les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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constituent plus qu'une technostructure au sens de J. K. Galbraith 205 . * * * * Parler des technocrates en Syrie pose directement la question des relations entre ces ingénieurs et le système socio-économique étatique ou plus précisément du secteur public, car leur choix du type d'économie reflète la conception de leur rôle. Ingénieurs et modèle économique Bien que le statut des ingénieurs du secteur public soit très défavorisé par rapport à leurs collègues du secteur privé, ce fait ne se traduit pas automatiquement par un refus de l'Etat. Pour eux, la domination peut être exercer aussi bien par l'Etat (représenté dans le secteur public) que par des groupes capitalistes (entrepreneurs, spéculateurs, direction financière, etc.,). L'exemple de la profession médicale de la Russie des années 90 montre le problème des médecins qui sont passés de l'emprise de l'Etat à celle des directeurs d'hôpitaux (privés ou publics) qui souvent ne sont pas des médecins 206 . Nous allons distinguer trois types d'ingénieurs en fonction de leurs conditions de travail : - ingénieurs dans les sociétés publiques privilégiées; - ingénieurs dans le secteur public défavorisé ; - ingénieurs dans le secteur privé. Dans le secteur public, il existe certaines sociétés, peu nombreuses, appartenant surtout au ministère de la Défense (dont les ressources financières sont abondantes par rapport aux autres ministères), qui conservent, jusqu'à présent et en dépit de la crise économique, des privilèges technologiques et financiers. Les ingénieurs de ce secteur, sachant qu'ils sont minoritaires par rapport aux autres catégories d'ingénieurs, ont montré une attitude qui reflétait les avantages dont ils jouissaient dans leur travail, c'est-à-dire une attitude favorable à ce secteur. Trois exemples pourraient l'illustrer : "Bien que le secteur public ne recherche pas la rentabilité ou qu'il ne soit pas souvent rentable, il reste le meilleur type d'économie pour notre société. (...) C'est le type qui assure l'indépendance économique nationale et l'auto-suffisance. (...) Ce secteur est le seul qui pourrait investir dans l'industrie lourde pour fabriquer des machines nécessaires à la production. Alors que le secteur privé ne peut pas le faire et recherche l'industrie de consommation rentable à court terme comme celle de l'agro-alimentaire. ..." 207 . Un autre ingénieur souligne qu'"En obligeant les ingénieurs à travailler cinq ans dans le secteur public, l'Etat leur rend service ; il nous apprend le métier pour que nous soyons ensuite capables de nous confronter au marché privé du travail". "Au C.E.R.S., il y a des technologies de pointe et des machines qu'aucune entreprise privée ne peut posséder. Ici toute la puissance de l'Etat met en place un plan et une stratégie économique pour 205 - John Kenneth Galbraith, Le nouvel Etat industriel- Essai sur le système économique américain, Gallimard, 1968, pp. 71-82. Selon lui, la technostructure est l'ensemble des techniciens et ingénieurs qui détient le pouvoir de décision en remplaçant ainsi les propriétaires des capitaux dans le système d'organisation de l'entreprise industrielle moderne. 206 - Cf. Michael Field, "The Medical Profession in Russia", actes du colloque "Genèse et dynamique des groupes professionnels", Paris, 19-20 Novembre 1992, organisé par Groupe international de recherche sur la sociologie des groupes professionnels. (Non publié). 207 - Entretien avec M. F. ingénieur en mécanique travaillant comme directeur technique d'une section au sein de Milihouse, société militaire multi-fonctionelle, qui gagne six mille Livres syriennes, c'est-àdire deux fois plus que ses collègues ayant les mêmes années d'expérience.

