No 134, février-mars - Ministère de l'Ãducation, du Loisir et du Sport ...
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DOSSIER<br />
Il ne faut pas, selon lui, passer sa<br />
jeunesse à apprendre les mots <strong>et</strong> les<br />
figures <strong>de</strong> rhétorique ou à écrire<br />
<strong>de</strong>s vers bien tournés. Faire cela,<br />
c’est perdre son temps. Il faut plutôt<br />
développer dans chaque indivi<strong>du</strong><br />
les facultés qui font <strong>de</strong> lui un être<br />
profondément humain, avant <strong>de</strong> lui<br />
apprendre le métier qui en fera un<br />
spécialiste. Autrement dit, avant d’être<br />
<strong>de</strong>s commerçants, <strong>de</strong>s enseignants<br />
ou <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins, les personnes<br />
doivent être <strong>de</strong>s intelligences ouvertes,<br />
<strong>de</strong>s cœurs sensibles, <strong>de</strong>s<br />
consciences droites <strong>et</strong> <strong>de</strong>s caractères<br />
fermes 2 . L’é<strong>du</strong>cation doit être<br />
générale <strong>et</strong> pratique.<br />
De son côté, John Dewey reproche<br />
à l’é<strong>du</strong>cation traditionnelle sa prétention<br />
<strong>de</strong> préparer l’enfant pour la<br />
vie future, sans égard pour sa vie<br />
actuelle. D’après lui, une bonne<br />
é<strong>du</strong>cation perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> répondre aux<br />
divers besoins <strong>et</strong> centres d’intérêt<br />
<strong>de</strong> l’élève. L’obj<strong>et</strong> d’une telle é<strong>du</strong>cation<br />
est d’ai<strong>de</strong>r ce <strong>de</strong>rnier à<br />
apprendre comment résoudre les<br />
problèmes qu’il éprouve dans ses<br />
milieux physique <strong>et</strong> social. Le programme<br />
d’une telle é<strong>du</strong>cation,<br />
selon Dewey, doit être lié directement<br />
aux soucis issus <strong>de</strong> l’expérience<br />
personnelle <strong>de</strong> l’apprenant.<br />
Par conséquent, les matières ne<br />
doivent pas être considérées comme<br />
<strong>de</strong>s fins en soi qu’il faut savoir pour<br />
savoir, mais comme <strong>de</strong>s moyens à<br />
utiliser pour trouver <strong>de</strong>s solutions<br />
aux problèmes. L’apprenant doit<br />
être conscient <strong>de</strong> la valeur pratique,<br />
<strong>de</strong> l’utilité <strong>de</strong> ce qu’il apprend 3 .<br />
Alain a une vision différente <strong>du</strong> but<br />
<strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation. À son avis, elle doit<br />
libérer l’élève <strong>de</strong> l’état d’enfance où<br />
il se trouve enfermé. Elle a donc<br />
pour obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> le faire passer <strong>de</strong><br />
l’état d’enfance à l’état d’a<strong>du</strong>lte.<br />
Alain voit ainsi une opposition entre<br />
<strong>de</strong>ux modèles <strong>de</strong> comportements,<br />
celui <strong>de</strong> l’enfant <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> l’a<strong>du</strong>lte :<br />
le premier comme le modèle originaire<br />
<strong>et</strong> le second comme le modèle<br />
idéal. Un vrai homme, un homme<br />
compl<strong>et</strong>, selon Alain, est un homme<br />
cultivé. La culture qui vaut la peine<br />
d’être apprise dans ce cas est la<br />
culture gréco-romaine. Pour Alain,<br />
l’enfant <strong>de</strong>viendra a<strong>du</strong>lte, humain,<br />
par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s humanités, soit<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la culture grecque <strong>et</strong>,<br />
plus particulièrement, celle <strong>de</strong> la<br />
culture latine 4 .<br />
L’utilité <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation<br />
Il est donc bien question <strong>de</strong> l’utilité<br />
<strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation pour ces auteurs.<br />
Cependant, parler <strong>de</strong> l’utilité <strong>de</strong><br />
l’é<strong>du</strong>cation peut sembler saugrenu<br />
<strong>de</strong> nos jours, tant l’importance <strong>de</strong><br />
l’école <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’instruction paraît évi<strong>de</strong>nte<br />
