiques, c'est-à-dire les poutres ou les p<strong>la</strong>nchers.<br />
2 COLLINS Peter, Splendeur du béton. Les prédécesseurs et l’œuvre d’Auguste Perret, Paris, Editions Hazan, 1995.<br />
3 François Hennebique, ingénieur franco-belge, dépose le brevet du système Hennebique en Août 1892, soit six ans après<br />
celui du Système déposé par Wayss et Freytag en 1886 (Allemagne).<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
L’intérêt et les potentialités du béton <strong>armé</strong> continuent néanmoins à être mis en doute, ce dont<br />
témoignent les revues techniques de l’époque, comptant de nombreux articles qui vont jusqu’à<br />
remettre en question sa résistance au feu et son aspect économique 4 .<br />
La difficulté à défendre le béton par <strong>la</strong> théorie et le raisonnement pousse alors les différents<br />
entrepreneurs à légitimer son usage par le biais de l’empirisme, avec le déploiement d’une véritable<br />
mise en scène de l’expérience 5 . Tentant de suppléer au défaut de bases théoriques, des démonstrations<br />
sont effectivement réalisées dans le but de gagner <strong>la</strong> confiance des milieux professionnels, qu’il<br />
s’agisse de commanditaires, d’entrepreneurs ou de scientifiques. Un nouvel article de <strong>la</strong><br />
Schweizerische Bauzeitung, nous fait part quelques mois après de l’efficience de cette stratégie 6 :<br />
« Heureusement que le calcul des poutres Hennebique repose sur des bases plus solides<br />
que sur une théorie mathématique qui, le plus souvent, ne concorde pas avec <strong>la</strong> pratique.<br />
Le calcul de ces poutres est en effet basé sur d’innombrables essais, et les résultats<br />
trouvés ont prouvé que <strong>la</strong> méthode employée pour les calculer donnait des résultats<br />
dignes d’une confiance absolue. »<br />
Certains exemples en Suisse nous renseignent sur le déroulement de ces expériences, notamment celle<br />
menée à Lausanne par S. De Mollins pour <strong>la</strong> Compagnie privée de chemin de fer du Jura-Simplon 7 :<br />
« L’expérience réalisée en 1893 à Lausanne, fut une première dans le domaine de <strong>la</strong><br />
<strong>construction</strong> en béton et qui donna à tous [les experts présents], une confiance étendue,<br />
[…] dans <strong>la</strong> résistance inattendue de l’assemb<strong>la</strong>ge bien fait du fer et du béton. »<br />
De cette première approche, nous pouvons retenir le fait que l’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> se<br />
caractérise par une période d’incertitude. L’<strong>image</strong> que renvoie le béton n’est pour ainsi dire peu<br />
f<strong>la</strong>tteuse, autant associée à une « pâte sans forme » à <strong>la</strong> destination encore peu comprise, qu’à un<br />
mé<strong>la</strong>nge hétérogène et peu sûr... En réaction à cette mauvaise presse, c’est par <strong>la</strong> voie de l’empirisme<br />
que les efforts vont se porter pour défendre les qualités de ce matériau. A l’<strong>image</strong> de <strong>la</strong> matière<br />
informe se substitue celle d’un matériau à toute épreuve, garantie par l’expérience-démonstration et<br />
dont <strong>la</strong> multiplication des brevets viendront confirmer son emploi.<br />
5. UN RESEAU D’ACTEURS EN JEU : ENGOUEMENTS ET RESISTANCES<br />
La <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong> fait intervenir un réseau d’acteurs privés et publics depuis <strong>la</strong> commande<br />
jusqu’à l’exécution, sans oublier en parallèle, les acteurs des milieux scientifiques, intellectuels et du<br />
domaine de <strong>la</strong> réglementation. Les interdépendances au sein de ces réseaux nous permettent de mieux<br />
saisir les débats qui animent cette période entre protagonistes et opposants.<br />
4 (voir Annexe 1) RAPPAPORT S., « Berechnungen der Monier-Träger (System Hennebique) », in SBZ, Vol.29/30, 1897,<br />
p.61.<br />
5<br />
(voir Image 1) « Essais de résistance d’une poutre Hennebique, Lausanne 1893, S. de Mollins ingénieur », in<br />
DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., Le <strong>Béton</strong> en représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de<br />
l’entreprise Hennebique 1890-1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p37.<br />
6 (voir Annexe 2) FAVRE A., « Le béton <strong>armé</strong> système Hennebique : Rectifications », in SBZ, Vol.29/30, 1897, p.68.<br />
7 E., « <strong>Béton</strong> Armé. Encore quelques faits nouveaux. Notes sur les ponts sous rails en béton <strong>armé</strong>, construits dès 1894 par <strong>la</strong><br />
Compagnie de chemins de fer du Jura Simplon », in BTSR, n°15, 1903, pp. 201-205.<br />
10
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
5.1 Les constructeurs et fournisseurs<br />
Dans un contexte socioculturel où prédomine encore fortement l’académisme qui fixe les règles des<br />
<strong>construction</strong>s en matériaux traditionnels (pierre, bois..), deux attitudes liées au béton <strong>armé</strong> se mêlent,<br />
les empiristes c’est-à-dire les entrepreneurs et constructeurs qui, par des séries d’essais, font leur<br />
propre validation de leurs procédés de <strong>construction</strong> 8 et les théoriciens, professeurs et autres<br />
scientifiques qui cherchent à codifier l’usage du matériau par l’établissement de modèles théoriques.<br />
Parmi les empiristes, essayons de comprendre le fonctionnement de <strong>la</strong> société de <strong>construction</strong> qui fera<br />
figure d’exception par sa portée mondiale : <strong>la</strong> firme Hennebique. En effet, l’expansion de cette<br />
entreprise joue un rôle essentiel dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> et <strong>la</strong> diffusion de l’<strong>image</strong> du béton, reflétant les<br />
mécanismes d’une importante avancée que mène Hennebique dans le domaine de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. En<br />
Suisse comme dans bon nombre de pays, <strong>la</strong> société occupe sans conteste une part dominante du<br />
marché.<br />
Son incroyable essor repose sur <strong>la</strong> simplicité de mise en œuvre de ses brevets et surtout <strong>la</strong> performance<br />
de son organisation hiérarchique. François Hennebique, ingénieur franco-belge, supervise ainsi un<br />
premier niveau d’agents de formation ingénieur, répartis en France, en Europe puis rapidement dans le<br />
monde entier 9 ; <strong>la</strong> Suisse est représentée par Samuel de Mollins. Puis ces agents dirigent un deuxième<br />
échelon de concessionnaires répartis par ville (A Lausanne, il s’agit de M. Ferrari) qui sont chargés de<br />
répandre le « <strong>la</strong>bel » et transmettre les données de calcul de chaque affaire conclue, au bureau central<br />
siégeant à Paris. Les publicités diffusées dans le BTSR montrent l’étendue de <strong>la</strong> couverture de son<br />
réseau de concessionnaires sur le territoire suisse. 10<br />
De plus, comme le précise C. Simonnet 11 , <strong>la</strong> force d’action de Hennebique réside dans <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />
à <strong>la</strong> tête du réseau, d’un système de bureaux d’études ou « d’ingénieurs-conseils » qui reçoivent et<br />
traitent ces éléments de calcul issus des commandes. Leur tâche consiste en un travail d’anticipation<br />
propre à chaque projet pour fournir au client des devis et <strong>la</strong> garantie d’études préliminaires totalement<br />
détachées de <strong>la</strong> réalité des chantiers, une nouveauté par rapport aux manières de faire des constructeurs<br />
métalliques. La concurrence se joue désormais sur cette capacité des différentes firmes à assumer ces<br />
études préa<strong>la</strong>bles au projet qui fournissent au client une certaine légitimité de leur choix. C’est ainsi<br />
que tel ou tel brevet peut afficher sa pertinence et supériorité sur le marché puisque, bien souvent, pour<br />
le commanditaire, <strong>la</strong> supériorité technique de l’un ou l’autre ne s’exprime guère, du moins sur le p<strong>la</strong>n<br />
des applications.<br />
Pour l’exécution des projets, <strong>la</strong> société Hennebique signe des contrats avec des entreprises de<br />
<strong>construction</strong>s locales auxquelles elle confie un « droit d’exploitation, s’engageant en retour à fournir<br />
les éléments nécessaires à une mise en œuvre conforme 12 ».<br />
Ces entreprises de <strong>construction</strong> locale qui ne se démarquent pas par <strong>la</strong> propriété d’un brevet sont alors<br />
reléguées à un deuxième p<strong>la</strong>n sur le marché. Elles se voient effectivement comme diminuées de leur<br />
véritable pouvoir de <strong>construction</strong> puisqu’elles ne possèdent pas « d’exclusivité » pour l’application des<br />
brevets mais simplement un « droit d’exploitation » à renouveler à chaque projet…<br />
En ce sens, <strong>la</strong> puissante société Hennebique en p<strong>la</strong>ce a su s’organiser de manière à se prévaloir de<br />
toutes responsabilités notamment en cas d’accident 13 puisque, comme évoqué précédemment, <strong>la</strong><br />
séparation de <strong>la</strong> conception et de l’exécution <strong>la</strong>isse une grande part de responsabilités à l’entreprise<br />
intermédiaire… Dépassant alors le matériau lui-même, c’est peu à peu une expérience et <strong>la</strong> notoriété<br />
de <strong>la</strong> firme que l’on achète…<br />
8 SIMONNET Cyrille, Le béton : histoire d’un matériau. Economie, technique, architecture, Marseille, Ed. Parenthèse, 2005,<br />
pp. 79-80.<br />
9 (voir Image 2) « Le système Hennebique dans le monde », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n° 69, février 1904, p<strong>la</strong>nche 1.<br />
10 (voir Image 3) Publicité de <strong>la</strong> société Hennebique, in BTSR, n°14, 1903.<br />
11 SIMONNET Cyrille, in op. cit., p. 66.<br />
12 SIMONNET Cyrille, in op. cit., p. 66.<br />
13 cf. partie 7 Un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique p.21.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Par suite <strong>la</strong> question des ouvriers se pose et notamment celle de leur connaissance technique envers un<br />
matériau nouveau et dont <strong>la</strong> mise en oeuvre, à cette époque, dépend exclusivement de l’organisation et<br />
de <strong>la</strong> performance sur les chantiers. A noter que les ouvriers ne sont plus les garants du savoir faire<br />
comme pouvaient l’être, à l’aire industrielle, les maîtres charpentiers métalliques, ou encore les<br />
compagnons maçons. On est désormais en présence de nouveaux métiers ouvriers indépendants qui<br />
interviennent de manière segmentaire sur les chantiers : « le boiseur, le coffreur, le ferrailleur… » 14<br />
Ainsi, <strong>la</strong> <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong> sépare et multiplie davantage les tâches au cours du long<br />
processus d’é<strong>la</strong>boration, invente de nouveaux intermédiaires dans le domaine du bâtiment construisant<br />
peu à peu aux yeux du public l’<strong>image</strong> d’une importante organisation ; bientôt le statut des ouvriers se<br />
verra augmenté de sécurité, des normes seront mises en p<strong>la</strong>ce…<br />
Le développement d’entreprises de <strong>construction</strong> pose également en parallèle <strong>la</strong> question de leur<br />
approvisionnement en matières premières et donc principalement du réseau créé avec les cimentiers.<br />
Il est à noter qu’avant le développement significatif du béton <strong>armé</strong> en Suisse au tournant du siècle, les<br />
cimenteries ont d’ores et déjà vu le jour sur le territoire depuis une vingtaine d’année. Le ciment est<br />
alors utilisé comme liant (mortier) dans des ouvrages de maçonneries, où il remp<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> chaux pour un<br />
coût moins élevé ainsi que dans des réalisations en béton. Les fabriques de ciment exploitent une<br />
matière première calcaire particulièrement abondante en Suisse, qui leur permet de rivaliser avec les<br />
marchés étrangers.<br />
A cette même période, les industries minières de fer et charbon subissent, quant à elles, un re<strong>la</strong>tif<br />
déclin avec <strong>la</strong> perte de compétitivité et l’épuisement de ces ressources peu généreuses. Beaucoup<br />
d’entre elles s’empressent alors de se reconvertir et adaptent leur structure pour <strong>la</strong> fabrication du<br />
ciment, en utilisant les couches calcaires des exploitations minières jusqu’ici négligées.<br />
Le terrain suisse est donc très propice à l’essor du béton <strong>armé</strong>, ce qui n’échappe certainement pas aux<br />
entreprises qui décident de s’y imp<strong>la</strong>nter, telles que <strong>la</strong> firme Hennebique. Entrepreneurs et cimentiers<br />
s’engagent dans une course aux marchés ; en effet, <strong>la</strong> qualité du ciment est un gage important de celle<br />
du béton <strong>armé</strong>, dont elle détermine en partie <strong>la</strong> résistance. Les fabriques se manifestent alors<br />
abondamment aux travers des expositions, qui, en fonction de leur productivité et de leurs innovations,<br />
leur attribuent des médailles. La presse technique regorge de publicités où se joue <strong>la</strong> concurrence des<br />
fabriques de ciment qui vantent les médailles obtenues 15 .<br />
Mais l’analyse de ces presses, ne nous permet pas pour autant de percer les véritables enjeux<br />
économiques cachés qui relient les cimentiers aux entrepreneurs, les nécessaires re<strong>la</strong>tions de fidélité<br />
ou de partenariat qui pourraient exister...car, on le devine, l’enjeu commercial prend toute son<br />
ampleur.<br />
Dans ce contexte, les constructeurs métalliques, déjà déstabilisés par un minerai en mauvaise posture<br />
derrière le ciment, voient naturellement en l’avancée du béton <strong>armé</strong> un affaiblissement de leur marché.<br />
Ils s’engagent alors activement dans le débat et utilisent principalement les accidents de <strong>construction</strong><br />
en béton pour troubler l’opinion publique. 16<br />
Cette bataille qui consiste à discuter les catastrophes respectives des deux modes de <strong>construction</strong> est<br />
particulièrement bien retranscrite et alimentée dans le discours que véhicule <strong>la</strong> firme Hennebique dans<br />
sa revue mensuelle : Le <strong>Béton</strong> Armé. Se définissant comme un « organe d’enseignement mutuel » 17 ,<br />
cette revue <strong>la</strong>ncée en 1898 produit une certaine ému<strong>la</strong>tion interne à <strong>la</strong> firme qui permet d’affronter<br />
avec force <strong>la</strong> concurrence. Au-delà même, un avis est <strong>la</strong>ncé aux lecteurs pour qu’ils deviennent leurs «<br />
col<strong>la</strong>borateurs en [leur] envoyant des notes et croquis, dessins ou photographies sur tous les travaux<br />
qu’ils exécutent ou voient exécuter autour d’eux [...] »<br />
Usant du sarcasme et de l’ironie, elle présente systématiquement « les trahisons de l’acier » 18 en<br />
réponse aux attaques manifestées par les constructeurs en métal.<br />
14 SIMONNET Cyrille, in op. cit., p.60.<br />
15 (voir Image 4) Publicités de cimentiers, in BTSR, n°10, 1903.<br />
16 JOST Hans-Ulrich, the introduction of reinforced concrete in Switzer<strong>la</strong>nd (1890-1914) : Social & Culutral Aspects<br />
17 « Avis », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°48, mai 1902, p. 163<br />
18 (voir Image 5) « Les trahisons du fer. Incendie de l’usine de Derendingen (Suisse) », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n° 47, avril 1902,<br />
p<strong>la</strong>nche 3.<br />
12
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
En voici un exemple :<br />
« Nous recevons d’un de nos correspondants, <strong>la</strong> note suivante :<br />
« Sous ce titre expressif vous avez publié dans votre dernier numéro un article<br />
instructif où vous montrez les défail<strong>la</strong>nces du fer en présence du feu. « Nous ne nous<br />
