PAR WAFA AYED ET FRANCK VERDUN,

Dossier
De l’éthique,
du droit
PAR WAFA AYED
ET FRANCK VERDUN,
VERDUN-VERNIOLE AVOCATS, WWW.VERDUN-VERNIOLE.COM
La formalisation des démarches éthiques dans les
entreprises est une pratique en expansion depuis
une quinzaine d’années. Loin de s’opposer au
droit, ce développement s’inscrit au contraire
comme un outil de diffusion de la culture juridique dans
l’entreprise et auprès de ses parties prenantes.
Bien que nombreuses, les raisons de ce développement
s’inscrivent dans un contexte commun, celui de la moralisation
des affaires et de la bonne gouvernance. Elles
reflètent en outre une prise de conscience par les entreprises
de leur responsabilité sociétale ou RSE.
Par ailleurs, ces démarches éthiques, qui sont hétérogènes
dans leur contenu et leur champ d’application, ont
toutes vocations à rappeler les valeurs et règles de comportements
propres à l’entreprise et devant être respectées par
l’ensemble de ces parties prenantes.
Mais ces démarches éthiques suscitent de nombreuses
interrogations et difficultés notamment quant à leur valeur
juridique ou à leur champ d’application. Dès lors, il est
intéressant de se demander pourquoi ces démarches
tendent à se développer, par quels moyens, quels en sont les
acteurs, mais également les risques et les limites, ainsi que
les sanctions de leur non-respect.
Afin de répondre à ces questions pratiques, il nous a
semblé judicieux d’interroger les acteurs de ces démarches,
à savoir les responsables éthiques ou déontologiques qui
ont en outre souvent en charge des fonctions juridiques,
pour comprendre comment sur le terrain de l’entreprise,
celles-ci se déploient (V. infra Arnauld Van Eeckhout,
directeur juridique et responsable éthique de Bouygues
Telecom ; Emmanuel Lulin, directeur éthique de l’Oréal ;
Philipe Lousky, déontologue et responsable du contrôle
des services d’investissement de La Banque Postale).
Cette approche pratique sera complétée par des contributions
relatives aux risques notamment juridiques que
l’on peut rencontrer lors de la mise en place de ces
démarches (V. infra Franck Verdun), ou encore ceux relatifs
à la confrontation d’un code d’éthique étranger à la loi
nationale (V. infra Christophe Collard). D’autres contributions
analyseront les codes éthiques des sociétés du CAC 40
et tenteront d’établir dans quelle mesure ceux-ci peuvent
être un vecteur d’intégration de la norme juridique par les
acteurs de l’entreprise (V. infra Christophe Roquilly).
Enfin, une place particulière sera accordée au non-respect
de l’éthique dans les entreprises au travers de la lutte contre
la corruption privée (V. infra Wafa Ayed).
CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 5, SEPTEMBRE-OCTOBRE 2011 21

Dossier DE L’ÉTHIQUE, DU DROIT
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Démarche éthique
LA DÉMARCHE ÉTHIQUE
DE L’ORÉAL
Article rédigé par :
Emmanuel LULIN,
Directeur de l’éthique, L’Oréal
La charte éthique chez L’Oréal date de 2000. Elle a été formalisée lorsqu’il est apparu
que l’éthique ne pouvait plus seulement résulter d’une transmission par oral ou par
l’exemple des valeurs de l’entreprise. La démarche éthique a pris un nouvel essor en
2007. À cette date, a été créé un poste de directeur de l’éthique directement rattaché
à la direction générale. L’objectif de la démarche éthique est de transmettre une culture de
responsabilité qui intègre notamment le respect de la loi. Elle est le résultat d’un travail
collectif, aujourd’hui animée à tous les niveaux de l’entreprise.
1. L’éthique chez L’Oréal : transmettre
une culture de responsabilité qui
intègre le respect de la loi
Avant même de parler de démarche éthique, on peut s’interroger,
dans une entreprise moderne, sur ce qu’on entend par
« respect de la loi » ? Selon la tradition juridique française,
chacun doit connaître et respecter la loi (nul n’est censé l’ignorer
!) et l’Autorité publique est chargée de sanctionner toute
personne en cas de manquement.
