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objets en derive : du littoral au musee - Mission Ethnologie ...

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Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Le bourg<br />

40630 Luglon<br />

vanessadoutrele<strong>au</strong>@hotmail.com<br />

v.doutrele<strong>au</strong>@parc-landes-de-gascogne.fr<br />

Avril 2007<br />

Organismes support :<br />

CETMA-MNHN<br />

MUCEM<br />

Rapport de recherche<br />

<strong>Mission</strong> <strong>du</strong> Patrimoine Ethnologique<br />

OBJETS EN DÉRIVE : DU LITTORAL AU MUSÉE<br />

- 1<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

SOMMAIRE<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

I. La grève, territoire <strong>du</strong> reste...................................................................................................................................7<br />

1. Pilleurs d’épaves d’hier et d’<strong>au</strong>jourd’hui.......................................................................................................... 7<br />

2. S<strong>en</strong>s <strong>du</strong> glanage, s<strong>en</strong>s de l’objet .....................................................................................................................11<br />

3. Objets Intermèdes............................................................................................................................................14<br />

II. L’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée : une retraite dorée ?............................................................................................................21<br />

1. L’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée........................................................................................................................................... 21<br />

2. Objets <strong>en</strong> dérive...............................................................................................................................................25<br />

Bibliographie...................................................................................................................................................31<br />

- 2<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

En empruntant à Jacques Hainard le titre de ce projet de recherche, Objets <strong>en</strong> dérive<br />

pour le Salon d’ethnographie (1989), nous comptons ici aborder d’une part le s<strong>en</strong>s propre 1 de<br />

l’objet <strong>en</strong>“ dérive ”, reste échoué sur la grève <strong>au</strong> gré des courants, d’<strong>au</strong>tre part le s<strong>en</strong>s figuré,<br />

celui d’objet détourné de son s<strong>en</strong>s et de son usage premiers. Et c’est là que la problématique<br />

muséale intervi<strong>en</strong>t : l’objet <strong>en</strong> dérive tra<strong>du</strong>it <strong>en</strong> quelque sorte une <strong>au</strong>tre forme d’échouage,<br />

celle de l’objet-rebut dont les musées de société se font souv<strong>en</strong>t le réceptacle, et qui ne cesse<br />

de soulever la plus large question de la collecte <strong>du</strong> contemporain et de l’archéologie<br />

in<strong>du</strong>strielle. Si les musées de société interrog<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t l’objet contemporain, le reste<br />

ne cesse de poser problème de par son ess<strong>en</strong>ce même : Janus <strong>au</strong>x deux visages, le reste est ce<br />

qui per<strong>du</strong>re et ce dont on se débarrasse à la fois ; et le musée est peut-être <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s par<br />

excell<strong>en</strong>ce le lieu destiné à pér<strong>en</strong>niser cette nature paradoxale <strong>du</strong> reste. C’est <strong>en</strong> tout cas <strong>en</strong><br />

partant de cette hypothèse que nous t<strong>en</strong>terons d’apporter notre contribution à une réflexion sur<br />

l’art de conserver les restes, <strong>au</strong> travers de lieux <strong>en</strong> appar<strong>en</strong>ce bi<strong>en</strong> distincts, mais que des<br />

formes d’échouages et de récupérations rassembl<strong>en</strong>t sous la notion « d’<strong>objets</strong> <strong>en</strong> dérive ».<br />

En retraçant ainsi le parcours de tels <strong>objets</strong> depuis leur “ naissance ” <strong>en</strong> tant que restes<br />

(dans une décharge ou <strong>au</strong>tres lieux d’échouage) jusqu'à leur <strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée (“ mort ”<br />

symbolique de l’objet, <strong>du</strong> moins de l’une des étapes qui constitu<strong>en</strong>t sa carrière d’objet), on<br />

pourra déjà aborder deux aspects <strong>du</strong> reste, celui de son usage et donc de sa vie <strong>en</strong> tant<br />

qu’objet-reste fonctionnel, et d’<strong>au</strong>tre part celui de sa retraite dorée et de sa mise <strong>en</strong> musée.<br />

On s’attachera donc logiquem<strong>en</strong>t et dans un premier temps à la notion de récupération, de<br />

recyclage, de bricolage, <strong>en</strong> choisissant un territoire <strong>du</strong> reste peu étudié jusqu’à prés<strong>en</strong>t par les<br />

sociologues et ethnologues, à savoir la grève, comme lieu d’échouage et de glanage.<br />

En effet, si les territoires <strong>du</strong> reste <strong>en</strong> milieu urbain ont jusqu’alors fait l’objet de<br />

nombreux trav<strong>au</strong>x, tant sociologiques que cinématographiques ( <strong>en</strong> France, pour les plus<br />

réc<strong>en</strong>ts, Agnès Varda “ Les glaneurs et la glaneuse ” 2 ), le territoire des grèves a quant à lui<br />

ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t fait l’objet d’approches historiques, et on ne citera ici que l’ouvrage référ<strong>en</strong>t<br />

d’Alain Corbin, Le territoire <strong>du</strong> vide. Or si les grèves d’hier sont ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ues<br />

1<br />

Terme lui-même lourd de s<strong>en</strong>s lorsque l’on parle des restes et déchets (cf. H-P Jeudy, “ Le choix public <strong>du</strong><br />

propre ”, in Annales de la recherche urbaine, 2002).<br />

2<br />

Mais <strong>au</strong>ssi les trav<strong>au</strong>x de l’Université de Laval <strong>au</strong> Québec (cf. notamm<strong>en</strong>t “ Du cinéma et des restes urbains ”,<br />

colloque international de Montréal , université de Laval, 10-13 mai 2000).<br />

- 3<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

des lieux dévoués <strong>au</strong>x loisirs, des “ plages ”, pour les urbains comme pour les loc<strong>au</strong>x qui les<br />

fréqu<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t, elles sont <strong>au</strong>ssi et <strong>en</strong>core un lieu d’échouages, et donc de restes. Bouts<br />

d'exist<strong>en</strong>ces, de matière, emportés et disloqués <strong>au</strong> gré des courants, les restes de la mer<br />

écriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> creux l'histoire des hommes. La mer, cette matrice qui digère tout 3 , les coquilles<br />

vides, les bouteilles à messages v<strong>en</strong>ues de rivages lointains, les verres polis, les bouts de<br />

filets, les boules de casiers, les planches, épaves de bate<strong>au</strong>x, bois et poissons morts, les algues<br />

toxiques, le mazout ...<strong>au</strong>tant de rebuts qui nous parl<strong>en</strong>t des hommes et de leurs usages –et<br />

“ mesusages ”, <strong>au</strong>tant de miroirs t<strong>en</strong><strong>du</strong>s <strong>au</strong>x terri<strong>en</strong>s qui les recueill<strong>en</strong>t sur la grève. Et c’est<br />

tout particulièrem<strong>en</strong>t à ces “ terri<strong>en</strong>s ” que nous nous intéresserons, ceux qui arp<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core<br />

les grèves afin de récupérer, réutiliser, reconstruire ou réhabiliter des <strong>objets</strong> échoués, des<br />

“ restes ”, et ce dans des buts tout <strong>au</strong>ssi variés que peuv<strong>en</strong>t l’être les restes <strong>en</strong> question ; buts<br />

alim<strong>en</strong>taires, artisan<strong>au</strong>x, artistiques, ou écologiques, même si l’on observe là <strong>au</strong>ssi, à l’instar<br />

<strong>du</strong> reste urbain, des pratiques de plus <strong>en</strong> plus associées <strong>au</strong> glanage de loisir, destiné à pro<strong>du</strong>ire<br />

<strong>du</strong> reste artistique.<br />

Ce n’est d’ailleurs pas forcém<strong>en</strong>t la transformation <strong>du</strong> reste <strong>en</strong> objet artistique qui lui<br />

fera intégrer les collections <strong>du</strong> musée, notamm<strong>en</strong>t lorsqu’il s’agit d’un musée de société. Et<br />

nous abordons là le second volet de notre projet, qui sera de s’attacher à l’aspect patrimonial<br />

de l’objet-reste, <strong>en</strong> tant qu’objet mémoriel; l’objet-reste non plus échoué sur la grève, rejeté<br />

par la mer, mais plus ou moins confortablem<strong>en</strong>t conservé et installé derrière les vitrines, dans<br />

les réserves, ou <strong>en</strong>core <strong>en</strong> salle de quarantaine (salle “ d’att<strong>en</strong>te ” dite <strong>au</strong>ssi “ purgatoire ” des<br />

<strong>objets</strong>), <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant d’intégrer peut-être un jour les collections <strong>du</strong> musée. Ce dernier statut de<br />

l’objet, pot<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t objet de musée, nous intéresse tout particulièrem<strong>en</strong>t puisqu’il permet<br />

de faire passer un objet non-<strong>en</strong>core-reconnu comme relevant des collections d’un musée<br />

(qu’il s’agisse d’un emballage de s<strong>au</strong>cisson d’Auvergne ou d’un reliquaire datant<br />

<strong>du</strong> XVIIIème s.) à un objet reconnu s’il franchit avec succès les différ<strong>en</strong>tes étapes le m<strong>en</strong>ant<br />

<strong>au</strong> statut officiel de collection patrimoniale 4 . Le cas échéant, l’objet se trouvera à nouve<strong>au</strong> <strong>au</strong><br />

rebut de la société - muséale, et réintégrera soit son statut d’origine de reste pot<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />

jetable, soit le bure<strong>au</strong> <strong>du</strong> conservateur (<strong>au</strong>tre purgatoire mais cette fois-ci sans espoir<br />

d’intégrer les collections…), soit <strong>en</strong>core, et comme c’est souv<strong>en</strong>t le cas, sera proposé à un<br />

<strong>au</strong>tre musée susceptible de l’accueillir.<br />

3<br />

Au même titre que le musée, qui ne les « digèr<strong>en</strong>t » justem<strong>en</strong>t pas si bi<strong>en</strong> que ça, nous le verrons (machine à<br />

digérer les restes, cf. notamm<strong>en</strong>t Le musée cannibale, 2002)<br />

4<br />

Le parcours étant cep<strong>en</strong>dant différ<strong>en</strong>t pour les collections d’étude.<br />

- 4<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Avant d’aborder le rivage et d’observer la pratique de ramassage des <strong>objets</strong> échoués,<br />

t<strong>en</strong>tons de préciser ce que nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons par la notion d’« <strong>objets</strong> <strong>en</strong> dérive », qui relie la<br />

grève <strong>au</strong> musée. Au s<strong>en</strong>s premier tout d’abord, ces <strong>objets</strong> dériv<strong>en</strong>t <strong>au</strong> gré des courants, avant<br />

d’être rejetés par la mer. Ces <strong>objets</strong> apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite à ceux qui les récupèr<strong>en</strong>t, et<br />

réintègr<strong>en</strong>t ainsi un statut, privé. Leur origine et id<strong>en</strong>tité étant pour la plupart imprécises voire<br />

inconnues, ils subiss<strong>en</strong>t par leurs nouve<strong>au</strong>x propriétaires des transformations parfois<br />

multiples, qui leur procur<strong>en</strong>t une nouvelle id<strong>en</strong>tité, un nouve<strong>au</strong> s<strong>en</strong>s. Ils sont ainsi détournés<br />

de leur s<strong>en</strong>s premier, <strong>en</strong> sachant qu’un objet, si l’on considère qu’il n’a qu’une « vie » 5 , a<br />

plusieurs statuts <strong>en</strong> fonction des usages qui lui sont associés. Ainsi de certains <strong>objets</strong> rejetés<br />

par la société et « échoués » 6 <strong>au</strong> musée pour de multiples raisons, et dont il revi<strong>en</strong>t à<br />

l’institution de les conserver, de faire per<strong>du</strong>rer ce qui lui échoie. Or, parfois, l’art et la manière<br />

de conserver les restes recèl<strong>en</strong>t un certain nombre de dérives, inhér<strong>en</strong>tes <strong>au</strong> principe de<br />

conservation <strong>au</strong> même titre que les échouages le sont <strong>au</strong> principe de récupération. En d’<strong>au</strong>tres<br />

termes, nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons montrer ici que la grève comme le musée sont des lieux de<br />

(re)valorisation des restes <strong>au</strong>tant que de transformation <strong>du</strong> statut de l’objet. Cette<br />

transformation est souv<strong>en</strong>t voulue par ceux qui recueill<strong>en</strong>t les <strong>objets</strong>, <strong>au</strong> musée comme sur le<br />

rivage, mais elle peut <strong>au</strong>ssi parfois être subie, <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s où certains <strong>objets</strong> perd<strong>en</strong>t toute id<strong>en</strong>tité,<br />

pour des raisons qui ne sont pas toujours explicites et qui apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à une somme de<br />

facteurs non contrôlables, qui font qu’un pourc<strong>en</strong>tage d’<strong>objets</strong> se « perd<strong>en</strong>t » dans les musées<br />

comme sur la grève, <strong>au</strong> gré des courants qui les font dériver d’un statut à un <strong>au</strong>tre.<br />

