Les paradoxes de la relation client dans un monde digital - Pearson

COMPORTEMENT
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Entre personnalisation et protection de la vie privée 31
3
Paradoxe
Entre personnalisation
et protection de la vie privée
Dans le monde réel, rien n’est gratuit.
Sur Internet, si… à condition que le regard
des autres ne vous dérange pas.
Rien n’est gratuit
Si Internet a connu un tel essor, c’est en grande partie grâce à la mise à disposition
de services « gratuits », fi nancés par une publicité ciblée ou par la revente des
données collectées lors de leur utilisation. Or, beaucoup d’observateurs estiment
que cette récolte d’informations n’a pas obtenu le consentement pleinement éclairé
des internautes. Face à ce qui est perçu comme une violation de la vie privée, des
réactions éparses apparaissent aujourd’hui ; elles s’entendent dans un mouvement
de panique morale plus vaste, autour de l’usurpation d’identité, de la divulgation
d’informations offi cielles, des problèmes de sécurité et de la cybercriminalité.
D’un autre côté, de nombreux services novateurs utilisent les données personnelles
des consommateurs pour leur apporter une véritable valeur ajoutée. Question :
comment innover sans outrepasser la sensibilité des consommateurs ? Comment
se comporter avec eux de manière appropriée ?
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Les paradoxes de la relation client…
L’intelligence émotionnelle appliquée à la relation client digitale
En psychologie, savoir adopter un comportement adéquat en fonction des gens et
des situations constitue une caractéristique fondamentale de l’intelligence émotionnelle
(IE). Pour une entreprise, l’enjeu se pose donc ainsi : comment acquérir cette
intelligence émotionnelle ? Comment jauger correctement les besoins parfois contradictoires
des clients, et comment nourrir une image de marque qui leur soit
agréable ?
Les consommateurs veulent tout et son contraire !
En l’occurrence, l’aspect le plus paradoxal tient au fait que les clients souhaitent
profi ter des avantages d’une communication contextualisée (à l’image des offres
locales proposées par Vouchercloud 1 ), mais qu’ils refusent en même temps, par
exemple, que leurs déplacements soient enregistrés.
Une stratégie de gestion client fondée sur l’intelligence émotionnelle s’emploiera
à cibler les désirs des clients : que tout leur soit facile, qu’ils puissent se sentir
comme chez eux, qu’ils se voient proposer des services pertinents, qu’on leur donne
le sentiment d’être importants, qu’ils soient bien servis, et qu’ils puissent faire
confi ance à l’entreprise. Cette stratégie devra dans le même temps respecter leurs
préférences en matière de vie privée : les laisser maîtres de l’utilisation de leurs
BearingPoint
BearingPoint
Figure 3.1 Entre personnalisation et protection de la vie privée.
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Entre personnalisation et protection de la vie privée
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données personnelles – réservée aux seuls usages qu’ils auront approuvés – et
garantir qu’elles seront stockées en toute sécurité (voir Figure 3.1).
Certains cas sont plus simples à démêler que d’autres. Diffi cile ainsi de donner
tort à ceux qui réclament de pouvoir gérer facilement les paramètres de confi dentialité
des différents services et points de contact digitaux, tels que Facebook.
Mais s’ils acceptent qu’on s’immisce un tant soit peu dans leur vie privée pour
profi ter de tel ou tel avantage, qu’y a-t-il de mal à cela ?
Deux exemples. On imagine mal qu’un client bien informé refuse l’installation
d’un cookie généré par le site Amazon, qui lui permettra de commander en
un clic lors de sa prochaine visite. Mais d’autres scénarios sont plus ambigus :
découvrir qu’une photo de vous, prise par un ami, a été publiée sur la page
Facebook d’un tiers, vous appréciez ou s’agit-il d’une atteinte à votre vie privée ?
La réponse pourra dépendre notamment de ce que l’on vous voit faire sur cette
photo, ou des personnes qui seraient susceptibles d’y accéder.