Or cette vision d’un droit dont on n’entendrait parler qu’en
cas de violation tend à évoluer avec le développement de la
notion de compliance. Cette notion fait certes peser sur l’entreprise
de ne pas commettre l’interdit mais aussi de montrer, de
faire preuve positivement que la loi est connue et que des
programmes de prévention pour assurer son respect sont mis
en place. C’est un vrai changement culturel juridique dont
nous sommes tous conscients.
Face à ce changement de culture, il existe deux façons
d’aborder les enjeux :
- multiplier les contrôles, ce qui engendre une culture de
méfiance ;
- soit créer une culture de responsabilité qui fait en sorte que
le respect de la loi est chose naturelle.
C’est dans ce deuxième cas que la démarche éthique révèle
sa pertinence. Une entreprise où les collaborateurs sont encouragés
à agir avec intégrité, courage et transparence crée les
conditions du respect du droit. Dans une organisation, faire
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appel à l’intelligence de ses collaborateurs, plutôt qu’à leur
obéissance est plus respectueux et plus pérenne.
La démarche éthique permet d’aller au-delà du droit. En
effet elle permet aux collaborateurs d’adopter un comportement
adéquat face à des situations où la loi ou la jurisprudence
n’apporte pas toujours de réponse claire.
“ L’éthique participe donc à la
pérennité et la valeur de
l’entreprise ”
La démarche éthique permet de prendre en considération
des attentes de la société qui souvent précèdent le droit.
Ainsi, L’Oréal est une entreprise internationale qui, et ce
n’est pas la seule, s’interroge sur l’objet de son existence et sur
ses objectifs non économiques et ne peut se satisfaire de l’application
du droit seul. Au-delà des diversités légales et réglementaires,
l’éthique propose aux collaborateurs d’adhérer à un
corps de valeurs partagées par toutes les parties prenantes dans
l’entreprise. Par exemple, nous nous interdisons de faire travailler
directement ou indirectement via nos sous-traitants des
mineurs de moins de 16 ans bien que les textes internationaux
et la loi de certains pays l’autorisent.
Adopter un comportement éthique, c’est donc non seulement
se prémunir contre le risque juridique, mais c’est aussi
protéger la réputation de l’entreprise, partie de son capital

immatériel qui est aujourd’hui essentiel, et donner du sens à
ses actions.
Fondamentalement, une entreprise au comportement nonéthique
risque de mettre en jeu ce qu’en anglais on nomme la
« Licence to operate ». L’éthique participe donc à la pérennité et
la valeur de l’entreprise.
2. La charte éthique, Constitution
de l’entreprise
Nous voyons plus la charte éthique comme notre Constitution
; sa nature n’est pas comminatoire, pour parler en juriste.
C’est un document de référence pour chacun d’entre nous. Elle
est une inspiration au quotidien qui encourage la vigilance et le
dialogue et permet souvent de prévenir plutôt que de guérir.
C’est aussi un outil pédagogique au regard des attentes de
l’entreprise ; à vrai dire, elle reprend souvent des règles de bon
sens.
Cela bien entendu n’exclut pas l’importance de la charte
éthique. Elle est essentielle et d’ailleurs le message introductif
du comité exécutif à notre charte éthique le rappelle, qui
précise : « Les valeurs et les principes énoncés dans ce document
(la charte éthique) ne sont pas facultatifs : vous devez les
respecter ».
Dans la plupart des pays, et notamment en France, les
manquements aux principes de la charte peuvent être sanctionnés
par la législation locale. Le non-respect de la charte est
sévèrement sanctionable et chacun le sait.
3. La démarche éthique, le résultat
d’un travail collectif
Notre première charte éthique a été diffusée dès 2000,
quand il nous a semblé que nous ne pouvions plus nous en
remettre simplement à des valeurs transmises oralement ou
par l’exemple. Nous avons souhaité la revoir en 2007, période
qui coïncidait avec la nomination d’un directeur de l’éthique,
directement rattaché au directeur général, en charge d’animer
cette démarche.