Enfin, si là n’est pas le lieu de délimiter le champ <strong>du</strong> reste, il convi<strong>en</strong>t d’égr<strong>en</strong>er<br />

quelques notions voisines, dont il est difficile de se départir, car, d’une certaine manière, le<br />

« reste » recouvre un peu chacune d’<strong>en</strong>tre elles. Plus précisém<strong>en</strong>t, on pourrait dire que le<br />

reste est un <strong>en</strong>semble général qui <strong>en</strong>globe toutes ces notions, chacune d’<strong>en</strong>tre elles étant une<br />

des nombreuses facettes <strong>du</strong> reste ; le déchet, le recyclage, la récupération, la trace, l’indice, la<br />

mémoire, le tri, le choix, le stockage, la conservation, la relique.<br />

Nourri de toutes ces notions voisines tout <strong>en</strong> s’<strong>en</strong> distinguant, on pourrait délimiter le champ<br />

<strong>du</strong> « reste » par :<br />

5<br />

Cf. infra : nous développons plus loin ce que l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par « vie » de l’objet, à la lueur notamm<strong>en</strong>t de La vie<br />

des <strong>objets</strong> , T.Bonnot (2002).<br />

6<br />

nous verrons <strong>en</strong> second volet <strong>en</strong> quoi on peut parler d’échouage.<br />

- 5<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

- la trace, la ruine, le vestige, l’épave, le fragm<strong>en</strong>t, la dépouille, le débris, le détritus, le<br />

rebut, les ossem<strong>en</strong>ts, la relique ;<br />

- ce qui demeure, s’éternise, perpétue, persiste, subsiste, se conserve, <strong>du</strong>re ;<br />

- ce dont on ne veut plus.<br />

- 6<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

I. La grève, territoire <strong>du</strong> reste<br />

1. Pilleurs d’épaves d’hier et d’<strong>au</strong>jourd’hui<br />

« Je dirais que notre « footing », c’est d’aller <strong>au</strong> pinsé ; chaque fois que y a un rayon de<br />

soleil, on consacre….moi j’<strong>au</strong>rais t<strong>en</strong>dance à saturer <strong>au</strong> bout d’une heure, mais ma femme<br />

est plus <strong>en</strong>ragée que moi et c’est souv<strong>en</strong>t deux heures où on est sur la plage… alors vous<br />

voyez le « vieux pinseyeur » [ill.1] c’est un peu nous ça. Alors il est pas fini, mais il est là,<br />

avec des filets, et on met sur les filets tout ce qu’on a ramassé, et on traîne, et on traîne notre<br />

trésor. Souv<strong>en</strong>t c’est trop lourd, alors on fait un tas, et on met un galet dessus. Ce qui signifie<br />

« ça m’apparti<strong>en</strong>t », et c’est respecté. Et avec des copains, on revi<strong>en</strong>t le l<strong>en</strong>demain, ou avec<br />

nos <strong>en</strong>fants, et on ramasse tout ça. » (M.P., Finistère Nord)<br />

Dans cet extrait d’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> 7 , nous trouvons les élém<strong>en</strong>ts princip<strong>au</strong>x qui résum<strong>en</strong>t ce que peut<br />

être, <strong>en</strong> général, la pratique de récupération des restes <strong>en</strong> milieu <strong>littoral</strong> : une pratique de<br />

loisir, tournée ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t vers de la création, à but lucratif ou non lucratif.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, avant d’aller plus avant dans cet aspect de la pratique contemporaine <strong>du</strong> glanage,<br />

attardons nous quelques instants sur plusieurs points évoqués dans cet extrait, qui nous<br />

permettront de compr<strong>en</strong>dre le contexte historique dans lequel s’inscriv<strong>en</strong>t les pratiques<br />

actuelles.<br />

Tout d’abord, Monsieur P., « vieux pinseyeur », nous apporte dans son témoignage un<br />

terme clef dans le vocabulaire <strong>du</strong> glanage des littor<strong>au</strong>x bretons 8 , le « pinse », qui signifie<br />

n<strong>au</strong>frage <strong>en</strong> breton. « Aller <strong>au</strong> pinsé » comme on l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d <strong>au</strong>jourd’hui, c’est aller glaner<br />

quelque objet (naturel ou non) sur la grève.<br />

Aujourd’hui, souv<strong>en</strong>t synonyme de loisir et d’oisiveté, il r<strong>en</strong>voie pourtant à des pratiques<br />

anci<strong>en</strong>nes, plus ou moins avérées, celles des « n<strong>au</strong>frageurs » ou « pilleurs d’épaves ». Les<br />

histori<strong>en</strong>s (Cabantous :1993 ; Ducoin : 1999) s’accord<strong>en</strong>t <strong>au</strong>jourd’hui à dire que le terme de<br />

« n<strong>au</strong>frageurs » est un terme inv<strong>en</strong>té <strong>au</strong> XIXème s. par les romantiques pour qualifier des<br />

pratiques qui relèv<strong>en</strong>t plus de « pilleurs d’épave » que de « f<strong>au</strong>teurs d’échouages », seul terme<br />

avéré <strong>au</strong> XVIIIème s (Ducoin, p. 312) pour qualifier des n<strong>au</strong>frages év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t provoqués.<br />

7<br />

les <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s effectués <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> milieu <strong>littoral</strong> (Finistère Nord et Islande) qu’<strong>au</strong> sein <strong>du</strong> musée (Musée<br />

national des Arts et traditions populaires) sont r<strong>en</strong><strong>du</strong>s anonymes par des majuscules factices.<br />

8<br />

Notre terrain s’est effectué ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t dans le Finistère Nord. Dans d’<strong>au</strong>tres régions où les n<strong>au</strong>frages y<br />

étai<strong>en</strong>t tout <strong>au</strong>ssi nombreux qu’<strong>en</strong> Bretagne, nous pouvons supposer qu’il existe égalem<strong>en</strong>t des termes propres.<br />

Dans les Landes, le verbe « costoyer » (costejar) signifiait « faire/pratiquer la côte <strong>en</strong> quête de quelque épave ».<br />

Les « cotangers » (costejaires) étai<strong>en</strong>t associés à des « rapaces humains à la recherche d’épaves » (in J. Sargos,<br />

1989, p. 34)<br />

- 7<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Or, ni dans les archives, ni dans les faits il semble que des n<strong>au</strong>frages ai<strong>en</strong>t pu être provoqués,<br />

<strong>au</strong> regard des conditions de navigations de l’époque et de l’irréalisme des feux trompeurs<br />

(ibid, p. 313).<br />

En revanche, il est probable que les populations <strong>littoral</strong>es ai<strong>en</strong>t pu se réjouir de n<strong>au</strong>frages, <strong>au</strong><br />

regard cette fois-ci de l’économie <strong>du</strong> <strong>littoral</strong>. L’économie liée à la mer s’appar<strong>en</strong>te à la<br />

cueillette (pêche, récolte <strong>du</strong> varech, récupération de marchandises, etc.), et tout ce qui vi<strong>en</strong>t de<br />

la mer est une véritable manne, un « cade<strong>au</strong> de Dieu » ; <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, il n’y a pas de mal à se<br />

l’approprier(ibid. p.312) . Le bi<strong>en</strong> échoué, qu’il soit naturel ou artificiel, est considéré comme<br />

res nullius, <strong>au</strong> même titre que le déchet. N’appart<strong>en</strong>ant à personne, il apparti<strong>en</strong>t donc à tout le<br />

monde, et plus précisém<strong>en</strong>t <strong>au</strong> premier qui le trouve.<br />

La récupération est un moy<strong>en</strong> de subsistance complém<strong>en</strong>taire (d<strong>en</strong>rées, m<strong>en</strong>uiserie,<br />

charp<strong>en</strong>tes maisons 9 ), et dans l’esprit de ces populations, « tout ce qui flotte sur la mer sans<br />

propriétaire appar<strong>en</strong>t apparti<strong>en</strong>t à celui qui met la main dessus et non à l’Etat » (ibid., p.<br />

324). Il s’agit <strong>en</strong> quelque sorte d’un « droit naturel qui a traversé les temps jusqu’à<br />

<strong>au</strong>jourd’hui et seule la crainte <strong>du</strong> douanier limite l’exercice de ce droit » (ibid. p. 324), et ce<br />

malgré les réglem<strong>en</strong>tations apportées depuis le XVIIème s. pour contrer le droit coutumier, <strong>en</strong><br />

usage jusqu’alors ; le droit de bris, <strong>au</strong>ssi appelé « droit d’épave, de lagan, de varech (…) tire<br />

généralem<strong>en</strong>t son origine d’anci<strong>en</strong>s coutumiers qui, <strong>en</strong> Ponthieu, Normandie, Bretagne ou<br />

Poitou, accord<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x seigneuries maritimes ‘tout ce que l’e<strong>au</strong> <strong>au</strong>ra bouté et jeté à la mer’. »<br />

(Cabantous, 1993, p. 121). Ainsi, pour t<strong>en</strong>ter d’inst<strong>au</strong>rer un contrôle et une <strong>au</strong>torité sur les<br />

rivages maritimes, l’Ordonnance sur la Marine de Colbert, <strong>en</strong> 1681, apporte un cadre législatif<br />

<strong>au</strong> « droit de bris et de n<strong>au</strong>frages » et perturbe l’équilibre de cette « économie » <strong>du</strong> pillage,<br />

t<strong>en</strong>tant de légiférer sur le pillage, l’échouage, et le n<strong>au</strong>frage. L’<strong>au</strong>torité royale s’imposera<br />

l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t et difficilem<strong>en</strong>t, tra<strong>du</strong>isant une lutte perpétuelle <strong>en</strong>tre les populations et les<br />

<strong>au</strong>torités.<br />

Si <strong>au</strong>jourd’hui la pratique est plus indivi<strong>du</strong>elle que collective, le droit maritime régissant la<br />

collecte des <strong>objets</strong> échoués, est tout <strong>au</strong>ssi difficile à faire appliquer ; <strong>en</strong> effet, le Domaine<br />

Public Maritime s’ét<strong>en</strong>d à la zone de l’estran (zone comprise <strong>en</strong>tre la basse mer et la h<strong>au</strong>te<br />

mer), et tout objet qui s’y échoue est s<strong>en</strong>sé rev<strong>en</strong>ir à l’Etat (qui n’<strong>en</strong> devi<strong>en</strong>t pas pour <strong>au</strong>tant<br />

propriétaire). En réalité, les usages sur cette portion de territoire très convoité, bi<strong>en</strong> que<br />

réglem<strong>en</strong>tés (pour la pêche à pied notamm<strong>en</strong>t), sont difficiles à contrôler. Ce qui ne veut pas<br />

9<br />

cf. infra, bâtim<strong>en</strong>ts islandais (maison, église) issus d’échouages <strong>au</strong> XIXème s.<br />

- 8<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

dire que le <strong>littoral</strong> est une zone de non-droit ; il existe des règles implicites, respectées par les<br />

initiés.<br />

Ainsi par exemple, comme le résume assez bi<strong>en</strong> notre « vieux pinseyeur », le marquage de<br />

l’objet trouvé par un galet est un signe d’appropriation, règle implicite que tout un chacun doit<br />

théoriquem<strong>en</strong>t respecter. Cette règle semble <strong>en</strong> tout cas être assez bi<strong>en</strong> répan<strong>du</strong>e le long des<br />

côtes bretonnes jusque dans les côtes d’Armor. Là où il n’y a pas de galets, on <strong>en</strong>fouit dans le<br />

sable (Cabantous, ibid.) comme sur les côtes landaises par exemple. En Islande, la pratique<br />

était rôdée <strong>en</strong> institution, puisque chaque morce<strong>au</strong> de grève <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> de l’île était délimité<br />

par des marques <strong>en</strong> bois (rekamark , « marques d’échouages » [ill.2]), sur lesquelles étai<strong>en</strong>t<br />

gravées le nom <strong>du</strong> propriétaire (fermier, paroisse). Tout ce qui s’échouait <strong>en</strong>tre deux marques<br />

rev<strong>en</strong>ait <strong>au</strong> propriétaire de la parcelle délimitée. Dans un pays où le bois était une d<strong>en</strong>rée rare,<br />

on compr<strong>en</strong>d d’<strong>au</strong>tant plus aisém<strong>en</strong>t l’importance des pièces de bois échouées sur le rivage.<br />

Un certain nombre d’<strong>en</strong>tre elles ont permis la construction de maison ou églises, et ces<br />

pratiques de récupération ont eu cours jusqu’<strong>au</strong> début <strong>du</strong> XXème s., avant que l’Islande ne<br />

devi<strong>en</strong>ne un pays prospère et désormais <strong>en</strong>clin à une surconsommation, voire <strong>au</strong> gaspillage,<br />

plus qu’à la récupération.<br />

Ecomusée de Skogar (Islande) : maison construite à partir de l’échouage <strong>en</strong> 1899 <strong>du</strong> navire hôpital français le<br />

