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No 134, février-mars - Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport ...

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Rapports aux savoirs : évolution en camaïeu<br />

par Richard Pallascio<br />

STATUT DES CONNAISSANCES<br />

La réforme <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation<br />

actuellement implantée au<br />

Québec représente un saut<br />

qualitatif important par rapport aux<br />

réformes antérieures. Certes ambitieuse,<br />

elle n’est pourtant pas l’œuvre<br />

d’une pensée instantanée ni d’un<br />

exercice unique. L’accès mondial<br />

aux informations, aux résultats <strong>de</strong> la<br />

recherche en matière d’é<strong>du</strong>cation <strong>et</strong><br />

aux échanges entre les déci<strong>de</strong>urs,<br />

dans le domaine <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation<br />

comme en d’autres domaines, fait<br />

que la mouvance é<strong>du</strong>cative actuellement<br />

vécue au Québec s’observe<br />

ailleurs, un peu partout dans le<br />

mon<strong>de</strong>. Alors d’où proviennent les<br />

changements fondamentaux sousjacents<br />

aux nouveaux programmes<br />

proposés aux écoles?<br />

Dans le présent article, nous nous<br />

intéressons aux représentations<br />

épistémologiques qui les gouvernent.<br />

Autrement dit, quel est le<br />

statut accordé aux connaissances<br />

dans ce contexte <strong>et</strong> parallèlement,<br />

mais <strong>de</strong> manière interdépendante,<br />

quels sont les nouveaux rapports<br />

aux savoirs sur lesquels nous<br />

<strong>de</strong>vons tabler? Et qui sont ces personnes,<br />

pédagogues ou penseurs,<br />

qui ont eu une influence marquée<br />

sur les nouvelles conceptions présidant<br />

aux apprentissages scolaires?<br />

<strong>No</strong>us verrons que, tel le camaïeu,<br />

c<strong>et</strong>te pierre fine formée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

couches <strong>de</strong> même couleur mais <strong>de</strong><br />

ton différent, le statut que nous<br />

accordons aux connaissances <strong>et</strong> les<br />

rapports que nous entr<strong>et</strong>enons à<br />

l’égard <strong>de</strong>s savoirs institutionnels<br />

évoluent en parallèle, autant pour<br />

ce qui est <strong>de</strong>s savoirs savants qu’en ce<br />

qui concerne les savoirs scolaires.<br />

Le statut <strong>de</strong>s connaissances<br />

Jusqu’à tout récemment, les connaissances<br />

étaient représentées<br />

socialement comme <strong>de</strong>s entités<br />

indépendantes <strong>de</strong> nous, autant <strong>de</strong><br />

notre corps que <strong>de</strong> notre esprit,<br />

établies une bonne fois pour toutes,<br />

inscrites dans <strong>de</strong>s registres disciplinaires<br />

décontextualisés <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant<br />

être admises telles quelles, car elles<br />

étaient garanties par le sceau officiel<br />

d’organismes patentés. Puisqu’il<br />

était évi<strong>de</strong>mment superflu <strong>de</strong> les<br />

faire découvrir ou réinventer par<br />

les élèves, elles étaient alors transmises,<br />

à l’ai<strong>de</strong> d’un discours<br />

transposé ou adapté, évi<strong>de</strong>mment,<br />

aux capacités cognitives <strong>de</strong>s élèves.<br />

Bien que c<strong>et</strong>te façon <strong>de</strong> concevoir<br />

les apprentissages scolaires soit<br />

encore fort répan<strong>du</strong>e <strong>et</strong> défen<strong>du</strong>e<br />

par plusieurs personnes, ce n’est<br />

pas d’hier qu’elle a commencé<br />

à être remise en question. Parmi<br />

les premiers pragmatistes, on rencontre<br />

l’Anglais Guillaume d’Occam<br />

(v. 1300-1350) qui va défendre<br />

l’idée que tu ne crées pas d’être si<br />

tu n’en as pas besoin. Autrement<br />

dit, une nouvelle connaissance, que<br />

ce soit Newton élaborant sa théorie<br />

<strong>de</strong> la gravitation universelle ou un<br />

écolier qui s’interroge sur les causes<br />

<strong>de</strong> la valeur gravitationnelle à la<br />

surface d’une planète, à savoir son<br />

volume, sa masse ou une combinaison<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux (Pallascio 2002),<br />

