les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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jouer comme avant la carte du Liban 122 ni celle de la guerre froide. Le moment sera d'autant plus propice que la paix viendra mettre fin à la situation "ni guerre ni paix" 123 pour une nouvelle impulsion du libéralisme économique. Ce sont des facteurs, dont le pouvoir syrien a conscience de la gravité, qui favorisent la décomposition du champ politique syrien dans laquelle les entrepreneurs, de toutes les catégories, avec l'élite technicienne pourront jouer un rôle décisif ou, tout au moins, influencer les dynamiques de changement. Soyons réaliste : le changement politique en cours consiste à remodeler la base du régime et non pas à le démocratiser. Quoiqu'il y ait un certain redressement dans la situation de l'économie syrienne, cette dernière donne le vertige 124 : (depuis juin 1993) coupure du courant électrique devenue plus longue (pendant sept heures quotidiennement) 125 ce qui bloque les manufactures et les commerçants, flambée des prix au point que l'on parle de "nouveaux pauvres" en opposition aux "nouveaux riches" des années quatre-vingts. Et si les produits importés affluent sur le marché, ils ne sont pas à la portée de toutes les bourses. La bureaucratie étatique, corrompue et pléthorique, demeure jusqu'à ce jour très puissante, tout fonctionne par la relation clientéliste et par le système "D". Quant à la bourgeoisie, elle dépend de l'interaction constante, conflictuelle ou "coopérative", imposée ou négociée, entre secteur public et secteur privé ; elle ne se caractérise pas par son contrôle de l'appareil de production mais par son osmose avec la bureaucratie. La reprise économique qui s'est amorcée pose beaucoup d'interrogations sur sa capacité à sortir le pays de son désarroi tant qu'elle n'est pas articulée avec la moindre libéralisation politique 126 . En fait, lors de la dernière élection du parlement les 22-23 mai 1990 et pour la première fois, le régime a voulu élargir sa base à des strates plus hautes composées des commerçants, ingénieurs, avocats, etc., en plus des masses rurales. Il a encouragé des "indépendants" 127 à s'y présenter. Par conséquent, on a vu une entrée massive de ces catégories, pour la première fois au Parlement. Ces élus font souvent partie de la direction de la chambre du commerce qui a gardé auparavant une relative neutralité vis-à-vis du pouvoir. On assiste ainsi à une passage du régime autoritaire à un autre, corporatiste-autoritaire. Sommes-nous au passage à la démocratie? Bien entendu non, ce changement n'est qu'un pas pour la survie du régime, même s'il répond à des demandes politiques prépondérantes émanant de groupes sociaux de plus en plus diversifiés et à une complexification croissante de la stratification sociale née des contradictions de 122 - L'espace libanais occupe d'ailleurs une place importante dans l'édifice économique syrien, tant formel qu'informel. 123 - Cette situation coûte chère à la Syrie, 65% des dépenses du budget de l'Etat sont consacrés à la défense, secteur incompressible dans la mesure où la "parité stratégique" avec Israël jusqu'à 1990 est le maître mot de la doctrine. Cf. Le Monde, 16 février 1991, p. 8. 124 - Le PNB en Syrie est de 1000 $ par habitant en 1990 contre 3700 $ en Iraq. 125 - La coupure peut durer jusqu'à 12 heures par jour dans certaines régions et surtout dans les quartiers qui ne sont pas habités par des responsables politiques! 126 - Les prisons qui se sont vidées partiellement en décembre 1991 (libération de 2000 détenus), se remplissent à nouveau d'opposants. Par ailleurs, la comédie électorale persiste : le Président Assad s'est fait réélire pour son quatrième septennat le 2 novembre 1991 par un score de 99.8%! Le peuple syrien se prépare à nouveau psychologiquement pour un autre quart de siècle de pouvoir pour la famille d'el-Assad, mais cette fois-ci avec un des propres fils du Président, comme Maher (ingénieur et officier à l'armée). Auparavant, le jeune ingénieur Bassel el-Assad, le frère aîné de Maher, mort le 7 janvier 1994, était le dauphin officieusement désigné par le régime. 127 - Le guillemet est mis parce que ceux-ci ont été choisis par le régime en raison de leur représentativité de diverses catégories sociales mais n'ont pas une posture critique par rapport au pouvoir politique.