« Saint-P<strong>au</strong>l ».<br />

Ainsi, <strong>en</strong> Islande comme sur le <strong>littoral</strong> breton, le glanage sur les côtes relève plus d’une<br />

pratique de loisir, et <strong>en</strong> général, indivi<strong>du</strong>elle ou familiale, mais rarem<strong>en</strong>t collective,<br />

rassemblant comme <strong>au</strong>trefois toute une commun<strong>au</strong>té villageoise. Encore que ces<br />

rassemblem<strong>en</strong>ts massifs ne l’étai<strong>en</strong>t pas systématiquem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> fonction d’une part de l’état<br />

dans lequel parv<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t les restes d’un navire, souv<strong>en</strong>t éparpillés sur tout un pan de côte,<br />

d’<strong>au</strong>tre part <strong>en</strong> fonction <strong>du</strong> mom<strong>en</strong>t ou de « l’étape » <strong>du</strong> pillage ; Cabantous précise <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s<br />

- 9<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

qu’« il serait erroné d’opposer systématiquem<strong>en</strong>t les pillages ‘collectifs’ <strong>au</strong>x pillages<br />

‘indivi<strong>du</strong>els’. En effet, le rassemblem<strong>en</strong>t général ne constitue qu’un mom<strong>en</strong>t <strong>du</strong> scénario, une<br />

situation éphémère <strong>en</strong>tre la dispersion quotidi<strong>en</strong>ne et la curée à v<strong>en</strong>ir où domine le chacun<br />

pour soi. » (p. 61, ibid.).<br />

Outre l’évolution de nos sociétés occid<strong>en</strong>tales nettem<strong>en</strong>t plus <strong>en</strong>clines à récupérer par oisiveté<br />

que par nécessité (si ce n’est écologique), les n<strong>au</strong>frages sont égalem<strong>en</strong>t et heureusem<strong>en</strong>t rares,<br />

n’occasionnant que des rassemblem<strong>en</strong>ts massifs de population que dans des cas<br />

exceptionnels.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, lorsqu’un n<strong>au</strong>frage se pro<strong>du</strong>it <strong>au</strong>jourd’hui près de nos côtes, il est intéressant de<br />

noter que, société prospère ou pas, les réactions des populations riveraines n’ont ri<strong>en</strong> à <strong>en</strong>vier<br />

à celles d’hier. Ainsi, <strong>au</strong> mois de janvier 2007, s’échouait sur les côtes anglaises (Devon) le<br />

MS-Napoli, défrayant la chronique p<strong>en</strong>dant plusieurs jours d’une part pour les risques de<br />

pollution att<strong>en</strong><strong>du</strong>s d’un tel n<strong>au</strong>frage, d’<strong>au</strong>tre part pour la cargaison de containers échouée sur<br />

les rivages, attirant les foules p<strong>en</strong>dant plusieurs jours. Ainsi on pouvait lire dans les colonnes<br />

<strong>du</strong> Monde (mercredi 24 janvier 2007, p.12.) : « En s’échouant sur la plage, ces boîtes <strong>en</strong><br />

ferraille grosses comme des wagons de train ont comm<strong>en</strong>cé à livrer leurs trésors. Une vraie<br />

caverne d’Ali Baba. (..) Des pro<strong>du</strong>its de be<strong>au</strong>té, des 4x4 Toyota, des tracteurs, des tonne<strong>au</strong>x,<br />

des flacons de parfum, des miroirs, des pare-chocs, des couches … ». Rapidem<strong>en</strong>t, la rumeur<br />

de l’échouage s’est répan<strong>du</strong>e, et « à la nuit tombée, dès le dimanche 21 janvier, les appr<strong>en</strong>tis<br />

pirates prêts à s’av<strong>en</strong>turer sur la plage la torche à la main n’ont pas été déçus. Un cont<strong>en</strong>eur<br />

év<strong>en</strong>tré offrait un spectacle des plus émouvants : 16 énormes motos BMW 1300, flambant<br />

neuves ! ». Puis, de même que les <strong>au</strong>torités d’hier avai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> <strong>du</strong> mal à cont<strong>en</strong>ir les pilleurs,<br />

« débordés par l’excitation générale, des policiers ont vite r<strong>en</strong>oncés à mettre <strong>en</strong> garde les<br />

pillards contre les risques de toxicité <strong>du</strong>s <strong>au</strong>x pro<strong>du</strong>its dangereux prés<strong>en</strong>ts dans certains<br />

cont<strong>en</strong>eurs. ». Et l’article de se poursuivre, dans la description de l’attrait d’un tel événem<strong>en</strong>t,<br />

attirant non seulem<strong>en</strong>t les populations riveraines mais égalem<strong>en</strong>t certaines très éloignées :<br />

« Ils sont des c<strong>en</strong>taines sur l’imm<strong>en</strong>se place de sable de Branscombe dominée par les falaises<br />

<strong>au</strong> milieu des détritus et des cont<strong>en</strong>eurs év<strong>en</strong>trés. Un con<strong>du</strong>cteur de camion a pris 2 jours de<br />

congés pour l’occasion. Une retraitée a fait plus de 100 kilomètres pour ‘ne pas rater ça’ ».<br />

Enfin, s’agissant <strong>du</strong> droit de bris, le témoignage d’un « pilleur » confirme que le droit<br />

maritime d’ici comme d’ailleurs, d’<strong>au</strong>jourd’hui comme d’hier, est tout <strong>au</strong>tant difficile à faire<br />

respecter, car dit-il, « théoriquem<strong>en</strong>t, tout ce qui est <strong>au</strong> dessus de la « ligne médiane » de la<br />

marée apparti<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x <strong>au</strong>torités, et <strong>en</strong> dessous « <strong>au</strong>x garde-côtes ». En réalité, ça ne<br />

- 10<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

fonctionne jamais comme ça…Et le propriétaire peut toujours v<strong>en</strong>ir réclamer, avec son<br />

assureur, son bi<strong>en</strong> … ».<br />

Cet évènem<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> que peu commun <strong>au</strong>jourd’hui (et on ne peut que s’<strong>en</strong> réjouir), nous<br />

permet de constater que les « pilleurs d’épaves » d’<strong>au</strong>jourd’hui n’ont ri<strong>en</strong> à <strong>en</strong>vier à ceux<br />

d’hier, où l’on retrouve les mêmes constantes ; précipitation, avidité, foule, pillage,<br />

spectaculaire ou <strong>en</strong>core difficulté des <strong>au</strong>torités à faire appliquer la loi.<br />

2. S<strong>en</strong>s <strong>du</strong> glanage, s<strong>en</strong>s de l’objet<br />

« Récupérer, c’est pr<strong>en</strong>dre, s’approprier des <strong>objets</strong> qui n’ont plus de propriétaires<br />

puisqu’ils sont ins<strong>en</strong>sés » (Martinon, 1978, p.207)<br />

Mais pour la majorité d’<strong>en</strong>tre ceux qui <strong>au</strong>jourd’hui, arp<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t la grève <strong>en</strong> guise de loisir,<br />

quelles sont les motivations principales qui les pouss<strong>en</strong>t à « récupérer » ?<br />

L’une des réponses est formulée dans la question, à savoir l’occupation <strong>du</strong> temps par un<br />

« loisir ». A l’instar des chineurs <strong>du</strong> dimanche à la recherche des marchés de l’anci<strong>en</strong><br />

(Bonnot, p. 77, 2002), les glaneurs <strong>du</strong> rivage cèd<strong>en</strong>t <strong>au</strong> rythme dominical des puces de la<br />

grève, <strong>en</strong> quête d’une balade <strong>au</strong>tant que d’une trouvaille. Autres populations attirées par cette<br />

pratique, un grand nombre de retraités (Martinon, 1978, p.208 ), de vacanciers et de touristes<br />

que B. Kalahora compare <strong>au</strong>x n<strong>au</strong>frageurs d’antan (Kalahora, p. 77, 1995), sans doute<br />

abusivem<strong>en</strong>t quand on sait les motivations de certains de ces touristes, qui se piqu<strong>en</strong>t <strong>au</strong> jeu<br />

<strong>du</strong> nettoyage écologique des plages par ces pratiques de glanage.<br />

C’est d’ailleurs égalem<strong>en</strong>t l’une des motivations de certains glaneurs acharnés, tel M. P. dont<br />

la motivation est <strong>au</strong>tant <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale qu’artistique : « Je travaille be<strong>au</strong>coup avec les<br />

écoles <strong>du</strong> nord Finistère, à les s<strong>en</strong>sibiliser avec l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, et à travailler <strong>du</strong> pinsé, et<br />

ils ont pris l’habitude les <strong>en</strong>fants <strong>du</strong> village ici, chaque fois qu’ils trouv<strong>en</strong>t <strong>du</strong> pinsé, ils le<br />

dépos<strong>en</strong>t devant ma porte. Alors y a des fois, <strong>en</strong> général je suis très cont<strong>en</strong>t, mais des fois ce<br />

sont des crabes pourris, ou des mouettes <strong>en</strong> décomposition… bon, des bouteilles de plastique<br />

avec un liquide infâme dedans, mais y a disons un tiers à jeter, et y a deux tiers qui est<br />

intéressant. » Et un peu plus loin, quand la pratique écologique se fait <strong>au</strong>tant artistique<br />

qu’idéologique : « J’ai fait quelques table<strong>au</strong>x sur la pollution, alors volontairem<strong>en</strong>t … il est<br />

affreux, il va vous faire mal <strong>en</strong> le voyant ; j’ai trouvé un baigneur, <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t pollué, c’est à<br />

- 11<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

dire recouvert de coltar, on a lavé ses vêtem<strong>en</strong>ts, on lui a remis, et j’<strong>en</strong> ai fait un table<strong>au</strong> que<br />

j’ai appelé « halte <strong>au</strong>x pollutions ». Il avait pas de tête, je lui ai fait une petite tête toute<br />

rétrécie avec tous les bourrages de crâne qu’on peut subir : FN, intégrisme religieux, les<br />

sectes, une seringue : la drogue, un li<strong>en</strong> : les aliénations pédophiles par exemple, sexuelles, je<br />

lui ai mis un poignard dans le dos, avec une coulée noire : la malbouffe, les pollutions<br />

alim<strong>en</strong>taires, et je fais un bilan de tout ce qu’un <strong>en</strong>fant, qui démarre dans la vie, peut avoir<br />

comme pollutions pot<strong>en</strong>tielles. » 10<br />

Derrière ce discours reconstruit a posteriori, il y a bi<strong>en</strong> évidemm<strong>en</strong>t, notamm<strong>en</strong>t chez certains<br />

artistes, un aspect ludique très important dans l’action de détourner les <strong>objets</strong> de leur s<strong>en</strong>s<br />

originel, naturels (coquillages, coquilles de moules et huîtres…) comme manufacturés. Ce<br />

s<strong>en</strong>s est d’ailleurs souv<strong>en</strong>t difficile à définir, notamm<strong>en</strong>t pour les <strong>objets</strong> manufacturés<br />

(semelles, bottes, gants, bouées…). Plus précisém<strong>en</strong>t, la différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre les deux catégories<br />

d’<strong>objets</strong> se joue dans le rapport à l’appropriation de l’objet et de son s<strong>en</strong>s par <strong>au</strong>trui, les <strong>objets</strong><br />

naturels étant « ceux qui n’ont jamais eu de propriétaire, ceux qui ont un s<strong>en</strong>s commun sans<br />

<strong>en</strong>core avoir de s<strong>en</strong>s privé » (Martinon, ibid, p.208), à l’inverse des <strong>objets</strong> manufacturés qui<br />

ont eu <strong>au</strong> moins un s<strong>en</strong>s privé, mais qui, une fois échoués, ont été privés de s<strong>en</strong>s 11 … Pour <strong>en</strong><br />

retrouver un grâce <strong>au</strong>x « inv<strong>en</strong>teurs d’épaves » (Bernot, 1970) ; celui qui trouve l’objet est<br />

<strong>au</strong>ssi son inv<strong>en</strong>teur, il lui réinv<strong>en</strong>te un statut (d’objet per<strong>du</strong> à trouvé), voire une id<strong>en</strong>tité (<strong>en</strong> le<br />

détournant).<br />

Pour ces deux catégories d’<strong>objets</strong>, il s’agit, dans le plaisir de créer ou re-créer, de détourner<br />

voire de r<strong>en</strong>verser le s<strong>en</strong>s de l’objet dans la métamorphose que son « inv<strong>en</strong>teur » lui inflige :<br />

« les ‘secrets’ de la métamorphose des formes par des poly-technici<strong>en</strong>s ‘s<strong>au</strong>vages’, nonsavants,<br />

sont des recettes consistant à transformer les <strong>objets</strong> naturels <strong>en</strong> des élém<strong>en</strong>ts d’un<br />

univers culturel. Ces recettes sont surtout des combinaisons, des transformations et des<br />

r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>ts de s<strong>en</strong>s » (Martinon, ibid, p. 209) .<br />

Enfin, malgré la notion de hasard dans une activité qui s’appar<strong>en</strong>te <strong>au</strong> loisir tout <strong>en</strong> étant une<br />

quête de la « trouvaille » 12 , on sélectionne, on trie, notamm<strong>en</strong>t pour les habitués de la<br />

récupération : « Ma femme est <strong>au</strong>ssi <strong>en</strong>ragée que moi à ramasser, et on est train de dev<strong>en</strong>ir<br />

