les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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Après la dissolution du syndicat des ingénieurs, une nouvelle loi est promulguée qui se substitue à celle de 1973. La politisation cette fois-ci est très évidente: l'article numéro 3 indique que "le syndicat des ingénieurs est une organisation professionnelle sociale qui adhère aux objectifs de la nation arabe : unité, liberté et socialisme, et s'engage à agir pour les réaliser selon les directives du Parti Ba'th arabe socialiste." 99 . On passe de deux ba'thistes sur onze membres du conseil du syndicat en 1979 à dix sur onze en 1982. Ce résultat de "l'élection" est très facile à obtenir en raison de la nouvelle loi et de la méthode policière utilisée durant l'opération électorale. 100 Quant à la nouvelle loi, elle crée une nouvelle instance intermédiaire entre l'assemblée générale des adhérents et le Conseil général. C'est par "l'unité" regroupant les ingénieurs d'une entreprise ou d'une administration, que l'Etat peut contrôler la tendance politique des délégués, parmi lesquels on va élire la direction générale. Bien que ces mesures prétendent mieux assurer la représentativité, cette intervention étatique a démobilisé les ingénieurs : alors que la participation aux élections de la direction du syndicat en 1969 s'élevait à 80% des membres ayant le droit de voter, elle n'est plus que de 15% en 1990 (selon un fonctionnaire du syndicat). III) De 1980 à nos jours, le syndicat épouse le politique Au début des années quatre-vingts, on arrive à un bilan terrible : syndicat contrôlé, plusieurs centaines d'ingénieurs prisonniers politiques et de morts, des milliers d'entre eux réfugiés dans les monarchies du Golfe, Etat dans l'apogée de son "hégémonie cuirassée de coercition", pour reprendre la formule de A. Gramsci. Ce bilan, à la fin de 1981, a étouffé l'action politique. Il s'agit de mettre en oeuvre un corporatisme d'Etat qui rappelle le corporatisme salazarien au Portugal ou celui du fascisme mussolinien qui a créé de toutes pièces des organisations corporatistes d'affiliation obligatoire et étroitement soumises aux directives et au contrôle de l'Etat. Le syndicat des ingénieurs comme ceux des médecins et des avocats a rejoint le reste des "organisations populaires" pour reproduire le discours uniforme du pouvoir dans toutes les catégories sociales et pour devenir les rouages d'un système politique menant une action conforme à la politique générale définie par le Parti Ba'th. Le syndicat des ingénieurs, qui a perdu toute autonomie, a finalement épousé le politique : sa politisation ne signifie pas sa participation effective à l'instance politique ; c'est un façon de vivre pour la politique, car, comme dit Max Weber, il y a deux façons de faire la politique : ou bien on vit "pour" la politique ou bien "de" la politique. La direction du syndicat ne perd pas une occasion pour envoyer un message de soumission et de loyauté envers le régime. Prenons un exemple de ce discours : à la fin des travaux du sixième congrès général des ingénieurs, en 1989, la direction envoie au Président al-Assad ce message : "Ce sixième congrès général du syndicat des ingénieurs syriens a l'honneur de vous présenter tous nos sentiments d'amour et d'estime. Nous déclarons que nous sommes fiers de votre commandement historique, de votre sagesse et de votre courage pour diriger notre nation arabe vers le chemin de la victoire et de la liberté. Ce chemin n'a pas cessé de mobiliser toute l'énergie et le potentiel de la nation arabe pour faire face à l'ennemi colonialiste et sioniste. Celui-ci vise 99 - Loi nø 26 du 12 août 1981. Cf. Elisabeth Longuenesse, "Ingénieurs et développement au Proche-Orient .., op. cit. p. 33. 100 - A titre d'exemple, lors de l'élection de l'Union Générale des ingénieurs palestiniens - section Damas, en avril 1983, les candidats du Mouvement Fateh se sont retirés de l'élection (à l'époque où la direction de l'OLP était chassée de la Syrie) à cause des menaces reçues la veille par les renseignements généraux (mukhabarat).