permettrons d’ajouter que quelques mots à cet article ; [...] Chacun peut en tirer cette<br />
conclusion que : <strong>la</strong> sécurité des ouvrages métalliques est nulle contre les attaques du<br />
feu. [...] « Quant à <strong>la</strong> sécurité statique pendant <strong>la</strong> période des travaux, elle est tout<br />
aussi problématique ; [...] Pour <strong>la</strong> durée, il en est de même, on <strong>la</strong> voit chaque jour<br />
compromise par l’oxydation [...] » 19<br />
En conclusion, nous voyons qu’autour du béton <strong>armé</strong> s’organise un important réseau de<br />
professionnels. Parmi eux, l’entreprise Hennebique s’impose à travers une <strong>la</strong>rge couverture du<br />
marché et une stratégie de communication efficace, tel qu’on lui attribue souvent « l’invention<br />
du béton <strong>armé</strong> ». S’il y a invention, elle se situe davantage dans <strong>la</strong> structure et <strong>la</strong> puissance de<br />
l’entreprise qu’il met en œuvre, supportant d’influentes logiques de production.<br />
5.2 Les scientifiques, à <strong>la</strong> recherche des fondements théoriques<br />
L’<strong>image</strong> et le développement du béton <strong>armé</strong> en Suisse passe incontestablement par l’intervention des<br />
institutions et en particulier l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (fondée en 1855), au travers de<br />
<strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> recherche scientifique se concentre et s’exprime.<br />
En 1880, <strong>la</strong> chaire de « statique de <strong>construction</strong> » de l’EPFZ jusqu’alors tenue par Karl Culmann 20 se<br />
poursuit en deux enseignements scientifiques qui se penchent sur le développement de méthodes de<br />
calcul des ouvrages en béton <strong>armé</strong> : l’enseignement théorique que conduit le Professeur Ritter et <strong>la</strong><br />
recherche pratique menée par le Professeur Tetmajer.<br />
Dès lors, pour é<strong>la</strong>borer ses théories, W. Ritter choisit d’effectuer une série de tests sur les systèmes de<br />
<strong>la</strong> firme Hennebique, qu’il ne manque pas de divulguer dans de nombreux articles publiés dans <strong>la</strong><br />
presse technique 21 . De cette manière, l’entreprise Hennebique se voit acquérir un précieux crédit<br />
scientifique de <strong>la</strong> part de ce professeur, crédit que l’agent Hennebique en Suisse, Samuel de Mollins,<br />
s’empresse de saluer dans un article paru quelques mois plus tard dans <strong>la</strong> même revue 22 :<br />
« Il nous est précieux, après tant d’efforts et de travail effectif de voir les hommes les<br />
plus illustres de <strong>la</strong> science rendre hommage aux vérités scientifiques que nous défendons<br />
et que nous appliquons avec un certain succès. »<br />
Un autre professeur, F.L. Schüle, s’implique aussi dans le développement de nouveaux procédés en<br />
béton <strong>armé</strong>. C’est ainsi que, quelques années plus tard, le système développé par l’ingénieur Lossier 23 ,<br />
ex-membre de l’équipe Hennebique, entre sur le terrain de <strong>la</strong> concurrence en bénéficiant aussi de tests<br />
au <strong>la</strong>boratoire d’essais des matériaux de l’EPFZ, sous <strong>la</strong> direction de ce professeur.<br />
Ces deux exemples illustrent les re<strong>la</strong>tions étroites d’interdépendance qu’entretiennent les dépositaires<br />
de système constructif et le milieu académique, les uns cherchant à bénéficier autant que possible d’un<br />
appui scientifique valorisant leur procédé et les autres un moyen d’appliquer leurs modèles de calcul.<br />
19 « Les trahisons du fer », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°48, mai 1902, pp. 175-176<br />
20 Karl Culmann crée l’école d’ingénieurs à l’EPFZ et y enseigne dès 1855. Il s’attache à représenter les efforts des<br />
<strong>construction</strong>s de ponts par un nouveau moyen : le graphique, qu’utilisera notamment R. Mail<strong>la</strong>rt et publie son ouvrage<br />
majeur sur <strong>la</strong> statique graphique en 1864-1866.<br />
21 RITTER A., « die Bauweise Hennebique », in SBZ, vol.33/34, 1899, pp.41-43, pp.49-52, pp.59-61.<br />
22 (voir Annexe 3) de MOLLINS S., Rubrique Korrespondenz : « le béton <strong>armé</strong>, système Hennebique », in SBZ, vol. 33/34,<br />
1899, p. 109.<br />
23 (voir Annexe 4) VAUTIER Alph, « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in BTSR, n° 14, 1903, p. 190.<br />
13
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Malgré tout, plus de dix ans après ces premiers essais et validations de calcul accordées à certains<br />
systèmes constructifs, les ingénieurs <strong>la</strong>issent toujours p<strong>la</strong>ner le doute quant à <strong>la</strong> possibilité d’anticiper<br />
de manière univoque les comportements généraux du béton <strong>armé</strong>.<br />
A propos d’une brochure exposant les résultats d’essais sur <strong>la</strong> résistance du béton <strong>armé</strong>, il est dit dans<br />
un article BTSR de 1906 24 :<br />
« [...] L’auteur démontre combien il est improbable que l’on puisse jamais obtenir des<br />
méthodes scientifiques incontestables pour <strong>la</strong> détermination des dimensions des ouvrages<br />
de cette nature, mais que l’impossibilité où l’on se trouve de calculer d’avance les<br />
tensions que produira une charge donnée dans un corps hétérogène ne doit pas détourner<br />
l’ingénieur de se servir de telle ou telle méthode de calcul […] »<br />
Durant toute cette période, un climat d’incertitudes règne donc du fait des faiblesses théoriques<br />
inhérentes au matériau, qui ne se lèvent pas. Toutefois, ces préoccupations et appréhensions des<br />
scientifiques ne freinent pas pour autant l’engouement manifesté à l’égard du béton <strong>armé</strong>. Au<br />
contraire, elles nourrissent en même temps <strong>la</strong> recherche de nouveaux systèmes officialisés par le dépôt<br />
de brevets qui engendrent naturellement l’émergence de nouvelles sociétés de <strong>construction</strong>.<br />
C’est d’ailleurs de cette manière qu’est apparu le système Lossier, dont nous parlions précédemment,<br />
basant essentiellement l’innovation sur <strong>la</strong> résolution de <strong>la</strong> question que se posaient les théoriciens à ce<br />
moment de l’adhérence du fer au ciment. 25<br />
5.3 Les organes de réglementation<br />
Face au développement des <strong>construction</strong>s en béton, il convient de comprendre davantage comment<br />
sont codifiées les applications du matériau c’est-à-dire son étape «de mise en conformité<br />
scientifique». 26<br />
Notons au préa<strong>la</strong>ble, qu’en 1901, le BTSR expose le procès-verbal 27 d’une commission du ciment<br />
<strong>armé</strong> qui a lieu cette année en France. Son enjeu est, entre autre, de <strong>la</strong>ncer des recherches en vue<br />
d’établir des règles pour l’emploi du <strong>Béton</strong> Armé dans les travaux publics français. Et, cette<br />
commission survient notamment après l’exposition nationale de 1900 à Paris où une <strong>construction</strong><br />
Hennebique en chantier s’écroule...<br />
C’est dans ce même état de fait et surtout en réaction à l’accident de Bâle de 1901 28 que <strong>la</strong> Société<br />
privée des Ingénieurs et Architectes Suisses (SIA) se préoccupe aussi d’établir des normes provisoires,<br />
durant <strong>la</strong> période 1901-1903.<br />
Les premiers grands accidents du début du siècle sont bel et bien les éléments déclencheurs, en France<br />
comme en Suisse, du souci de réglementation, car ils ébranlent <strong>la</strong> confiance accordée entre<br />
professionnels.<br />
Pour concevoir ces normes, les différentes sections (vaudoise, fribourgeoise...) vont régulièrement<br />
débattre, au cours de l’année 1902, pour apporter leurs préavis au Comité central SIA qui se chargera<br />
par <strong>la</strong> suite de synthétiser et publier les textes établis. Ces nombreuses séances sont données en résumé<br />
ou sous forme de rapports dans le BTSR. Nous pouvons en retenir quelques uns pour les précisions<br />
qu’ils apportent...<br />
En mai 1902 29 , à Berne, une séance se déroule avec presque <strong>la</strong> totalité des sections et nous apprenons<br />
que le nombre des membres ne cesse d’augmenter accusant de l’intérêt croissant des ingénieurs pour<br />
ce problème donné de <strong>la</strong> réglementation du béton <strong>armé</strong>.<br />
24 VAUTIER Alph., Rubrique Bibliographie, in BTSR, n° 18, 1906, pp. 212-213.<br />
25 (voir Annexe 4) VAUTIER Alph, « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in BTSR, n° 14, 1903, pp. 189-<br />
192.<br />
26 SIMONNET Cyrille, in op cit., p. 94.<br />
27 Le Ciment, « Procès verbal de <strong>la</strong> première séance du 16 février 1901 de <strong>la</strong> Commission du ciment <strong>armé</strong>, instituée par le<br />
Ministère des Travaux publics de France. », in BTSR, n°27, 1901, pp. 106-107<br />
28 cf. partie 7 Un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique p.21<br />
14
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
En octobre 30 , le BTSR dévoile le contenu d’un important rapport présenté au directeur du département<br />
des travaux de Bâle-ville où notamment les Professeurs Ritter et Schüle exposent les conditions pour<br />
l’exécution des <strong>construction</strong>s suivant les différents systèmes. On y apprend par exemple combien <strong>la</strong><br />
suprématie du système Hennebique se heurte à <strong>la</strong> concurrence d’autres procédés, concurrence qui, plus<br />
qu’économique se joue désormais au niveau des garanties en sécurité. En effet, il est précisé qu’en<br />
cherchant <strong>la</strong> compétitivité économique, <strong>la</strong> société Hennebique a opéré des changements dans son<br />
système de <strong>construction</strong> qui ont contribué à affaiblir <strong>la</strong> sécurité des bâtiments. De plus, ce système a<br />
particu<strong>la</strong>rité d’être exclusivement mis en œuvre sur le chantier et donc <strong>la</strong> sécurité des <strong>construction</strong>s ne<br />
peut se faire en amont (contrairement à d’autres systèmes qui usent de <strong>la</strong> préfabrication d’éléments), il<br />
implique un « contrôle régulier du travail » des ouvriers qui d’ailleurs seront les seuls mis en cause<br />
dans <strong>la</strong> catastrophe de Bâle...<br />
Ainsi, cette période de réflexion sur les normes permet de soulever les effets préoccupants qui se<br />
cachent derrière <strong>la</strong> concurrence des différentes sociétés de <strong>construction</strong>.<br />
Les mois suivants, le Comité central demande l’avis des sections sur les « règlements de <strong>la</strong> police des<br />
<strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> de cinq villes allemandes » qu’il propose en soutien. La section vaudoise<br />
répond :<br />
« [...] nous ne pouvons conseiller d’imiter <strong>la</strong> réglementation des villes allemandes.<br />
Celle-ci nous paraît très prématurée et beaucoup plus propre à entraver ce système de<br />
<strong>construction</strong> (le béton <strong>armé</strong>) qu’à assurer ses progrès et sa sécurité publique. [...] » 31<br />
Cette année 1902 dévoile donc une véritable effervescence au sein de <strong>la</strong> SIA pour établir ces<br />
réglementations mobilisant rapidement les grands professeurs, <strong>la</strong> diversité des avis qu’offrent les<br />
différentes sections réparties dans les cantons al<strong>la</strong>nt même jusqu’à puiser dans les règlements de<br />
l’Allemagne, déjà mis en p<strong>la</strong>ce... Certes, le climat d’instabilité et d’incertitude issu de ces accidents<br />
hante certains professionnels qui aimeraient se décharger de quelques responsabilités, comme le<br />
<strong>la</strong>issent penser ces propos :<br />
« [...] Quelques malheureux plus exposés que d’autres aux tracasseries du béton<br />
<strong>armé</strong>, demandent à grands cris qu’on établisse immédiatement des normes<br />
provisoires, en attendant les travaux définitifs de MM. les professeurs. On éviterait<br />
ainsi beaucoup d’ennuis aux administrations et aux entrepreneurs eux-mêmes, qui<br />
s’entre-dévorent, et on préviendrait peut-être des accidents.<br />
Tous les constructeurs et avec eux, sans doute, les représentants de toutes les nuances<br />
recommandables de béton <strong>armé</strong> verront avec p<strong>la</strong>isir cette réglementation sans autre<br />
apparat que l’assentiment des ingénieurs et architectes du pays [...]» 32 .<br />
Toutefois, <strong>la</strong> SIA se trouve dans une situation complexe et ambiguë, partagée entre le devoir de<br />
sécurité publique et le souhait de ne pas entraver le progrès technique. Quant bien même, elle pense<br />
qu’avec une surveil<strong>la</strong>nce précise de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>, l’innovation peut continuer son chemin, les grands<br />
acteurs de ce progrès tels que <strong>la</strong> firme Hennebique sont là pour les convaincre du contraire... 33<br />
29 E. , « Assemblée des délégués de <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et des Architectes, à Berne le 25 Mai 1902 », in BTSR, n°11,<br />
1902, p.148<br />
30 « Rapport sur les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> et sur les <strong>construction</strong>s de p<strong>la</strong>nchers présenté au Directeur du Département<br />
des Travaux de Bâle-ville. », in BTSR, n°19, 1902, pp.256-259<br />
31 A. VAUTIER, « Section Vaudoise de <strong>la</strong> Société suisse des Ingénieurs et des Architectes. Commission du béton <strong>armé</strong>.<br />
Rapport. », in BTSR, n°23, 1902, pp. 314-316<br />
32 E. , « Assemblée des délégués de <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et des Architectes, à Berne le 25 Mai 1902 », in BTSR, n°11,<br />
1902, p.148.<br />
33 (voir Annexe 5) « VIIème Congrès du <strong>Béton</strong> Armé. Communication de M. de Mollins sur <strong>la</strong> réglementation des<br />
<strong>construction</strong>s en <strong>Béton</strong> Armé, en Allemagne et en Suisse. », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°57, février 1903, pp. 149-152.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Finalement, en 1903, le Comité central 34 nous présente l’aboutissement de cette année de travail en un<br />
projet de réglementations provisoires distribué aux différentes sections. Pour l’heure, il est dit que <strong>la</strong><br />
Confédération n’intervient pas, villes et cantons s’aident mutuellement. Par contre, nous apprenons<br />
que <strong>la</strong> société des fabricants de chaux et de ciment est entrée en col<strong>la</strong>boration pour participer<br />
financièrement aux essais théoriques qui seront encore p<strong>la</strong>nifiés les années suivantes.<br />
Désormais les cimentiers, premiers maillons de <strong>la</strong> chaîne de production, se sont organisés en<br />
associations, augmentant leur force d’action. Ils peuvent participer avec influence au développement<br />
du matériau, se positionnant entre les intérêts du constructeur et du théoricien et donc assurer leur<br />
marché.<br />
Quant à <strong>la</strong> « Jeune Confédération », outre sa présence à travers le <strong>la</strong>boratoire d’essais de l’Ecole<br />
Polytechnique Fédérale de Zürich (EPFZ), il faudra effectivement attendre deux années pour <strong>la</strong> voir<br />
participer pleinement à cette réglementation.<br />
Suite à une requête <strong>la</strong>ncée à nouveau par <strong>la</strong> SIA, <strong>la</strong> Confédération répondra :<br />
« [...] Disons d’emblée que, étant données les applications et l’importance toujours plus<br />
considérable du béton <strong>armé</strong>, nous approuvons naturellement le désir de faire des essais<br />
étendus avec cette matière. Le fait que <strong>la</strong> Confédération a continuellement en exécution<br />
