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les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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Enfin, on m'a donné une voiture de fonction. J'étais très heureux avec. Mais, la journée est<br />

constituée de jours <strong>et</strong> nuits , <strong>et</strong> le noir succède au blanc, un nouvel ingénieur a été embauché sur<br />

mon chantier, il avait seulem<strong>en</strong>t un an d'expéri<strong>en</strong>ce, il fuyait le travail sans que l'administration ne<br />

le lui reproche. Un beau jour, le patron m'a convoqué, j'étais sûr qu'il s'agissait d'une grosse<br />

prime, puisque je travaillais bi<strong>en</strong>. Ce n'était pas du tout ça, -"On a besoin de toi pour un autre<br />

chantier". Je lui ai répondu "mais pourquoi moi?", -" c'est comme ça". Après ça, je me suis trouvé<br />

dans un chantier dont je n'étais pas le chef <strong>et</strong> dans lequel on n'avait besoin de personne. Quelques<br />

jours plus tard, on a récupéré ma voiture pour la donner au nouvel ingénieur qui v<strong>en</strong>ait d'être<br />

embauché sur mon précéd<strong>en</strong>t chantier. J'ai compris à la suite que ce sous-ingénieur était<br />

originaire de la même région, Zabadani, que le directeur de c<strong>et</strong>te <strong>en</strong>treprise, <strong>et</strong> malgré sa maigre<br />

expéri<strong>en</strong>ce on l'avait nommé chef du chantier.<br />

Ce n'est pas seulem<strong>en</strong>t l' <strong>en</strong>treprise militaire qui est foutue mais tout le secteur public.<br />

Le salaire était à peine suffisant (4200 L.S.) <strong>et</strong> pourtant j'étais célibataire résidant chez<br />

mes par<strong>en</strong>ts. J'<strong>en</strong> avais ras le bol dans c<strong>et</strong>te <strong>en</strong>treprise : de longues heures chaque jour de 7 heures<br />

le matin jusqu'à 4 heures <strong>et</strong> demi, une expéri<strong>en</strong>ce inutile dans ce pays, pas de voiture, un salaire<br />

dérisoire, qu'est ce que je foutais ici?<br />

En octobre 1989, j'ai terminé le service d'Etat obligatoire, je me suis trouvé face à<br />

plusieurs choix : <strong>en</strong> gros rester dans mon <strong>en</strong>treprise sans aucune perspective, ou quitter le secteur<br />

public <strong>et</strong> ouvrir un bureau d'études pour travailler à mon compte. Enfin, j'ai choisi une solution<br />

intermédiaire qui ti<strong>en</strong>ne compte de la crise économique qui touche <strong>les</strong> deux secteurs, public <strong>et</strong><br />

privé : j'ai déposé une demande, pistonnée par une personne de l'<strong>en</strong>tourage de mon père, pour<br />

travailler à la municipalité, un <strong>en</strong>droit où <strong>les</strong> horaires sont soup<strong>les</strong>. Ce n'est pas par hasard, si j'ai<br />

choisi la municipalité. En eff<strong>et</strong>, il suffit <strong>en</strong> général de passer le matin pour composter la carte de<br />

travail <strong>et</strong> c'est fini, on n'a plus besoin de nous! , je suis libre. C<strong>et</strong>te solution m'a permis d'assurer<br />

un salaire minimum (3500 L.S.) tout <strong>en</strong> cherchant un autre boulot. Dans un premier temps, avec<br />

deux amis dont l'un possède un bureau d'études, on nous avait confié deux contrats de<br />

réhabilitation de deux bâtim<strong>en</strong>ts. Nous avons travaillé deux mois, à temps partiel. Pour faire<br />

marcher le chantier, on était obligé de payer 12000 L.S. à certains fonctionnaires comme pot-devin,<br />

mais on est arrivé à la fin à gagner chacun <strong>en</strong>tre nous 15000 L.S. n<strong>et</strong>. Depuis, je n'ai pas<br />

trouvé d'autre boulot dans ma branche. J'ai décidé de chercher n'importe quel travail qui m'assure<br />

un capital pour pouvoir à la suite travailler comme un vrai ingénieur <strong>en</strong> ouvrant un bureau<br />

d'études. Ayant touché sa r<strong>et</strong>raite, mon père l'a investie dans une école du soir spécialisée dans<br />

l'appr<strong>en</strong>tissage des langues étrangères <strong>et</strong> l'informatique. Moi, l'ingénieur, je suis dev<strong>en</strong>u secrétaire<br />

: je reçois <strong>les</strong> cli<strong>en</strong>ts avec un grand sourire, je tape à la machine à écrire, <strong>et</strong>c.. Sept ans après mes<br />

rêves, je n'ai <strong>en</strong>core ni femme, ni maison, ni voiture ; j'<strong>en</strong> ai marre de c<strong>et</strong>te vie ici. Depuis six mois,<br />

je n'arrête pas d'<strong>en</strong>voyer des demandes à gauche <strong>et</strong> à droite pour travailler dans le Golfe ou <strong>en</strong><br />

Libye ou pour émigrer au Canada ou <strong>en</strong> Australie. Sari, je t'<strong>en</strong> prie, tu ne connais pas une fille<br />

française qui accepterait de m'épouser pour avoir la nationalité française, même un mariage<br />

blanc, même si elle demande de l'arg<strong>en</strong>t?<br />

Voilà le récit d'un ingénieur qui constitue un cas de figure extrême mais révélateur de la<br />

situation d'une partie de jeunes ingénieurs syri<strong>en</strong>s. Son auteur est H. H., âgé de 30 ans, damascène<br />

dont le père est un haut fonctionnaire ba'thiste à l'Education nationale <strong>et</strong> la mère est directrice d'un<br />

lycée français à Damas. Ils résid<strong>en</strong>t dans un quartier aisé de la capitale. Issus de classes moy<strong>en</strong>nes,<br />

ils ont réussi leur promotion par une alliance avec le pouvoir politique. Sous l'influ<strong>en</strong>ce de sa<br />

famille, H.H. a refait le baccalauréat, pour avoir une note plus élevée nécessaire pour l'<strong>en</strong>trée à une<br />

faculté de génie. Ceci devait perm<strong>et</strong>tre dans l'av<strong>en</strong>ir à H.H. d'accéder à une profession libérale <strong>et</strong><br />

d'échapper à la vie de fonctionnaire.<br />

Comm<strong>en</strong>çant sa vie professionnelle avec optimisme, H. H. ne tarde pas à se heurter aux<br />

conditions de travail des ingénieurs. Il découvre que la compét<strong>en</strong>ce professionnelle n'est pas<br />

l'unique critère de la promotion, d'autres facteurs intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t : solidarité confessionnelle <strong>et</strong><br />

familiale, relations, <strong>et</strong>c.<br />

L'ambiguïté de son discours réside dans le fait que tout <strong>en</strong> étant fier de son métier <strong>et</strong> de son<br />

titre, il mène une carrière difficile, voire douloureuse. Il a le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que l'alternative qui s'offre à

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