Les gens expriment des besoins divers et simultanés
L’accueil réservé au service « Street View » de Google résume à lui seul toute cette
problématique. Photographier des millions de rues à travers le monde représentait
d’un point de vue technique une fantastique prouesse. Et pourtant, outre les éloges
qu’elle a reçus, cette fonctionnalité a aussi fait les frais d’une mauvaise presse, s’est
vue menacée de poursuites judiciaires 2 , interdite par certains États 3 ou soumise
ailleurs au versement d’une amende 4 . Des réactions diverses selon l’endroit mais
qui tournaient toutes autour de la question de la vie privée. Pourquoi ?
L’explication nécessite d’en appeler à la psychologie. Dans notre vie quotidienne,
nous exprimons à la fois le besoin de posséder la capacité d’agir (c’est le concept
d’autonomisation, ou empowerment) et de préserver un espace personnel (notre vie
privée). Ces normes recèlent des composantes physiques et affectives. Elles associent
en réalité les deux, et varient en fonction du contexte social et culturel :
l’époque où nous sommes nés, le lieu où l’on vit, l’éducation, les amis, la famille,
et ainsi de suite. Toute interaction avec le monde extérieur qui ne cadre pas avec
nos propres normes nous semblera malvenue.
Dans le monde réel, les gens s’efforcent de trouver le bon équilibre…
Imaginez par exemple les scénarios suivants : vous entrez dans un magasin où
vous n’aviez plus mis les pieds depuis plusieurs années, et le commerçant vous
accueille tel un ami qu’il aurait perdu de vue ; vous attendez votre train, quand
une annonce en gare entreprend d’exposer aux autres passagers ce que vous
prévoyez de faire pour la soirée ; vous avez à peine passé la grille du jardin
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Les paradoxes de la relation client…
public, qu’un inconnu vous serre dans ses bras ; tout à coup, l’un de vos plus
vieux amis se comporte comme s’il ne vous avait jamais vu. Cela vous choque ?
C’est tout simplement parce que ces scénarios enfreignent nos normes
individuelles.
… Et les entreprises devraient faire de même dans la sphère digitale
De telles entorses peuvent s’avérer tout aussi inopportunes dans le monde digital :
un site web que vous n’aviez encore jamais consulté vous accueille par votre
prénom et vous propose de commander quelque chose en étant livré à votre
domicile, dont il connaît déjà l’adresse ; un autre site, dont vous êtes un client
régulier, ne reconnaît plus votre identifi ant ou votre adresse e-mail ; vos données
personnelles font partie de celles qui ont été piratées chez un prestataire, tel que
play.com 5 ; ou vous avez entendu dire que Google était venu photographier votre
rue pour son service Street View, et en avait profité pour enregistrer les connexions
WiFi. En tant que client, il y a là de quoi s’inquiéter – et d’autant plus, sans
doute, si vous prenez conscience que vos données personnelles, une fois disponibles
en ligne, risquent d’être extrêmement diffi ciles à effacer. Dans le monde
réel, vous aurez toujours en revanche la possibilité d’éviter ce commerçant trop
familier.
Voilà qui pose très clairement le dilemme auquel les entreprises se trouvent
confrontées. Le monde digital leur offre la capacité de cibler de manière extrêmement
précise les communications adressées aux clients, en fonction de leur
contexte propre. Mais quelles sont les règles qu’il leur faudrait suivre pour
garantir que leurs démarches de gestion du client digitale n’aillent pas empiéter
sur la zone de confort des clients et s’assurer en d’autres termes qu’elles soient
perçues comme opportunes ? Prendre connaissance de ce que les gens s’inquiètent
en tout premier lieu de partager – ce qui les rend le plus vulnérables, comme
leur localisation géographique, les informations relatives à leur situation fi nancière,
à leur moral, à leur état de santé et à leur niveau de bien-être, ou l’identité
de leurs amis et de leurs ennemis – aidera à trouver la réponse (voir Figure 3.2).