des <strong>construction</strong>s importantes, qu’elle se fait de plus un devoir de s’occuper de questions<br />
d’intérêt général, qu’elle est enfin propriétaire du <strong>la</strong>boratoire fédéral d’essais des<br />
matériaux, nous dispose à participer activement à de tels essais.[...] » 35<br />
C’est enfin <strong>la</strong> prise de conscience par le pouvoir public des responsabilités liées à <strong>la</strong> croissance forte<br />
du béton <strong>armé</strong>. La Confédération prend alors en charge les essais « dans toute leur étendue » pour une<br />
période de 4 ans, à <strong>la</strong> suite desquels elle produit d’importantes prescriptions. 36<br />
5.4 Les commanditaires<br />
Aux débuts de l’émergence du béton, les commanditaires étaient en grande majorité des promoteurs<br />
privés car, <strong>la</strong> Confédération n’ayant pas encore reconnu ce nouveau procédé de <strong>construction</strong>, ce<strong>la</strong><br />
posait <strong>la</strong> nécessaire question de <strong>la</strong> prise de responsabilités sans le couvert de normes… C’est ainsi que,<br />
par exemple, <strong>la</strong> Compagnie privée de chemin de fer Jura-Simplon se <strong>la</strong>nce, au tournant du siècle, dans<br />
un double « défi » : celui d’employer le béton <strong>armé</strong> pour ses ouvrages d’art et entrepôts en plus du défi<br />
d’expansion des voies ferrées.<br />
Dans ce contexte, les différentes expériences menées par S. de Mollins dont celle de 1893, ont<br />
convaincu <strong>la</strong> « jeune » Compagnie des chemins de fer Jura-Simplon 37 à tester les systèmes<br />
Hennebique avant de les généraliser à l’ensemble de leur ligne. Ainsi, chaque ouvrage réalisé était<br />
accompagné d’une série d’essais.<br />
Nous pouvons ainsi lire dans le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, une série d’articles re<strong>la</strong>yant<br />
ces essais 38 :<br />
« […] Essayé avec beaucoup de soin et en présence de nombreux ingénieurs du dehors<br />
le 21 mars 1898, puis avec le mêmes précautions le 12 janvier 1900, inspecté<br />
minutieusement dès lors à plusieurs reprises, ce petit pont n’a donné lieu qu’à une seule<br />
retouche insignifiante : un montant du garde-corps.<br />
34 « Rapport de gestion du Comité central sur les années 1902-1903 », in BTSR, n°17, 1903, pp.233-234.<br />
35 (voir Annexe 6) GEISER A., « SIA Rapport de gestion du Comité central sur les années 1903-1905 », in BTSR, n° 15,<br />
1905, pp. 192-195.<br />
36 « Circu<strong>la</strong>ire du Comité central aux sections », in BTSR, n°35, 1909, p. 202.<br />
37 La compagnie du Jura Simplon est constituée en 1891 par <strong>la</strong> fusion des principales compagnies ferroviaires de Suisse, et<br />
joua un rôle important dans <strong>la</strong> réalisation des transversales Alpines.<br />
38 E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>, Encore quelques faits nouveaux, notes sur les ponts sous rails en béton <strong>armé</strong> construits dès 1894 par <strong>la</strong><br />
Compagnie des chemins de fer Jura-Simplon », in BTSR, n°15, 1903, pp. 202-203.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
[…] Cet essai concluant donna pour ainsi dire droit de cité au béton <strong>armé</strong>, non<br />
seulement à <strong>la</strong> Compagnie J.-S., mais encore aux yeux du Contrôle fédéral des chemins<br />
de fer, et les applications devinrent nombreuses. »<br />
Rapidement, d’autres promoteurs privés et même publics s’intéressent au béton. Un grand nombre de<br />
personnes d’horizon divers telles que les pompiers, les horlogers, les postiers, les banquiers, les<br />
directeurs de théâtre, les conservateurs de musées et même les hôteliers s’y intéressent.<br />
Mais quels avantages voient-ils dans le béton <br />
A priori ce ne sont pas les capacités techniques de portée d’une dalle en béton qui retiennent<br />
l’attention de ces corporations. Le point commun de ces commanditaires se trouve plutôt dans les<br />
atouts de protection du matériau lui-même, mis en avant par les constructeurs, protection face aux<br />
incendies, aux dégâts d’eau, aux infractions… Les casernes des pompiers, coffres-forts des banquiers<br />
ou encore les musées seront ainsi réalisés en béton <strong>armé</strong>… 39<br />
Le jeu de concurrence est aussi renforcé par les commanditaires qui recherchent les meilleurs prix audelà<br />
même de <strong>la</strong> nature des systèmes, comme le montre l’attitude manifestée par <strong>la</strong> compagnie du Jura<br />
Simplon dans un article du BTSR 1903 40 : « Les prix élevés du béton Hennebique, dont les<br />
concessionnaires ne valent pas tous feu Ferrari, et les progrès réalisés par certains concurrents sur ces<br />
entrefaites, engagèrent <strong>la</strong> Compagnie J-S. à essayer aussi d’autres systèmes […] ».<br />
5.5 Le milieu intellectuel<br />
En dehors des professionnels impliqués de fait par le béton <strong>armé</strong>, d’autres acteurs tels qu’intellectuels,<br />
écrivains et artistes s’intéressent à <strong>la</strong> question, de manière plus ou moins directe.<br />
Les transformations du territoire dérivées de <strong>la</strong> « modernisation », dans beaucoup d’esprits, mettent à<br />
mal <strong>la</strong> beauté des paysages suisses.<br />
Certains écrivains, à travers des ouvrages ou des articles de presse, s’affligent de ces<br />
bouleversements ; ils identifient <strong>la</strong> révolution industrielle comme responsable d’un en<strong>la</strong>idissement du<br />
paysage et de <strong>la</strong> perte des traditions architecturales locales. Ces observations suscitent des critiques<br />
tranchées. Leur discours n’est pas précisément ciblé sur le béton <strong>armé</strong> en lui-même, mais celui-ci est<br />
évoqué implicitement dans les observations dont ils rendent compte.<br />
En 1904, l’écrivain Guil<strong>la</strong>ume Fatio 41 publie un ouvrage exaltant les valeurs de <strong>la</strong> Suisse pittoresque et<br />
déplorant <strong>la</strong> banalité de l’architecture qui se développe. Si l’ouvrage met en avant des préoccupations<br />
d’ordre esthétique, le texte exprime souvent en arrière p<strong>la</strong>n un scepticisme plus profond, lié au<br />
changement de <strong>la</strong> société en elle-même. « Les idées égalitaires qui tourmentent les sociétés actuelles<br />
veulent, de plus en plus, que <strong>la</strong> maison du pauvre prenne autant que possible l’aspect de celle du<br />
riche. » 42 La critique faite à l’architecture en dissimule une autre, faite à <strong>la</strong> société.<br />
Un autre auteur, Charles Melley, 43 dont le discours est proche de celui de G. Fatio, critique les<br />
procédés -dont le ciment- qui permettent à un moindre prix d’imiter les décorations auparavant<br />
réservées aux maisons fastueuses, brouil<strong>la</strong>nt ainsi les conceptions du beau et du <strong>la</strong>id, de l’authenticité<br />
et du pastiche. Les inquiétudes, sont donc aussi d’ordre identitaire et social. Notons aussi que <strong>la</strong><br />
révolution industrielle implique une immigration étrangère qui attise une xénophobie grandissante.<br />
Beaucoup d’ouvriers étrangers sont amenés à travailler dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> des bâtiments :entre<br />
autochtones et immigrés, les tensions naissent sur les chantiers, éc<strong>la</strong>tant en conflits violents en cas<br />
d’accident.<br />
39 DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., in op. cit.<br />
40 E., in art. cit., pp. 201-205.<br />
41 Cf. GUBLER Jacques, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de <strong>la</strong> Suisse, Lausanne, L’Age<br />
d’Homme, 1975.<br />
42 Propos de FATIO G. in GUBLER Jacques, in op. cit.<br />
43 MELLEY C. in GUBLER Jacques, in op. cit.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Ces préoccupations transparaissent c<strong>la</strong>irement dans le climat politique qui voit une droite<br />
protectionniste prendre forme, défendant une vision patriotique et protectionniste. 44<br />
L’exaltation des valeurs patriotiques est précisément marquante dans l’exposition nationale « Le<br />
vil<strong>la</strong>ge Suisse 45 ». Les expositions servant habituellement à montrer les innovations, il parait étonnant<br />
d’y voir exposées des reconstitutions de vil<strong>la</strong>ges ruraux très traditionnels. Cette attitude peut<br />
ressembler à une négation d’une nouvelle réalité qui dép<strong>la</strong>ît. On sent aussi le besoin qu’a <strong>la</strong> Suisse<br />
d’affirmer une identité forte aux pays étrangers.<br />
Outre des auteurs isolés, un groupe important se forme en 1905. Le Heimatschutz 46 – littéralement, <strong>la</strong><br />
ligue pour <strong>la</strong> beauté- rassemble un groupe d’individus ayant pour but commun <strong>la</strong> défense de <strong>la</strong> Suisse<br />
pittoresque. Le groupe publie une revue du même nom, qui, à travers nombres d’articles, dessins et<br />
photos, valorise allègrement le patrimoine vernacu<strong>la</strong>ire de <strong>la</strong> Suisse, tout en déplorant cette nouvelle<br />
architecture naissante. L’un des principes de <strong>la</strong> revue consiste à comparer systématiquement des<br />
<strong>construction</strong>s faites dans les règles de l’art vernacu<strong>la</strong>ire – dites « bons exemples » à des bâtiments de<br />
fonction simi<strong>la</strong>ire mais « modernes »-dits « mauvais exemples », comme si les auteurs se donnait un<br />
devoir d’éducation artistique 47 . Le Heimatschutz s’élève contre <strong>la</strong> destruction à des fins hygiénistes de<br />
certains bâtiments jugés valeureux 48 . Ceci aiguise l’animosité et le scepticisme envers ce qui vient en<br />
remp<strong>la</strong>cement, en l’occurrence : les <strong>construction</strong>s en béton.<br />
Sans ménagements, un jugement de valeur est émis sur les <strong>construction</strong>s modernes, le plus souvent<br />
qualifiées de « banales ». Là encore, on ne mentionne pas directement le béton <strong>armé</strong>, mais c’est bien à<br />
lui que l’on fait référence. Il faut pour autant préciser que les membres Heimatschutz ne sont pas<br />
toujours très cohérents ni totalement univoques. Pas systématiquement réfractaires à l’architecture<br />
moderne, ils peuvent envisager des transformations de l’architecture pourvu que celles-ci conservent<br />
un caractère pittoresque, unique, et qu’elles puissent promouvoir une identité helvétique.<br />
C’est <strong>la</strong> critique de l’uniformité qui apparaît le plus tangiblement dans les commentaires. Le béton est<br />
une figure de cette uniformité, un matériau venu de partout et se répandant partout… Parce qu’il a un<br />
caractère universel, il est antinomique avec l’idée d’une architecture nationale qui puisse promouvoir<br />
l’identité Suisse.<br />
Le béton, en tant que matériau de <strong>construction</strong> n’est pas remis en question. Mais, parce qu’il donne<br />
une forme visible à un ensemble de changements jugés dangereux, il devient une cible efficace.<br />
Ceci peut expliquer en partie une représentation négative qui a pu marquer le béton <strong>armé</strong>.<br />
6. REPRESENTATION DU BETON ARME :<br />
L’INFLUENCE DES MOYENS DE DIFFUSION<br />
L’étude précédente à permis de soulever <strong>la</strong> diversité d’acteurs gravitant autour du béton <strong>armé</strong>, qui<br />
selon leurs intérêts, participent à en faire <strong>la</strong> publicité, ou tenter au contraire de compromettre sa<br />
diffusion.<br />
Ainsi, l’écrit et l’<strong>image</strong> véhiculent le béton <strong>armé</strong> à travers une grande variété de supports de diffusion<br />
que sont les périodiques (<strong>la</strong> Patrie suisse, <strong>la</strong> Gazette de Lausanne), <strong>la</strong> presse technique (Bulletin<br />
Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, die Schweizerische Bauzeitung…), les manuels ou « <strong>la</strong> leçon » dans<br />
les grande écoles, les brochures d’information publicitaires.<br />
44 JOST Hans Ulrich, Les avant-gardes réactionnaires. La naissance de <strong>la</strong> nouvelle droite en Suisse. 1890-1914, Lausanne,<br />
Editions d’En Bas, 1992.<br />
45 (voir Annexe 7) KHUNE E., « Au vil<strong>la</strong>ge Suisse », in La Patrie Suisse, 1895, pp. 250-252.<br />
46 (voir Annexe 8) « Le Heimatschutz et les Ingénieurs », in Heimatschutz n°7, 1910, p. 80.<br />
47 (voir Annexe 9), Figure 10 et 11, in Heimatschutz, n°7, 1912, p. 54. / Figure 8, in op. cit., p. 173.<br />
48 « A <strong>la</strong> Rue du Pré à Lausanne », in Heimatschutz, n°4, 1909, p. 31.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
6.1 Les revues techniques et les journaux<br />
En exposant en continu l’état des avancées et des recherches sur le sujet, <strong>la</strong> presse technique participe<br />
de manière singulière à <strong>la</strong> diffusion et à <strong>la</strong> <strong>construction</strong> de l’<strong>image</strong> du béton. Prenons pour exemple le<br />
Bulletin Technique de Suisse Romande (BTSR) 49 , revue subordonnée à <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et<br />
Architectes Suisses (SIA), où chaque ouvrage réalisé ou contenant du béton est ainsi présenté sous<br />
différentes formes : texte descriptif, photographies ou dessins.<br />
Nous pouvons alors distinguer dans un premier temps les articles qui se font l’écho des différents<br />
systèmes récemment brevetés. Se faisant l’intermédiaire des entrepreneurs, les articles rédigés par des<br />
ingénieurs ou des professionnels ne peuvent qu’appuyer le bien fondé des résultats acquis par les<br />
recherches. De manière générale, nous pouvons relever le fait que ces articles, par leur forme et leur<br />
contenu montrent une stratégie nouvelle de <strong>la</strong> part des entrepreneurs qui n’hésitent plus à publier des<br />
données précises, dévoi<strong>la</strong>nt ainsi leur recette aux concurrents. Ainsi on peut par exemple voir<br />
Alphonse Vautier rédiger un article 50 sur le système Lossier, en décrivant les différentes étapes qui ont<br />
précédé son brevetage, p<strong>la</strong>ns, coupes et photographies à l’appui…<br />
Le second intérêt que nous pouvons porter au Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande réside dans sa<br />
rubrique « <strong>Béton</strong> Armé, faits nouveaux » spécialement créée pour re<strong>la</strong>ter les résultats acquis par<br />
l’expérience dans le domaine du béton <strong>armé</strong>.<br />
En effet, <strong>la</strong> lecture de <strong>la</strong> rubrique « faits nouveaux » parue dans le second numéro de l’année 1903 du<br />
BTSR, ne <strong>la</strong>isse indifférent. Nous y apprenons que <strong>la</strong> Rédaction de <strong>la</strong> revue décida d’en modifier le<br />
contenu en ne présentant pas des résultats issus d’expériences mais un ouvrage d’art réalisé l’année<br />
précédente à Zuoz 51 :<br />
« […] les constructeurs de béton <strong>armé</strong>, tout en n’étant pas avare de leur prose, ne disent<br />
que ce qu’ils ne veulent pas taire et sont, par le fait, un peu sujet à caution ; c’est ainsi<br />
que le lecteur, même bénévole, se hâte maintenant de tourner <strong>la</strong> page lorsque ce titre<br />
obsédant de béton <strong>armé</strong> revient sous ses yeux. »<br />
Ainsi créée à son origine pour traiter de manière objective le béton <strong>armé</strong>, <strong>la</strong> rubrique « faits<br />
nouveaux » est devenue le reflet d’une spécu<strong>la</strong>tion grandissante autour du béton <strong>armé</strong>, dépassant sa<br />
vocation.<br />
Cette ému<strong>la</strong>tion autour du béton se reflétait également dans les débats techniques qui furent l’objet<br />
d’altercations entre protagonistes par articles interposés. La Schweizeriche Bauzeitung (SBZG) ou<br />
encore le BTSR en sont ainsi le théâtre. Nous donnons pour exemple l’article 52 rédigé par l’ingénieur<br />
Elskes en réaction à celui écrit par A. Vautier et cité précédemment :<br />