10<br />

C’est ainsi que M. P. a créé l’association “ Brut de pinsé ”, à travers laquelle il expose ses oeuvres depuis<br />

quelques années.<br />

11<br />

Du moins de leur s<strong>en</strong>s premier associé à un usage premier ; un gant échoué reste un gant, mais son usage est <strong>en</strong><br />

général r<strong>en</strong><strong>du</strong> ca<strong>du</strong>que (ou bi<strong>en</strong> il f<strong>au</strong>drait que celui-ci soit <strong>en</strong> bon état, ce qui est rarem<strong>en</strong>t le cas). En revanche,<br />

l’objet échoué v<strong>au</strong>t de facto comme artéfact incongru qui n’est pas là où il devrait être, voire comme pollution.<br />

12<br />

A l’instar des collectionneurs qui chin<strong>en</strong>t et sont à l’affût de la trouvaille qui complètera un peu plus leur<br />

collection.<br />

- 12<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

be<strong>au</strong>coup plus sélectif, parce que c’est vrai qu’avant on ramassait un peu tout. Et puis on <strong>en</strong><br />

a tellem<strong>en</strong>t, et je sais que j’utiliserai pas tout, même si je travaille jusqu’à un âge avancé,<br />

donc on devi<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus sélectif <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> des couleurs. C'est-à-dire qu’on choisit des<br />

morce<strong>au</strong>x avec des bleus ou des verts intéressants, et on laisse ce qui est trop sale. » (M. G.)<br />

Et puis à chacun sa spécialité, certains ne sélectionn<strong>en</strong>t que les <strong>objets</strong> <strong>en</strong> ferraille, d’<strong>au</strong>tres <strong>en</strong><br />

bois, d’<strong>au</strong>tres <strong>en</strong>core les verres polis, et <strong>en</strong> font soit simplem<strong>en</strong>t une accumulation 13 , soit une<br />

utilisation artistique 14 plus ou moins rev<strong>en</strong>diquée comme telle et commercialisée.<br />

Avant de terminer ce premier volet consacré <strong>au</strong>x pratiques de récupération <strong>en</strong> milieu<br />

<strong>littoral</strong>, nous aimerions livrer une dépêche parue dans le journal Libération le 26 juillet 2003,<br />

titrée « Une armada de canards <strong>en</strong> plastique approche <strong>du</strong> Roy<strong>au</strong>me-Uni », et qui, quoiqu’<strong>en</strong><br />

appar<strong>en</strong>ce anecdotique, montre que, par delà les mers et les années, certains <strong>objets</strong> sont<br />

rattrapés par leurs anci<strong>en</strong>s propriétaires, et redoubl<strong>en</strong>t d’<strong>au</strong>tant de valeur, tant symbolique que<br />

marchande…<br />

« LONDRES (Reuters) - Une armada de petits canards <strong>en</strong> plastique j<strong>au</strong>nes devrait<br />

s'échouer dans quelques semaines sur les côtes britanniques, dernière étape d'un voyage<br />

épique <strong>en</strong>tamé dans l'Océan pacifique.<br />

Ces canards sont les survivants d'un lot de 29.000 jouets de bain qui voyageait <strong>en</strong> cargo.<br />

Projetés par dessus bord par une vague p<strong>en</strong>dant le trajet <strong>en</strong> 1992, les canards n'ont depuis<br />

lors jamais cessé de flotter à travers l'océan, contournant les Etats-Unis, puis traversant<br />

l'Océan arctique et le Gro<strong>en</strong>land.<br />

Les derniers membres de la flotte, décimée par un tel périple, desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t la<br />

côte est des Etats-Unis, tandis qu'un groupe d'échappés a été aperçu <strong>en</strong> train de voguer vers<br />

la Grande-Bretagne, selon The First Years, l'<strong>en</strong>treprise américaine qui a fabriqué les<br />

canards.<br />

"Nous espérons que les g<strong>en</strong>s s'amuseront <strong>en</strong> les cherchant, et qu'ils seront impati<strong>en</strong>ts<br />

d'assister <strong>au</strong> mom<strong>en</strong>t où les canards vont accoster", déclare Clive Wooster, de The First<br />

Years.<br />

13<br />

A la différ<strong>en</strong>ce de la collection, qui peut pr<strong>en</strong>dre fin et qui est rationnellem<strong>en</strong>t constituée, l’accumulation peut<br />

ne comporte pas cette notion de finitude que porte <strong>en</strong> elle la collection.<br />

14<br />

L’utilisation artistique des restes a fait l’objet de nombreux trav<strong>au</strong>x et de monographies, et là n’est pas notre<br />

sujet que de traiter <strong>du</strong> regard de l’artiste sur son travail de recomposition à partir des restes. C’est la relation à<br />

l’objet échoué qui nous intéresse ici, qui concerne <strong>au</strong>tant les glaneurs <strong>du</strong> dimanche que les artistes.<br />

- 13<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

"Ces incroyables petits canards sont <strong>en</strong> train de dev<strong>en</strong>ir très recherchés", ajoute-t-il. "Dans<br />

certains <strong>en</strong>droits de la planète, ils sont dev<strong>en</strong>us des <strong>objets</strong>-culte."<br />

The First Years offre une récomp<strong>en</strong>se de 100 dollars <strong>en</strong> bons d'épargne à toute personne qui<br />

trouvera l'un des canards <strong>en</strong> plastique dans l'Etat américain de Nouvelle Angleterre, et la<br />

même somme <strong>en</strong> cash pour quiconque <strong>en</strong> trouvera un <strong>au</strong> Canada ou <strong>en</strong> Islande.<br />

Par contre, les 250 premiers Britanniques qui ramasseront l'un des canards n'<strong>au</strong>ront droit<br />

qu'à un certificat signé par l'<strong>en</strong>treprise./YP ».<br />

La grève est donc un lieu public ouvert à tous, où existe cep<strong>en</strong>dant des règles implicites, et où<br />

s’échou<strong>en</strong>t des <strong>objets</strong>, naturels et artificiels. Certains d’<strong>en</strong>tre eux sont récupérés, et se voi<strong>en</strong>t<br />

réattribués un propriétaire, et une nouvelle id<strong>en</strong>tité, jusqu’à ce qu’ils <strong>en</strong> chang<strong>en</strong>t à nouve<strong>au</strong>.<br />

3. Objets Intermèdes<br />

En guise de conclusion à ce premier volet et de transition vers un <strong>au</strong>tre territoire de reste, le<br />

musée, nous proposons de restituer quelques extraits d’un travail m<strong>en</strong>é <strong>en</strong> 2003 avec un<br />

photographe, Hervé Jézéquel, dans le cadre d’une exposition photographique et<br />

ethnographique consacrée <strong>au</strong>x traces et <strong>au</strong> patrimoine des pêcheurs morutiers français <strong>en</strong><br />

Islande 15 .<br />

Mémoires d’Islande, destins d’<strong>objets</strong>.<br />

Patreksfjörður, Tálknafjörður, Látrabjarg, Grundarfjörður, Fáskruðsfjörður,<br />

Skeiðarársan<strong>du</strong>r…des noms qui ont marqué l'histoire de la pêche « à » Islande, comme on<br />

disait <strong>au</strong> XIXème s. ; certains comme lieux fréqu<strong>en</strong>tés par les Bretons et Dunkerquois,<br />

d'<strong>au</strong>tres pour avoir été le théâtre de n<strong>au</strong>frages et échouages. De cette histoire, il ne reste guère<br />

que de rares traces : cimetières marins, tombes éparses, bâtisses, tels les anci<strong>en</strong>s hôpit<strong>au</strong>x<br />

français, maisons des œuvres de mer, ou <strong>en</strong>core, <strong>objets</strong> prov<strong>en</strong>ant d'échanges et plus souv<strong>en</strong>t<br />

de n<strong>au</strong>frages.<br />

Ces traces ont guidé notre parcours "islandais" <strong>en</strong> ce mois de mars 2003, période de<br />

l'année qui in<strong>au</strong>gurait <strong>au</strong>trefois six à sept longs mois de pêche. Parmi les goélettes de la région<br />

15<br />

Laquelle exposition était le fruit de recherches effectuées dans le cadre de notre doctorat, consacré à la<br />

construction et à la valorisation d’un patrimoine <strong>en</strong> Islande, celui des pêcheurs d’Islande <strong>au</strong> XIXème s et début<br />

<strong>du</strong> XXème s.<br />

- 14<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

paimpolaise, une c<strong>en</strong>taine se sont per<strong>du</strong>es « à » Islande ; soit deux mille hommes. Les tombes<br />

qui jalonn<strong>en</strong>t l'Islande d'Ouest <strong>en</strong> Est témoign<strong>en</strong>t de ces hommes et des relations qui les<br />

unir<strong>en</strong>t, p<strong>en</strong>dant une ou plusieurs saisons à l'Islande et <strong>au</strong>x Islandais.<br />

Sous la fine couche de neige de cette fin d’hiver, une tombe, une croix ; à l’abri des<br />

murs d’une grange, d’une chapelle, d’un musée, des lampes, un banc de bois, une cloche, et<br />

<strong>au</strong>tres témoins matériels à rajouter <strong>au</strong> compte des n<strong>au</strong>frages et échouages.<br />

Les portraits d'<strong>objets</strong> sélectionnés ici témoign<strong>en</strong>t de ces drames de la mer ; ils évoqu<strong>en</strong>t plus<br />

qu'ils ne relat<strong>en</strong>t une histoire, tantôt derrière les vitrines d'un musée, tantôt chez les<br />

particuliers. Ces derniers sont bel et bi<strong>en</strong> "vivants", dans une énième étape de vie d'objet<br />

dev<strong>en</strong>u, <strong>au</strong> fil <strong>du</strong> temps, <strong>objets</strong> de famille.. Ainsi de ces lampes, de ce banc, de cette armoire,<br />

de ces chandeliers, de cette pharmacie de bord, de cette poulie, ou <strong>en</strong>core de ces dizaines<br />

d'<strong>objets</strong> dont on ignore parfois d'où ils sont v<strong>en</strong>us, si ce n'est d'un gr<strong>en</strong>ier d'une lointaine<br />

par<strong>en</strong>te.<br />

Manon, Saint P<strong>au</strong>l, Lieut<strong>en</strong>ant Boy<strong>au</strong>, Aurore, Camille rebaptisée Guðrún, … <strong>au</strong>tant<br />

de noms de goélettes qui se sont accrochés un jour à l'Islande. Autant de "récits de vie "<br />

d'<strong>objets</strong> que nous ne faisons qu'évoquer ici.<br />

- 15<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Monum<strong>en</strong>t commémoratif, Patreksfjörður<br />

Cimetière de S<strong>au</strong>ðl<strong>au</strong>ksdalur, anci<strong>en</strong> siège<br />

paroissial de Patreksfjörður<br />

Une croix émerge à mi-terre <strong>du</strong> cimetière de<br />

S<strong>au</strong>ðl<strong>au</strong>ksdalur ; seule et unique trace d'une<br />

quinzaine de marins inhumés là et inscrits <strong>au</strong><br />

registre paroissial ; "Jean Rebours, de Saint Quay,<br />

Séverin Le Sev<strong>en</strong>, de Plouha, Joseph Le Gras, de<br />

Plouézec…". Des lettres incrustées dans le fer forgé<br />

nous guid<strong>en</strong>t vers une date, "1877", puis vers un<br />

nom difficilem<strong>en</strong>t lisible : "François Le Bouezec"<br />

émerge à mi-mots, à moins que ce ne soit plutôt<br />

"Bouedec". Disparu "à Islande" <strong>en</strong> 1877; surgi de<br />

l'oubli un jour <strong>du</strong> mois de mars 2003, <strong>au</strong> fond de la<br />

vallée de S<strong>au</strong>ðl<strong>au</strong>ksdalur.<br />

- 16<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Pharmacie <strong>du</strong> médecin de bord de la goélette<br />

Camille, Musée régional de Hnjótur<br />

Pharmacie de bord sur une goélette, puis chez un<br />

apothicaire de la région de Patreksfjörður, les vitrines<br />

<strong>du</strong> musée derrière lesquelles l'objet repose <strong>au</strong>jourd'hui<br />

ont définitivem<strong>en</strong>t mis un terme à sa carrière de<br />

pharmacie. Pourtant, l'ombre de la goélette française<br />

plane plus que jamais sur l'objet ; "sem<strong>en</strong>ces de lin",<br />

"orge perlé", "extrait de réglisse", <strong>au</strong>tant de sonorités<br />

figées sur des étiquettes jamais changées, sur des<br />

flacons <strong>en</strong>core emplis de quelque potion médicinale;<br />

comme si l'objet, sorti de sa vitrine l'espace d'un cliché,<br />

nous révélait les secrets d'une <strong>au</strong>tre potion : celle <strong>du</strong><br />

temps écoulé depuis le jour où une goélette <strong>du</strong> nom de<br />

Camille s'échoua <strong>en</strong> baie de Patreksfjörður.<br />

Banc <strong>du</strong> Saint-P<strong>au</strong>l Gröf<br />

Acquis lors de la v<strong>en</strong>te <strong>au</strong>x <strong>en</strong>chères <strong>du</strong> Saint-P<strong>au</strong>l<br />

par Gisli Gislason, ce banc est ancré <strong>au</strong> hame<strong>au</strong> de<br />