développer le pays. (...) J'ai acquis dans ce Centre une expérience professionnelle inégalable ailleurs. ...." 208 . En revanche, au sein de la partie défavorisée du secteur public (c'est la partie la plus importante) les ingénieurs ont tendance à dénoncer la logique du secteur public jugé "déficitaire, nonefficace et gaspilleur des ressources matérielles et humaines". Cette attitude, toutefois, ne se traduit pas, ipso facto, par une préférence inconditionnelle du secteur privé. Tout en privilégiant la logique économique des entreprises privées, ces ingénieurs se montrent sceptiques quant à la capacité de ce secteur, d'une part, à assurer à la fois la qualité et la rentabilité, et d'autre part, à satisfaire tous les besoins du pays. "Bien que l'on critique le secteur public, le secteur privé n'est pas mieux. Regardons comment ces ingénieurs, entrepreneurs spéculateurs dans le secteur du bâtiment ne cherchent que des profits en offrant des travaux de très mauvaise qualité. (...) Tout le monde connait F. K., cet ingénieur qui ne gagne les appels d'offre que par les relations. Mais, malgré cela, je crois qu'il faut donner une chance au secteur privé. (...) La rentabilité est très importante pour motiver l'économie et la développer" 209 . "Je respecte l'entreprise privée à cause de son efficacité. (...) L'ingénieur dans l'entreprise privée travaille neuf heures par jour, il prend son petit-déjeuner debout, alors que je passe avec mes collègues des heures et des heures sans rien faire. Je reste quelquefois deux heures puis je file à la maison. Ainsi cet ingénieur a plus d'occasion que moi pour accumuler des expériences professionnelles. (...)" 210 . Les ingénieurs du secteur privé ont une vision plus accentuée que celle de leurs collègues du public. Ils critiquent violemment le secteur public en voyant en lui un obstacle au développement. "Ce secteur récupère toutes les faveurs de l'Etat au détriment de l'entreprise privée. (..) Je suis contre le secteur public pour tout ce qui touche aux travaux publics, parce qu'il ne porte aucun principe d'efficacité économique. (...) On ne peut pas importer de matériaux sans passer par le rouage du secteur public pourri par la corruption. ..." 211 . Certains vont jusqu'à dire qu'il faut revendre le secteur public pour le transformer en sociétés anonymes gérées par des personnes compétentes. Ces ingénieurs ont compris que l'expansion des entreprises publiques et l'intervention de l'Etat dans la société et l'économie ne sont pas dues à une nécessitée technique ou à un manque de capitaux pour l'investissement, mais à une considération plutôt politique lié à la volonté de l'Etat de monopoliser les sources du pouvoir et les forces productives dans la société. 212 En fait, la Syrie a mené une expérience économique nouvelle depuis la fin des années 1980 en instaurant un type de société appelée "société mixte". Ce type est actif dans les domaines du tourisme et de l'agriculture et est surveillé par l'Etat qui possède souvent 51 % d'actions. Ce modèle a attiré l'attention des ingénieurs qui y voyaient la combinaison idéale de l'esprit de rentabilité et du contrôle de l'Etat. L'idée de la nécessité du contrôle même chez ceux qui sont opposés au secteur public marque bien la pensée économique des ingénieurs. En effet, ils n'évoquent pas souvent le capitalisme, ils parlent plutôt d'"ouverture" qui signifie la suppression des lois qui contraignent le secteur privé et surtout le 208 - R. T., femme architecte au C.E.R.S., Centre des Etudes et des Recherches Scientifiques, gagne huit mille Livres syriennes par mois, c'est-à-dire à peu prés trois fois plus que ses collègues ayant les mêmes années d'expérience. 209 - Entretien avec F. D. ingénieur civil qui travaille au ministère des Travaux publics. 210 - Entretien avec un ingénieur du ministère de l'Irrigation qui supervise une compagnie privée. 211 - Entretien avec F. N. ingénieur sanitaire qui dirige avec succès un bureau d'études et d'exécutions. 212 - Khaldun el-Nakib, al-dawla al-tasalutiyya fi al-machriq al-'arabi : drasa bina'yya muqarina (L'Etat autoritaire en Orient arabe : Etudes structurelle et comparative), Beyrouth, markaz dirasat al-wihda al-arabiyya (Centre des Etudes de l'Unité Arabe), 1991, p. 196.

constitu<strong>en</strong>t plus qu'une technostructure au s<strong>en</strong>s de J. K. Galbraith 205 .<br />

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Parler des technocrates <strong>en</strong> Syrie pose directem<strong>en</strong>t la question des relations <strong>en</strong>tre ces<br />

ingénieurs <strong>et</strong> le système socio-économique étatique ou plus précisém<strong>en</strong>t du secteur public, car leur choix<br />

du type d'économie reflète la conception de leur rôle.<br />

Ingénieurs <strong>et</strong> modèle économique<br />

Bi<strong>en</strong> que le statut des ingénieurs du secteur public soit très défavorisé par rapport à leurs<br />

collègues du secteur privé, ce fait ne se traduit pas automatiquem<strong>en</strong>t par un refus de l'Etat. Pour eux, la<br />

domination peut être exercer aussi bi<strong>en</strong> par l'Etat (représ<strong>en</strong>té dans le secteur public) que par des groupes<br />

capitalistes (<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs, spéculateurs, direction financière, <strong>et</strong>c.,). L'exemple de la profession médicale<br />

de la Russie des années 90 montre le problème des médecins qui sont passés de l'emprise de l'Etat à celle<br />

des directeurs d'hôpitaux (privés ou publics) qui souv<strong>en</strong>t ne sont pas des médecins 206 .<br />