« Il ne faut pas surtout […] <strong>la</strong>isser sans protester dans un journal technique de<br />
Lausanne, l’un des berceaux du béton <strong>armé</strong> […] que tout ce que l’on a fait jusqu’ici en<br />
béton <strong>armé</strong> est mauvais et qu’on ignore dans notre pays comment tout ce<strong>la</strong> peut tenir.<br />
Et quant au jeune chercheur […] nous croyons de notre devoir de lui rappeler que le<br />
béton <strong>armé</strong> révolta à l’origine tous les théoriciens qui s’en régalent aujourd’hui. »<br />
Tribunes de nombreux débats où chacun des acteurs de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> pouvaient s’exprimer, les<br />
revues techniques sont le reflet des visions d’entrepreneurs (présentation des systèmes Hennebique,<br />
Lossier…) mais aussi des convictions de différents milieux (académiques, ingénieurs, architectes…).<br />
49 Crée en 1877 sous le nom de Bulletin technique de <strong>la</strong> société vaudoise des ingénieurs et des architectes, elle parait<br />
aujourd’hui sous le nom de Tracés.<br />
50 (voir Annexe 4) VAUTIER Alph., « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in BTSR, Vol. 29, 1903, pp.<br />
189-192.<br />
51 E., « <strong>Béton</strong> Armé, encore quelques faits nouveaux, I. Le pont sur l’Inn à Zuoz », in BTSR, n°2, 1903, pp. 33-35.<br />
52 Elskes, « Divers, à propos du béton <strong>armé</strong> », in BTSR, n°18, 1903, pp. 253-254.<br />
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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Par ailleurs, au-delà de <strong>la</strong> presse technique telle que BTSR ou SBZ qui traite de l’ensemble des<br />
techniques de l’époque, nous pouvons noter l’existence de <strong>la</strong> revue Le <strong>Béton</strong> Armé éditée dès 1898<br />
par <strong>la</strong> société Hennebique. Le <strong>Béton</strong> Armé 53 est alors utilisé comme outil de propagande ayant pour<br />
but <strong>la</strong> diffusion du système Hennebique et tentant de contrer <strong>la</strong> revue Le Ciment 54 qui accorde à ses<br />
concurrents une couverture médiatique importante…Tous les moyens étant bons, <strong>la</strong> stratégie de<br />
valorisation du système breveté se fera par l’exploitation opportuniste de sources diverses<br />
(photographies professionnelles ou amateurs, articles de journaux divers…), créant pour ce<strong>la</strong> au sein<br />
même de son organigramme un service de <strong>la</strong> publicité.<br />
Cependant, l’ensemble de ces revues s’inscrit dans le cercle professionnel où chacun souhaite<br />
défendre ses idées, nous pouvons alors nous demander de quelle manière est abordé le béton <strong>armé</strong> au<br />
travers des journaux grand public <br />
Contrairement à <strong>la</strong> presse technique, le béton <strong>armé</strong> ne fait pas directement l’objet d’articles dans ces<br />
journaux. Ceux-ci re<strong>la</strong>tent davantage des faits de sociétés aux travers desquels le matériau peut être<br />
abordé : articles concernant les expositions nationales, les concours, les <strong>construction</strong>s récentes ou<br />
encore les accidents 55 . Il appartient alors à chacune des Rédactions de traiter l’information de <strong>la</strong><br />
manière souhaitée, et globalement nous pouvons observer deux tendances différentes : l’une<br />
progressiste et l’autre conservatrice.<br />
Chaque Rédaction fabrique ainsi une opinion orientée, le béton <strong>armé</strong> y est tantôt associé à <strong>la</strong><br />
croissance industrielle, tantôt à <strong>la</strong> dénaturation du paysage suisse 56 . Nous pouvons alors supposer que<br />
le traitement de l’information autour d’un accident impliquant le béton <strong>armé</strong>, en tant qu’évènement<br />
susceptible de remettre en cause sa diffusion, sera soumis à de telles influences. Nous verrons<br />
ultérieurement l’exemple de La Gazette de Lausanne qui est un journal à <strong>la</strong> position ambiguë : tribune<br />
d’expression des partis libéraux et proche de Samuel de Mollins, elle est également liée à des<br />
mouvements conservateurs 57 .<br />
6.2 Les concours et les expositions<br />
Les concours et les expositions apparaissent comme le lieu de rencontre des innovations avec le grand<br />
public. La portée du béton <strong>armé</strong> peut ainsi se déployer au delà du milieu professionnel et de <strong>la</strong> presse<br />
technique.<br />
Les concours consistent à mettre en concurrence différentes équipes d’ingénieurs et architectes pour <strong>la</strong><br />
réalisation d’un projet d’importance. Un jury examine les propositions des candidats : <strong>la</strong> décision de<br />
primer un projet <strong>la</strong>uréat parmi de multiples autres propositions ne constitue pas en ce sens un acte<br />
anodin, puisqu’il engage sur un long terme. Dans un premier temps, <strong>la</strong> nomination des projets fait<br />
l’objet d’une publication dans les différentes revues techniques, validant le procédé technique. Puis,<br />
dans un deuxième temps, <strong>la</strong> réalisation du projet fera l’objet d’articles de presse officialisant son<br />
existence et enfin, le projet en lui-même devra convaincre par son utilisation…<br />
Le concours pour l’Hôtel des Postes de Lausanne en est un bel exemple, honoré par un article dans La<br />
Patrie Suisse 58 .<br />
Un tournant important s’opère alors en 1898, lorsque Samuel de Mollins obtient le droit de faire<br />
concourir des ponts en béton <strong>armé</strong> auprès des ouvrages métalliques 59 . C’est dans ce contexte que <strong>la</strong><br />
ville de Lausanne <strong>la</strong>nce une série de mises à concours de projets de ponts au-dessus de <strong>la</strong> vallée du<br />
Flon.<br />
53 cf. partie 5.1 les constructeurs et fournisseurs p.11.<br />
54 Journal bimensuel, crée en 1896, organe officiel de <strong>la</strong> chambre syndicale des Fabricants de Ciment Port<strong>la</strong>nd en France.<br />
55 (voir Annexe 12)<br />
56 cf. partie 5.5 le milieu intellectuel p.16.<br />
57 cf. partie 7 un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique p.21.<br />
58 BONARD A., « l’Hôtel des Postes de Lausanne », in La Patrie Suisse, n°199, 1901, pp. 111-113.<br />
59 (voir Annexe 10) « Le béton <strong>armé</strong> dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> des grands viaducs », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°4, 1898, p.1.<br />
20
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Le projet <strong>la</strong>uréat pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon 60 n’est autre qu’un pont réalisé en<br />
béton <strong>armé</strong>. Celui-ci bénéficie alors d’une formidable tribune publicitaire : publié dans le Bulletin<br />
Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande à travers un article exhaustif de plusieurs pages, le projet fut aussi<br />
abondamment traité par <strong>la</strong> presse non spécialisée et adressée à un plus <strong>la</strong>rge public, comme La Gazette<br />
de Lausanne ou La Patrie Suisse. L’intégration du béton <strong>armé</strong> dans des ouvrages emblématiques de <strong>la</strong><br />
ville lui donne ainsi un important crédit aux yeux du plus grand nombre.<br />
Il en est de même pour les expositions, un espace de démonstration où se joue <strong>la</strong> promotion du béton<br />
<strong>armé</strong> à travers des challenges audacieux. Les expositions nationales 61 , dont <strong>la</strong> portée atteint des<br />
visiteurs étrangers, constituent en effet un enjeu majeur pour l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong>. Ainsi l’entreprise<br />
Hennebique, dont le projet pour le concours du Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière à Genève a perdu face à un<br />
projet en béton non <strong>armé</strong>, prend sa revanche à l’exposition nationale de Genève en 1896. Il y réalise<br />
entre autres un escalier monumental de 11m de portée, qui lui vaudra une médaille d’or.<br />
De moindre portée, les expositions cantonales ont d’avantage pour rôle d’organiser <strong>la</strong> rencontre des<br />
différents milieux professionnels. L’exposition cantonale vaudoise de Vevey en 1901 expose ainsi les<br />
innovations de l’industrie du bâtiment, et notamment des usines de chaux et ciments. Des médailles<br />
sont décernées aux plus prometteuses en matière d’innovations et de productivité. Ces médailles sont<br />
ensuite mentionnées dans les publicités figurant dans <strong>la</strong> presse technique 62 .Ces expositions constituent<br />
donc un enjeu majeur pour ces fournisseurs qui espèrent gagner l’intérêt et <strong>la</strong> confiance des<br />
entrepreneurs.<br />
6.3 La photographie et <strong>la</strong> publicité<br />
La fin des années 1890 est marquée par un usage particulier de <strong>la</strong> photographie dans le domaine de <strong>la</strong><br />
<strong>construction</strong>. Elle est d’abord utilisée comme auxiliaire d’expérience par les entrepreneurs devenant le<br />
complément indispensable à <strong>la</strong> rédaction du procès-verbal d’essais de cas de charge précédant un<br />
brevet. L’<strong>image</strong> apporterait ainsi de manière plus explicite qu’un texte lourd en syntaxe, <strong>la</strong> preuve au<br />
brevet.<br />
La photographie comme témoin fiable du système mis en p<strong>la</strong>ce sera également utilisée par des<br />
journalistes, à l’<strong>image</strong> d’un article parut dans <strong>la</strong> Patrie Suisse, qui accompagne le cliché du pont de <strong>la</strong><br />
Coulouvrenière par <strong>la</strong> phrase suivante 63 :<br />
« [...] Les évènements ont confirmé les prévisions des ingénieurs, et <strong>la</strong> preuve <strong>la</strong> plus<br />
palpable en est donnée par notre cliché d’aujourd’hui. »<br />
Cependant, certains entrepreneurs notamment S. de Mollins, utilisent <strong>la</strong> photographie pour son<br />
pouvoir visuel, dépassant le simple caractère informatif.<br />
En effet, comme le montre Cyrille Simonnet 64 , <strong>la</strong> photographie permettra de diffuser une « pédagogie<br />
spectacle » afin de promouvoir le matériau 65 . Nombreuses photographies d’essais de résistance sont<br />
données dans les revues affichant <strong>la</strong> fierté des dépositaires de tel ou tel brevet, au-dessus de <strong>la</strong> dalle<br />
résistante à <strong>la</strong> mise à l’épreuve 66 . La photographie devient <strong>la</strong> preuve irréfutable d’un propos ou d’une<br />
action alors mise à <strong>la</strong> disposition du plus grand nombre avec des atouts d’immédiateté et de réalisme<br />
que ne connaissaient pas encore les <strong>construction</strong>s en pierre ou en bois.<br />
60 (voir Annexe 11) VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon », in BTSR, n°2, 1902, pp.<br />
12-14.<br />
61 Dans <strong>la</strong> période qui nous intéresse, trois expositions nationales ont eu lieu : Exposition nationale de Zurich en 1883,<br />
Genève en 1896, et Berne en 1914.<br />
62 (voir Image 4) Publicité de cimentier, in BTSR, Vol.29, 1903.<br />
63 « Sur le pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière », in La Patrie Suisse, n° 68, 1896, p. 108.<br />
64 SIMMONNET C., in op. cit.<br />
65<br />
(voir Image 6) « Gênes (Italie), <strong>construction</strong> du p<strong>la</strong>ncher de <strong>la</strong> vil<strong>la</strong> Figari, L. Rovelli architecte, <strong>Béton</strong>s <strong>armé</strong>s<br />
Hennebique, 1903-1904 », in SIMONNET Cyrille, Le béton : histoire d’un matériau : économie, technique, architecture,<br />
Marseille, Ed. Parenthèse, 2005, p. 78<br />
66 (voir Image 7) Essais de résistance, Genève, août 1894, S. de Mollins ingénieur, procès-verbal d’une série d’expériences<br />
faites sur une poutre en « sidéro-béton », in DELHUMEAU G., in op. cit.<br />
21
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Leur procédé de représentation se faisait par d’autres moyens plus archaïques tels que le dessin, <strong>la</strong><br />
peinture ou du moins <strong>la</strong> main interprétative d’un acteur nécessairement non objectif.<br />
Malgré tout, ces photographies ne servent qu’à diffuser le béton <strong>armé</strong> comme procédé technique et le<br />
matériau reste sans référence constructive, contrairement à l’acier que nous pouvons notamment<br />
associer à <strong>la</strong> Tour Eiffel…Une évolution est alors à considérer lorsque l’usage de <strong>la</strong> photographie<br />
dépasse le rôle démonstratif, et permet aussi de contrecarrer le « déficit d’iconicité » du matériau,<br />
déficit qui s’explique par le caractère abstrait des disciplines qui ont permis son é<strong>la</strong>boration : <strong>la</strong><br />
chimie, le calcul scientifique. En substituant une nouvelle perception de l’objet construit à celle du<br />
matériau lui-même, <strong>la</strong> photographie véhicule et participe à l’é<strong>la</strong>boration d’un imaginaire esthétique du<br />
matériau. Celle du chantier du théâtre de Berne 67 en est un exemple : l’<strong>image</strong> du matériau béton se<br />
substitue à celle de l’ouvrage…<br />
Ainsi, <strong>la</strong> photographie contribua fortement à <strong>la</strong> diffusion du béton <strong>armé</strong>, en é<strong>la</strong>borant autour du<br />
matériau et des <strong>construction</strong>s un champ nouveau et diversifié de représentations, d’<strong>image</strong>s.<br />
Les médias de communication et de diffusion suscitent également l’intérêt des entrepreneurs qui<br />
voient derrière chaque exemp<strong>la</strong>ire de presse technique tiré et acheté un client potentiel de leur système<br />
breveté ou de services d’autre nature. C’est le cas des groupes de Cimentiers ou du Bureau Central des<br />
brevets Hennebique en Suisse (Lausanne), qui profitent de cette tribune pour s’afficher. Conscients du<br />
marché que <strong>la</strong> revue peut couvrir, les auteurs de ces publicités emploient des termes précis tout en<br />
sachant retenir l’attention du public le plus <strong>la</strong>rge. Ils é<strong>la</strong>borent ainsi une stratégie commerciale qui<br />
s’articule le plus souvent autour d’un slogan 68 :<br />
« Construction de grande résistance, économique et à l’épreuve de l’action du feu et de<br />
l’eau. »<br />
7. UN MATERIAU MIS A L’EPREUVE :<br />
L’IMPACT DES ACCIDENTS SUR L’OPINION PUBLIQUE<br />
Afin d’analyser l’impact des accidents sur l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong>, nous nous appuierons sur deux<br />
exemples significatifs et marquants de <strong>la</strong> période qui nous intéresse : l’effondrement d’une maison à<br />
Bâle, le 28 août 1901, une <strong>construction</strong> employant le système Hennebique, et celui d’un bâtiment<br />
annexe au théâtre à Berne, le 23 Août 1905, employant le système Lossier.<br />
Dans quel type de presse ces évènements sont-ils re<strong>la</strong>tés, et comment sont-ils traités Quelles<br />
répercussions ont-ils sur le développement du matériau <br />
L’accident de Bâle est re<strong>la</strong>té par La Gazette de Lausanne, un journal quotidien, dans une suite<br />
d’articles s’éta<strong>la</strong>nt du 28 août jusqu’au 11 octobre 1901 69 . Celui de Berne fait l’objet de plusieurs<br />
articles écrits entre le 24 et le 26 août 1905. Le fait que ces deux accidents produits dans des cantons<br />
différents apparaissent de manière répétée dans ce journal romand dont l’influence dépasse même <strong>la</strong><br />
Sarrine montre bien leur portée, et donc <strong>la</strong> force de l’impact que de tels articles sont susceptibles<br />
d’avoir sur le béton <strong>armé</strong>. Reste à savoir si le matériau est fortement mis en faute par <strong>la</strong> presse.<br />
67 (voir Image 7) Théâtre de Berne, 1899-1903, de Würstemberger architecte, Anselmier & Cie entrepreneur, in<br />
DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., in op. cit., p. 23.<br />
68 (voir Images 3 et 4)<br />
