les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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Tableau nø 2 Répartition des ingénieurs inscrits au syndicat selon la spécialité 133 41301 Année 19561965 19701975 19801985 1988 Génie civil 234 8301604 27325156 1014713688 Architecture 81 172377 7351587 29873835 Mécanique 46 150235 8831697 34204855 Electricité 24 159259 8441914 38225432 Electro. Agronome 4891020 19795685 10150 11545 Chimie 99 284622 889 Textile 25 67 90 95 Géologie 3 6 4 133206 544569 Autre 15 31 124 6 --------------------- ---- ---- 21 175 ---- ---- 254 ----Total 412 73813623 761516746 _____________________________________________________ Nous pouvons facilement constater, jusqu'en 1980 la prédominance du nombre des ingénieurs civils par rapport aux autres spécialités (5156 ingénieurs civils contre 2459 ingénieurs du reste des spécialités) : l'essor dans l'industrie du BTP (bâtiment et travaux publics) et la faiblesse de la demande d'ingénieurs dans l'industrie peuvent expliquer cette prédominance. Cependant, la proportion entre le secteur de BTP et l'industrie ne tarde pas à se renverser après 1980, surtout avec l'entrée des sciences de l'ordinateur, propagées parmi la population comme mythe. Ceci a entraîné une diminution de la part des ingénieurs civils. Malheureusement, nous disposons de peu d'indications statistiques pour connaître la proportion des ingénieurs qui travaillent dans l'industrie, mais elle est certainement faible : selon E. Longuenesse, d'après un sondage réalisé dans l'annuaire des ingénieurs de 1979, 10% à 12% des ingénieurs auraient été alors employés dans l'industrie 134 . Si en France, on compte 700.000 ingénieurs (dont 340.000 diplômé) 135 en 1990, c'est-àdire 14 ingénieurs/1000 personnes actives (10 ingénieurs pour la Belgique) 136 , on peut considérer le 9,4 ingénieurs diplômés par 1000 personnes actives (en 1987) comme un taux trop élevé pour un pays de faible industrie tel que la Syrie. Cette surqualification des ressources humaines n'a pas pu stimuler un marché d'emploi mais, au contraire, on peut se demander si elle n'a pas constitué un obstacle au développement. Depuis le début des années quatre-vingts, la crise économique qui secoue la Syrie entraîne un chômage masqué au sein des entreprises publiques, une faible demande dans le secteur privé, une bureaucratisation du métier d'ingénieur et des reconversions radicales. Il s'agit là de facteurs qui ont dégradé le statut d'une bonne partie des ingénieurs. L'évolution de la profession d'ingénieur 133 - Ibid. 134 - Elisabeth Longuenesse, "Ingénieurs et développement au Proche-Orient : Liban, Syrie, Jordanie", in Sociétés contemporaines, nø 6, 6/1991, Paris, IRESCO, L'Harmattan, p.15. 135 - Cf. A. Grelon, Catherine Marry et Jean-Marie Duprez, Les ingénieurs diplômés en France : Mutations professionnelles et identité sociale, in Sociétés contemporaines, op. cit., p.61. Il faut opérer un déplacement dans la définition de l'ingénieur entre la Syrie et la France. Pour la première, l'ingénieur correspond à une fonction et même sans diplôme (comme l'autodidacte) ; par contre, en Syrie l'ingénieur correspond exclusivement à un diplôme et même si sa fonction ne relève pas de l'ingénierie (nous allons revenir à ce point dans I-3-2). 136 - Jean C. Baudet, Ingénieurs belges, de la machine à vapeur à l'an 2000, l'histoire des technique et prospective industrielle, in Revue de l'Ingénieur Industriel, (nø spécial), Bruxelles, éd. APPS, 1986.