n’est pas qu’une vue <strong>de</strong> l’esprit,<br />

mais elle doit être liée nécessairement<br />

à un questionnement <strong>de</strong> l’indivi<strong>du</strong><br />

situé dans un contexte social<br />

donné.<br />

À la même époque, marquant la fin<br />

<strong>du</strong> Moyen Âge, un débat émerge<br />

concernant le travail <strong>du</strong> scientifique,<br />

entre les scientistes pour qui<br />

tout problème peut être résolu par<br />

une approche scientifique, ceux-ci<br />

croyant ainsi à ses fon<strong>de</strong>ments<br />

absolus, <strong>et</strong> leurs opposants qui<br />

décèlent dans le travail scientifique<br />

une prise en considération <strong>de</strong> la<br />

réalité sociale telle qu’elle est vécue<br />

<strong>et</strong> perçue par ceux <strong>et</strong> celles qui le<br />

font. En d’autres termes, pour ces<br />

<strong>de</strong>rniers, faire <strong>de</strong> la science n’est<br />

pas neutre!<br />

Plus près <strong>de</strong> nous, les métathéorèmes<br />

<strong>de</strong> Church <strong>et</strong> Goe<strong>de</strong>l, dans le<br />

domaine <strong>de</strong> la logique mathématique,<br />

au début <strong>de</strong>s années 30,<br />

avaient bousculé les prétentions<br />

logiques misant sur une certitu<strong>de</strong><br />

théorique. Ceux-ci montraient qu’il<br />

n’est pas possible, à l’intérieur<br />

d’une théorie mathématique donnée,<br />

<strong>de</strong> la justifier entièrement sur<br />

la base <strong>de</strong> la logique formelle, sans<br />

recourir à une théorie mathématique<br />

plus puissante. La démonstration<br />

récente <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier théorème<br />

<strong>de</strong> Fermat par Andrew Wiles<br />

(Pallascio 2001), après 358 ans <strong>de</strong><br />

débats mathématiques, laquelle s’est<br />

réalisée avec <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s mathématiques<br />

inventés au <strong>de</strong>rnier siècle,<br />

illustre bien, à notre avis, la nécessité<br />

d’une construction autant indivi<strong>du</strong>elle<br />

que collective <strong>de</strong>s connaissances <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong>s savoirs institutionnalisés qui<br />

s’ensuivent.<br />

Quand on en arrive à concevoir que<br />

même une théorie mathématique<br />

puisse être faillible, c’est-à-dire<br />

que les connaissances socialement<br />

construites sont corrigibles <strong>et</strong> sans<br />

cesse ouvertes à la révision, la<br />

transmission <strong>de</strong> tout savoir présenté<br />

comme réel <strong>et</strong> éternel <strong>de</strong>vient rapi<strong>de</strong>ment<br />

ca<strong>du</strong>que. L’adoption d’une<br />

position, selon laquelle les mots<br />

n’ont pas <strong>de</strong> signification en euxmêmes,<br />

a alors pour conséquence<br />

que le savoir ne peut être transféré<br />

tout élaboré <strong>de</strong> l’enseignant à l’élève<br />

par le langage écrit ou parlé <strong>et</strong> qu’il<br />

doit être reconstruit activement par<br />

chaque élève. Par exemple, pour les<br />

constructivistes, les idées mathématiques<br />

ne sont pas découvertes, en<br />

provenance d’un mon<strong>de</strong> extérieur à<br />

nous ou préexistant aux êtres<br />

humains, mais bien créées <strong>et</strong> leur<br />

statut est négocié entre les pro<strong>du</strong>cteurs<br />

<strong>et</strong> les utilisateurs. Ainsi la<br />

certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits mathématiques<br />

découle-t-elle <strong>de</strong> l’entente entre les<br />

mathématiciens sur <strong>de</strong>s façons<br />

d’opérer <strong>et</strong> non <strong>de</strong> la nature même<br />

<strong>de</strong> l’univers (Confrey 1991).<br />

Les implications pédagogiques<br />

Ce sont donc <strong>de</strong>s représentations<br />

sociales <strong>de</strong> ce que sont les connaissances<br />

<strong>et</strong> les savoirs à toutes fins<br />

utiles qui se sont affrontées pendant<br />

<strong>de</strong>s siècles <strong>et</strong> qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong><br />

concevoir aujourd’hui que la réalité,<br />

autant la réalité tangible qui<br />

nous environne que la réalité abstraite<br />

que nous construisons par<br />

<strong>et</strong> à partir <strong>de</strong> l’autre, ne soit pas<br />

découverte mais bien fabriquée par<br />

Photo : Denis Garon<br />

VIE 12 Vie pédagogique <strong>134</strong>, février-<strong>mars</strong><br />

2005

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