69 (voir Annexe 11) « Une maison qui tombe », 29 août 1901 ; « Une maison qui tombe », 30 août 1901 ; « Bâle-ville », 3<br />
septembre 1901, in La Gazette de Lausanne.<br />
22
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Le premier article concernant l’accident de Bâle décrit l’évènement sans mentionner le béton <strong>armé</strong>. Le<br />
deuxième article donne un peu plus de détails en indiquant l’emploi de p<strong>la</strong>nchers en ciment <strong>armé</strong><br />
système Hennebique, et en mentionnant l’identité de deux experts nommés pour déterminer les causes<br />
de l’effondrement de <strong>la</strong> maison : W. Ritter et J. Rosshändler. Enfin, quelques jours plus tard, un article<br />
fait état d’une vive polémique « touchant l’emploi du béton <strong>armé</strong>, système Hennebique ou autre ». Le<br />
débat s’est animé alors qu’il s’agissait de comprendre ce qui, des façades en pierre ou des p<strong>la</strong>nchers en<br />
béton <strong>armé</strong>, avait cédé, entraînant l’ensemble de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> à sa perte.<br />
Comme nous l’avons vu, le premier expert, W. Ritter, est professeur à L’Ecole Polytechnique Fédérale<br />
de Zurich, où il enseigne; il est un agent précieux de <strong>la</strong> diffusion du béton <strong>armé</strong> dans le milieu<br />
universitaire. Joseph Rosshändler est ingénieur dans le service d’une compagnie de <strong>construction</strong> en<br />
métal, à Bâle. Ces éléments permettent sans doute de mieux comprendre l’éc<strong>la</strong>tement d’une telle<br />
polémique. Le débat d’expert dissimule en fait un conflit d’intérêt. A l’occasion de cet accident,<br />
l’ingénieur Bâlois écrira une lettre, publiée dans les Basler Nachrichten, attaquant violemment le<br />
béton <strong>armé</strong>, comme le re<strong>la</strong>te l’article du 3 septembre 1901 de La Gazette de Lausanne. Les<br />
<strong>construction</strong>s en acier touchées par des accidents tout aussi désastreux donnent aux défenseurs du<br />
béton <strong>armé</strong> un moyen de répliquer. On peut donc douter que ces attaques discréditent plus<br />
particulièrement le béton <strong>armé</strong> que d’autres systèmes de <strong>construction</strong>. Elles ont probablement pour<br />
effet de rendre l’opinion publique sceptique et méfiante à l’égard des innovations techniques en<br />
général.<br />
La Gazette de Lausanne semble re<strong>la</strong>tivement impartiale dans le débat, se contentant de faire état des<br />
polémiques. Finalement, l’ensemble des articles joue plutôt en <strong>la</strong> faveur du béton <strong>armé</strong>: le dernier<br />
article paru à propos de l’accident de Bâle, datant du 11 octobre 1901, expose les résultats d’une<br />
enquête menée sur le système Hennebique, <strong>la</strong>ncée suite à l’accident, à travers diverses villes suisses et<br />
allemandes. Les résultats démontrent le caractère exceptionnel de l’accident de Bâle. Le béton <strong>armé</strong> en<br />
tant que procédé technique est innocenté. Il en ressort que c’est l’exécution des travaux par des<br />
ouvriers parfois peu qualifiés qui pose problème. Les deux ouvrages construits en béton <strong>armé</strong> sont en<br />
effet en cours de <strong>construction</strong> au moment des accidents. Cet élément est important pour comprendre<br />
que <strong>la</strong> pérennité, <strong>la</strong> solidité du béton <strong>armé</strong> n’est pas remise en cause par ces accidents, mais plutôt sa<br />
mise en œuvre, parce qu’elle appelle un nouveau savoir faire complexe, et qu’elle contient une part<br />
d’incertitude, liée par exemple au fait que le béton sèche plus ou moins vite selon les paramètres<br />
climatiques. Seule l’expérience permet de maîtriser peu à peu ces paramètres.<br />
La revue bimensuelle <strong>la</strong> Patrie Suisse ne parle pas de l’accident de Bâle, mais elle consacre un article<br />
à l’accident de Berne. L’article semble avoir été écrit pour écarter les soupçons et empêcher <strong>la</strong><br />
naissance d’un nouveau débat : « Les experts ne se sont pas encore prononcés sur les causes de <strong>la</strong><br />
catastrophe mais une enquête sommaire innocente le béton <strong>armé</strong> » 70 . Très souvent, on peut remarquer<br />
que les articles traitant d’accidents quels qu’ils soient commencent par re<strong>la</strong>tiviser, précisant que les<br />
incidents restent rares.<br />
Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande ne fait pas mention de ces accidents au moment où ils se<br />
produisent. On peut comprendre que le BTSR évite de prendre part aux polémiques, préférant faire<br />
état des progressions, afin de maintenir une perception positive des innovations techniques. Toutefois<br />
ces accidents sont éventuellement expliqués à posteriori. L’accident de Bâle fait ainsi l’objet d’un<br />
article datant du 20 Janvier 1902, exposant les résultats de l’expertise 71 . En fin de compte le système<br />
de <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong> n’est pas remis en cause en lui-même par l’expertise, mais plutôt les<br />
négligences liées à l’exécution et le manque de vérifications. La revue de <strong>la</strong> société Hennebique, Le<br />
<strong>Béton</strong> Armé, ne manquera pas de souligner ce point dans un article dont le titre est d’ailleurs révé<strong>la</strong>teur<br />
de son insistance. 72<br />
70 «Un accident à Berne », in La Patrie suisse, 1905, p.216.<br />
71 (voir Annexe 13) « Constructions en béton <strong>armé</strong> », in BTSR, Vol. 28, 20 Janvier 1902, pp. 133-134<br />
72 (voir Annexe 14) « L’accident de Bâle et les accidents de chantier », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°49, Juin 1902, pp.5-8<br />
23
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Si les accidents touchant les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> remettent en cause sa sécurité et donnent aux<br />
dissidents une occasion pour attaquer le matériau, compromettant son <strong>image</strong>, ils sont susceptibles<br />
d’avoir dans un second temps des répercussions bénéfiques. En l’occurrence, l’accident de Bâle a<br />
incité les cantons à prendre communément des mesures visant à assurer <strong>la</strong> sécurité des <strong>construction</strong>s<br />
en béton <strong>armé</strong>, mettant en évidence <strong>la</strong> nécessité pressante que <strong>la</strong> Confédération en établisse une<br />
codification. Comme nous l’avons vu en amont, les accidents accélèrent en effet le processus de<br />
réglementation, indispensable à une légitimité acquise. 73<br />
Une autre question est de savoir si les accidents sont l’apanage du béton <strong>armé</strong>. En réalité non, comme<br />
en témoignent les journaux de l’époque, re<strong>la</strong>tant fréquemment des accidents re<strong>la</strong>tifs aux voies de<br />
chemin de fer, à d’autres écroulements d’ouvrages, tels que des ponts en pierre, ainsi que, plus<br />
régulièrement, des incendies. Ceci permet de se resituer dans une époque où, de manière générale, <strong>la</strong><br />
sécurité des <strong>construction</strong>s (et des chantiers) était bien moins assurée qu’aujourd’hui ; dans cette<br />
condition, il semble que le béton n’apparaît pas plus dangereux que d’autres matériaux de<br />
<strong>construction</strong>. En outre s’il présente quelques difficultés au moment du chantier, il est difficile de<br />
trouver des exemples d’effondrement d’ouvrages achevés, ce qui va plutôt dans son sens. Par ailleurs,<br />
le grand nombre d’incendies re<strong>la</strong>tés dans <strong>la</strong> presse est utile pour comprendre <strong>la</strong> valeur de l’argument<br />
majeur du béton <strong>armé</strong> : il résiste aux incendies.<br />
8. UN MATERIAU EN QUETE D’IDENTITE : LA PROBLEMATIQUE DE L’EXPRESSION<br />
On voit bien que le béton <strong>armé</strong> a été en premier lieu une affaire d’ingénieurs, soucieux de faire valoir<br />
le potentiel d’une innovation technique afin de lui donner une p<strong>la</strong>ce au sein des pratiques<br />
constructives. Le béton et ses qualités sont alors envisagés sur un p<strong>la</strong>n essentiellement technique. Pour<br />
Jacques Gubler, « il existe effectivement un déca<strong>la</strong>ge entre l’apparition de nouveaux matériaux et <strong>la</strong><br />
réflexion théorique sur leur signification architecturale » 74 . Il identifie le fait que les nouveaux<br />
matériaux, tels le béton <strong>armé</strong>, mais aussi le Linoléum et l’Eternit, « entrent dans les moeurs du<br />
bâtiment bien avant que les architectes ne se posent <strong>la</strong> question de leur utilisation spécifique »,<br />
ajoutant que « le problème de <strong>la</strong> signification expressive du béton <strong>armé</strong> ne se débattra que dans les<br />
années 1920. ».<br />
On peut penser que ce déca<strong>la</strong>ge ait eu des conséquences sur <strong>la</strong> représentation du matériau. Le fait que<br />
le matériau se soit développé pendant plusieurs années sans faire l’objet d’une réflexion sur son<br />
expression peut expliquer qu’il donne le sentiment d’être banal, sans intérêt, sans noblesse. Cyrille<br />
Simonnet parle d’un « manque d’iconicité » 75 pour désigner cet état de chose. Le béton a ceci de<br />
particulier qu’il est un matériau p<strong>la</strong>stique, liquide. Pouvant tout former, il ne correspond pas à une<br />
expression toute trouvée, inhérente à ses propriétés, comme on pourrait le dire de l’acier qui se<br />
formalise en un assemb<strong>la</strong>ge de profilés donnant à toute <strong>construction</strong> de ce type un caractère é<strong>la</strong>ncé et<br />
élégant. De plus, les <strong>la</strong>rges possibilités du béton <strong>armé</strong> ne le prédestinent à aucune destination en<br />
particulier. Il semble ainsi que ses plus grandes qualités le desservent dans sa quête d’identité.<br />
Si le béton prendra toute sa légitimité architecturale dans le mouvement moderne, dont il se fera<br />
l’icône, les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> datant de <strong>la</strong> période qui nous intéresse mettent déjà en exergue<br />
certaines questions re<strong>la</strong>tives à son expression.<br />
Le béton peut-il être montré Ses qualités doivent-elle se plier à un <strong>la</strong>ngage c<strong>la</strong>ssique de<br />
l’architecture, ou sont-elle l’occasion d’inventer une autre expression <br />
73 SIA, « Compte-rendu du comité central sur les évènements et activités majeures de l’année 1902 », in BTSR, n°15, 1903, p.<br />
234.<br />
74 GUBLER Jacques, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de <strong>la</strong> Suisse, Lausanne, L’Age<br />
d’Homme, 1975, p.57<br />
75 SIMONNET Cyrille, in op. cit..<br />
24
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
A l’origine le béton n’est pas montré, ne servant qu’à certaines parties de <strong>construction</strong> non apparentes<br />
ou recouvertes. Des ouvrages comme <strong>la</strong> Banque Cantonale Vaudoise et l’Hôtel des Postes, deux<br />
bâtiments représentatifs, font emploi du béton <strong>armé</strong> dans leur <strong>construction</strong>, mais sous une forme<br />
dissimulée. En apparence, rien ne change dans l’expression c<strong>la</strong>ssique des bâtiments. Il en est de même<br />
pour les ouvrages d’art en ville. En 1895, le pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière à Genève, alors en<br />
<strong>construction</strong>, fait l’objet d’un article dans <strong>la</strong> revue La Patrie suisse 76 .<br />
Dans sa description de l’ouvrage, l’auteur de l’article souligne que le pont aura bel et bien l’apparence<br />
de <strong>la</strong> pierre. On peut imaginer que l’ouvrage en chantier puisse avoir <strong>la</strong>issé croire à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion,<br />
puisqu’il n’était manifestement pas construit en pierre, qu’il n’aurait pas l’apparence de <strong>la</strong> pierre. Le<br />
pont de Montbenon à Lausanne 77 , construit en 1905, prend déjà une position un peu différente : le<br />
béton n’est plus caché : il se combine harmonieusement à <strong>la</strong> pierre. Le béton est ici exprimé dans le<br />
respect d’un <strong>la</strong>ngage c<strong>la</strong>ssique. Dans de tels ouvrages, le béton se réduit à une fonction structurelle, et,<br />
même s’il est montré, il ne compromet pas les traditions architecturales c<strong>la</strong>ssiques. Il est alors<br />
surprenant de trouver, dans les mêmes années, certains ponts de Robert Mail<strong>la</strong>rt. Le pont de<br />
Tavanasa 78 , construit en 1905, fait apparaître le béton sous un tout autre jour.<br />
Dans cet ouvrage, art et technique forme un tout. Le béton y exprime ses qualités structurelles et<br />
p<strong>la</strong>stiques, notamment parce qu’il est compris comme un matériau tridimensionnel et monolithique. Il<br />
faut alors préciser que ce pont n’est pas un pont urbain, mais qu’il se trouve dans <strong>la</strong> nature, et peut<br />
sans doute mieux, à ce titre, s’abstraire d’un <strong>la</strong>ngage décoratif et des conventions stylistiques de<br />
l’architecture des monuments.<br />
A ce sujet, il est aussi intéressant de noter qu’alors que se poursuivait <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’ouvrages d’art<br />
liés au développement du réseau ferroviaire suisse, les ponts en béton furent finalement mieux<br />
acceptés que les ouvrages en acier, car d’une certaine façon, le béton, d’origine minérale, paraissait<br />
mieux se confondre dans le paysage.<br />
Enfin, il apparaît que c’est l’architecture moderne, en s’appropriant le matériau, qui donnera au béton<br />
<strong>armé</strong> toute sa légitimité architecturale, notamment en l’appliquant à <strong>la</strong> problématique du logement<br />
collectif. Ses qualités coïncident en effet avec une conception sociale et égalitaire, rationnelle, de<br />
l’architecture moderne. Cette idéologie doit s’exprimer à travers une expression de pureté et de<br />
neutralité qui donne au béton <strong>armé</strong> une expression nouvelle.<br />
76 KHUNE E., « Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière »,in La Patrie Suisse, 1895, pp. 256-257.<br />
77 (voir Annexe 11) VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon », in BTSR, n°2, 1902,<br />
pp.12-14.<br />
78 (voir Image 9) Pont de Tavanasa, MAILLART R., architecte-ingénieur, Tavanasa (GR), 1905.<br />
25
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
9. CONCLUSION<br />
Au tournant du siècle, alors que <strong>la</strong> Suisse cultive ses valeurs traditionnelles et <strong>la</strong> beauté de ses<br />
paysages, l’é<strong>la</strong>n de progrès technique cherche ses marques. C’est alors qu’un curieux mé<strong>la</strong>nge sans<br />
forme ni destination commence à élever l’attention de certains. Uniquement bon à constituer les<br />
massifs de fondation sous terre, voilà que ce nouveau matériau, nécessairement emprunt d’une<br />
certaine disgrâce, voit progressivement le jour, prenant pour première figure les seuls objets<br />
techniques (poutres, dalles) que l’on sait se représenter…Cette « sortie délicate de terre » -ses<br />
constituants en sont d’ailleurs issus- engendre très vite face au matériau une double attitude qui nourrit<br />
les débats en même temps qu’elle construit les futures représentations.<br />
On l’a vu, une première attitude est celle des empiristes qui, très vite, s’approprient le matériau pour<br />
lui donner consistance sur le terrain, le faire parler de ses qualités curieuses et novatrices de résistance<br />
et de compacité qu’il reste encore à dompter. C’est l’<strong>image</strong> d’une forte <strong>la</strong>bellisation qui affiche <strong>la</strong><br />
croyance en un système d’avenir. La fierté des constructeurs s’en fait aussitôt ressentir, ils cherchent à<br />
mobiliser les foules d’experts.<br />
En face d’eux, les théoriciens se veulent trouver les modèles mathématiques qui, à l’<strong>image</strong> de ceux de<br />