fait qu'elle s'éloigne de plus en plus de la parenté qu'elle pouvait avoir avec les professions libérales. Tout cela conduit Elisabeth Longuenesse à relever avec raison à propos des ingénieurs qu'"ils sont devenus un agrégat hétérogène de salariés dépendants de l'Etat, dispersés, atomisés, connaissant une assez large diversité de conditions, et de ce fait même incapables de s'affirmer de manière autonome. Seule une minorité continue à prolonger la situation ancienne, et se trouve complètement marginalisée" 137 . Cependant, cette conclusion générale pourrait être nuancée en fonction du secteur dans lequel l'ingénieur travaille, l'origine sociale ou d'autres facteurs ; car, finalement les ingénieurs sont-ils des "déclassés" ou, pour reprendre le terme de Gouldner, "ascendants bloqués" 138 ? Nous tendons à les considérer comme des "ascendants bloqués" vue les privilèges et le prestige que leur confère leur capital culturel. En se greffant sur de graves défis politiques, la crise économique a failli, emporter le régime politique. Lors des troubles politiques qui ont agité la Syrie de 1979-1982 durant lesquels les "Frères musulmans" (parti clandestin opposé au régime Ba'thiste) ont essayé à plusieurs reprises de prendre le pouvoir, les ingénieurs ont participé de façon remarquable à ce mouvement aux côtés d'autres groupes professionnels (avocats, médecins). A travers leur syndicat, ils ont protesté vivement contre l'autorité du régime au pouvoir. Dès lors, l'Etat a dissous leur "syndicat" pour imposer une autre direction sous son emprise. Par la suite, la fuite des cerveaux (les meilleurs ingénieurs) vers les pays arabes a atteint alors son paroxysme, ce qui a menacé la profession. Dans cette conjoncture sombre et défavorable au développement d'une identité socioprofessionnelle autonome chez les ingénieurs, une partie d'entre eux manifestent un mode d'adaptation marqué par l'apathie, répondant ainsi à la situation qui leur est imposée, et leur conduite sociale est généralement devenue a-politique. Cependant, le chômage intellectuel (en particulier les ingénieurs) en Italie dans les années vingt n'a-t-il pas entraîné un extrémisme politique dans les classes moyennes qui rendit plus aiguë la tension sociale et favorisa l'accès du fascisme au pouvoir? Vraisemblablement oui 139 . Dans ce registre, une autre partie des ingénieurs s'efforcent de dépasser la médiocrité de leur condition, de créer un espace social et de construire une "profession" ; ceux-ci mènent diverses actions (qui seront examinées ultérieurement) en réaction à leur aliénation née du blocage de leur mobilité sociale et professionnelle et du décalage entre les aspirations créées par la modernisation et les possibilité restreintes de leur satisfaction par une économie "périphérique". ** ** ** ** ** Ce que nous venons d'aborder concerne les ingénieurs qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, mais nous pensons qu'il faut nous arrêter plus spécifiquement sur l'importante percée de la femme dans la profession de l'ingénieur. La féminisation de la profession d'ingénieurs D'abord, l'indication statistique est très positive. On passe en effet de 16% de filles parmi les diplômés des facultés d'ingénieurs et d'architectes en 1979 à 20.4% en 1984 et 22,52 en 1988 140 . 137 - Cf. E. Longuenesse, A propos de la place des ingénieurs dans la structure sociale en Syrie, Remarques préliminaires - Maison de l'Orient Méditerranéen, Lyon, 1987, P. 13, (non publié). 138 - Cf. Alvin W. Gouldner, The Future of Intellectuals and the Rise of the New Class, London, The Macmillan Press, 1979. Il étudie l'aliénation de la "New class" (intellectuels et intelligentsia techniques) en montrant le blocage de la mobilité sociale à la base de cette aliénation. Il donne l'exemple des leaders jacobins qui sont devenus radicaux dans leur action politique après avoir été bloqués par l'aristocratie ; ils étaient des "blocked ascendants" (p. 60) 139 - Cf. Carlo G. Lacaita "Les ingénieurs et l'organisation des études d'ingénieurs en Italie ..., op. cit., p.314. 140 - E. Longuenesse, "Ingénieurs et développement au Proche-Orient... op. cit., p. 26.