la politique économique 128 . Le Président Assad a nettement déclaré dans son discours d'investiture pour un nouveau mandat, le 12 mars 1992, qu'il est contre la "démocratie importée", à savoir la pluralisme politique. Et dès l'effondrement de l'Union soviétique, il a fait savoir dans une interview que la Syrie a fait sa pérestroika bien avant tous les pays socialistes, sous entendu le Mouvement "rectificatif" de 1971, pour couper la route aux rumeurs sur un éventuel changement en Syrie. Ainsi, faute d'Etat de droit 129 , la capacité à se doter d'institutions nécessaires au fonctionnement d'une économie libérale reste faible. La Syrie vit encore avec une superposition de lois qui datent de l'emprise ottomane, du mandat français, de l'Union avec l'Egypte et enfin du Parti Ba'th. L'économie paraît sur le fil du rasoir et prête à éclater sous les tensions intérieures confinées aux brusques réversibilités et volte-faces de la décision politique autant que des tensions extérieures ; et pour cette raison, les hommes d'affaires occidentaux et arabes ne se sont pas encore précipités en Syrie. ** ** ** ** ** I-2-2. Une situation difficile Dans ce contexte de développement plutôt étatique et déséquilibré, les ingénieurs ont un rôle important à jouer dans la mise en oeuvre des politiques de développement hydro-agricole, d'industrialisation et d'aménagement urbain. Dans les années soixante et jusqu'à 1974, les ingénieurs travaillaient majoritairement dans le secteur privé 130 : bureaux d'étude, entreprises, etc., il s'agissait essentiellement d'une profession libérale qui garantissait à ses membres un niveau de revenu confortable. En 1974, une loi a été promulguée qui contraint les jeunes ingénieurs diplômés des facultés syriennes à travailler cinq ans au service de l'Etat (avec la possibilité pour les garçons d'inclure leur service militaire). Cette loi est intervenue à la suite des flux financiers quasi-rentiers dont a bénéficié la Syrie du fait des aides que les pays arabes pétroliers lui ont accordées ; à ce moment là, l'Etat a décidé de créer des entreprises de travaux publics pour prendre le relais des compagnies étrangères et de recruter pour cela des ingénieurs. Cependant, ces revenus n'ont pas été utilisés pour industrialiser le pays ce qui aurait assuré un travail stable aux ingénieurs. L'effort à été surtout réalisé en faveur du marché du bâtiment et de la construction de l'infrastructure (routes, ponts, barrages, mais aussi palais!, etc.). Pourtant, une rapide croissance du nombre des ingénieurs (voir le tableau n° 1) a accompagné ce faux essor beaucoup plus rapide que la réalité du potentiel économique du pays. Cette disproportion est due d'une part, à la mauvaise planification par l'Etat qui a, en même temps, promu de façon incohérente l'enseignement supérieur à l'université et, d'autre part, au prestige dont bénéficie traditionnellement la profession d'ingénieur. Ce phénomène de la prolifération devient pathologique et accentue l'écart entre l'offre et la demande dans la sphère du travail intellectuel 131 . 128 - Bahout, op. cit., p.73. 129 - A titre d'exemple : les dispositions des décrets de l'infitah (loi nø 10) sont contradictoires avec le décret 24 (31 août 1986) qui permet de punir sévèrement- jusqu'à des années de prison fermetoute personne sortant de Syrie en possession de devises étrangères. Ce décret qui n'a pas encore été abrogé est valide même s'il est pour l'instant "oublié", ce qui constitue un véritable épée de Damoclès suspendue au dessus des hommes d'affaires. Ce genre de lois n'atteint que les "non protégés". Cf. J. Bahout, op. cit., p.25. 130 - Selon Al-Omari, ancien Président du syndicat des ingénieurs, interview en août 1991. 131 - un phénomène similaire a été observé dans l'Italie des années vingt. Cf. Carlo G. Lacaita "Les ingénieurs et l'organisation des études d'ingénieurs en Italie de l'unification politique à la Seconde Guerre mondiale", in A. Grelon, les ingénieurs de la crise, Paris, EHESS, 1986, p. 311-316.

la politique économique 128 . Le Présid<strong>en</strong>t Assad a n<strong>et</strong>tem<strong>en</strong>t déclaré dans son discours d'investiture<br />

pour un nouveau mandat, le 12 mars 1992, qu'il est contre la "démocratie importée", à savoir la<br />

pluralisme politique. Et dès l'effondrem<strong>en</strong>t de l'Union soviétique, il a fait savoir dans une interview<br />

que la Syrie a fait sa pérestroika bi<strong>en</strong> avant tous <strong>les</strong> pays socialistes, sous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du le Mouvem<strong>en</strong>t<br />

"rectificatif" de 1971, pour couper la route aux rumeurs sur un év<strong>en</strong>tuel changem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Syrie.<br />

Ainsi, faute d'Etat de droit 129 , la capacité à se doter d'institutions nécessaires au<br />

fonctionnem<strong>en</strong>t d'une économie libérale reste faible. La Syrie vit <strong>en</strong>core avec une superposition de<br />

lois qui dat<strong>en</strong>t de l'emprise ottomane, du mandat français, de l'Union avec l'Egypte <strong>et</strong> <strong>en</strong>fin du Parti<br />