l’acier, permettraient de codifier et légitimer les intuitions bien remarquées des empiristes. Mais<br />
rapidement, tous se retrouvèrent devant le constat déroutant d’un matériau hétérogène difficilement<br />
cernable scientifiquement. Et pourtant, ce<strong>la</strong> marchait, les dalles chargées à outrance résistaient… alors<br />
refus ou espoirs <br />
Des points forts ont en grande partie jouer en faveur de l’espoir. D’une part les matières premières<br />
minérales nécessaires à sa fabrication gorgeaient le sol de <strong>la</strong> Suisse davantage que celles de l’acier,<br />
assurant donc un appui de base. D’autre part, quelques brevets et noms s’étaient déjà démarqués<br />
auparavant en France et en Angleterre se construisant par l’expérience une notoriété attirante. Les<br />
<strong>construction</strong>s adoptèrent le béton <strong>armé</strong>, d’abord par interventions ponctuelles mais en restant toujours<br />
cachées du public.<br />
Au fond les incertitudes des théoriciens n'arrivèrent pas à déstabiliser <strong>la</strong> progression du matériau.<br />
Aussi, <strong>la</strong> recherche continuelle de solutions en réaction aux nouvelles préoccupations des théoriciens<br />
dévoile une ascension continue du béton <strong>armé</strong> ; <strong>la</strong> légitimité de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> prenant le pas sur <strong>la</strong><br />
science. Légitimité fragile pour peu qu’un accident survienne, c’est toute une pratique qui se voit<br />
remise en cause. Et pourtant, là encore <strong>la</strong> faute n’atteint pas le matériau lui-même et cette force de<br />
résistance s’explique au regard du réseau des acteurs.<br />
Un puissant groupe d’acteurs sous l’égide de François Hennebique joue pour beaucoup dans le<br />
développement du béton <strong>armé</strong>. On voit à travers <strong>la</strong> puissance hiérarchique qu’il met en p<strong>la</strong>ce combien<br />
le matériau commence à avoir des répercussions sur l’organisation du monde de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. En<br />
effet, de nouvelles professions apparaissent, les corps de métiers s’étagent… Les organes privés<br />
poussant en ce sens, <strong>la</strong> Confédération s’oblige à établir des réglementations, fondant ainsi l’avenir du<br />
béton sur des bases plus sûres. La diffusion du béton <strong>armé</strong> fait appel à des stratégies commerciales,<br />
utilisant efficacement <strong>la</strong> photographie, avec tout le caractère spectacu<strong>la</strong>ire et convaincant qu’elle<br />
permet. L’<strong>image</strong> s’enrichit d’une puissance démonstrative et fournit d’autres alternatives au manque<br />
théorique : un catalogue des possibles.<br />
Ainsi le béton <strong>armé</strong> triomphe-t-il, réussissant à passer outre les difficultés et les résistances auxquelles<br />
il se heurte. Ce triomphe est probablement tout autant redevable aux intuitions d’une poignée de<br />
personnalités indépendantes du monde de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>, qu’aux ingénieurs et entrepreneurs qui<br />
déployèrent des forces assez efficaces pour l’inscrire parmi les procédés courant de <strong>construction</strong>s.<br />
Fort de ses performances techniques, le béton <strong>armé</strong> ne gagne cependant pas toutes les sympathies.<br />
Lorsqu’il s’affiche, c’est pour remp<strong>la</strong>cer d’anciennes <strong>construction</strong>s et donc se heurter à un patrimoine<br />
culturel, social, un imaginaire collectif très conservateur. Dans ce contexte à double vitesse, certains<br />
acteurs isolés ou groupés expriment violemment <strong>la</strong> banalité, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ideur de ces <strong>construction</strong>s sans<br />
caractère. Mis à part ces mouvements, le béton n’est pas encore assez développé et émancipé à cette<br />
époque pour qu’il préoccupe vraiment le public.<br />
26
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Il existe probablement un déca<strong>la</strong>ge entre les premières manifestations du béton <strong>armé</strong> et le moment où<br />
<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion se sent interpellée et concernée par son émancipation. Aussi, aux yeux du plus grand<br />
nombre, le béton <strong>armé</strong> semble être aujourd’hui plutôt associé à deux autres moments de l’Histoire où<br />
il joua un rôle significatif pour <strong>la</strong> société : celui de l’entre-deux-guerres où s’érigèrent des monuments<br />
symboles du pouvoir des régimes totalitaires, et celui de <strong>la</strong> re<strong>construction</strong> de l’après deuxième guerre<br />
mondiale où put se concrétiser l’idéologie de l’architecture moderne à travers <strong>la</strong> profusion les grands<br />
ensembles. Ces périodes <strong>la</strong>issant nécessairement aux popu<strong>la</strong>tions un souvenir amer, il semble que<br />
l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong> ne peut que en avoir été affectée.<br />
27
SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />
<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />
Badin Nico<strong>la</strong>s /AR<br />
Beaudoin Lorraine /AR<br />
Joud Christophe /AR<br />
DOSSIER DE SOURCES<br />
Lausanne, année académique 2007 / 2008
IMAGE 1<br />
Thèmes<br />
Entrée en scène du béton <strong>armé</strong><br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
Fiche d’identité<br />
Essais de résistance d’une poutre Hennebique, Lausanne 1893, S. de Mollins<br />
ingénieur, in : DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C.,<br />
Le <strong>Béton</strong> en représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de l’entreprise<br />
Hennebique 1890-1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p.37.<br />
Source Mayor & Co. Ou Nitsche, Lausanne, épreuve 12x16 cm, chambre 13 x 18.<br />
Epreuves provenant du fonds Hennebique.<br />
Commentaires<br />
Alors que les théoriciens expriment leur scepticisme vis-à-vis des différents<br />
procédés en béton <strong>armé</strong>, certains empiristes développent une stratégie nouvelle<br />
s’articu<strong>la</strong>nt autour de l’usage de <strong>la</strong> photographie.<br />
S. de Mollins, agent actif de <strong>la</strong> Société Hennebique ; multipliant les essais de<br />
poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> ; se sert de <strong>la</strong> photographie aux fins suivantes :<br />
-prouver de manière objective <strong>la</strong> résistance des procédés techniques<br />
-enrichir <strong>la</strong> rédaction des procès-verbaux.<br />
Puis, de manière générale, les photographies prises nous renvoient <strong>la</strong> fierté des<br />
protagonistes suite à l’essai concluant.
IMAGE 2<br />
Thème<br />
Fiche d’identité<br />
Source<br />
Contexte<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
« Le système Hennebique dans le monde », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n° 69, février<br />
1904, p<strong>la</strong>nche 1.<br />
Le <strong>Béton</strong> Armé, fondé en 1898, est l’organe des concessionnaires et des agents<br />
du système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de<br />
rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer l’étendue de ses<br />
réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse aux critiques qui lui<br />
sont faites.<br />
Ce p<strong>la</strong>nisphère situe l’imp<strong>la</strong>ntation d’agents ou concessionnaires du système<br />
Hennebique dans le monde. Il permet de prendre conscience de l’ampleur de<br />
cette exceptionnelle et rapide offensive menée par <strong>la</strong> firme dans <strong>la</strong> conquête du<br />
domaine de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Son quasi monopole en Suisse n’est ainsi qu’une<br />
petite part de son expansion mondiale – douze ans seulement après le dépôt du<br />
brevet -.
IMAGE 3<br />
Thème<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
Fiche d’identité Publicité de <strong>la</strong> société Hennebique, in BTSR, n°14, 1903.<br />
Source<br />
Contexte<br />
Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle<br />
fondée en 1899, est l’organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes. Elle<br />
succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé<br />
en 1875.<br />
Cette publicité de S. de Mollins, agent direct de Hennebique en Suisse, révèle<br />
l’importance des concessionnaires répartis dans tout le pays ainsi que les<br />
arguments de promotion de <strong>la</strong> société : l’économie des <strong>construction</strong>s, <strong>la</strong><br />
résistance au feu et à l’eau.
IMAGE 4<br />
Thème<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
Fiche d’identité Publicités de cimentiers, in BTSR, n° 10, 1903.<br />
Source<br />
Contexte<br />
Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle<br />
fondée en 1899, est l’organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes. Elle<br />
succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé<br />
en 1875.<br />
Cette série de publicités issue d’un même cahier du BTSR montre combien, à<br />
cette période, ces acteurs tentent de convaincre et conquérir le marché vantant<br />
respectivement leurs décorations, prix et surtout le dynamisme de leur<br />
production.<br />
Les médailles, gages de qualité, sont obtenues lors des expositions nationales et<br />
cantonales ; Les fabriques y exposaient des échantillons ou construisaient des<br />
pavillons de démonstration en béton.<br />
A noter aussi que ces trois sociétés sont vaudoises : leur extension considérable<br />
à cette période s’explique notamment par l’importance des matières premières<br />
qu’offre le sol.
IMAGE 5<br />
Thème<br />
Fiche d’identité<br />
Source<br />
Contexte<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
« Les trahisons du fer. Incendie de l’usine de Derendingen (Suisse) », in Le<br />
<strong>Béton</strong> Armé, n° 47, avril 1902, p<strong>la</strong>nche 3.<br />
Le <strong>Béton</strong> Armé, fondé en 1898, est l’organe des concessionnaires et des agents<br />
du système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de<br />
rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer l’étendue de ses<br />
réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse aux critiques qui lui<br />
sont faites.<br />
Cette page, extraite parmi les séries de p<strong>la</strong>nches photographiques qui illustrent<br />
chaque volume de <strong>la</strong> revue, exhibe comme beaucoup d’autres, des prises de<br />
vues d’accidents ou d’incendies qui surviennent dans les <strong>construction</strong>s en acier.<br />
Elles contribuent à discréditer l’opposant pour mieux révéler les atouts du béton<br />
<strong>armé</strong> qui éviterait tout simplement de telles catastrophes, notamment en ce qui<br />
concerne <strong>la</strong> tenue au feu.<br />
La photographie pour preuve remp<strong>la</strong>ce alors tous les discours et requiert sans<br />
commune mesure l’attention du lecteur; « Trahisons », « Insécurités » sont les<br />
titres expressifs régulièrement employés...
IMAGE 6<br />
Thème<br />
Fiche d’identité<br />
Contexte<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
« Gênes (Italie), <strong>construction</strong> du p<strong>la</strong>ncher de <strong>la</strong> vil<strong>la</strong> Figari, L. Rovelli<br />
architecte, <strong>Béton</strong>s <strong>armé</strong>s Hennebique, 1903-1904 », in SIMONNET Cyrille, Le<br />
béton : histoire d’un matériau : économie, technique, architecture, Marseille,<br />
Ed. Parenthèse, 2005, p.78.<br />
Cyrille Simonnet écrit en légende de cette photographie : « construisant l’<strong>image</strong><br />
autant que l’ouvrage, l’armature est l’instrument d’une mise en scène<br />
magistralement exploitée par le photographe. » En effet, le cliché est utilisé ici<br />
comme preuve : on immortalise, dans le coffrage, <strong>la</strong> disposition de l’acier<br />
bientôt noyé dans le béton, qui suit les lignes de forces de <strong>la</strong> future dalle<br />
attestant de <strong>la</strong> bonne tenue de celle-ci. Les calculs de l’ingénieur sont ainsi<br />
rendus visibles par l’<strong>image</strong>, étayant <strong>la</strong> confiance du client.
IMAGE 7<br />
Thème<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
Fiche d’identité<br />
Essais de résistance, Genève, août 1894, S. de Mollins ingénieur, procès-verbal<br />
d’une série d’expériences faites sur une poutre en « sidéro-béton », in :<br />
DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., Le <strong>Béton</strong> en<br />
représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de l’entreprise Hennebique 1890-<br />
1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p.37.<br />
Source Anonyme, 4 épreuves cyanotypes 12 x 16 cm, chambre 13 x 18.<br />
Epreuves provenant du fonds Hennebique.<br />
Commentaires<br />
Les documents suivant accompagnent le procès-verbal de l’expérience réalisée<br />
le 10 août 1894 et reflètent assez bien l’idée d’une expérience démonstration :<br />
-en illustrant le p-v, les photographies enrichissent <strong>la</strong> rédaction par des prises de<br />
vues choisies (« disposition générale de l’expérience », détail : « aspect des<br />
fentes de l’âme »…), lui conférant un aspect didactique<br />
-les photographies véhiculent aussi une <strong>image</strong> forte qui marque les esprits audelà<br />
du simple cliché comme preuve de l’essai : le système résiste. Elles<br />
deviennent ici un outil indispensable à <strong>la</strong> promotion et à <strong>la</strong> propagande du<br />
système Hennebique<br />
-et pour ce<strong>la</strong>, les essais deviennent le lieu de véritable mise en scène, illustrée<br />
ici par <strong>la</strong> posture des personnes photographiées, ainsi que <strong>la</strong> masse de personnes<br />
présentes sur <strong>la</strong> photographie « vue inférieure de <strong>la</strong> poutre. »
IMAGE 8<br />
Thème<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
Fiche d’identité<br />
Théâtre de Berne, 1899-1903, de Würstemberger architecte, Anselmier & Cie<br />
entrepreneur, in DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET<br />
C., Le <strong>Béton</strong> en représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de l’entreprise<br />
Hennebique 1890-1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p.23.<br />
Source Emil Vollenveider, Berne, épreuve 38 x 29 cm, chambre 30 x 40.<br />
Epreuves provenant du fonds Hennebique.<br />
Commentaires<br />
La photographie suivante nous montre une étape du chantier du Théâtre de<br />
Berne. Cette photographie n’est pas anodine, car elle fige l’<strong>image</strong> d’un béton<br />
« nu », qui vient d’être décoffré et dont <strong>la</strong> portée esthétique est à souligner. En<br />
effet, dépassant <strong>la</strong> simple objectivité du cliché, <strong>la</strong> photographie va rendre<br />
service au béton <strong>armé</strong> en véhicu<strong>la</strong>nt des <strong>image</strong>s esthétisantes, comb<strong>la</strong>nt son<br />
manque d’iconicité.
IMAGE 9<br />
Thème<br />
Un matériau en quête d’identité : <strong>la</strong> problématique de l’expression<br />
Fiche d’identité<br />
Photographie du Pont construit en 1905 par Robert Mail<strong>la</strong>rt à Tavanasa,<br />
Grisons. Dimensions inconnues. Auteur inconnu.<br />
Source Photographie issue du site internet :<br />
http://dgcwww.epfl.ch/guide_des_ponts/ingenieurs/mail<strong>la</strong>rt/tavanasa.htm<br />
Commentaires<br />
Dans cet ouvrage de Robert Mail<strong>la</strong>rt, ingénieur suisse notamment connu pour<br />
ses ponts, art et technique forment un tout. Le béton y exprime ses qualités<br />
structurelles et p<strong>la</strong>stiques, notamment parce qu’il est compris comme un<br />
matériau tridimensionnel et monolithique.<br />
Son expression semble décalée par rapport à l’époque, presque contemporaine.<br />
Le pont n’existe plus aujourd’hui.