Si l’on empiète sur la zone de confort des clients, à quoi doit-on s’attendre ? Se
montreront-ils moins fi dèles ? Vont-ils se tourner vers la concurrence ? L’une des
conséquences possibles est que les clients risquent en fait de fournir des informations
erronées. Il suffi t de songer au recensement britannique de 2001, au
cours duquel près de 400 000 citoyens se sont déclarés de confession « Jedi »
(comme dans Star Wars !). Vaut-il donc mieux collecter davantage de données,
dont une partie sera fausse, ou en recueillir moins, mais que toutes soient
exactes ?
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Partage des données
sur les différents canaux
Réseau social
Commerçants
Banques
Administration
Coordonnées
de contact
Liste
d’amis
CV
Coordonnées
bancaires
Détails sur le
mode de vie
Historique
d’achats
Localisation
Revenus
Amis
Famille
Soi-même
Photos
CV
Détails sur le
mode de vie
Localisation
Opinions
politiques
Dossier
médical
Personne
Empreinte
ADN
Types de données
Sensibilité
des données
Figure 3.2 Assentiment des clients quant au partage de données personnelles
par le biais de différents canaux.
Les normes sont individuelles, évolutives, et soumises
à des influences sociales et contextuelles
La résolution de notre paradoxe se heurte à une diffi culté supplémentaire liée au
fait que chaque individu possède des normes différentes, par nature dynamiques,
et que ces normes évoluent donc au fil du temps. Les internautes ont pris l’habitude
de recevoir des messages publicitaires ciblés, fondés sur leur comportement de
navigation et de recherche. Combien sont-ils, parmi les utilisateurs de Gmail, à
se rendre compte qu’un ciblage réalisé à partir du contenu de leurs courriels
présente quelque chose de suspect ? Ce qui est certain, c’est qu’une personne venue
tardivement à l’usage des e-mails jugera probablement qu’il s’agit dans les deux
cas, et à coup sûr dans le second, d’une atteinte à sa vie privée. Reste que d’ici
une vingtaine d’années, le ciblage tel qu’il se pratique aujourd’hui nous paraîtra
sans doute aussi primitif que discret.
Tandis que les règles sont précisément définies, et constituent des repères lisibles,
on notera que les normes – en particulier sur les marchés ou dans les domaines
nouveaux – s’avèrent beaucoup plus diffi ciles à prédire et à interpréter. Elles sont
soumises à l’infl uence des groupes sociaux auxquels les gens s’identifi ent. Un client
inexpérimenté ne saura pas forcément dans quelle mesure il doit se préoccuper
du respect de sa vie privée, ni quel peut être l’impact de la technologie en la
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matière. Voilà qui met en lumière le rôle que les grands leaders d’opinion sont
susceptibles de jouer, en plaidant par exemple pour une uniformisation des nouveaux
schémas de comportement du client quant à la divulgation de ses données
personnelles (voir Figure 3.3).
NORMES
SOCIALES
µ-3
µ-2
µ-
µ µ+ µ+2 µ+3
Figure 3.3 Les normes sont individuelles, évolutives, et soumises
à des influences sociales et contextuelles (source : BearingPoint).
Les gens sont de plus en plus sensibilisés au respect de la vie
privée, et l’arsenal législatif se développe
Le caractère mouvant de la cible s’explique en partie par le fait que l’opinion
publique peut tout à la fois guider et être guidée par les normes individuelles.
Pour que l’opinion soit alertée, il faut que les gens prennent conscience qu’il existe
un problème, et qu’ils en évaluent l’ampleur. Encore récemment, la majorité des
internautes ignoraient que leur comportement en ligne faisait l’objet d’un suivi,
et la plupart d’entre eux ne savent toujours pas jusqu’à quel point. Mais les temps
changent, et la médiatisation de ces questions entraîne aujourd’hui une sensibilisation
accrue du public (voir par exemple la série d’articles intitulée « What
They Know », publiée en 2010 dans le Wall Street Journal, ainsi que les initiatives
offi cielles lancées tant en Europe qu’aux États-Unis 6 ).
