les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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destruction de milliers d'arbres et une nuisance importante pour l'agriculture. Le projet a été approuvé par le comité exécutif et est passé devant le conseil municipal de Damas. Là, il y a quelques "écologistes" 150 dont Nadia Khost, un écrivain renommé appartenant au parti communiste syrien, qui ont critiqué et protesté contre le choix du site. Une discussion très vive s'est produite entre, d'une part, les "écologistes", et d'autre part, les partisans du projet, y compris les ingénieurs. Enfin, le conseil municipal a approuvé majoritairement le choix de la Ghouta. Nadia Khost, avec d'autres, a mobilisé les journaux contre ce projet, tout en affirmant que "ces journaux ne font qu'apaiser et absorber le mécontentement intellectuel et populaire.". Qui pouvait donc arrêter la mise en application de ce projet? "Moi, continue Khost, je sais qui a le vrai pouvoir de décision, c'est Hafez el-Assad". Un groupe d'"écologistes" a donc demandé une audience au président de la République et est parvenu à convaincre celui-ci de choisir un autre site pour le centre, et ainsi de revenir à Ain-Tarma. Le Président a demandé une enquête pour déterminer les responsabilités dans la décision désapprouvée. L'enquête a mis en cause et inculpé les trois ingénieurs de la commission technique sans même nommer le maire ou les personnalités politiques et militaires responsables du changement du site d'Ain-Tarma. Le projet de Bab al-Faraj à Alep: Bab al-Faraj est une zone au centre de la ville d'Alep de neuf hectares dans l'ancien quartier juif 151 encerclé par des murs très anciens. Le projet consiste à aménager cette zone. L'origine de ce projet date de 1953 quand Gutton, expert étranger, a effectué un plan, très moderniste mais qui est resté lettre morte jusqu'en 1976. Ce projet a connu trois étapes. La première étape a débuté en 1976. A l'époque, on a chargé l'école d'architecture d'Alep d'élaborer un projet sous la direction de deux professeurs proches du pouvoir : un communiste et un autre ba'thiste. Le projet prévoyait des dizaines de tours de quinze étages et de longues voies rapides percées à travers les quartiers anciens 152 . Le projet a suscité une polémique importante car il a été jugé très moderniste et ne correspondait pas à l'architecture environnante traditionnelle. En 1977-78, des rumeurs circulaient à Alep selon lesquelles il y aurait un soulèvement suscité par des mouvements religieux. L'Etat a nommé un maire, ancien responsable dans le service de renseignement, originaire de Deir ez-Zor, qui était aussi un préfet. Il a accéléré le processus de réalisation malgré la protestation des Alépins, y compris des ingénieurs 153 , et surtout de l'aristocratie locale. Ce projet était très important politiquement pour l'Etat : d'une part, il permettait de relier les villes de la Méditerranée à celles de la vallée de l'Euphrate ( slogan, selon A. Malhis (architecte), souvent répété par le pouvoir) et d'autre part, le nouveau centre devait donner une image de modernité opposée à la tradition 154 . La crise politique s'est déclenché durant l'été 1979, les travaux à Bab al-Faraj ont commencé à être exécutés d'une façon expéditive par la Société Milhouse : les éléments de valeur architecturale, historique et archéologique ont été détruits systématiquement. Une fois encore le projet se heurtait à l'opposition des éléments locaux dont des ingénieurs et la micro-intelligensia alépine. 150 - des intellectuels qui s'intéressent à l'environnement. 151 - A l'origine, ce quartier comptait 50.000 juifs, mais maintenant ils ne sont que 500 dont les plus défavorisés avoisinent un sous prolétariat d'immigrants kurdes et turkmènes. 152 - Jean-Claude David, "Ingénieurs op. cit., p.285 153 - nous analysons plus loin et dans un autre chapitre la position des ingénieurs par rapport à l'urbanisme, y compris le projet de Bab al-Faraj. 154 - Ibid.