dans les faits. Les efforts <strong>et</strong> les<br />
ressources consacrés au système<br />
é<strong>du</strong>catif en témoignent. Rappelons<br />
que la fréquentation <strong>de</strong> l’école est<br />
obligatoire dans presque tous les<br />
pays au mon<strong>de</strong>. En outre, une<br />
bonne part <strong>du</strong> budg<strong>et</strong> <strong>de</strong>s pays est<br />
consacrée à l’é<strong>du</strong>cation.<br />
L’é<strong>du</strong>cation contribue indéniablement<br />
à l’amélioration <strong>de</strong> la qualité<br />
<strong>de</strong> vie <strong>et</strong> favorise la croissance<br />
économique <strong>de</strong>s sociétés. Le revenu<br />
par habitant, le pro<strong>du</strong>it national<br />
brut, l’espérance <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> la mortalité<br />
infantile sont liés à l’é<strong>du</strong>cation.<br />
Les nations développées sont celles<br />
dont le niveau d’é<strong>du</strong>cation est le<br />
plus élevé. Les pays où le taux d’alphabétisation<br />
est le moins élevé<br />
sont également les pays les plus<br />
pauvres.<br />
L’importance <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation est aussi<br />
manifeste sur le marché <strong>du</strong> travail.<br />
Les diplômés sont moins nombreux<br />
sur la liste <strong>de</strong>s chômeurs. La probabilité<br />
d’obtenir un emploi augmente<br />
avec le nombre d’années <strong>de</strong> scolarité.<br />
À l’inverse, les personnes moins<br />
scolarisées sont davantage victimes<br />
<strong>du</strong> chômage. Ces observations<br />
d’ordre économique <strong>et</strong> social ne<br />
ren<strong>de</strong>nt pas inutile la nécessité <strong>de</strong><br />
réfléchir sur le problème posé par<br />
l’utilité <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation. L’existence<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s écoles, l’é<strong>du</strong>cation<br />
Photo : Denis Garon<br />
traditionnelle <strong>et</strong> l’é<strong>du</strong>cation nouvelle,<br />
illustre bien ce problème.<br />
La position <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation<br />
traditionnelle<br />
L’é<strong>du</strong>cation traditionnelle s’est donné<br />
pour but <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre l’élève en contact<br />
avec les gran<strong>de</strong>s réalisations<br />
<strong>de</strong> l’humanité. Par c<strong>et</strong>te expression,<br />
on entend les chefs-d’œuvre <strong>de</strong> la<br />
littérature <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’art, les démonstrations<br />
pleinement élaborées, les<br />
acquisitions scientifiques, les mo<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> raisonnement systématiques. Ces<br />
gran<strong>de</strong>s réalisations sont considérées<br />
comme <strong>de</strong>s modèles que l’élève<br />
doit connaître. C<strong>et</strong>te connaissance<br />
lui perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> s’arracher à la<br />
banalité <strong>de</strong>s lieux communs <strong>et</strong> <strong>de</strong> se<br />
préparer au rôle qu’il aura à jouer<br />
dans la société. Car les tenants <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te école pensent que, livré à son<br />
propre mouvement, l’enfant se laissera<br />
mener par l’engouement <strong>du</strong><br />
social <strong>et</strong> les stéréotypes à la mo<strong>de</strong>.<br />
Selon eux, c’est grâce à la fréquentation<br />
<strong>de</strong>s modèles que l’élève<br />
accé<strong>de</strong>ra progressivement à une<br />
compétence, à un style appréciable<br />
qui lui sera propre. Toutefois, pour<br />
que l’élève parvienne au contact<br />
avec les modèles, il faut l’intervention<br />
<strong>de</strong> l’enseignant. En eff<strong>et</strong>, la distance<br />
entre l’élève <strong>et</strong> les modèles est<br />
si gran<strong>de</strong>, selon c<strong>et</strong>te tendance,<br />
qu’il faut un médiateur. Le maître<br />
est l’intermédiaire entre l’élève <strong>et</strong><br />
les modèles. Le premier simplifie,<br />
aménage <strong>et</strong> ordonne les contenus<br />
d’apprentissage, <strong>de</strong> manière à perm<strong>et</strong>tre<br />
au second <strong>de</strong> n’éprouver<br />