Des études menées au Royaume-Uni 7 ont mis en évidence qu’une majorité de
personnes s’inquiétaient du devenir de leurs données personnelles en ligne : 96 %
des gens redoutaient que les entreprises ne leur assurent pas un stockage sécurisé,
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ce qui, dans le monde physique, reviendrait à craindre que nos collègues et amis
ne divulguent les faits ou les informations d’ordre privé que nous aurions décidé
de partager avec eux.
Si l’on récapitule, le grand paradoxe tient donc ici au fait que les clients souhaitent
profiter des avantages d’une communication contextualisée mais qu’ils veulent
aussi préserver leur vie privée. Pour les entreprises, l’enjeu consiste alors à trouver
le moyen de concilier de manière stratégique ces besoins contradictoires.
Pour surmonter le paradoxe
1. Veillez à ce que le comportement de l’entreprise, sur le plan de la collecte, de
la conservation et de la gestion des données des clients, soit bien en adéquation
avec leur mentalité, pour le type de produit ou de service qu’elle propose.
2. Tâchez d’appréhender avec une acuité suffi sante la mentalité et la sensibilité
des clients visés, afi n de défi nir la position de l’entreprise par rapport à la
géolocalisation, à l’utilisation de cookies, à la collecte de données et à
l’exploitation des réseaux sociaux.
3. Assurez-vous que l’entreprise agisse dans le respect de la législation et qu’elle
adopte en toutes circonstances le comportement qui convient – y compris sur
les nouveaux marchés. Identifi ez sur ces nouveaux marchés les équivalences
avec le monde réel et les conséquences d’un comportement inapproprié. Vérifiez
que les démarches de gestion du client digital n’enfreignent aucune norme
établie.
4. Observez les erreurs et les réussites des autres entreprises, et tirez-en les leçons.
Prenez garde aux retombées imprévues de vos actes, et développez une stratégie
et un plan d’action clairs et précis pour vous sortir des mauvais pas. Élaborez
une stratégie de réussite inspirée de démarches fructueuses.
5. Veillez à ce que les notifi cations push basées sur le contexte (géolocalisation,
par exemple) soient uniquement envoyées aux clients qui en font explicitement
la demande. Assurez-vous aussi que votre stratégie reconnaisse et respecte bien
les limites fi xées pour l’acceptation des notifi cations push (tranches horaires,
rapport avec des événements spécifi ques).
6. Collectez uniquement les données privées qui procurent de la valeur aux clients,
en permettant par exemple l’envoi de notifi cations ou d’offres et de
promotions personnalisées. Dans cette optique, tâchez d’investir pour mieux
comprendre quels sont les sujets à exclure. Et lorsque c’est possible, et que
cela s’avère plus productif, ciblez les clients par le biais d’approches comportementales
génériques plutôt que personnalisées.
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Les paradoxes de la relation client…
7. Faites appel à des spécialistes de la gestion des données personnelles (tels que
PayPal) ou efforcez-vous de vous imposer comme « tiers de confi ance » auprès
de vos clients (à l’instar d’Amazon qui sert de garantie aux clients de son
Marketplace).
8. Réfléchissez à l’opportunité d’investir pour vous assurer le concours de grands
leaders d’opinion, dans le but d’uniformiser les nouveaux comportements (on
pense notamment à Stephen Fry et à son fl ux Twitter).
Notes
1. http://www.voucherland.com/.
2. En Allemagne.
3. En République tchèque et en Suisse.
4. En France.
5. http: //www.guardian.co.uk/technology/2011/mar/22/
play-customer-details-leaked?INTCMP=SRCH.
6. Voir les récentes actions législatives et de communication entreprises par la Commission européenne
et par la Federal Trade Commission.
7. Information Commissioner’s Offi ce, 2010.
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