ANNEXE 1<br />
Thème<br />
Entrée en scène du béton <strong>armé</strong><br />
Fiche d’identité RAPPAPORT S., « Berechnungen der Monier-Träger (System Hennebique) »,<br />
in Schweizerische Bauzeitung, Vol.29/30, 1897, p.61.<br />
Source<br />
Contexte<br />
Commentaires<br />
Article rédigé par S. Rappaport, ingénieur à St Gall, (CH-SG) participant à <strong>la</strong><br />
rédaction de <strong>la</strong> revue hebdomadaire technique suisse allemande, die SBZ,<br />
fondée en 1883 (Organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes suisses).<br />
Dans cet article, l’ingénieur saint-gallois nous fait part de ses convictions et de<br />
ses inquiétudes vis-à-vis du béton <strong>armé</strong> et notamment du système Hennebique<br />
récemment breveté. Sa thèse s’appuyant sur ses craintes quant à l’hétérogénéité<br />
du béton <strong>armé</strong> pouvant causer de nombreux problèmes en chaînes : mauvaise<br />
adhérence de ses composants, attaque de l’eau altérant ses propriétés<br />
ignifuges…Une démonstration qui se veut complète et technique, illustrée de<br />
calculs et de schémas.<br />
L’intérêt de cet article réside dans son inscription dans le débat national qui<br />
oppose théoricien et empiriste. Il nous permet ainsi de rendre compte des<br />
résistances faites à <strong>la</strong> diffusion du nouveau matériau de <strong>construction</strong>. La nature<br />
hétérogène du matériau se retrouve alors dans <strong>la</strong> scission presque idéologique<br />
entre les différents protagonistes de l’époque. Il est alors intéressant de voir <strong>la</strong><br />
richesse des réactions que suscite un matériau de <strong>construction</strong> et dont <strong>la</strong> presse<br />
technique s’en fait l’écho.
6i SCHWEIZERISCHE BAUZEITUNG [Bd. XXIX Nr. 9.
ANNEXE 2<br />
Thème<br />
Entrée en scène du béton <strong>armé</strong><br />
Fiche d’identité<br />
Source<br />
Contexte<br />
Commentaires<br />
FAVRE A., « le béton <strong>armé</strong> système Hennebique : Rectifications », in<br />
Schweizerische Bauzeitung, Vol.29/30, 1897, p.68.<br />
Article rédigé par A. Favre, ingénieur participant à l’é<strong>la</strong>boration de <strong>la</strong> revue<br />
hebdomadaire technique suisse allemande, die SBZ, fondée en 1883 (Organe de<br />
<strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes suisses).<br />
Dans cet article, A. Favre rebondit sur celui rédigé par S. Rappoport critiquant<br />
le procédé du béton <strong>armé</strong>. A. Favre reprend alors point par point les thèses<br />
énoncées dans l’article précédant puis les contredits afin de recentrer le débat<br />
sur ses propres convictions. Souhaitant ainsi « rassurer » le lecteur, A. Favre<br />
nous fait part du rôle irréfutable des essais de résistances sur le béton <strong>armé</strong> dans<br />
<strong>la</strong> garantie des procédés de <strong>construction</strong>, égratignant au passage <strong>la</strong> preuve par le<br />
calcul que met en avant S. Rappaport.<br />
Cet article vient en complément du précédent et s’inscrit dans le débat qui<br />
oppose théoricien et empiriste. Il est alors intéressant de comprendre les<br />
arguments développés par chacun d’eux et <strong>la</strong> manière dont ils défendent leur<br />
point de vue. Ainsi, <strong>la</strong> confrontation de cet article avec celui rédigé par M.<br />
Rappaport met en évidence <strong>la</strong> difficulté à faire accepter le béton <strong>armé</strong> en tant<br />
que procédé constructif. L’introduction d’un tel matériau à <strong>la</strong> nature hétérogène<br />
va alors semer le doute dans les connaissances scientifiques acquises à l’époque.
ANNEXE 3<br />
Thème<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
Fiche d’identité<br />
Source<br />
Contexte<br />
Commentaires<br />
de MOLLINS Samuel, « Le <strong>Béton</strong> Armé Système Hennebique », in<br />
Schweizerische Bauzeitung, Vol.33/34, 1899, p.109.<br />
Lettre de Samuel de Mollins ; Agent central des brevets Hennebique pour <strong>la</strong><br />
Suisse, ingénieur civil diplômé de l’école spéciale de Lausanne (1866) ; parue<br />
dans <strong>la</strong> Schweizerische Bauzeitung, revue hebdomadaire technique suisse<br />
allemande fondée en 1883 (organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes<br />
suisses).<br />
La Schweizerische Bauzeitung publie dans sa rubrique Korrespondenz une lettre<br />
écrite par Samuel de Mollins en réponse à l’étude effectuée par le Prof. Ritter<br />
(EPFZ) sur les systèmes Hennebique en vigueur en Suisse et publiée dans le<br />
même numéro.<br />
La lettre comprend 3 parties :<br />
1. remerciements de S. de Mollins à <strong>la</strong> contribution du Pf. Ritter pour le<br />
soutien au développement des procédés Hennebique<br />
2. compléments à l’étude du Pf. Ritter apportés par S. de Mollins<br />
3. description (orientée) de <strong>la</strong> stratégie et du mode de fonctionnement de<br />
<strong>la</strong> société Hennebique.<br />
La publication de cette lettre dans <strong>la</strong> revue polytechnique nous renseigne sur les<br />
liens d’intérêts existants entre scientifiques et entrepreneurs. L’un cherchant à<br />
développer des méthodes de calcul pour les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong>, et<br />
l’autre cherchant le crédit du milieu scientifique pour appuyer <strong>la</strong> diffusion du<br />
système constructif. En effet, il y a peu de temps que le système Hennebique<br />
existe (1892-1893) et <strong>la</strong> réception d’un tel appuis ne peut constituer qu’une<br />
chance pour <strong>la</strong> promotion du matériau…<br />
D’autre part, en dépit du caractère promotionnel de <strong>la</strong> lettre, sa lecture nous<br />
révèle les logiques de fonctionnement de <strong>la</strong> Société Hennebique ainsi que sa<br />
stratégie commerciale adoptée, qui font d’elle <strong>la</strong> firme dominante sur le marché<br />
suisse.
ANNEXE 4<br />
Thèmes<br />
Un réseau d’acteur en jeu : engouements et résistances<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
Fiche d’identité<br />
Source<br />
Contexte<br />
Commentaires<br />
VAUTIER A., « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in<br />
BTSR, n°14, 1903, pp.189-192.<br />
Article rédigé par A. Vautier, ingénieur contribuant à <strong>la</strong> rédaction du Bulletin<br />
Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle fondée en 1899,<br />
(organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes). Cette revue succède au<br />
Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé en 1875.<br />
Cet article, est l’occasion pour l’ingénieur de présenter un nouveau système<br />
constructif en béton <strong>armé</strong>, mais il lui permet également de soulever ses propres<br />
incertitudes sur le matériau.<br />
Dans un premier temps, A. Vautier énonce ses doutes en plusieurs points<br />
techniques (inquiétude sur l’adhérence fer et ciment, et incidences sur <strong>la</strong> qualité<br />
constructive du matériau) qu’il ponctue systématiquement par l’expression :<br />
« on l’ignore. »<br />
Puis, dans un deuxième temps, <strong>la</strong> présentation du nouveau brevet se fait de<br />
manière précise par le biais de p<strong>la</strong>ns, coupes, élévations et photographies.<br />
L’intérêt de cet article réside dans les deux points énoncés précédemment.<br />
En effet, les inquiétudes prononcées par A. Vautier rencontreront le courroux de<br />
l’ingénieur Ed. Elskes, qui y consacrera un article.<br />
Puis, par sa forme et son contenu, l’article reflète une stratégie nouvelle de <strong>la</strong><br />
part des entrepreneurs qui n’hésitent plus à publier des données précises. Outre<br />
le dévoilement du « secret de fabrication », les photographies qui accompagnent<br />
l’article nous plongent dans l’intimité des expériences qui ont conduit au<br />
brevetage, apportant <strong>la</strong> preuve et <strong>la</strong> garantie constructive du nouveau système.<br />
Cette attitude nous renseigne alors sur le recours à <strong>la</strong> photographie comme outil<br />
auxiliaire de l’expérience et preuve de <strong>la</strong> résistance.
29me Annee. 25 juillet 1903. N» 14.<br />
Bulletin technique de <strong>la</strong> Suisse romande<br />
ORGANE EN LANGUE FRANQAISE DE LA SOCIETE SUISSE DES INGENIEURS ET DES ARCHITECTES. ParaiSSant ußUX fois par HlOiS.<br />
Redacteur en chef: M. P. HOFFET, professeur ä l'Ecole d'Ingenieurs de l'Universite de Lausanne.<br />
490 BULLETIN TECHNIQUE DE LA SUISSE ROMANDE<br />
posee sur ses appuis et chargee uniformement. Dans le<br />
quantite on augmente le coüt sans que <strong>la</strong> resis¬<br />
cas d'encastrement, une seconde barre munie de ses tiges<br />
tance augmente dans <strong>la</strong> mßme proporlion.<br />
serait p<strong>la</strong>cee au haut de <strong>la</strong> poutre dans <strong>la</strong> partie tendue.<br />
Un calcul tres simple permet de determiner pour les<br />
divers modes de charge le nombre et <strong>la</strong> position des tiges,<br />
il suffit pour ce<strong>la</strong> de connaitre <strong>la</strong> resistance qu'elles peu¬<br />
vent fournir en toute securite, ce que nous indiquerons<br />
plus loin.<br />
Pour les dalles de faible epaisseur, les tiges sont supprimees,<br />
mais au lieu d'employer des fers ronds sur toute<br />
leur longueur on les ap<strong>la</strong>tit de loin en loin.<br />
Avant de construire sa premiere poutre, M. Lossier a<br />
procede ä une etude approfondie des diverses parties et<br />
les a soumises ä des experiences faites, sous l'habile di¬<br />
rection de M. Schule, au <strong>la</strong>boratoire d'essais de Zürich.<br />
1° On a essaye de faire glisser les douilles sur <strong>la</strong> barre<br />
qu'elles embrassent, et l'on a constate que<br />
<strong>la</strong> traction qui<br />
cj On peut compter sur une resistance ä l'ecrasement<br />
de 150 ä 17.0 kg., mais il faut adopter, comme<br />
pour tous les materiaux, un coefficient notable-*<br />
ment moindre»-<br />
Apres avoir acquis ainsi une connaissance complete<br />
des diverses parties de son Systeme, M. Lossier a prepare<br />
deux poutres et deux dalles, de concert avec M. Charles<br />
Pache, entrepreneur.<br />
Deux de ces poutres et une dalle ont ete essayees le<br />
15 mai, en presence<br />
de MM. les professeurs Dommer et<br />
Bosset, des ingenieurs Robert et Paris et du soüssigne.<br />
Les dimensions de ces poutres sont indiquees dans le<br />
dessin ci-joint. Le beton est compose de 350 kg. de ci¬<br />
ment de Paudex par metre cube de sable et gravier.<br />
opere ce glissement depend de l'epaisseur de <strong>la</strong> douille et<br />
du diametre de <strong>la</strong> barre.<br />
M'^:*<br />
Voici un resume<br />
de ces essais.<br />
Diametre<br />
de <strong>la</strong> barre.<br />
Epaisseur<br />
moyenne de <strong>la</strong> Effort produisant le glissement.<br />
douille.<br />
20 mm. 5 mm. 1,05 ä 1,65 lonnes.<br />
20 » 8<br />
2,8S<br />
30 » 3 » 5,48 »<br />
30 » 8<br />
7,35 »<br />
36 » 8 » 6,65 »<br />
36 » 6 » 6,37 »<br />
wwww<br />
Wr«.<br />
2° On a eprouve<br />
les tiges en les etirant selon leur di¬<br />
rection. En exergant des efforts de 9 tonnes environ on<br />
rompait <strong>la</strong> tige en son milieu sans allerer <strong>la</strong> douille.<br />
3° On essaya d'arracher du böton des barres en fer<br />
rond munies de crochets terminaux, ou bien ap<strong>la</strong>ties en<br />
divers points, ou bien avec ces deux systemes combines,<br />
et l'on constata que ces moyens d'empecher<br />
sont tres efficaces.<br />
le glissement<br />
4° Enfin on soumit un grand nombre de blocs de be¬<br />
ton ä des öpreuves<br />
de flexion et d'öcrasement.<br />
Ces blocs, fabriques par l'entrepreneur de <strong>la</strong> möme<br />
maniere que pour un travail courant, avaient des dosages<br />
de ciment de Paudex variant de 250 & 800 kg. par metre<br />
cube de gravier et sable.<br />
II resulte de ces essais :<br />
Fig. 2. Essai de Charge de <strong>la</strong> poutre<br />
N° 1.<br />
La premiere poutre (flg.<br />
1 et 2), construite le 9 avril,<br />
avait ainsi 5 semaines au moment de l'essai.<br />
Lasecondepoutre, construite le 16 avril, avait un mois.<br />
Les surcharges ötaient uniformöment reparties et les fleches<br />
etaient mesurees par unappareil multiplicateur Griot.<br />
L'essai de <strong>la</strong> premiere poutre n'a pas 6te pousse jus¬<br />
qu'ä <strong>la</strong> rupture el sous <strong>la</strong> surcharge de 8000 kg. eile ne<br />
prösentait encore aucune trace de fatigue bien que <strong>la</strong> limite<br />
d'e<strong>la</strong>sticitö du fer fut probablement depassee.<br />
En tenant compte du poids propre, <strong>la</strong> Charge etait<br />
efliWron 2)Ya fois celle que l'on admettrait en pratique.<br />
On remarquera que les fleches, indiquees en centiemes<br />
de millimetres, sont extreniement faibles.<br />
aj Que le gravier tout venant donne des rösultats un<br />
Bien que l'observation des fleches n'ait que peu de<br />
peu inferieurs ä ceux que l'on obtient avec le<br />
meme dosage de ciment mö<strong>la</strong>nge<br />
gravier et 500 litres de sable.<br />
ä 800 litres de<br />
valeur au point de vue de <strong>la</strong> theorie pure, puisque, pour<br />
le beton arme, les fleches sont rarement proporlionnelles<br />
aux charges, elles constituent cependant un element de<br />
bj Le dosage de 300 ä 350 kg. de ciment de Paudex comparaison entre deux poutres simi<strong>la</strong>ires.<br />
paratt le plus convenable; en augmentant cette<br />
La premiere poutre, avec tirant noye dans le beton,<br />
1<br />
1<br />
1
Photographies d’expériences extraites de l’article (fig.4 p191, fig.5 p192)
ANNEXE 5<br />
Thème<br />
Fiche d’identité<br />
Source<br />
Contexte<br />
Commentaires<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
« VII ème Congrès du <strong>Béton</strong> Armé. Communication de M. de Mollins sur <strong>la</strong><br />
réglementation des <strong>construction</strong>s en <strong>Béton</strong> Armé, en Allemagne et en Suisse. »,<br />
in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°57, février 1903, pp.149-152.<br />
Extrait d’un article de <strong>la</strong> revue mensuelle : Le <strong>Béton</strong> Armé créée en 1898 par<br />
l’organe des concessionnaires et des agents du système Hennebique. Cette revue<br />
permet à l’entreprise de rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer<br />
l’étendue de ses réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse<br />
aux critiques qui lui sont faites.<br />
Cet article est en réalité <strong>la</strong> retranscription du discours prononcé par S. de<br />
Mollins, agent Hennebique en Suisse, à l’occasion du VII ème Congrès du <strong>Béton</strong><br />
Armé sur le thème de <strong>la</strong> réglementation.<br />
En 1903, <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et Architectes Suisses (SIA) est en train<br />
d’établir des normes provisoires pour les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong>. La<br />
France se trouve dans une situation semb<strong>la</strong>ble, ayant <strong>la</strong>ncé ses études en 1901 à<br />
travers une première commission dont faisait partie M. Hennebique.<br />
L’Allemagne possède déjà, à cette période, des polices de <strong>construction</strong> par<br />
villes qui ne constituent pas pour autant une loi fédérale. S. de Mollins<br />
s’exprime alors dans ce contexte qu’il connaît bien puisque <strong>la</strong> firme Hennebique<br />
exerce son activité dans ces pays.<br />
Cette première page donne <strong>la</strong> teinte de tout le discours de S. de Mollins ; il<br />
expose et décrit <strong>la</strong> complexité et les aberrations d’un système réglementaire<br />
allemand pour étayer les nombreuses réserves que <strong>la</strong> société Hennebique<br />
manifeste à l’égard des normes provisoires émergeant en Suisse. Ces grands<br />
entrepreneurs n’ont effectivement pas d’avantages à ce qu’une réglementation<br />
stricte vienne entraver leurs activités. S. de Mollins dénonce <strong>la</strong> fausseté des<br />
formules et coefficients énoncés dans ces prescriptions allemandes et<br />
l’incompétence des personnes qui les ont produites. Dans <strong>la</strong> suite de l’article, il<br />
montre que ces observations et pressions ont conduit à l’enlisement de <strong>la</strong><br />
commission SIA suisse qui finit par démissionner. Elle sera remp<strong>la</strong>cée par une<br />
seconde qui poursuit l’étude...