Il nous est apparu dès le départ que la méthode que nous
appliquerions serait un élément important de la crédibilité et
de la légitimité de la future charte éthique de L’Oréal.
Cette nouvelle charte est le résultat d’une consultation à
l’échelle mondiale. Des groupes de travail ont été formés dans
chaque grande zone géographique (Asie, Amérique du Nord,
Amérique Latine, Europe). Nous avons sciemment choisi
d’associer ceux qui seraient les acteurs de son respect et de sa
mise en œuvre, en incluant, dans une démarche d’anticipation
et de modernité, des jeunes managers de 22 nationalités qui
pourraient un jour compter parmi nos dirigeants.
Tous les patrons de pays, les DRH, les directeurs juridiques
ont relu le projet de charte. Il en est résulté un document que
les pays ont perçu dès le départ comme le leur et non comme
un document émis par le seul siège du groupe.
La charte éthique existe en 43 langues qui sont autant de
versions parce que ce sont des adaptations culturelles autour
de valeurs communes fortes. Nous avons privilégié des traduc-
teurs littéraires, pour éviter l’utilisation de terminologie pouvant
paraître obscure au plus grand nombre. Rien dans la
charte ne doit être perçu comme étranger à quelqu’un qui la
lirait dans sa langue, d’où quatre versions espagnoles, deux
versions anglaises et trois chinoises. C’est, il me semble, une
démarche pionnière qui, en tant que telle, témoigne de notre
respect de la diversité et du multiculturalisme.
Le texte qui a résulté de ce travail collectif a été soumis à
notre comité exécutif. Chacun de ses membres en a signé
personnellement l’introduction montrant ainsi que la charte
éthique fait partie intégrante de la vie de tous les jours dans la
conduite de nos affaires, partout dans le monde.
La charte est consultable sur notre site :
http://www.loreal.fr/_fr/_fr/html/groupe/ethique.aspx
4. L’éthique, une démarche vivante
dans l’entreprise
Je viens de vous parler de notre charte éthique qui, pour
essentielle qu’elle soit, n’est qu’un élément de notre démarche.
Le premier pilier de notre démarche éthique consiste à aider
le management à tous les niveaux de l’entreprise à comprendre
son rôle et ses responsabilités en la matière car il est le garant de
sa mise en œuvre.
Nous faisons par ailleurs vivre cette démarche par une
communication continue. Notre démarche éthique est soutenue
au plus haut niveau et l’importance qu’y accorde notre
président-directeur général, Jean-Paul Agon, en témoigne. Il
préside notre journée annuelle dédiée à l’éthique,dont l’événement
phare est un web-chat où tous les collaborateurs du
monde peuvent lui poser des questions relatives à l’éthique,
auxquelles il répond en direct.
Bien entendu, l’éthique peut être parfois un sujet complexe
et la formation est une dimension importante de notre
démarche à laquelle sont associés les RH.
Dans le cadre d’une démarche de progrès, la direction de
l’éthique réalise un reporting annuel.
Afin qu’aucun questionnement ne demeure sans réponse,
chacun doit pouvoir être entendu et nous disposons d’une
politique « Parlons en ensemble » qui permet à tous,en dernier
ressort, de prendre contact avec le directeur de l’éthique du
groupe.
Enfin, au quotidien, la démarche est relayée dans les pays
par des correspondants éthiques qui assistent le patron de pays
pour faire vivre partout notre démarche. Je viens d’ailleurs de
conclure la convention annuelle des correspondants éthiques
où nous avons parlé du management du changement, de l’analyse
des risques éthiques et de la façon de résoudre des
« dilemmes éthiques ». 95 % des collaborateurs du groupe ont
accès à un correspondant éthique local.
En quelques années nous avons mis en œuvre beaucoup
d’actions mais en la matière il faut à la fois être humble et
ambitieux. Nous ne manquons pas de projets 1 .
1. Pour plus de renseignement, V. également http://
www.developpementdurable.loreal.com/business/ethics.asp.
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