Gröf depuis 1899, date à laquelle il fut transporté à<br />

cheval sur plusieurs dizaines de kilomètres depuis le<br />

lieu <strong>du</strong> n<strong>au</strong>frage, à Koteyjarfjara. Au fil <strong>du</strong> temps,<br />

l'origine maritime <strong>du</strong> meuble s'estompe, pour dev<strong>en</strong>ir<br />

un véritable objet de famille. Situé dans la cuisine, il<br />

fait “partie des meubles”, comme nous le dit<br />

l’arrière-petite fille de l’acquéreur, Ólöf Ragna<br />

Ólafsdóttir : "ce banc a toujours été là, et on s'y s<strong>en</strong>t à<br />

l'aise…on est mieux que sur l'<strong>au</strong>tre, <strong>en</strong> face…. il est<br />

arrivé parfois que l'on dorme dessus, après une soirée<br />

un peu arrosée…". Pour sûr qu'il doit avoir des<br />

choses à raconter celui-ci, mais nous n'<strong>en</strong> s<strong>au</strong>rons pas<br />

plus, et c'est sans doute mieux ainsi.<br />

“Frans mannin”, Musée régional de Skógar<br />

A force de scruter l'horizon de la côte sud<br />

parsemé de voiles, le regard d'un paysan islandais<br />

sur les “hommes français” (frans mannin) s'est un<br />

jour figé <strong>en</strong> cet émouvant dessin de goélettes.<br />

Peut-être est-ce le même homme qui, un <strong>au</strong>tre<br />

jour, participa <strong>au</strong> s<strong>au</strong>vetage de quelques frans<br />

mannin, nombreux à avoir dû r<strong>en</strong>dre grâce <strong>au</strong>x<br />

isl<strong>en</strong>sk mannin ("hommes islandais") de les avoir<br />

s<strong>au</strong>vés <strong>du</strong> péril des Skeiðarársan<strong>du</strong>r, région<br />

r<strong>en</strong><strong>du</strong>e tristem<strong>en</strong>t célèbre par le nombre de<br />

navires qui s’y sont échoués.<br />

- 17<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Ballast, Musée de Hnjótur<br />

Servant <strong>au</strong> lestage et à l'équilibrage des navires <strong>du</strong>rant<br />

leur traversée jusqu'<strong>en</strong> Islande, le ballast se transformait<br />

rapidem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> morue après les premières pêches. Jetés<br />

par dessus bord, des cailloux et galets des côtes<br />

bretonnes et <strong>du</strong>nkerquoises jonchai<strong>en</strong>t alors certaines<br />

rives des ports de relâche, comme à Patreksfjörður ou à<br />

Tálknafjörður.<br />

C’est ainsi que sur les rives de ces fjords, <strong>au</strong> détour d'un<br />

os de baleine et d'un rocher basaltique, quelques<br />

étranges galets se font l’écho des grèves flamandes et<br />

armoricaines…<br />

Cabinet de toilette <strong>du</strong> médecin bord<br />

<strong>du</strong> Saint-P<strong>au</strong>l, Hveragerði<br />

Etrange destin que celui-ci : <strong>en</strong>tamer sa carrière<br />

d'objet comme cabinet de toilette dans un navirehôpital,<br />

<strong>au</strong> début <strong>du</strong> XXème s., et la terminer-ou <strong>du</strong><br />

moins la poursuivre- après quelques m<strong>en</strong>ues<br />

transformations, comme bar dans un intérieur<br />

islandais à Hveragerði : la ville des "jardins<br />

ch<strong>au</strong>ds"… h<strong>au</strong>t lieu de la culture sous serre<br />

islandaise. Entre ces deux étapes, une période<br />

indéfinie de purgatoire dans un gr<strong>en</strong>ier, chez un<br />

desc<strong>en</strong>dant de l'acquéreur <strong>du</strong> meuble <strong>en</strong> chêne, qui<br />

l'avait alors acheté 150 kr <strong>au</strong>x <strong>en</strong>chères <strong>du</strong> navire<br />

hôpital Saint-P<strong>au</strong>l.<br />

- 18<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Grange de Vilhjálmur Eyjólfsson, Hn<strong>au</strong>sar<br />

Ici on a s<strong>au</strong>vé et hébergé des équipages de père <strong>en</strong> fils ;<br />

c'est le père et le grand-père de Vilhjálmur qui, <strong>en</strong> 1899<br />

puis <strong>en</strong> 1912, recueill<strong>en</strong>t les équipages <strong>du</strong> Saint-P<strong>au</strong>l et<br />

de l'Aurore. Né <strong>en</strong> 1923, c'est <strong>en</strong>core <strong>du</strong> s<strong>au</strong>vetage <strong>du</strong><br />

Lieut<strong>en</strong>ant Boy<strong>au</strong> de Gravelines, <strong>en</strong> 1935, dont<br />

Vilhjálmur se souvi<strong>en</strong>t le mieux : "c'est ici à l'étage de<br />

la grange qu'on accueillait les n<strong>au</strong>fragés; les lits étai<strong>en</strong>t<br />

disposés de part et d'<strong>au</strong>tre des poutres, sur toute la<br />

longueur de la pièce(….) C'est dans cette pièce<br />

qu'<strong>au</strong>trefois mes grand-par<strong>en</strong>ts vivai<strong>en</strong>t, ch<strong>au</strong>ffée par la<br />

chaleur des bêtes ". Echoué à quelques kilomètres de là,<br />

à Slýjafjara, le Lieut<strong>en</strong>ant Boy<strong>au</strong> laissera derrière lui une<br />

trace notable de son passage ; il est <strong>en</strong> effet <strong>au</strong>ssi connu<br />

sous le nom de R<strong>au</strong>ðvínsstrandið, soit " l'échouage <strong>du</strong><br />

vin rouge ". Pour le dernier navire français échoué <strong>en</strong><br />

Islande, on ne pouvait imaginer meilleur surnom…<br />

Le n<strong>au</strong>frage de l'Aurore<br />

Extrait de récit <strong>du</strong> pasteur Jón N. Jóhanness<strong>en</strong>, participant <strong>au</strong> s<strong>au</strong>vetage de l ’équipage paimpolais avec son<br />

valet de ferme Eyjólfur, le père de Vilhjálmur Eyjólfsson :<br />

"Au printemps 1905, je fus nommé pasteur à Sandfell dans le district d'Öraefi. Chaque matin, de bonne<br />

heure, je montais sur la montagne près <strong>du</strong> presbytère pour avoir une vue jusque sur la côte lointaine, où tant de<br />

navires se sont échoués. Le 27 février 1912, <strong>au</strong> matin, je montais donc comme à mon habitude, sur la<br />

montagne. Je vis alors un navire trop près de la côte, ce ne pouvait pas être normal. Je r<strong>en</strong>trai donc <strong>en</strong> hâte, fis<br />

préparer des chev<strong>au</strong>x et me mis <strong>au</strong>ssitôt <strong>en</strong> route pour atteindre la côte. La route est longue et difficile, avec<br />

<strong>en</strong>tre <strong>au</strong>tres des sables mouvants. J'avais avec moi mon bon compagnon Eyjólfur. Au bout de sept heures nous<br />

atteignîmes le fleuve Skeiðará, le bate<strong>au</strong> avait échoué à l'ouest <strong>du</strong> fleuve, ce qui était bi<strong>en</strong> pire et plus<br />

dangereux. Le fleuve était <strong>en</strong> crue et la traversée serait évidemm<strong>en</strong>t <strong>du</strong>re. De l'<strong>au</strong>tre côté de ce cours d'e<strong>au</strong>, se<br />

trouvai<strong>en</strong>t, sur une langue de terre, 4 ou 5 hommes de l'Aurore. Ils avai<strong>en</strong>t voulu traverser le fleuve à pied,<br />

<strong>en</strong>treprise impossible. Ils étai<strong>en</strong>t là et ne pouvai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> faire. Nous avons quand même pu traverser le fleuve<br />

malgré la fureur de l'e<strong>au</strong>, et sur la rive <strong>en</strong>sablée nous avons trouvé l'équipage…" (Reykjavik, 2 octobre 1952).<br />

- 19<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Quand le reflux de la marée fait s’échouer les <strong>objets</strong> <strong>au</strong> musée…<br />

Les <strong>objets</strong> évoqués <strong>au</strong> travers de ce périple islandais, notamm<strong>en</strong>t ceux r<strong>en</strong>contrés derrière les<br />

vitrines et <strong>au</strong> fond des réserves de musées islandais nous con<strong>du</strong>is<strong>en</strong>t à prés<strong>en</strong>t vers un <strong>au</strong>tre<br />

territoire <strong>du</strong> reste, celui <strong>du</strong> musée.<br />

C’est <strong>au</strong>ssi à la question d’id<strong>en</strong>tités et de trajectoires d’<strong>objets</strong> 16 dans un contexte apparemm<strong>en</strong>t<br />

très différ<strong>en</strong>t de la grève que nous nous intéresserons ici, dans un lieu où l’on ne récupère pas<br />

mais où l’on dépose –la mémoire, où l’on cède des <strong>objets</strong>. Ce lieu c’est le musée 17 , qui quant à<br />

lui recueille voire récupère 18 certains de ces <strong>objets</strong>, à titre gratuit ou onéreux.<br />

16<br />

Au s<strong>en</strong>s de « trajectoire sociale » dont parle T. Bonnot, qui montre bi<strong>en</strong> qu’il n’y a pas d’id<strong>en</strong>tité unique de<br />

l’objet, qu’il n’y a pas « d’usage ontologique, mais une trajectoire sociale de l’objet » (p. 170, 2002), <strong>du</strong>e <strong>au</strong>x<br />

différ<strong>en</strong>ts dét<strong>en</strong>teurs-pro<strong>du</strong>cteurs de s<strong>en</strong>s, qui lui assign<strong>en</strong>t un ou plusieurs s<strong>en</strong>s <strong>en</strong> fonction des usages qu’ils<br />

font de l’objet.<br />

17<br />

Il sera question ici uniquem<strong>en</strong>t de musées de société.<br />

18<br />

Au s<strong>en</strong>s recueillir d’une part, et rest<strong>au</strong>rer d’<strong>au</strong>tre part.<br />

- 20<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

II. L’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée : une retraite dorée ?<br />

« Si le musée gagne c’est donc à la façon dont le désert croît : il s’avance où la vie reflue et,<br />

pirate <strong>au</strong>x int<strong>en</strong>tions aimables, pille les épaves qu’elle a laissées » (Jean Clair, cité par<br />

I.Chiva, p.9, 1988 ) 19 .<br />

1. L’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée<br />

Courbe de crois sance d'un objet utilitaire<br />

valeur<br />

120<br />

100<br />

80<br />

60<br />

40<br />

20<br />

0<br />

objet utilitaire<br />

nouve<strong>au</strong>té<br />

utile<br />

pas réc<strong>en</strong>t<br />

vieux<br />

inutile<br />

<strong>en</strong>combrant<br />

à jeter<br />

purgatoire: <strong>en</strong>v...<br />

anci<strong>en</strong><br />

intéressant<br />

rare et unique<br />

antiquité<br />

hors prix<br />

tem ps<br />

Lég<strong>en</strong>de :<br />

Décroissance : nouve<strong>au</strong>té/utile/c’est vieux/ ça ne sert plus/<strong>en</strong>combrant/à jeter/<br />

Environ une génération : nous y voyons une sorte de purgatoire, avant que l’objet ne repr<strong>en</strong>ne év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t<br />

de la valeur, soit naturellem<strong>en</strong>t, par l’action <strong>du</strong> temps, soit <strong>en</strong> <strong>en</strong>trant <strong>au</strong> musée.<br />

Croissance : anci<strong>en</strong>/ intéressant/rare et unique/antiquité/« ça n’a plus de prix »<br />

Bi<strong>en</strong> que concernant exclusivem<strong>en</strong>t les <strong>objets</strong> utilitaires, la courbe de vie et survie cidessous<br />

proposée par Y. Deforge (1990, p. 18 ) est intéressante pour intro<strong>du</strong>ire ce second<br />

volet, car elle situe bi<strong>en</strong> la catégorie d’<strong>objets</strong> qui concerne notre propos, celle des <strong>objets</strong> qui<br />

<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans une limite d’obsolesc<strong>en</strong>ce ou de péremption : <strong>objets</strong> utilitaires ou non, ils sont<br />

des <strong>objets</strong> « restes », bon à jeter, qui ne prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t que peu d’intérêt <strong>au</strong> regard de la société <strong>au</strong><br />

mom<strong>en</strong>t où elle s’<strong>en</strong> sépare.<br />

19<br />

Un peu plus loin, souhaitant réconcilier la recherche ethnologique et les musées, il conclut : « A déf<strong>au</strong>t, la<br />

mémoire y sera comme une écume et les <strong>objets</strong> y seront morts, gagnés par le désert évoqué <strong>au</strong> début ».(ibid. p.9)<br />