On passe alors à la deuxième étape où le conflit d'urbanisme, constate Jean-claude David, a dépassé son caractère policier et politique pour devenir technique, opposant le préfet au maire nouvellement nommé (auparavant les fonctions de préfet et de maire était remplies par la même personne). Le maire était un architecte alepin, membre du parti Ba'th, issu de la classe moyenne commerçante traditionnelle. Il était soutenu par le ministre de l'habitat, architecte, et le Premier ministre, el-Kasm, lui-même architecte. Le maire cherchait à promouvoir sa propre idée, il fondait ou justifiait son action sur les conseils d' ingénieurs et d'urbanistes étrangers, comme J. C. David et l'expert suisse Stefano Bianca : c'était un urbanisme basé sur une analyse scientifique du fonctionnement du centre et de ses besoins nouveaux, et non motivé par une rentabilité économique à court terme 155 . Le syndicat des ingénieurs a soutenu la stratégie de ce maire, (qui était aussi le président du syndicat des ingénieurs) contre le pouvoir central à travers une exposition, des conférencesdébats et des articles : en janvier 1978, la Revue du syndicat des ingénieurs a publié la traduction d'un article sur Alep par Sherban Cantacuzina, directeur de l'Architectural Review où l'auteur exprimait son inquiétude sur l'avenir des quartiers anciens menacés par les projets d'urbanisme. En mai 1978, la même revue en publiait un autre sur les conséquences négatives des projets évoqués 156 . Enfin le syndicat a organisé en septembre 1983 un colloque international sur le projet de Bab al-Faraj. Le maire a ainsi utilisé le syndicat comme un champ d'expérience et surtout un lieu de communication et d'information 157 . Outre le syndicat, l'Ecole d'architecture s'est mobilisée pour protéger Bab al-Faraj. D'après M. Hiritani, géographe urbaniste et ex-directeur du Musée des Arts et Traditions populaires de la ville d'Alep, "les étudiants dans le cadre de leur projet de fin d'année, se sont intéressés aux éléments historiques et traditionnels de ce lieu, depuis 1980. Ils m'ont sollicité pour des informations historiques...... Ils étaient encouragé par leurs professeurs". La troisième étape de projet de Bab al-Faraj a commencé vers 1982. Les enjeux ne furent plus d'ordre politique entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux, ni techniques comme en 1980- 81, mais économiques et commerciaux pour la maîtrise de l'espace à construire, entre des groupes et des individus qui, tous, utilisent les différents leviers des pouvoirs centraux politiques, administratifs, et militaires. Les conflits sont souvent personnels et ne sont plus l'expression d'une revendication du pouvoir par un groupe urbain important 158 . ** ** ** ** ** Les deux exemples cités ci-dessus sur l'urbanisme montrent la complexité des mécanismes de prise de décision et les enjeux (politiques, économiques et sociaux) impliqués par ceux-ci. Quels sont les acteurs de l'urbanisme qui disposent du réel pouvoir de décision? Il y a trois sortes de détenteurs de ce pouvoir. - L'Etat comme acteur : Au sommet de la "noblesse d'Etat" se dégage une strate supérieure qui utilise cumulativement sa position dans l'organigramme officiel, sa position charnière dans le circuit économique et sa proximité personnelle avec l'entourage du Président. L'exemple de l'usine d'assainissement montre jusqu'à quel point le pouvoir central avec ses personnalités politiques et militaires pèse à Damas sur la décision. Un pouvoir néo-patrimonial, c'est-à-dire une gestion privée du patrimoine publique, qui a le dernier mot à dire à travers des chaînes de relations d'intérêts qui interviennent pour favoriser un projet plutôt qu'un autre sans se soucier des besoins réels de la ville (l'environnement et la pollution). Un haut responsable 155 - Ibid. 156 - Jean-Claude David, "projets d'urbanisme et changements dans les quartiers anciens d'Alep", in Françoise et Jean Métral et G. Mutin, Politiques urbaines dans le monde arabe, Lyon, Maison de l'Orient, Table ronde CNRS, 1985, p. 360. 157 - J.C. David, "Ingénieurs..., op. cit., p. 288. 158 - Ibid., p. 287.

On passe alors à la deuxième étape où le conflit d'urbanisme, constate Jean-claude David,<br />

a dépassé son caractère policier <strong>et</strong> politique pour dev<strong>en</strong>ir technique, opposant le préf<strong>et</strong> au maire<br />

nouvellem<strong>en</strong>t nommé (auparavant <strong>les</strong> fonctions de préf<strong>et</strong> <strong>et</strong> de maire était remplies par la même<br />

personne). Le maire était un architecte alepin, membre du parti Ba'th, issu de la classe moy<strong>en</strong>ne<br />

commerçante traditionnelle. Il était sout<strong>en</strong>u par le ministre de l'habitat, architecte, <strong>et</strong> le Premier<br />

ministre, el-Kasm, lui-même architecte. Le maire cherchait à promouvoir sa propre idée, il fondait<br />

ou justifiait son action sur <strong>les</strong> conseils d' ingénieurs <strong>et</strong> d'urbanistes étrangers, comme J. C. David <strong>et</strong><br />

l'expert suisse Stefano Bianca : c'était un urbanisme basé sur une analyse sci<strong>en</strong>tifique du<br />

fonctionnem<strong>en</strong>t du c<strong>en</strong>tre <strong>et</strong> de ses besoins nouveaux, <strong>et</strong> non motivé par une r<strong>en</strong>tabilité économique<br />

à court terme 155 .<br />

Le syndicat des ingénieurs a sout<strong>en</strong>u la stratégie de ce maire, (qui était aussi le présid<strong>en</strong>t<br />

du syndicat des ingénieurs) contre le pouvoir c<strong>en</strong>tral à travers une exposition, des confér<strong>en</strong>cesdébats<br />