que <strong>de</strong>s difficultés gra<strong>du</strong>ées, adaptées<br />
à ses forces <strong>et</strong> à ses connaissances,<br />
dans un enchaînement qui<br />
justifie le passage d’un point à un<br />
autre 5 .<br />
La position <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation<br />
nouvelle<br />
Les visées <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation nouvelle<br />
sont différentes <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation<br />
traditionnelle. L’é<strong>du</strong>cation<br />
nouvelle cherche à rendre l’école<br />
intéressante <strong>et</strong> active. Elle veut en<br />
faire un lieu où l’élève se développe<br />
naturellement. Pour cela, elle accor<strong>de</strong><br />
la première place à l’intérêt<br />
<strong>de</strong> l’apprenant, à ses désirs, à ses<br />
proj<strong>et</strong>s, aux questions issues <strong>de</strong>s<br />
expériences <strong>de</strong> sa vie. L’é<strong>du</strong>cation<br />
consiste dans le développement <strong>de</strong>s<br />
dons que tout être humain apporte<br />
avec lui en naissant. On <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
donc à l’a<strong>du</strong>lte d’éviter <strong>de</strong> multiplier<br />
les interventions afin <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre<br />
à l’enfant <strong>de</strong> se développer<br />
suivant le rythme qui est le sien.<br />
L’élève apprend par <strong>de</strong>s activités<br />
accomplies dans un but précis <strong>et</strong><br />
d’une manière qui lui est propre.<br />
Dans ce courant pédagogique, on<br />
croit que les êtres humains ont en<br />
eux une capacité naturelle <strong>de</strong> se<br />
développer, qu’ils sont curieux <strong>et</strong><br />
veulent apprendre. Les tenants <strong>de</strong><br />
ce type d’é<strong>du</strong>cation visent en premier<br />
lieu le développement <strong>de</strong> la<br />
personne <strong>de</strong> l’apprenant <strong>et</strong> la qualité<br />
<strong>de</strong> sa vie personnelle. L’é<strong>du</strong>cation<br />
nouvelle faisant confiance à l’intelligence<br />
<strong>de</strong> l’apprenant, l’enseignant<br />
joue ainsi le rôle <strong>de</strong> facilitateur.<br />
Sa tâche consiste à accompagner<br />
l’élève dans ses apprentissages en<br />
partant <strong>de</strong>s centres d’intérêt <strong>de</strong><br />
l’apprenant <strong>et</strong> <strong>de</strong> ce qui fait problème<br />
pour lui 6 .<br />
Le problème <strong>de</strong> l’utilité<br />
L’opposition entre ces <strong>de</strong>ux tendances<br />
é<strong>du</strong>catives a le mérite <strong>de</strong><br />
poser d’une façon claire l’un <strong>de</strong>s<br />
aspects <strong>du</strong> problème <strong>de</strong> l’utilité <strong>de</strong><br />
l’é<strong>du</strong>cation. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière doit-elle<br />
se réaliser pour la maîtrise <strong>de</strong>s connaissances<br />
scientifiques, la culture<br />
valorisée par la société ou pour le<br />
développement personnel <strong>et</strong> le bienêtre<br />
<strong>de</strong> l’élève? La réponse à c<strong>et</strong>te<br />
question entraîne <strong>de</strong>s choix différents<br />
dans la pratique en salle <strong>de</strong><br />
classe. L’é<strong>du</strong>cation traditionnelle,<br />
plus centrée sur les exigences <strong>de</strong> la<br />
société, se révèle plus autoritaire.<br />
Elle fait une place importante au<br />
contrôle <strong>de</strong>s connaissances par <strong>de</strong>s<br />
examens. L’é<strong>du</strong>cation nouvelle, plus<br />
orientée vers les besoins <strong>et</strong> les<br />
centres d’intérêt <strong>de</strong>s élèves, est plus<br />
libérale <strong>et</strong> plus axée sur le rythme<br />
<strong>de</strong> chaque élève. Savoir se situer<br />
par rapport aux <strong>de</strong>ux n’est pas toujours<br />
facile.<br />
L’enjeu pédagogique<br />
Pourtant, le problème <strong>du</strong> sens <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’utilité constitue un enjeu majeur<br />
dans la pratique <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation. Les<br />
VIE 44 Vie pédagogique <strong>134</strong>, février-<strong>mars</strong><br />
2005