No 134, février-mars - Ministère de l'Ãducation, du Loisir et du Sport ...
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À la rencontre <strong>de</strong> Jean Piag<strong>et</strong><br />
C<br />
’<br />
au début <strong>de</strong> la vingtaine<br />
’est que j’ai découvert les travaux<br />
<strong>de</strong> Piag<strong>et</strong> <strong>et</strong> que je me<br />
suis engagée dans une démarche<br />
d’approfondissement <strong>de</strong> sa théorie<br />
qui m’a permis d’en explorer les<br />
multiples fac<strong>et</strong>tes. Depuis, je n’ai<br />
cessé <strong>de</strong> me référer à sa vision constructiviste<br />
<strong>de</strong> la connaissance, qui<br />
con<strong>du</strong>it à envisager les multiples<br />
interactions <strong>de</strong> l’être humain avec<br />
l’environnement comme une source<br />
inépuisable <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> nouveaux<br />
savoirs. Dans La naissance<br />
<strong>de</strong> l’intelligence chez l’enfant,<br />
ouvrage fondamental dans lequel<br />
Piag<strong>et</strong> r<strong>et</strong>race l’émergence <strong>de</strong> la<br />
pensée dans les actions les plus élémentaires<br />
<strong>du</strong> jeune enfant à l’ai<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>squelles il s’efforce <strong>de</strong> donner <strong>du</strong><br />
sens au mon<strong>de</strong>, il résume ainsi l’une<br />
<strong>de</strong>s idées maîtresses <strong>de</strong> sa théorie :<br />
« C’est en s’adaptant aux choses que<br />
la pensée s’organise <strong>et</strong> c’est en s’organisant<br />
elle-même qu’elle structure<br />
les choses 1 .» En d’autres termes,<br />
c’est dans son constant effort pour<br />
comprendre le mon<strong>de</strong> que l’être<br />
humain développe les outils <strong>de</strong> son<br />
action <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa pensée. Réciproquement,<br />
c’est parce qu’il parvient à<br />
élaborer <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> pensée <strong>de</strong><br />
plus en plus sophistiqués qu’il en<br />
arrive à se construire une représentation<br />
toujours plus riche <strong>et</strong> complexe<br />
<strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Piag<strong>et</strong> propose<br />
Du mouvement à l’action!<br />
par Donald Guertin<br />
Pour la revue Vie pédagogique,<br />
au début <strong>de</strong> l’été 2004, j’ai<br />
visité <strong>de</strong>ux enseignantes <strong>de</strong><br />
français au secondaire, soit Nadine<br />
Cédras <strong>et</strong> Sylvie <strong>No</strong>rmand. La première<br />
enseignait tout récemment<br />
à l’école Monseigneur-Eucli<strong>de</strong>-<br />
Théberge, <strong>de</strong> la Commission scolaire<br />
<strong>de</strong>s Hautes-Rivières, au second cycle<br />
<strong>du</strong> secondaire; <strong>de</strong>puis septembre,<br />
elle enseigne à l’école Félix-Gabriel-<br />
Marchand, en <strong>de</strong>uxième secondaire,<br />
à la même commission scolaire.<br />
Quant à la secon<strong>de</strong>, Sylvie <strong>No</strong>rmand,<br />
elle enseigne en troisième secondaire<br />
à l’école Gérard-Filion, <strong>de</strong> la Commission<br />
scolaire Marie-Victorin.<br />
Toutes <strong>de</strong>ux affirment avoir parcouru,<br />
<strong>de</strong>puis quelques années, un bon<br />
bout <strong>de</strong> chemin. Un contact répété<br />
avec <strong>de</strong> nouvelles approches pédagogiques<br />
<strong>et</strong> l’accompagnement suivi<br />
<strong>de</strong> conseillères <strong>et</strong> conseillers pédagogiques<br />
ont été l’occasion <strong>de</strong> repenser<br />
leurs pratiques. Ces <strong>de</strong>ux enseignantes<br />
sont convaincues, convaincantes<br />
<strong>et</strong> engagées : j’ai eu le plaisir<br />
<strong>de</strong> les rencontrer en juill<strong>et</strong> <strong>de</strong>rnier.<br />
L’élève acteur est celui qui « est au<br />
centre <strong>de</strong> ses apprentissages, qui<br />
veut apprendre, car ce n’est pas<br />
dangereux pour lui <strong>de</strong> s’engager<br />
dans un travail scolaire », affirme<br />
Nadine Cédras. « L’élève engagé<br />
<strong>de</strong>vient créatif, il va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s<br />
exigences, il invente, il crée »,<br />
ajoute-t-elle. Sylvie <strong>No</strong>rmand le<br />
décrit comme étant celui qui « est<br />
en mouvement, qui bouge, qui<br />
parle, qui a <strong>du</strong> pouvoir, qui a <strong>de</strong> la<br />
liberté, qui est heureux <strong>et</strong> qui a <strong>du</strong><br />
plaisir à faire une tâche ». Selon<br />
c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière, il y a <strong>de</strong>s conditions<br />
essentielles pour rendre l’élève<br />
acteur : il faut lui faire <strong>de</strong> la place,<br />
lui perm<strong>et</strong>tre d’exercer sa liberté,<br />
d’être autonome, d’être créatif.<br />
Pour sa part, Nadine précise qu’elle<br />
n’est pas certaine que tous les<br />
élèves se ren<strong>de</strong>nt compte qu’ils sont<br />
acteurs <strong>de</strong> leurs apprentissages :<br />