ANNEXE 6<br />
Thème<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
Fiche d’identité GEISER A., « SIA Rapport de gestion du Comité central sur les années 1903-<br />
1905 », in BTSR, n°15, 1905, pp.192-195.<br />
Source<br />
Contexte<br />
Commentaires<br />
Extrait d’un article écrit par A. Geiser, président central de <strong>la</strong> SIA, comme<br />
rapporteur du bi<strong>la</strong>n qu’a établi le comité central SIA sur ses actions depuis<br />
1903. (Le reste de l’article ne concerne plus <strong>la</strong> réglementation du béton <strong>armé</strong>)<br />
Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle<br />
fondée en 1899, est l’organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes. Elle<br />
succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé<br />
en 1875.<br />
Suite à l’accident de Bâle en 1901, <strong>la</strong> Société privée Suisse des Ingénieurs et<br />
Architectes (SIA) s’est <strong>la</strong>ncée dans <strong>la</strong> conception de normes provisoires pour <strong>la</strong><br />
<strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong>. Le Comité central supervise alors les différentes<br />
sections SIA réparties dans les cantons qui débattent régulièrement, pendant une<br />
première période de deux ans. La période 1903-1905 suivante, décrite ici,<br />
expose <strong>la</strong> continuité de son activité après l’établissement des règlements<br />
provisoires de 1903.<br />
Cet article illustre un aspect du réseau d’acteurs qui s’établit autour de cette<br />
société privée, pour apporter un soutien financier aux essais qui continuent à<br />
être réalisés. Qui porte alors un intérêt particulier à ce qu’on établisse des<br />
normes Il est intéressant de voir que les corporations ayant répondu<br />
favorablement à l’appel <strong>la</strong>ncé sont deux groupements de cimentiers. Ces<br />
derniers ne sont donc plus des fabriques autonomes, ils se sont associés et<br />
subventionnent <strong>la</strong> SIA pour, sans nul doute, assurer un contrôle de <strong>la</strong> richesse<br />
commerciale qu’ils détiennent : le ciment.<br />
On apprend que l’appel est aussi reçu par l’association des villes Suisses (<strong>la</strong><br />
catastrophe de Bâle-ville perturbe forcément <strong>la</strong> tranquillité d’autres villes<br />
suisses...). Enfin, un acteur important apparaît : le Département Fédéral de<br />
l’Intérieur dont on retranscrit intégralement <strong>la</strong> lettre-réponse. Celui propose<br />
ainsi de prendre en charge les nouveaux essais pour <strong>la</strong> période à venir, par le<br />
Laboratoire Fédéral qui se trouve à l’EPFZ. Le pouvoir public se rallie au projet<br />
de <strong>la</strong> SIA qui assumera désormais un rôle de consultante.
ANNEXE 7<br />
Thème<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
Fiche d’identité<br />
KHUNE E., « Au Vil<strong>la</strong>ge Suisse », in La Patrie Suisse, n°51, 1895, p.249-252<br />
Source<br />
La Patrie Suisse est une revue bimensuelle illustrée. Sans être forcément<br />
conservatrice, son contenu parait empreint d’un sentiment patriotique certain,<br />
prêtant notamment ses pages à tous les évènements traditionnels suisses.<br />
L’auteur écrit régulièrement des articles de <strong>la</strong> revue.<br />
Contexte<br />
L’année précédant l’exposition Nationale de 1896, l’article présente le contenu<br />
de l’exposition à travers texte et dessins.<br />
Commentaires<br />
La première colonne de l’article fait état des choses qui s’exposent<br />
habituellement aux expositions nationales, faisant du vil<strong>la</strong>ge suisse un<br />
évènement exceptionnel. Le quatrième paragraphe exprime l’écoeurement<br />
suscité par les « fabriques » et « hôtels ».<br />
Regardé en parallèle des photos véhiculées alors sur les prouesses du béton<br />
<strong>armé</strong>, les dessins paraissent presque anachroniques, montrant bien une Suisse<br />
tiraillée entre progrès et conservatisme.<br />
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ANNEXE 8<br />
Thème<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />
Fiche d’identité BOVET E., « Le Heimatschutz et les ingénieurs », in Heimatschutz, n°7, 1910,<br />
p.80.<br />
Source<br />
Le Heimatschutz est <strong>la</strong> revue publiée par <strong>la</strong> ligue du même nom. Fondée en<br />
1905, celle-ci entend défendre <strong>la</strong> conservation de <strong>la</strong> Suisse pittoresque.<br />
Commentaires<br />
Cet article vient en réponse à une protestation faite par un ingénieur à l’égard de<br />
l’attitude protectionniste de <strong>la</strong> ligue du Heimatschutz.<br />
L’article montre comment des acteurs d’origines différentes (professionnels de<br />
<strong>la</strong> <strong>construction</strong> et intellectuels) confrontent leur vision du progrès technique et<br />
des valeurs esthétiques.
ANNEXE 9<br />
Thème<br />
Un réseau d’acteurs en jeu : engouement et résistance<br />
Fiche d’identité Figures 10 et 11, in Heimatschutz, n°7, 1912, p. 54.<br />
Figure 8, in Heimatschutz, n° 7, 1912, p. 173.<br />
Source<br />
Le Heimatschutz est <strong>la</strong> revue publiée par <strong>la</strong> ligue du même nom. Fondée en<br />
1905, celle-ci entend défendre <strong>la</strong> conservation de <strong>la</strong> Suisse pittoresque.<br />
Commentaires<br />
Ces photographies montrent des exemples concrets de bâtiments modernes<br />
types qui font l’objet des critiques de <strong>la</strong> ligue du Heimatschutz.<br />
Les commentaires révèlent les jugements tranchés et le ton cynique employé<br />
pour discréditer une nouvelle forme d’architecture. Un reproche ressort :<br />
l’absence de caractère local. Les commentaires mettent en exergue le caractère<br />
systématique des critiques du Heimatschutz. On remarque <strong>la</strong> récurrence de<br />
l’adjectif « banal ». Utilisant toujours le même leitmotiv, <strong>la</strong> ligue se dispense<br />
d’appuyer son jugement sur des arguments, donnant l’illusion d’une vérité<br />
indiscutable, alors qu’il s’agit d’un avis subjectif.
ANNEXE 10<br />
Thème<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong>: l’influence des moyens de diffusion<br />
Fiche d’identité<br />
« Le béton <strong>armé</strong> dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> des grands viaducs », in Le <strong>Béton</strong> Armé,<br />
n°4, 1898, p.1.<br />
Source<br />
Article paru dans Le béton <strong>armé</strong>, organe des concessionnaires et des agents du<br />
système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de se<br />
valoriser en montrant l’étendue de ses réalisations et sa portée internationale, de<br />
donner réponse aux critiques qui lui sont faites, de se prononcer sur les<br />
actualités du béton <strong>armé</strong>.<br />
Contexte<br />
Cette lettre donne suite à une demande formulée par S. De Mollins, agent<br />
central des brevets Hennebique pour <strong>la</strong> Suisse, auprès du département des<br />
travaux publics afin de faire admettre les projets en béton <strong>armé</strong> à concourir pour<br />
les ouvrages d’art au même titre que ceux en acier.<br />
Commentaires<br />
Ce document montre le rôle actif que mène l’agent suisse du système<br />
Hennebique pour le développement de l’utilisation du béton <strong>armé</strong> en Suisse. Il<br />
met également en perspective <strong>la</strong> concurrence qui se joue avec les constructeurs<br />
acier. Il est alors intéressant de rappeler que le concours pour le pont de<br />
Chauderon-Montbenon à Lausanne est <strong>la</strong>ncé peu de temps après cette<br />
autorisation et que le projet primé utilise le béton <strong>armé</strong>.
ANNEXE 11<br />
Thèmes<br />
Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />
Un matériau en quête d’identité : <strong>la</strong> problématique de l’expression<br />
Fiche d’identité VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon »,<br />
in BTSR, n°2, 1902, pp.12-14.<br />
Source<br />
Contexte<br />
Commentaires<br />
Article rédigé par A. Vautier, ingénieur contribuant à <strong>la</strong> rédaction du Bulletin<br />
Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle fondée en 1899,<br />
(organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes). Cette revue succède au<br />
Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé en 1875.<br />
L’article rend compte des décisions prises par le jury du concours pour<br />
l’exécution du Pont Chauderon-Montbenon et présente l’ensemble des p<strong>la</strong>nches<br />
de rendu du projet <strong>la</strong>uréat, ainsi que des vues partielles des deux autres projets<br />
primés.<br />
Le projet remportant le concours ; devise « feuille de chênes » ; est basé sur un<br />
principe constructif d’arches en béton <strong>armé</strong> et devance deux autres propositions<br />
de viaduc métalliques.<br />
L’article a une valeur didactique en nous renseignant dans un premier temps sur<br />
les modes de représentations de l’époque. Puis, dans un deuxième temps, nous<br />
comprenons <strong>la</strong> portée du choix du jury, qui, en privilégiant l’ouvrage en béton<br />
<strong>armé</strong>, lui offre par <strong>la</strong> suite une tribune publicitaire. La description technique,<br />
l’explication des détails d’assemb<strong>la</strong>ges, et les p<strong>la</strong>nches de rendu assurent ainsi<br />
une <strong>la</strong>rge diffusion du béton <strong>armé</strong> dans les milieux professionnels.<br />
Par ailleurs, nous pouvons é<strong>la</strong>rgir <strong>la</strong> portée de cet article puisqu’il introduit <strong>la</strong><br />
problématique de l’expression du béton <strong>armé</strong> dans un ouvrage d’art à l’impact<br />
urbain fort. L’analyse du projet rendu, nous donne certes l’indication que le<br />
béton <strong>armé</strong> est ici apparent, mais nous remarquons qu’il est exprimé dans le<br />
respect d’un <strong>la</strong>ngage c<strong>la</strong>ssique…
ANNEXE 12<br />
Thème<br />
Un matériau mis à l’épreuve: l’impact des accidents sur l’opinion publique<br />
Fiche d’identité « Une maison qui tombe », in La Gazette de Lausanne, 29 août 1901.<br />
« Une maison qui tombe », in La Gazette de Lausanne, 30 août 1901.<br />
« Bâle », in La Gazette de Lausanne, 3 septembre 1901.<br />
Source<br />
La Gazette de Lausanne, journal quotidien de Suisse romande à tendance<br />
libérale, re<strong>la</strong>te dans une suite d’articles l’accident de Bâle. Le nom de l’auteur<br />
de l’article n’est pas connu.<br />
Contexte<br />
Le 28 août 1901, une maison dans le faubourg d’Aesch, à Bâle, s’effondre,<br />
entraînant plusieurs victimes.<br />
Commentaires<br />
L’ensemble de ces articles est utile pour comprendre dans quelle mesure le<br />
béton <strong>armé</strong> est remis en cause à travers les articles exposant l’accident. Ils<br />
révèlent comment celui-ci a ravivé des polémiques au sein du milieu des<br />
ingénieurs. On peut remarquer que l’article semble traiter l’information de<br />
manière re<strong>la</strong>tivement objective et impartiale.
ANNEXE 13<br />
Thème<br />
Un matériau mis à l’épreuve: l’impact des accidents sur l’opinion publique<br />
Fiche d’identité<br />
« Constructions en béton <strong>armé</strong>. Enquête sur l’accident de l’Aeschenvorstadt, à<br />
Bâle », in BTSR, n°2, 1902, pp.133-134.<br />
Source<br />
Article paru dans le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique<br />
bimensuelle fondée en 1899, organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes.<br />
Elle succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes,<br />
fondé en 1875.<br />
Contexte<br />
Près de six mois après l’accident de <strong>la</strong> maison de l’Aeschenvorstadt à Bâle,<br />
l’article expose les résultats de l’expertise visant à déterminer les causes de<br />
l’accident.<br />
Commentaires<br />
- L’article ne mentionne pas les mêmes experts que ceux cités dans l’article de<br />
La Gazette de Lausanne du 30 août 1901. Ici l’ingénieur Rosshändler n’est pas<br />
impliqué. Ce détail est d’importance puisqu’on sait que les professeur W. Ritter<br />
et F. Schüle sont tous deux actifs dans le développement de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> en<br />
béton <strong>armé</strong> : aussi cette expertise peut poser question du point de vue de son<br />
impartialité.<br />
- Le Chap. 8 de l’article intitulé « Remarques complémentaires » est<br />
particulièrement intéressant ; il cherche à faire valoir l’intérêt du système<br />
Hennebique, défendant le fait que celui doive continuer d’être utilisé.
ANNEXE 14<br />
Thème<br />
Un matériau mis à l’épreuve: l’impact des accidents sur l’opinion publique<br />
Fiche d’identité « L’accident de Bâle et les accidents de chantier », in Le <strong>Béton</strong> Armé, Juin 1902,<br />
n°49, p.5-8.<br />
Source<br />
Le <strong>Béton</strong> Armé, fondé en 1898, est l’organe des concessionnaires et des agents<br />
du système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de<br />
rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer l’étendue de ses<br />
réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse aux critiques qui lui<br />
sont faites.<br />
Contexte<br />
Cet article parait peu après les résultats de l’expertise visant à déterminer les<br />
causes de l’accident survenu à Bâle. Le système Hennebique, employé dans <strong>la</strong><br />
<strong>construction</strong> en question, se voit innocenté par l’expertise, qui attribue plutôt<br />
l’accident à un manque de sécurité dans l’exécution des travaux (cf. Annexe 12<br />
« Constructions en béton <strong>armé</strong> », in BTSR, n°2, 1902, pp.133-134.). L’article<br />
présent tient donc à souligner ces conclusions qui apportent un appui<br />
scientifique important au béton <strong>armé</strong>, et au système Hennebique en particulier,<br />
en citant des passages de l’expertise.<br />
Commentaires<br />
L’article est intéressant à beaucoup de points de vue.<br />
- Il rend tout d’abord compte du lourd climat conflictuel qui oppose les<br />
constructeurs en béton <strong>armé</strong> aux constructeurs en acier. Ces derniers n’ont pas<br />
manqué d’utiliser l’accident pour tenter de décrédibiliser le béton <strong>armé</strong>. A son<br />
tour, l’article s’en donne à coeur joie de rétorquer à ses adversaires.<br />
- Ensuite, il n’est pas vraiment étonnant de voir W.Ritter, innocenter dans<br />
l’expertise avec une certaine insistance le système Hennebique. Il s’agit de<br />
rappeler qu’en effet, 2 ans plus tôt, les recherches du Professeur avaient soutenu<br />
le système Hennebique, en lui apportant un précieux crédit scientifique.<br />
- Il faut par ailleurs noter que l’article ne retranscrit que des passages choisis. Il<br />
n’évoque pas les dimensions quelques peu sous-estimées de l’ouvrage, aspect<br />
pourtant mentionné dans l’expertise, même si l’accident en lui même ne lui est<br />
pas imputable.<br />
- Quoiqu’il en soit, on voit bien comment l’article prend le soin d’éc<strong>la</strong>ircir en<br />
tous points, comme pour ne <strong>la</strong>isser aucun doute, les raisons de l’accident, par<br />
des explications étayées d’un croquis.<br />
- Il est enfin assez amusant de constater que l’article se termine par une liste<br />
d’accidents survenus sur des <strong>construction</strong>s métalliques, suivis d’un<br />
commentaire incisif, le tout sous le titre « les trahisons du métal ».
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