Nous allons distinguer trois types d'ingénieurs <strong>en</strong> fonction de leurs conditions de travail :<br />

- ingénieurs dans <strong>les</strong> sociétés publiques privilégiées;<br />

- ingénieurs dans le secteur public défavorisé ;<br />

- ingénieurs dans le secteur privé.<br />

Dans le secteur public, il existe certaines sociétés, peu nombreuses, appart<strong>en</strong>ant surtout au<br />

ministère de la Déf<strong>en</strong>se (dont <strong>les</strong> ressources financières sont abondantes par rapport aux autres<br />

ministères), qui conserv<strong>en</strong>t, jusqu'à prés<strong>en</strong>t <strong>et</strong> <strong>en</strong> dépit de la crise économique, des privilèges<br />

technologiques <strong>et</strong> financiers. Les ingénieurs de ce secteur, sachant qu'ils sont minoritaires par rapport<br />

aux autres catégories d'ingénieurs, ont montré une attitude qui reflétait <strong>les</strong> avantages dont ils jouissai<strong>en</strong>t<br />

dans leur travail, c'est-à-dire une attitude favorable à ce secteur. Trois exemp<strong>les</strong> pourrai<strong>en</strong>t l'illustrer :<br />

"Bi<strong>en</strong> que le secteur public ne recherche pas la r<strong>en</strong>tabilité ou qu'il ne soit pas souv<strong>en</strong>t<br />

r<strong>en</strong>table, il reste le meilleur type d'économie pour notre société. (...) C'est le type qui assure<br />

l'indép<strong>en</strong>dance économique nationale <strong>et</strong> l'auto-suffisance. (...) Ce secteur est le seul qui pourrait investir<br />

dans l'industrie lourde pour fabriquer des machines nécessaires à la production. Alors que le secteur<br />

privé ne peut pas le faire <strong>et</strong> recherche l'industrie de consommation r<strong>en</strong>table à court terme comme celle de<br />

l'agro-alim<strong>en</strong>taire. ..." 207 . Un autre ingénieur souligne qu'"En obligeant <strong>les</strong> ingénieurs à travailler cinq ans<br />

dans le secteur public, l'Etat leur r<strong>en</strong>d service ; il nous appr<strong>en</strong>d le métier pour que nous soyons <strong>en</strong>suite<br />

capab<strong>les</strong> de nous confronter au marché privé du travail".<br />

"Au C.E.R.S., il y a des technologies de pointe <strong>et</strong> des machines qu'aucune <strong>en</strong>treprise privée<br />

ne peut posséder. Ici toute la puissance de l'Etat m<strong>et</strong> <strong>en</strong> place un plan <strong>et</strong> une stratégie économique pour<br />

205 - John K<strong>en</strong>n<strong>et</strong>h Galbraith, Le nouvel Etat industriel- Essai sur le système économique américain,<br />

Gallimard, 1968, pp. 71-82.<br />

Selon lui, la technostructure est l'<strong>en</strong>semble des technici<strong>en</strong>s <strong>et</strong> ingénieurs qui déti<strong>en</strong>t le pouvoir de<br />

décision <strong>en</strong> remplaçant ainsi <strong>les</strong> propriétaires des capitaux dans le système d'organisation de<br />

l'<strong>en</strong>treprise industrielle moderne.<br />

206 - Cf. Michael Field, "The Medical Profession in Russia", actes du colloque "G<strong>en</strong>èse <strong>et</strong> dynamique<br />

des groupes professionnels", Paris, 19-20 Novembre 1992, organisé par Groupe international de<br />

recherche sur la sociologie des groupes professionnels. (Non publié).<br />

207 - Entr<strong>et</strong>i<strong>en</strong> avec M. F. ingénieur <strong>en</strong> mécanique travaillant comme directeur technique d'une section<br />

au sein de Milihouse, société militaire multi-fonctionelle, qui gagne six mille Livres syri<strong>en</strong>nes, c'est-àdire<br />

deux fois plus que ses collègues ayant <strong>les</strong> mêmes années d'expéri<strong>en</strong>ce.

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