No 134, février-mars - Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport ...

DOSSIER
dossier
Les grands pédagogues :
D’hier à aujourd’hui
Ce qui est scandaleux, ce
n’est pas que des éducateurs
critiquent et cherchent à
améliorer les méthodes […] Le
scandale éducatif, c’est qu’il se
trouve à nouveau des « fidèles »
qui prétendent dresser, à l’endroit
même où se sont arrêtés ces éducateurs,
des chapelles gardiennes
jalouses de nouvelles tables de
la loi et de règles magistrales, et
qu’on ne comprenne pas que la
pensée de Piaget, de Ferrière, de
Freinet est essentiellement mouvante,
qu’elle n’est pas aujourd’hui
ce qu’elle était il y a dix ans,
et que dans dix ans de nouvelles
adaptations auront germé…
(Célestin Freinet, L’Éducateur,
novembre 1948)
Cette citation d’un de nos grands
pédagogues situe les prémices sur
lesquelles nous avons appuyé notre
réflexion pour bâtir le présent
dossier.
C’est d’abord par souci de reconnaissance
pour les grands pédagogues à
qui nous sommes redevables qu’il
importe de faire ressortir les
niveaux d’influence et de bien nommer
les penseurs qui ont alimenté
la réflexion dans le monde de l’éducation
québécois.
Que nous remontions à Platon,
Descartes, Rousseau, Pestalozzi ou
Montessori, nous ne pouvons pas
nier que l’évolution de la pédagogie
a été nourrie par plusieurs sciences
contributives telles que la philosophie,
les neurosciences et la sociologie,
pour ne nommer que celles-ci.
Ce dossier permettra de mettre en
évidence, entre autres, les grands
courants qui constituent les fondements
des derniers changements
en matière d’éducation.
Quelques questions ont orienté
nos réflexions :
• Comment démontrer l’influence
de ces penseurs sur l’évolution de
nos pratiques, plus concrètement
les liens avec la théorie, et comment
celle-ci éclaire-t-elle nos
décisions dans le feu de l’action?
• Qui sont nos mentors, les philosophes,
sociologues et psychologues,
qui ont structuré notre
identité collective professionnelle?
• Comment la filiation et la pérennité
de ces courants s’illustrentelles
dans nos pratiques?
Ces balises qui ont orienté notre
réflexion nous ont permis de
constituer un dossier pour, nous
l’espérons, revenir aux sources de
la fonction de l’éducation dans
notre culture nord-américaine et
découvrir les niveaux d’influences
variées et éclectiques des acteurs
du monde de l’éducation. Il est
également intéressant de faire
découvrir les réseaux d’influences
qui ont fait d’eux les grands pédagogues
qu’ils sont devenus aux yeux
de leurs élèves et de leurs disciples.
Pour bien illustrer les rapports
essentiels à entretenir entre la
théorie et la pratique, nous avons
structuré le dossier autour de cinq
grands enjeux de la réforme, soit :
le statut des connaissances,
l’élève actif, l’approche différenciée
et l’évaluation, le retour
réflexif et la métacognition et la
citoyenneté. Ceux-ci sont d’abord
abordés sous la forme de description
de pratiques pour ensuite être
analysés sur un plan théorique,
étayés d’exemples tirés de textes du
dossier.
D’abord, Josée De Repentigny relate
une expérience dans la classe d’histoire
de Martin Kirouac qui illustre
la place des connaissances dans
une approche par compétences.
Puis Richard Pallascio, de l’Université
du Québec à Montréal (UQAM),
précise les fondements théoriques
sous-jacents à l’expérience.
Ensuite, Donald Guertin nous fait
part des propos de deux enseignantes
du secondaire concernant
l’élève actif. Nadine Cédras et Sylvie
Normand témoignent ainsi de leur
pratique. Pour sa part, Yvon Côté a
relu leurs propos sous l’éclairage
des invariants de Célestin Freinet.