<strong>et</strong> des artic<strong>les</strong> : <strong>en</strong> janvier 1978, la Revue du syndicat des ingénieurs a publié la traduction<br />

d'un article sur Alep par Sherban Cantacuzina, directeur de l'Architectural Review où l'auteur<br />

exprimait son inquiétude sur l'av<strong>en</strong>ir des quartiers anci<strong>en</strong>s m<strong>en</strong>acés par <strong>les</strong> proj<strong>et</strong>s d'urbanisme. En<br />

mai 1978, la même revue <strong>en</strong> publiait un autre sur <strong>les</strong> conséqu<strong>en</strong>ces négatives des proj<strong>et</strong>s<br />

évoqués 156 . Enfin le syndicat a organisé <strong>en</strong> septembre 1983 un colloque international sur le proj<strong>et</strong><br />

de Bab al-Faraj. Le maire a ainsi utilisé le syndicat comme un champ d'expéri<strong>en</strong>ce <strong>et</strong> surtout un lieu<br />

de communication <strong>et</strong> d'information 157 .<br />

Outre le syndicat, l'Ecole d'architecture s'est mobilisée pour protéger Bab al-Faraj. D'après<br />

M. Hiritani, géographe urbaniste <strong>et</strong> ex-directeur du Musée des Arts <strong>et</strong> Traditions populaires de la<br />

ville d'Alep, "<strong>les</strong> étudiants dans le cadre de leur proj<strong>et</strong> de fin d'année, se sont intéressés aux<br />

élém<strong>en</strong>ts historiques <strong>et</strong> traditionnels de ce lieu, depuis 1980. Ils m'ont sollicité pour des<br />

informations historiques...... Ils étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>couragé par leurs professeurs".<br />

La troisième étape de proj<strong>et</strong> de Bab al-Faraj a comm<strong>en</strong>cé vers 1982. Les <strong>en</strong>jeux ne fur<strong>en</strong>t<br />

plus d'ordre politique <strong>en</strong>tre le pouvoir c<strong>en</strong>tral <strong>et</strong> <strong>les</strong> pouvoirs locaux, ni techniques comme <strong>en</strong> 1980-<br />

81, mais économiques <strong>et</strong> commerciaux pour la maîtrise de l'espace à construire, <strong>en</strong>tre des groupes<br />

<strong>et</strong> des individus qui, tous, utilis<strong>en</strong>t <strong>les</strong> différ<strong>en</strong>ts leviers des pouvoirs c<strong>en</strong>traux politiques,<br />

administratifs, <strong>et</strong> militaires. Les conflits sont souv<strong>en</strong>t personnels <strong>et</strong> ne sont plus l'expression d'une<br />

rev<strong>en</strong>dication du pouvoir par un groupe urbain important 158 .<br />

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Les deux exemp<strong>les</strong> cités ci-dessus sur l'urbanisme montr<strong>en</strong>t la complexité des mécanismes<br />

de prise de décision <strong>et</strong> <strong>les</strong> <strong>en</strong>jeux (politiques, économiques <strong>et</strong> sociaux) impliqués par ceux-ci. Quels<br />

sont <strong>les</strong> acteurs de l'urbanisme qui dispos<strong>en</strong>t du réel pouvoir de décision? Il y a trois sortes de<br />

dét<strong>en</strong>teurs de ce pouvoir.<br />

- L'Etat comme acteur : Au somm<strong>et</strong> de la "nob<strong>les</strong>se d'Etat" se dégage une strate<br />

supérieure qui utilise cumulativem<strong>en</strong>t sa position dans l'organigramme officiel, sa position<br />

charnière dans le circuit économique <strong>et</strong> sa proximité personnelle avec l'<strong>en</strong>tourage du Présid<strong>en</strong>t.<br />

L'exemple de l'usine d'assainissem<strong>en</strong>t montre jusqu'à quel point le pouvoir c<strong>en</strong>tral avec ses<br />

personnalités politiques <strong>et</strong> militaires pèse à Damas sur la décision. Un pouvoir néo-patrimonial,<br />

c'est-à-dire une gestion privée du patrimoine publique, qui a le dernier mot à dire à travers des<br />

chaînes de relations d'intérêts qui intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pour favoriser un proj<strong>et</strong> plutôt qu'un autre sans se<br />

soucier des besoins réels de la ville (l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> la pollution). Un haut responsable<br />

155 - Ibid.<br />

156 - Jean-Claude David, "proj<strong>et</strong>s d'urbanisme <strong>et</strong> changem<strong>en</strong>ts dans <strong>les</strong> quartiers anci<strong>en</strong>s d'Alep", in<br />

Françoise <strong>et</strong> Jean Métral <strong>et</strong> G. Mutin, Politiques urbaines dans le monde arabe, Lyon, Maison de<br />

l'Ori<strong>en</strong>t, Table ronde CNRS, 1985, p. 360.<br />

157 - J.C. David, "Ingénieurs..., op. cit., p. 288.<br />

158 - Ibid., p. 287.

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