- 21<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Nous insistons sur le terme séparer, car il recouvre un <strong>en</strong>semble de motivations pour<br />

lesquelles leur propriétaire décide de donner son bi<strong>en</strong> <strong>au</strong> musée.<br />

Au-delà de cette échelle de valeurs, dont l’intérêt réside avant tout dans la courbe qui se<br />

dessine à l’<strong>au</strong>ne de la vie d’objet 20 , et qui t<strong>en</strong>te de rationaliser l’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée d’un objet<br />

« désuet » ou « bon à jeter », t<strong>en</strong>tons de cerner quelques unes des motivations qui font que<br />

l’on donne <strong>au</strong> musée.<br />

Tout d’abord, notons l’ambival<strong>en</strong>ce <strong>du</strong> lieu musée, qui, comme le résume bi<strong>en</strong> Y.Veillard, va<br />

<strong>du</strong> « dépotoir <strong>au</strong> lieu sacré » (p.55, 1985) ; on ne sait pas quoi faire de ces <strong>objets</strong>, mais ça<br />

pourrait peut-être bi<strong>en</strong> intéresser le musée de X (<strong>en</strong> général, on va <strong>au</strong> musée le plus proche de<br />

son domicile). C’est <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que l’on peut parler d’échouage, <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s où la société à un<br />

mom<strong>en</strong>t donné ne trouve plus d’utilité à ses <strong>objets</strong> mais ne se résigne pas pour <strong>au</strong>tant à les<br />

jeter. Il ne s’agit donc pas de déchets, mais plus précisém<strong>en</strong>t de restes, <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s où ils<br />

conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une part de mémoire que le musée a, p<strong>en</strong>se t-on, pour mission de gérer. C’est<br />

ainsi que s’échou<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t <strong>au</strong> musée des <strong>objets</strong> dont on ne sait trop quoi faire, et que<br />

le musée doit souv<strong>en</strong>t refuser <strong>au</strong> risque de vexer les dépositaires de l’objet. Et c’est peut-là<br />

l’une des missions des musées de société, qu’O. Debary compare volontiers <strong>au</strong>x hôpit<strong>au</strong>x,<br />

voire maisons de retraite : « L’assistance médicale muséale offre à l’objet une chance de<br />

survie. Purgatoire, lieu d’att<strong>en</strong>te, le musée garde ce que l’on ne s<strong>au</strong>rait détruire et que l’on<br />

répare » (Debary, p. 148 , 2002)<br />

A l’inverse, un objet peut-être jugé «digne d’un musée » par son caractère exceptionnel, et<br />

alors c’est <strong>au</strong> musée-temple que l’on p<strong>en</strong>se donner, loin <strong>du</strong> musée-rebut, qui ne sont <strong>au</strong>tre que<br />

les deux facettes <strong>du</strong> même temple…<br />

C’est à ces deux facettes <strong>au</strong>xquelles nous allons nous intéresser simultaném<strong>en</strong>t, car lorsqu’on<br />

donne un objet dont on ne veut plus <strong>au</strong> musée, c’est <strong>au</strong>tant pour s’<strong>en</strong> débarrasser que pour lui<br />

offrir un nouve<strong>au</strong> statut, garant de son éternité. Et, comme l’écrit Ph. Mairot, « s’il a un destin<br />

muséal, s’il signe ce pacte, l’objet échange sa part mortelle contre l’éternité que promett<strong>en</strong>t<br />

les musées, qui <strong>en</strong> principe le font échapper <strong>au</strong> règne de l’usure et de la mort » (Mairot,<br />

p.33, 1992). Et, <strong>au</strong>-delà même de l’objet, c’est à son donateur que l’objet assure une<br />

« éternité » à travers son nom, qu’il lègue à l’institution <strong>en</strong> même temps que l’objet; et le<br />

musée le lui r<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong>, honorant la générosité de tel donateur, ou de l’<strong>en</strong>semble des donateurs.<br />

20<br />

Et non pour sa sci<strong>en</strong>tificité car les axes mari<strong>en</strong>t des données non homogènes et peu quantifiables (valeur<br />

affective notamm<strong>en</strong>t).<br />

- 22<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Ainsi à l’écomusée de la Grande Lande (Marquèze), la nouvelle structure muséographique<br />

accueillera prochainem<strong>en</strong>t (début 2008) le visiteur par la « vitrine des réserves » appelée <strong>au</strong>ssi<br />

« vitrine des donateurs », destinée à mettre à l’honneur certaines acquisitions prov<strong>en</strong>ant de<br />

dons, qui ne feront pas nécessairem<strong>en</strong>t l’objet d’une exposition mais qui témoign<strong>en</strong>t de la<br />

générosité des donateurs 21 . Sur le mur de la vitrine seront inscrits les noms de l’<strong>en</strong>semble des<br />

donateurs (et seront bi<strong>en</strong> sûr rajoutés ceux des prochains).<br />

Ainsi, <strong>du</strong> cimetière <strong>au</strong> musée, et plus précisém<strong>en</strong>t de la tombe-musée <strong>du</strong> néolithique <strong>au</strong><br />

musée-tombe d’<strong>au</strong>jourd’hui, il n’y a qu’un pas (J-P Jelmini, p. 80, 1985). Si le rôle <strong>du</strong> musée,<br />

lieu consacré, est <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong> partie d’assurer l’éternité, toute relative, nous le verrons, <strong>au</strong>x<br />

<strong>objets</strong> des donateurs, il vi<strong>en</strong>t assumer un désir profondém<strong>en</strong>t humain qui est que « depuis<br />

toujours et depuis l’exist<strong>en</strong>ce des tombes et cimetières, l’homme a le désir de se survivre à<br />

lui-même » (J-P Jelmini, p. 78 : 1985)<br />

En ce s<strong>en</strong>s, il est des <strong>objets</strong> particulièrem<strong>en</strong>t exceptionnels, et <strong>en</strong> même temps inconfortables<br />

<strong>du</strong> point de vue des limites que doit se donner le musée de société <strong>en</strong> terme de lieu de<br />

réception de la mémoire, indivi<strong>du</strong>elle, collective. Nous faisons référ<strong>en</strong>ce ici à des <strong>objets</strong> dits<br />

« difficiles », <strong>en</strong> tant que problématiques <strong>du</strong> point de vue de l’institution muséale. Cette<br />

difficulté ti<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tant <strong>au</strong> caractère singulier de certains <strong>objets</strong> (et donc pas forcém<strong>en</strong>t<br />

représ<strong>en</strong>tatifs de l’<strong>en</strong>semble d’un groupe social) qu’à leur nature : matière organique, matière<br />

périssable (allant <strong>du</strong> caoutchouc <strong>au</strong> sucre) et dont on ne connaît pas forcém<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> la <strong>du</strong>rée<br />

de vie avec les méthodes actuelles de conservation.<br />

Cette difficulté peut <strong>en</strong>core se charger plus lourdem<strong>en</strong>t de s<strong>en</strong>s, lorsque par exemple le<br />

Nordiska Museet et la SAMDOK <strong>en</strong> Suède (association des musées d’histoire,t de civilisation<br />

et des musées techniques pour la collecte d’une docum<strong>en</strong>tation sur le contemporain), ont<br />

m<strong>en</strong>é il y a quelques années une campagne sur les <strong>objets</strong> « difficiles » <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s chargés d’une<br />

histoire douloureuse (« Difficult <strong>objets</strong>, meaning objects »), où la population était invitée à<br />

livrer <strong>au</strong> musée (ambulant, allant de ville <strong>en</strong> ville), des <strong>objets</strong> dits difficiles, évoquant un<br />

mom<strong>en</strong>t ou une histoire douloureuse 22 .<br />

Autre exemple d’<strong>objets</strong> difficiles, les <strong>objets</strong> de l’exclusion sociale, qui parfois ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tant<br />

à la singularité de l’objet qu’à la souffrance qu’il conti<strong>en</strong>t. Ainsi de certains d’<strong>en</strong>tre eux,<br />

donnés <strong>au</strong> M.N.A.T.P (actuel M.U.C.E.M) il y a quelques temps, et dont nous ne ferons que<br />

citer l’un d’<strong>en</strong>tre eux, appart<strong>en</strong>ant à un <strong>en</strong>semble d’<strong>objets</strong> donnés <strong>au</strong> musée par un Sans<br />

Domicile Fixe. Il s’agit là d’une statue de polystyrène recouvert de plâtre, à l’échelle 1, d’un<br />

21<br />

Les dons constitu<strong>en</strong>t ici comme dans bon nombre d’écomusées les ¾ des collections.<br />

22<br />

Pour ne citer qu’un objet : une canne donnée par une jeune femme ayant été battue par son père p<strong>en</strong>dant<br />

plusieurs années.<br />

- 23<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

SDF décédé, « R<strong>en</strong>é », <strong>en</strong> position assise et jouant de l’accordéon, son compagnon de<br />

toujours. Elle fut réalisée par l’un des amis <strong>du</strong> défunt, dans le but explicite de la donner <strong>au</strong><br />

musée 23 , et de lui assurer, <strong>au</strong> lieu de la fosse commune, une sépulture digne de ce nom.<br />

Assorti d’une célébration mortuaire associant l’<strong>au</strong>teur de la statue, la statue (« R<strong>en</strong>é ») et<br />

l’équipe <strong>du</strong> musée invitée pour l’occasion 24 dans l’un des lieux où aimait à jouer de<br />

l’accordéon le défunt, l’objet donné ici <strong>au</strong> musée r<strong>en</strong>d <strong>au</strong>tant hommage, dans ce pèlerinage<br />

qui prit la forme d’une procession sur la butte Montmartre jusqu’<strong>au</strong> café où jouait ledit R<strong>en</strong>é,<br />

<strong>au</strong> défunt accordéoniste, qu’à l’amitié <strong>en</strong>tre celui-ci et l’<strong>au</strong>teur de la statue. L’histoire de cet<br />

objet est <strong>en</strong> soi édifiante à plusieurs égards, d’une part dans le fait même que le musée est ici<br />

explicitem<strong>en</strong>t considéré comme une forme de sépulture honorant la mémoire d’un SDF,<br />

d’<strong>au</strong>tre part dans le parcours même de l’objet, depuis sa création jusqu’à <strong>en</strong>trée dans les<br />

collections.. L’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée pour un tel objet n’est a priori pas évid<strong>en</strong>te, on peut<br />

l’imaginer, <strong>au</strong> vue des différ<strong>en</strong>tes étapes nécessaires à l’intégration d’un objet dans les<br />

collections 25 ; car il nous informe a priori d’abord sur un indivi<strong>du</strong> et une pratique très<br />

singulière de rapport à l’amitié et à la mort, et non pas tant sur des pratiques sociales<br />

généralisables à l’<strong>en</strong>semble d’une commun<strong>au</strong>té. S<strong>au</strong>f que la matérialisation de l’amitié par<br />

une statue nous r<strong>en</strong>seigne <strong>au</strong>tant sur l’amitié que sur l’exclusion dans la vie que jusque dans la<br />

mort ; de vie à trépas, le SDF est un indivi<strong>du</strong> « sans sépulture fixe » (non indivi<strong>du</strong>alisée : la<br />

fosse commune), et le musée ti<strong>en</strong>t alors lieu de sépulture éternelle recueillant ceux qui n’ont<br />

pas voix <strong>au</strong> chapitre de la tombe souv<strong>en</strong>ir.<br />

Et pour poursuivre l’analogie avec J-P Jelmini (p. 79, ibid), le conservateur revêt alors la<br />

chasuble <strong>du</strong> prêtre passeur d’objet, incarné par le rituel d’<strong>en</strong>trée dans les collections.<br />

Mais <strong>au</strong>-delà <strong>du</strong> caractère extrêmem<strong>en</strong>t ritualisé qui marque l’<strong>en</strong>trée d’un objet dans les<br />

collections, le parcours d’<strong>en</strong>trée d’un objet difficile signifie <strong>au</strong>tant « d’épreuves » à passer<br />

pour le conservateur qui <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>d l’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong>près de ses collègues, épreuves fondées <strong>en</strong><br />

argum<strong>en</strong>ts <strong>au</strong>près des collègues de l’institution d’une part et des <strong>au</strong>tres institutions muséales ;<br />

les conservateurs des musées de société doiv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s souv<strong>en</strong>t rivaliser d’argum<strong>en</strong>ts pour<br />

justifier <strong>au</strong>près de leurs collègues des Be<strong>au</strong>x-Arts l’<strong>en</strong>trée dans les collections patrimoniales<br />

23<br />

L’ami <strong>en</strong> question, SDF lui <strong>au</strong>ssi, n’<strong>en</strong> n’était pas à son premier don <strong>au</strong> musée.<br />

24<br />

Le service <strong>au</strong>diovisuel et la conservatrice <strong>en</strong> charge <strong>du</strong> dossier.<br />