Tableau nø 2<br />

Répartition des ingénieurs inscrits au syndicat selon la spécialité 133<br />

41301<br />

Année 19561965 19701975 19801985 1988<br />

Génie civil 234 8301604 27325156 1014713688<br />

Architecture 81 172377 7351587 29873835<br />

Mécanique 46 150235 8831697 34204855<br />

Electricité 24 159259 8441914 38225432<br />

Electro.<br />

Agronome 4891020 19795685 10150 11545<br />

Chimie 99 284622 889<br />

Textile 25 67 90 95<br />

Géologie 3 6 4 133206 544569<br />

Autre 15 31 124 6<br />

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Nous pouvons facilem<strong>en</strong>t constater, jusqu'<strong>en</strong> 1980 la prédominance du nombre des<br />

ingénieurs civils par rapport aux autres spécialités (5156 ingénieurs civils contre 2459 ingénieurs<br />

du reste des spécialités) : l'essor dans l'industrie du BTP (bâtim<strong>en</strong>t <strong>et</strong> travaux publics) <strong>et</strong> la faib<strong>les</strong>se<br />

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mais elle est certainem<strong>en</strong>t faible : selon E. Longu<strong>en</strong>esse, d'après un sondage réalisé dans l'annuaire<br />

des ingénieurs de 1979, 10% à 12% des ingénieurs aurai<strong>en</strong>t été alors employés dans l'industrie 134 .<br />

Si <strong>en</strong> France, on compte 700.000 ingénieurs (dont 340.000 diplômé) 135 <strong>en</strong> 1990, c'est-àdire<br />

14 ingénieurs/1000 personnes actives (10 ingénieurs pour la Belgique) 136 , on peut considérer le<br />

9,4 ingénieurs diplômés par 1000 personnes actives (<strong>en</strong> 1987) comme un taux trop élevé pour un<br />

pays de faible industrie tel que la Syrie. C<strong>et</strong>te surqualification des ressources humaines n'a pas pu<br />

stimuler un marché d'emploi mais, au contraire, on peut se demander si elle n'a pas constitué un<br />

obstacle au développem<strong>en</strong>t.<br />

Depuis le début des années quatre-vingts, la crise économique qui secoue la Syrie <strong>en</strong>traîne<br />

un chômage masqué au sein des <strong>en</strong>treprises publiques, une faible demande dans le secteur privé,<br />

une bureaucratisation du métier d'ingénieur <strong>et</strong> des reconversions radica<strong>les</strong>. Il s'agit là de facteurs<br />

qui ont dégradé le statut d'une bonne partie des ingénieurs. L'évolution de la profession d'ingénieur<br />

133 - Ibid.<br />

134 - Elisab<strong>et</strong>h Longu<strong>en</strong>esse, "Ingénieurs <strong>et</strong> développem<strong>en</strong>t au Proche-Ori<strong>en</strong>t : Liban, Syrie,<br />

Jordanie", in Sociétés contemporaines, nø 6, 6/1991, Paris, IRESCO, L'Harmattan, p.15.<br />

135 - Cf. A. Grelon, Catherine Marry <strong>et</strong> Jean-Marie Duprez, Les ingénieurs diplômés <strong>en</strong> France :<br />

Mutations professionnel<strong>les</strong> <strong>et</strong> id<strong>en</strong>tité sociale, in Sociétés contemporaines, op. cit., p.61.<br />

Il faut opérer un déplacem<strong>en</strong>t dans la définition de l'ingénieur <strong>en</strong>tre la Syrie <strong>et</strong> la France. Pour la<br />

première, l'ingénieur correspond à une fonction <strong>et</strong> même sans diplôme (comme l'autodidacte) ; par<br />

contre, <strong>en</strong> Syrie l'ingénieur correspond exclusivem<strong>en</strong>t à un diplôme <strong>et</strong> même si sa fonction ne<br />

relève pas de l'ingénierie (nous allons rev<strong>en</strong>ir à ce point dans I-3-2).<br />

136 - Jean C. Baud<strong>et</strong>, Ingénieurs belges, de la machine à vapeur à l'an 2000, l'histoire des technique<br />

<strong>et</strong> prospective industrielle, in Revue de l'Ingénieur Industriel, (nø spécial), Bruxel<strong>les</strong>, éd. APPS,<br />

1986.

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