Par ailleurs, une nouvelle collaboratrice,
Camille Deslauriers, décrit
la pratique de Lucie Sarrasin qui
s’est donné le défi de la différenciation
et de l’évaluation. De son côté,
Nicole Tardif, spécialiste de la
différenciation, apporte des fondements
théoriques qui donnent à
la pratique quotidienne de Lucie
Sarrasin une portée qui permettrait
presque la généralisation!
Et la métacognition, ce néologisme
mouvant, qui donc pouvait nous
en parler?
Paul Francoeur a rencontré Louise
Ménard, de l’école secondaire
Les Compagnons-de-Cartier. Depuis
plus de vingt ans, cette enseignante
s’intéresse à la cognition et met en
place des projets avec ses élèves
pour incarner ses recherches. De
son côté, Domenico Masciotra a
apporté des fondements théoriques
pour nous donner les prises nécessaires
à la construction de ce
nouveau concept.
Nous ne pouvions ignorer la citoyenneté,
enjeu majeur de la formation
des jeunes.
Une équipe de l’école Chanoine-
Joseph-Théorêt s’est mobilisée pour
réaliser un projet coopératif que
Guy Lusignan a décrit. Quant à
Robert Martineau, de l’UQAM,
il reprend les fondements d’une
éducation citoyenne qui remonte
à l’Antiquité.
Ce dialogue entre différents textes
est pour nous une tentative de rapprochement
entre deux mondes qui
fonctionnent souvent en parallèle.
À vous de nous dire si cet essai
permet de mieux saisir les rapports
essentiels que doivent entretenir
la théorie et la pratique.
C’est une remarque de Ghislaine
Bolduc, conseillère pédagogique
et membre de notre comité de
rédaction, qui illustre bien notre
préoccupation : Les grands pédagogues
sont-ils représentés seulement
par des hommes et des
femmes qui ont écrit et sur qui on
a écrit? Ainsi, Lucie Sarrazin et
bien d’autres peuvent être classés
au rang de grands et de grandes
pédagogues par leur engagement
pédagogique quotidien, l’amour
de leur travail et leur rigueur
intellectuelle.
Pour enrichir le dossier, celui-ci
est jalonné de témoignages qui permettent
de démontrer l’influence
que certains penseurs ont eue sur
nous et complète notre table ronde
d’acteurs du milieu scolaire qui nous
ont confié leurs différents itinéraires.
Bien entendu, nous ne pouvions
ignorer, dans un dossier de cette
nature, la dimension historique qui
est abordée à partir de la question
fondamentale : Pourquoi l’éducation?
Dans un contexte où l’approche
par compétences oriente nos
actions et puisque nous sommes
préoccupés par la question du sens,
réfléchir sur la finalité de l’éducation
s’imposait.
Vous pourrez également lire deux
entrevues de pédagogues d’ici et
d’ailleurs : Luce Brossard a recueilli
les propos de Britt-Mari Barth,
auteure de l’ouvrage intitulé Le
savoir en construction (Éditions
Retz, 2004). Cette théoricienne européenne
nous rend visite régulièrement,
et nous sommes très
sensibles à ses centres d’intérêt
didactiques; Mireille Jobin, quant à
elle, a eu le plaisir de s’entretenir
avec Jean Bédard, auteur de
Coménius ou l’art sacré de l’éducation
(dont le compte rendu
figure dans le numéro 130 de
Vie pédagogique).
Le dossier du présent numéro
illustre donc toute la complexité de
l’acte d’enseigner et il démontre la
nécessité pour chaque enseignant
de devenir un praticien réflexif. Par
cette expression, nous désignons
celui qui ne se contente pas d’appliquer
des recettes mais qui utilise
ses habiletés et ses connaissances
pour analyser les situations et poser
des gestes afin de répondre aux
besoins des apprenants, et ce,
selon les contextes.
Camille Marchand
VIE 6 Vie pédagogique 134, février-mars
2005