« Pourtant, je les vois : ils sont<br />
accrochés à la tâche, mais ils ne se<br />
perçoivent pas nécessairement<br />
engagés. Dorénavant, je ferai en<br />
sorte qu’ils se ren<strong>de</strong>nt davantage<br />
compte <strong>du</strong> fait qu’ils sont les<br />
acteurs <strong>de</strong> leurs apprentissages. »<br />
Très vite, c<strong>et</strong>te enseignante déterminée<br />
a constaté que certains élèves<br />
refusent <strong>de</strong> s’engager, quoique ce<br />
soit <strong>de</strong>s cas isolés : « J’oserais dire<br />
une vision originale <strong>de</strong>s processus<br />
<strong>de</strong> construction <strong>de</strong> connaissances<br />
qui nous amène, en tant que pédagogues,<br />
à valoriser l’intelligence <strong>de</strong><br />
l’apprenant <strong>et</strong> à l’encourager à faire<br />
constamment appel aux outils<br />
qu’elle se construit. Il offre également<br />
un langage extrêmement pertinent<br />
pour décrire <strong>et</strong> analyser les<br />
processus en jeu dans la constitution<br />
<strong>de</strong> nouveaux savoirs, quels<br />
qu’en soient l’échelle (celle d’apprentissages<br />
s’effectuant dans un<br />
temps relativement délimité aussi<br />
bien que celle <strong>de</strong> l’indivi<strong>du</strong> au<br />
cours <strong>de</strong> son développement ou<br />
celle <strong>de</strong> la pensée scientifique à travers<br />
l’histoire) ou le contexte<br />
NADINE CÉDRAS<br />
Vie pédagogique <strong>134</strong>, février-<strong>mars</strong><br />
2005<br />
(apprentissage formel, non formel<br />
ou informel). Bref, tout apprentissage<br />
s’inscrit dans une certaine historicité<br />
où interviennent à la fois<br />
une part <strong>de</strong> continuité, assurant<br />
l’intégration <strong>de</strong> ce qui a déjà été<br />
construit dans ce qui est nouveau,<br />
<strong>et</strong> une part <strong>de</strong> rupture, consistant à<br />
enrichir les acquis antérieurs tout<br />
en les conservant, <strong>du</strong> fait même <strong>de</strong><br />
leur intégration dans <strong>de</strong>s totalités<br />
plus larges qui les englobent <strong>et</strong> les<br />
dépassent tout à la fois.<br />
Marie-Françoise Legendre<br />
1. Jean PIAGET, La naissance <strong>de</strong> l’intelligence<br />
chez l’enfant, p. 14.<br />
que plus <strong>de</strong> 60 p. 100 <strong>de</strong>s élèves<br />
vont au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s exigences prescrites.<br />
» Elle ajoute qu’en général<br />
les élèves ne résistent pas aux tâches<br />
proposées, bien au contraire, ils<br />
trouvent cela agréable, <strong>et</strong> l’utilité <strong>du</strong><br />
pro<strong>du</strong>it final, la communication,<br />
a un eff<strong>et</strong> direct sur l’engagement :<br />
« Auparavant, j’avais tendance à<br />
enseigner une règle <strong>et</strong> les élèves<br />
s’exerçaient. Maintenant, je les amène<br />
à découvrir la règle. Je réalise que<br />
cela est plus motivant. Aucun élève<br />
n’a tendance à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la bonne<br />
réponse; ils cherchent », confirme<br />
Nadine.<br />
Dès le début <strong>de</strong> l’année, Sylvie <strong>et</strong><br />
son collègue Gilbert ont misé sur<br />
l’établissement d’une relation pédagogique<br />
vivante basée sur la satisfaction<br />
<strong>de</strong>s besoins. Ce choix<br />
stratégique a eu un eff<strong>et</strong> immédiat :<br />
«Tout au cours <strong>de</strong> l’année, les élèves<br />
se sont engagés dans les tâches avec<br />
hâte <strong>et</strong> plaisir; je les sentais heureux »,<br />
précise c<strong>et</strong>te enseignante enthousiaste.<br />
Outre le fait d’avoir réfléchi<br />
sur les besoins, elle raconte avoir<br />
pris le temps <strong>de</strong> discuter avec ses<br />
élèves sur les modalités <strong>du</strong> travail<br />
en coopération, l’apprentissage par<br />
<strong>de</strong>s tâches complexes <strong>et</strong> les modalités<br />
d’évaluation : « Ils étaient un peu<br />
inqui<strong>et</strong>s à savoir si toutes les activités<br />
allaient compter. De façon particulière,<br />
les élèves dits scolaires<br />
ont été déstabilisés par c<strong>et</strong>te nouvelle<br />
façon <strong>de</strong> faire; ce n’était pas ce<br />
à quoi ils étaient habitués. » Après<br />
quelques semaines, les élèves ont<br />
pris le rythme : « Je les sentais<br />
acteurs, ils étaient heureux. » Sylvie<br />
<strong>et</strong> son collègue se sont attachés au<br />
fait <strong>de</strong> créer un climat <strong>de</strong> classe<br />
propice à l’apprentissage. Ainsi, au<br />
début <strong>de</strong> chaque cours, les élèves<br />
avaient cinq minutes <strong>de</strong> détente<br />
pendant lesquelles, à qui mieux<br />
mieux, on racontait une blague, une<br />
histoire, un fait cocasse, un souvenir,<br />
<strong>et</strong>c. Cela a permis aux élèves,<br />
jusqu’à la fin <strong>de</strong> l’année, <strong>de</strong> prendre<br />
le temps d’entrer en apprentissage<br />
avant <strong>de</strong> s’engager dans l’exécution<br />
PÉDAGOGIQUE 15<br />
L’ÉLÈVE ACTIF