25<br />

La salle de quarantaine d’abord, le comité d’acquisition réunissant les conservateurs de l’institution où<br />

s’exprim<strong>en</strong>t les projets d’acquisition (comité interne) puis le comité externe, réunissant les collègues des<br />

différ<strong>en</strong>tes institutions nationales, validant ou non les propositions d’acquisition. Si validation (et donc<br />

acquisition) il y a, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite les phases d’intégration dans les collections : salle de quarantaine avant<br />

désinfection, attribution d’un numéro d’inv<strong>en</strong>taire, désinfection, et <strong>en</strong>fin, une « place <strong>au</strong> soleil » dans les<br />

réserves…<br />

- 24<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

d’<strong>objets</strong> difficiles, chargés de s<strong>en</strong>s et bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t d’inv<strong>en</strong>tivité, <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s <strong>du</strong> bricolage dont<br />

parle Lévi-Str<strong>au</strong>ss 26 .<br />

Les exemples sont pléthores dans les musées d’Histoire, et le musée de société, à travers des<br />

thématiques précisém<strong>en</strong>t douloureuses (le SIDA, la mort, l’exclusion), recueille tout <strong>au</strong>tant les<br />

restes de l’impossible oubli. Naturellem<strong>en</strong>t il est des histoires d’<strong>objets</strong>-restes plus heureuses,<br />

et c’est d’ailleurs le cas de nombre d’<strong>en</strong>tre eux, tel ce dessous de robe de mariée fait à partir<br />

de restes d’un parachute américain p<strong>en</strong>dant la seconde guerre mondiale. Ce type d’objet<br />

confectionné de surcroît dans une matière alors rare, le nylon, témoigne de la réutilisation des<br />

matéri<strong>au</strong>x 27 et d’un art populaire, à une époque où un tel « échouage » était <strong>en</strong>core un cade<strong>au</strong><br />

<strong>du</strong> ciel.<br />

Que l’on donne un objet pour se décharger d’une mémoire dev<strong>en</strong>ue trop lourde à porter ou<br />

pour donner une chance de survie à l’objet, l’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> musée marque <strong>en</strong> tout état de c<strong>au</strong>se un<br />

passage dans sa vie d’objet, une étape supplém<strong>en</strong>taire qu’il franchit. La « fin d’un voyage »,<br />

c’est certain, puisque l’objet <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> général dans la domanialité publique pour ne plus <strong>en</strong><br />

sortir ni retourner <strong>au</strong> privé (Bonnot,2002, p. 203), mais pas la fin de sa vie ; si l’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong><br />

musée consacre <strong>en</strong> quelque sorte l’apogée sociale de sa carrière, elle ne signe pas sa fin<br />

puisqu’il évolue <strong>au</strong> sein même de l’institution, de sa mise <strong>en</strong> valeur <strong>au</strong> cours d’une exposition<br />

ou de sa mise <strong>en</strong> réserve, selon les choix opérés par les conservateurs.<br />

« Repr<strong>en</strong>dre vie » <strong>au</strong> musée, sortir <strong>du</strong> statut de rebut pour « revivre » derrière les vitrines ; le<br />

musée « intronisé créateur ou re-créateur ? » (Bonnot, 2002, p.212), telle est la question que<br />

l’on peut <strong>en</strong> effet se poser, car tous les <strong>objets</strong> ne bénéfici<strong>en</strong>t pas d’une retraite dorée derrière<br />

les vitrines. Certains se perd<strong>en</strong>t <strong>au</strong> sein même des réserves, d’<strong>au</strong>tres sont <strong>en</strong> att<strong>en</strong>te d’un<br />

nouve<strong>au</strong> statut, ou <strong>en</strong>core « <strong>en</strong> souffrance », c'est-à-dire <strong>en</strong> dérive, <strong>en</strong> perte de s<strong>en</strong>s et<br />

d’id<strong>en</strong>tité.<br />

2. Objets <strong>en</strong> dérive<br />

Georges-H<strong>en</strong>ri Rivière parlait des réserves comme d’un « arrière musée », et l’on dit<br />

égalem<strong>en</strong>t volontiers que c’est effectivem<strong>en</strong>t la face cachée de l’iceberg, les réserves<br />

26<br />

Levi str<strong>au</strong>ss, La p<strong>en</strong>sée s<strong>au</strong>vage, Plon, 1962 .<br />

27<br />

L’<strong>en</strong>semble <strong>du</strong> parachute, tombé sur une maison <strong>en</strong> Normandie, avait été réutilisé pour divers usages (pour<br />

plus d’informations sur cet objet, cf. E. de L<strong>au</strong>bry, Revue <strong>du</strong> Louvre, 2002, 4, p. 108).<br />

- 25<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

cont<strong>en</strong>ant une infinité d’<strong>objets</strong>, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>te d’être un jour, peut-être, montrés <strong>au</strong> regard <strong>du</strong><br />

public. C’est ainsi que les expositions permett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte de recycler les <strong>objets</strong>,<br />

«… les sous-sols des musées sont remplis d’<strong>objets</strong> impati<strong>en</strong>ts de monter <strong>au</strong> créne<strong>au</strong> de la<br />

scène culturelle. Démultiplier les espaces d’expositions n’est pas <strong>en</strong>richir la mémoire ou la<br />

culture. C’est permettre un recyclage d’<strong>objets</strong> surabondants, restes non digérés d’un passé<br />

proche, poids mort à traiter sous les grand chape<strong>au</strong> ethnologique abritant savoir-faire et<br />

spécialités régionales » (A.G<strong>au</strong>thier, 1995, p. 39 ).<br />

Cep<strong>en</strong>dant, on sait <strong>au</strong>ssi que les réserves sont pleines de doublons, voire d’<strong>objets</strong><br />

« inmontrables » mais qui n’<strong>en</strong> mérit<strong>en</strong>t pas moins d’être conservés ; ceux là sont des <strong>objets</strong><br />

bons à p<strong>en</strong>ser mais pas nécessairem<strong>en</strong>t bons à montrer : « la réserve d’un musée conti<strong>en</strong>t ce<br />

qui est mis à part, <strong>en</strong> réserve d’être montré » (O. Debary, ibid, p.116), c’est <strong>au</strong>ssi pourquoi on<br />

distingue les collections d’étude des collections patrimoniales. Nous ne r<strong>en</strong>trerons pas dans<br />

un débat sci<strong>en</strong>tifique et technique sur les réserves, ce qu’elles doiv<strong>en</strong>t ou devrai<strong>en</strong>t être,<br />

qu’elles soi<strong>en</strong>t visitables ou non 28 , mais nous nous attarderons sur le parcours d’<strong>objets</strong> <strong>au</strong> sein<br />

des réserves, <strong>au</strong> travers quelques statuts critiques à travers lesquels un objet peut passer, voire<br />

dériver, avant son <strong>en</strong>trée dans les collections, comme après.<br />

C’est donc d’abord vers un lieu stratégique que nous devons nous tourner, à savoir la salle de<br />

mise <strong>en</strong> quarantaine, « purgatoire » 29 des <strong>objets</strong> comme l’exprime Michel Colardelle. En<br />

att<strong>en</strong>te d’un nouve<strong>au</strong> statut, les <strong>objets</strong> placés <strong>en</strong> quarantaine le sont pour certains parce qu’ils<br />

n’ont pas <strong>en</strong>core remplis toutes les conditions nécessaires pour trouver une place digne de ce<br />

nom <strong>au</strong> sein des réserves (phases de désinfection oblig<strong>en</strong>t, et d’inscription <strong>du</strong> numéro<br />

d’inv<strong>en</strong>taire), d’<strong>au</strong>tres parce qu’ils ne sont pas <strong>en</strong>core passés <strong>en</strong> comité d’acquisition ; ils<br />

n’ont pas <strong>en</strong>core passé l’exam<strong>en</strong> de passage, celui qui les fera tomber dans la domanialité<br />

publique, et atteindre le sacro-saint statut d’objet « de musée », numéro d’inv<strong>en</strong>taire à l’appui.<br />

Et ces derniers qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t peuv<strong>en</strong>t parfois att<strong>en</strong>dre longtemps, car, bi<strong>en</strong> qu’embarrassants,<br />

ils n’<strong>en</strong> sont pas moins bons à p<strong>en</strong>ser ; ainsi par exemple des emballages vides donnés il y a<br />

quelques années par un anci<strong>en</strong> conservateur <strong>du</strong> musée qui les avai<strong>en</strong>t constitués <strong>en</strong> collections<br />

personnelles <strong>en</strong>treposées chez lui ; <strong>au</strong> mois de juillet 2001, André Desvallées faisait don <strong>au</strong><br />

musée d’une collection d’<strong>objets</strong> et emballages in<strong>du</strong>striels usagés (brosses à d<strong>en</strong>t, boîtes de<br />

camembert, de shampooing ou <strong>en</strong>core de lessive). Ce don constitué <strong>en</strong> forme de « cade<strong>au</strong><br />

empoisonné » est alors l’occasion pour le M.N.A.T.P de prolonger un pan de la réflexion des<br />

28<br />

Cf. notamm<strong>en</strong>t Collections publiques et réserves, n°228, 2000, 3<br />

29<br />

Purgatoire <strong>au</strong> sein <strong>du</strong> musée-purgatoire d’O. Debary… (cf. supra).<br />

- 26<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

musées de société sur la collecte des <strong>objets</strong> contemporains, à savoir le statut des <strong>objets</strong><br />

jetables, et plus largem<strong>en</strong>t des restes dans notre société.<br />

En quelque sorte, il s’agissait là <strong>au</strong>ssi de t<strong>en</strong>ter de répondre à la question posée par S.<br />

Lem<strong>en</strong>estrel dans l’un de ses articles, « Pourquoi devrions nous conserver ce qui a<br />

spécifiquem<strong>en</strong>t été conçu pour être jeté ? » (S. Lem<strong>en</strong>estrel, 1996, p.79).<br />

Parmi les thèmes abordés dans cette réflexion, il y eut ceux de l’emballage in<strong>du</strong>striel <strong>en</strong> tant<br />

qu’objet signifiant : un cont<strong>en</strong>ant qui nous informe sur le “ s<strong>en</strong>s pratique ” d’une société ; un<br />

objet de communication (avec ou sans étiquette, avec pour exemple type la bouteille de Coca-<br />

Cola) ; celui égalem<strong>en</strong>t <strong>du</strong> recyclage in<strong>du</strong>striel et artisanal : le cycle de vie d’un emballage, de<br />

sa conception à son recyclage, et <strong>en</strong>fin le thème plus général <strong>du</strong> reste, Janus <strong>au</strong>x deux<br />

visages : ce qui demeure, ce qui per<strong>du</strong>re, mais ce dont on ne veut plus, dont on se débarrasse<br />

ou que l’on récupère.<br />

Ainsi de l’objet-reste <strong>en</strong>tré <strong>au</strong> musée, comme étant <strong>au</strong>tant ce qui per<strong>du</strong>re que ce qui est<br />

conservé. Parlant des amphores, L<strong>au</strong>b<strong>en</strong>heimer écrivait que « là, comme par le passé, vous<br />

êtes un objet de commerce, v<strong>en</strong><strong>du</strong> fort cher, mais cette fois vide, à une cli<strong>en</strong>tèle d’un type<br />

nouve<strong>au</strong> et inatt<strong>en</strong><strong>du</strong> pour vous : des collectionneurs d’<strong>objets</strong> anci<strong>en</strong>s, que seul l’emballage<br />

intéresse » (1990, p.5 cité in Bonnot, ibid, p. 212). Concernant les emballages d’<strong>au</strong>jourd’hui,<br />

<strong>en</strong> plastique ou <strong>en</strong> métal, vides et usagés, il ne fait <strong>au</strong>cun doute qu’ils sont bons à p<strong>en</strong>ser <strong>en</strong><br />

tant que docum<strong>en</strong>ts témoins de nos sociétés contemporaines ; M<strong>au</strong>ss déjà plaidait la c<strong>au</strong>se des<br />

<strong>objets</strong> <strong>du</strong> quotidi<strong>en</strong>, affirmant que « les <strong>objets</strong> les plus communs sont ceux qui <strong>en</strong> appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

le plus sur une civilisation », ajoutant qu’« une boîte de conserve, par exemple, caractérise<br />

mieux nos sociétés que le bijou le plus somptueux ou que le timbre le plus rare. Il ne f<strong>au</strong>t<br />

donc pas craindre de recueillir les choses même les plus humbles et les plus méprisées […].<br />