Ba'th. L'économie paraît sur le fil du rasoir <strong>et</strong> prête à éclater sous <strong>les</strong> t<strong>en</strong>sions intérieures confinées<br />

aux brusques réversibilités <strong>et</strong> volte-faces de la décision politique autant que des t<strong>en</strong>sions<br />

extérieures ; <strong>et</strong> pour c<strong>et</strong>te raison, <strong>les</strong> hommes d'affaires occid<strong>en</strong>taux <strong>et</strong> arabes ne se sont pas <strong>en</strong>core<br />

précipités <strong>en</strong> Syrie.<br />

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I-2-2. Une situation difficile<br />

Dans ce contexte de développem<strong>en</strong>t plutôt étatique <strong>et</strong> déséquilibré, <strong>les</strong> ingénieurs ont un<br />

rôle important à jouer dans la mise <strong>en</strong> oeuvre des politiques de développem<strong>en</strong>t hydro-agricole,<br />

d'industrialisation <strong>et</strong> d'aménagem<strong>en</strong>t urbain.<br />

Dans <strong>les</strong> années soixante <strong>et</strong> jusqu'à 1974, <strong>les</strong> ingénieurs travaillai<strong>en</strong>t majoritairem<strong>en</strong>t dans<br />

le secteur privé 130 : bureaux d'étude, <strong>en</strong>treprises, <strong>et</strong>c., il s'agissait ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t d'une profession<br />

libérale qui garantissait à ses membres un niveau de rev<strong>en</strong>u confortable.<br />

En 1974, une loi a été promulguée qui contraint <strong>les</strong> jeunes ingénieurs diplômés des<br />

facultés syri<strong>en</strong>nes à travailler cinq ans au service de l'Etat (avec la possibilité pour <strong>les</strong> garçons<br />

d'inclure leur service militaire). C<strong>et</strong>te loi est interv<strong>en</strong>ue à la suite des flux financiers quasi-r<strong>en</strong>tiers<br />

dont a bénéficié la Syrie du fait des aides que <strong>les</strong> pays arabes pétroliers lui ont accordées ; à ce<br />

mom<strong>en</strong>t là, l'Etat a décidé de créer des <strong>en</strong>treprises de travaux publics pour pr<strong>en</strong>dre le relais des<br />

compagnies étrangères <strong>et</strong> de recruter pour cela des ingénieurs. Cep<strong>en</strong>dant, ces rev<strong>en</strong>us n'ont pas été<br />

utilisés pour industrialiser le pays ce qui aurait assuré un travail stable aux ingénieurs. L'effort à été<br />

surtout réalisé <strong>en</strong> faveur du marché du bâtim<strong>en</strong>t <strong>et</strong> de la construction de l'infrastructure (routes,<br />

ponts, barrages, mais aussi palais!, <strong>et</strong>c.). Pourtant, une rapide croissance du nombre des ingénieurs<br />

(voir le tableau n° 1) a accompagné ce faux essor beaucoup plus rapide que la réalité du pot<strong>en</strong>tiel<br />

économique du pays. C<strong>et</strong>te disproportion est due d'une part, à la mauvaise planification par l'Etat<br />

qui a, <strong>en</strong> même temps, promu de façon incohér<strong>en</strong>te l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t supérieur à l'université <strong>et</strong>,<br />

d'autre part, au prestige dont bénéficie traditionnellem<strong>en</strong>t la profession d'ingénieur. Ce phénomène<br />

de la prolifération devi<strong>en</strong>t pathologique <strong>et</strong> acc<strong>en</strong>tue l'écart <strong>en</strong>tre l'offre <strong>et</strong> la demande dans la sphère<br />

du travail intellectuel 131 .<br />

128 - Bahout, op. cit., p.73.<br />

129 - A titre d'exemple : <strong>les</strong> dispositions des décr<strong>et</strong>s de l'infitah (loi nø 10) sont contradictoires avec<br />

le décr<strong>et</strong> 24 (31 août 1986) qui perm<strong>et</strong> de punir sévèrem<strong>en</strong>t- jusqu'à des années de prison ferm<strong>et</strong>oute<br />

personne sortant de Syrie <strong>en</strong> possession de devises étrangères. Ce décr<strong>et</strong> qui n'a pas <strong>en</strong>core été<br />

abrogé est valide même s'il est pour l'instant "oublié", ce qui constitue un véritable épée de<br />

Damoclès susp<strong>en</strong>due au dessus des hommes d'affaires. Ce g<strong>en</strong>re de lois n'atteint que <strong>les</strong> "non<br />

protégés". Cf. J. Bahout, op. cit., p.25.<br />

130 - Selon Al-Omari, anci<strong>en</strong> Présid<strong>en</strong>t du syndicat des ingénieurs, interview <strong>en</strong> août 1991.<br />

131 - un phénomène similaire a été observé dans l'Italie des années vingt. Cf. Carlo G. Lacaita "Les<br />

ingénieurs <strong>et</strong> l'organisation des études d'ingénieurs <strong>en</strong> Italie de l'unification politique à la Seconde<br />

Guerre mondiale", in A. Grelon, <strong>les</strong> ingénieurs de la crise, Paris, EHESS, 1986, p. 311-316.

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