En fouillant un tas d’or<strong>du</strong>res, on peut reconstituer toute la vie d’une société » (M<strong>au</strong>ss, 1931,<br />

p.282-283, cité in Jamin, 2004). En revanche, on peut s’interroger sur la nécessité de les<br />

conserver ; les exemples <strong>en</strong> faveur d’une réponse par la négative sont pléthore, et cette<br />

position peut être illustrée par une seule citation, de Lévi-Str<strong>au</strong>ss, fustigeant “ le pieux devoir<br />

de recueillir (...), par esprit de synthèse, des choses minables ”, et ajoutant qu’“ il f<strong>au</strong>t se<br />

décider à reconnaître que si tout mérite d’être étudié, tout ne mérite pas d’être admiré ou<br />

montré, ni peut-être même conservé ” (1992).<br />

Ainsi de la notion d’emballage-reste, qui, <strong>en</strong> tant qu’objet signifiant est remplie de s<strong>en</strong>s, mais<br />

pose néanmoins le problème plus général de la question de la collecte des <strong>objets</strong> de série et de<br />

la pertin<strong>en</strong>ce de leur conservation.<br />

- 27<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Finalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trés dans les collections 30 , il n’<strong>en</strong> reste pas moins que ces <strong>objets</strong> apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à<br />

une catégorie d’<strong>objets</strong>-à-problème, à l’instar de la statue de « R<strong>en</strong>é », ou d’<strong>au</strong>tres <strong>objets</strong><br />

remplis de s<strong>en</strong>s mais néanmoins « orphelins » (F.Pizzorni), sans statut et sans appart<strong>en</strong>ance<br />

fixe.<br />

Si l’on considère maint<strong>en</strong>ant les <strong>objets</strong> qui sont <strong>en</strong>trés dans les collections, après être passés<br />

devant les commissions d’acquisitions, avoir subi tous les traitem<strong>en</strong>ts nécessaires avant<br />

intégration et être dotés d’un numéro d’inv<strong>en</strong>taire, on constate qu’il existe égalem<strong>en</strong>t des<br />

<strong>objets</strong> orphelins ; ceux que certains prêteurs ne revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t jamais chercher, ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>core les<br />

<strong>objets</strong> « manquants », c'est-à-dire per<strong>du</strong>s <strong>au</strong> sein des réserves ou ailleurs (estimés <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne<br />

à 10% selon une étude m<strong>en</strong>ée par le départem<strong>en</strong>t des collections 31 ).<br />

Ces <strong>objets</strong>, certains les qualifi<strong>en</strong>t « d’<strong>objets</strong> <strong>en</strong> souffrance », tel F. Borel qui, prés<strong>en</strong>tant des<br />

instrum<strong>en</strong>ts faits à partir de boîtes de conserve (« Objets Vibrants Non Id<strong>en</strong>tifiés »), parle<br />

d’<strong>objets</strong> « déchus de leur titre » , stagnant selon ses termes, «dans le casier des Objets-<strong>en</strong>souffrance,<br />

<strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant des jours meilleurs. Cruel destin ». (1984 :p. 64).<br />

C’est <strong>au</strong>ssi la manière dont les qualifi<strong>en</strong>t l’un des interviewés (D.), qui préfère à l’appellation<br />

restes celle « d’<strong>objets</strong> <strong>en</strong> souffrance », d’<strong>objets</strong> « <strong>en</strong> déshér<strong>en</strong>ce » ou « à problème » : « Ce<br />

sont ceux qui n’ont plus d’id<strong>en</strong>tité, ou qui sont per<strong>du</strong>s, ou qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t une hypothétique<br />

intégration dans les collections pour ceux qui ont passé le cap de la commission<br />

d’acquisition », à la différ<strong>en</strong>ce des restes : « les restes sont d’abord des <strong>objets</strong> qui ne sont pas<br />

r<strong>en</strong>trés dans le circuit de l’inv<strong>en</strong>taire, ou qui sont des <strong>objets</strong> de muséographie que l’on<br />

conserve ».<br />

Mais <strong>au</strong> « purgatoire », on r<strong>en</strong>contre <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> des restes que des <strong>objets</strong> dits « <strong>en</strong><br />

déshér<strong>en</strong>ce » : « des <strong>objets</strong> dont on n’a intégré qu’une partie dans les collections et dont<br />

l’<strong>au</strong>tre partie [le reste] est resté <strong>en</strong> quarantaine » (D.) ; « des <strong>objets</strong> qui ne sont jamais<br />

passés <strong>en</strong> comité [d’acquisition] et dont on ne sait plus à quelle collection ils apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

ni si ils ont jamais appart<strong>en</strong>u à quelque collection » (ibid) ; des <strong>objets</strong> que « l’on suppose être<br />

des fac-similés pour un décor d’exposition », ou <strong>en</strong>core, selon un <strong>au</strong>tre interviewé, des<br />

« <strong>objets</strong> abandonnés [non-inv<strong>en</strong>toriés] par leur conservateur suite à un départ ; les hommes<br />

part<strong>en</strong>t, pas les <strong>objets</strong> » (F.).<br />

30<br />

Nous avons quitté le MNATP avant leur intégration, mais nous pouvons supposer que celle-ci fut appuyée par<br />

le projet d’exposition sur « les restes » (prévue <strong>en</strong> 2009).<br />

31<br />

Information livrée par deux informateurs.<br />

- 28<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

Autre lieu de perdition des <strong>objets</strong>, et dont le seul nom suffit à faire frémir, le « cimetière » : il<br />

s’agit là d’un espace att<strong>en</strong>ant <strong>au</strong> bure<strong>au</strong> des réserves, où sont stockés les <strong>objets</strong> qui,<br />

heureusem<strong>en</strong>t peu nombreux, ont per<strong>du</strong> leur numéro d’inv<strong>en</strong>taire ; un objet est ainsi considéré<br />

comme per<strong>du</strong> <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> lorsque l’on ne retrouve plus que lorsque l’on ne retrouve plus son<br />

id<strong>en</strong>tité.<br />

R<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t ainsi dans ce lieu toute une catégorie d’<strong>objets</strong> non id<strong>en</strong>tifiés ; des <strong>objets</strong> <strong>en</strong> dépôt<br />

dans d’<strong>au</strong>tres institutions et dont on a per<strong>du</strong> la trace (perte <strong>du</strong> dossier administratif) ; des<br />

<strong>objets</strong> sans numéro (le marquage n’est pas éternel ni égal selon les matéri<strong>au</strong>x utilisés, les<br />

supports, manipulations etc.), des <strong>objets</strong> non réintégrés, ou des morce<strong>au</strong>x d’<strong>objets</strong><br />

désolidarisés d’un <strong>en</strong>semble <strong>au</strong>quel ils appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t ( morce<strong>au</strong>x de lits, d’armoires… moy<strong>en</strong><br />

mobilier et grosse céramique) ; des <strong>objets</strong> per<strong>du</strong>s « eux-mêmes » , c’est à dire désintégrés<br />

suite à une m<strong>au</strong>vaise désinfection ou m<strong>au</strong>vaise conservation ; des <strong>objets</strong> volés (très rare) ; des<br />

collections inconnues (par exemple, une boîte d’allumettes dont on sait pas si elle constitue<br />

une collection ou si elle appart<strong>en</strong>ait à un gardi<strong>en</strong> qui l’<strong>au</strong>rait laissée là) ; des <strong>objets</strong> disparus<br />

suite à des erreurs humaines (m<strong>au</strong>vais emplacem<strong>en</strong>t, abs<strong>en</strong>ce de fantôme etc.), et que l’on<br />

retrouvera peut-être par hasard.<br />

Autant d’<strong>objets</strong> dits <strong>en</strong> « souffrance » car <strong>au</strong>ssi, comme le dit D., « ils ne parl<strong>en</strong>t plus , ils<br />

sont sans réponse, baillonnés ». Autant d’<strong>objets</strong> « morts » dont ne reste parfois que le<br />

fantôme 32 , ultime trace de l’objet disparu. Du cimetière <strong>au</strong> fantôme il n’y a qu’un pas.<br />

Pour <strong>au</strong>tant, bi<strong>en</strong> qu’ayant per<strong>du</strong> leur s<strong>en</strong>s et leur id<strong>en</strong>tité, ces <strong>objets</strong> apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t toujours <strong>au</strong><br />

domaine public, et la procé<strong>du</strong>re de sortie est administrativem<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t complexe 33 que<br />

bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t, les services <strong>en</strong> charge de la gestion des collections des musées préfèr<strong>en</strong>t<br />

conserver des <strong>objets</strong> morts plutôt que de les sortir <strong>du</strong> circuit des collections.<br />

En conclusion de cette étude, on pourrait dire, à l’instar d’O. Debary (2002) que les restes <strong>au</strong><br />

musée constitu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte « la part m<strong>au</strong>dite » chère à G. Bataille pour qualifier<br />

l’économie des restes, excès sacrificiel et impro<strong>du</strong>ctif ; tels sont les <strong>objets</strong>-restes qui<br />

échou<strong>en</strong>t, et finalem<strong>en</strong>t, échoi<strong>en</strong>t <strong>au</strong> musée, lieu de recueil d’une mémoire dont on ne peut se<br />

débarrasser ailleurs qu’<strong>au</strong> musée : « N’<strong>en</strong>tre <strong>au</strong> musée que ce dont nous avons besoin de nous<br />

32<br />

Dans le jargon muséal, lorsqu’un objet a été déplacé (pour prêt, exposition, rest<strong>au</strong>ration ou <strong>au</strong>tre), un papier<br />

portant le numéro d’inv<strong>en</strong>taire et le nom de l’objet est disposé <strong>en</strong> lieu et place de l’objet, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>te de son retour.<br />

C’est ce qu’on appelle son fantôme.<br />

33<br />

Et elle peut à l’occasion pointer <strong>du</strong> doigt les manquem<strong>en</strong>ts <strong>du</strong> musée dans sa mission de conservation lorsqu’il<br />

s’agit d’un objet qui a été mal conservé (pour des raisons qui parfois échapp<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x techniques actuelles de<br />

conservation).<br />

- 29<br />

-


Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

débarrasser. Le musée célèbre et expose ce qu’une société a besoin d’oublier pour exister, ce<br />

dont elle ne veut plus et qu’elle ne peut détruire. Ce qui reste. » (p. 167, 2002).<br />

Pour <strong>au</strong>tant, ces <strong>objets</strong> qui intègr<strong>en</strong>t le musée viv<strong>en</strong>t une <strong>au</strong>tre étape de leur vie<br />

d’<strong>objets</strong>, tant <strong>au</strong> travers de leur parcours d’<strong>en</strong>trée dans les collections que dans leur vie d’objet<br />

de musée. Nous n’avons pas parlé des <strong>objets</strong> placés sur le devant de la scène, dans les vitrines,<br />

car ceux-là sont particulièrem<strong>en</strong>t choyés (et pour c<strong>au</strong>se) et leur parcours revêt rarem<strong>en</strong>t celui<br />

d’un objet « échoué », même si nombre de reliques et <strong>au</strong>tres restes sont exposés dans nos<br />

vitrines.<br />

Nous choisirons à ce titre, pour terminer cette étude un objet qui a attiré notre att<strong>en</strong>tion<br />

il y a quelques mois, dans le contexte non pas d’un musée de société mais d’une manifestation<br />

artistique. L’exercice d’utilisation des restes à des fins artistiques est connue depuis<br />

longtemps (<strong>au</strong> moins depuis le début <strong>du</strong> XXème s.) dans les musées d’art contemporain et<br />

galeries, et c’est ainsi qu’<strong>en</strong> 2005 on pouvait lire dans les pages <strong>du</strong> journal Libération, un<br />

article consacré à la XXXVI ème exposition internationale de Bâle, et plus précisém<strong>en</strong>t à un<br />

« morce<strong>au</strong> de savon ». Créé par l’artiste suisse Gianni Motti, « à partir, selon lui, de la<br />

graisse <strong>du</strong> 1 er Ministre itali<strong>en</strong> Silvio Berlusconi, l’artiste a déclaré avoir récupéré la graisse<br />

grâce à un employé de clinique suisse dans laquelle Berlusconi avait subi une opération de<br />

liposuscion. Le savon, baptisé « Mani pulite » ou « Mains propres », est mis <strong>en</strong> v<strong>en</strong>te 15 000<br />

euros ». (Libération, 14/06/05).<br />

En guise de lointain écho à ce savon à forte valeur ajoutée, on peut ajouter qu’<strong>au</strong>trefois, les<br />

pilleurs d’épaves prisai<strong>en</strong>t particulièrem<strong>en</strong>t les marchandises telles que les savons, faciles à<br />

écouler et à rev<strong>en</strong>dre. Certainem<strong>en</strong>t pas <strong>au</strong> prix <strong>du</strong>dit « Mani pulite ».<br />

Bi<strong>en</strong> que nous éloignant de notre terrain <strong>en</strong> musée de société, cet objet-reste à vocation<br />

artistique et politique nous interpelle par sa capacité à rassembler un <strong>en</strong>semble de<br />

caractéristiques propres à l’objet-reste : la récupération, le déchet/rebut, le détournem<strong>en</strong>t de<br />

s<strong>en</strong>s, l’humour, la dérision, et par-dessus tout, un objet avant tout bon à p<strong>en</strong>ser.<br />

- 30<br />

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Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

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Objets <strong>en</strong> dérive : <strong>du</strong> <strong>littoral</strong> <strong>au</strong> musée, Vanessa Doutrele<strong>au</strong><br />

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<strong>au</strong>jourd’hui la mémoire de demain ”, Actes de colloque, (déc. 1984), , Musée de Bretagne,<br />

M.N.E.S, mai 1988<br />

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