même l'existence de notre nation. Cette voie reste bien engagée pour la question palestinienne et insiste sur le fait que cette question est centrale pour la nation arabe. Ô Camarade - Leader : Notre peuple par le génie de votre commandement a réalisé des miracles dans différents domaines et la masse des ingénieurs a pu concrétiser la complémentarité créative avec la masse de notre peuple et avec les leaders de notre Parti (le Parti Ba'th). Ces ingénieurs sont vos soldats, ô Magnifique Leader, dans la bataille de la construction de la Syrie moderne. L'impérialisme international, le Sionisme, le réactionnisme et leurs clienles ne peuvent pas éteindre le feu de notre révolution. Tous les soutiens illimités que la Syrie a offerts à ses frères libanais, grâce à votre magnifique commandement, sont la raison principale pour que le Liban passe de l'étape de l'entente nationale à une autre étape, celle du Liban uni dans son territoire et dans son peuple. Quant à la bande "sionisée" du stupide Général Aoun, elle ne peut pas arrêter ce mouvement convergeant vers de l'entente nationale, bien que le régime de Sadam Hussein et l'entité sioniste le soutiennent avec toutes leurs forces. Ainsi ce climat de combat que la Syrie arabe a créé, a été mis en place grâce à l'introduction de l'idée du "martyre" dans la philosophie de ce siècle en tant que valeur des valeurs et honneur des honneurs. Cette idée a constitué la base solide pour la victoire de la volonté de libération dans la résistance nationale libanaise, l'intifada de notre peuple au Golan et dans l'intifada populaire et héroïque en Palestine occupée. Il est impossible qu'un peuple qui suit la ligne du martyre et guidé par un chevalier arabe (il s'agit de Hâle al-Assad) soulevant le slogan "le martyre ou la victoire" n'atteigne pas la victoire. Ô camarade- commandant : Au nom du sixième congrès général et de près de trente mille ingénieurs en Syrie 101 , nous renouvelons notre engagement à continuer d'assumer toutes les possibilités pour mettre en oeuvre les plans de développement, en travaillant ainsi selon les directives du premier ingénieur arabe le commandant, le militant Hâle al-Assad ; nous sommes derrière son sage commandement jusqu'à la réalisation de la devise de notre nation : Unité, Liberté et Socialisme." 102 Ce message montre bien jusqu'à quel point la direction du syndicat peut jouer le jeu de son régime. Il ne fait aucune allusion au développement ni à l'économie en pleine crise. Ce qui importe pour elle, c'est de surcharismatiser al-Assad et de glorifier l'héroïsme de son commandement hors de la Syrie pour la libération (guerre d'Octobre 1973!) et pour la paix (bientôt!) ou bien de dénoncer l'ennemi international (l'impérialisme, le sionisme) et ses alliés locaux (les réactionnaires). Le recours à ce discours pourrait être dicté par la censure ou l'auto-censure. Mais il pourrait bien être aussi dicté par l'espérance des membres de la direction de devenir ministres. En tous cas, il faut noter que ce discours n'engage que la direction du syndicat ; quant aux ingénieurs, en général, ils n'accordent pas le moindre crédit à ce propos, comme nous nous employons à le montrer en parties II et III de cette thèse. 101 - Il s'agit ici du nombre des ingénieurs, à l'exception des agronomes, étant donné que ces derniers ont leur propre syndicat. 102 - Revue du syndicat des ingénieurs, nø 96, 1989, p. 4.

Après la dissolution du syndicat des ingénieurs, une nouvelle loi est promulguée qui se<br />

substitue à celle de 1973. La politisation c<strong>et</strong>te fois-ci est très évid<strong>en</strong>te: l'article numéro 3 indique<br />

que "le syndicat des ingénieurs est une organisation professionnelle sociale qui adhère aux objectifs<br />

de la nation arabe : unité, liberté <strong>et</strong> socialisme, <strong>et</strong> s'<strong>en</strong>gage à agir pour <strong>les</strong> réaliser selon <strong>les</strong><br />

directives du Parti Ba'th arabe socialiste." 99 . On passe de deux ba'thistes sur onze membres du<br />

conseil du syndicat <strong>en</strong> 1979 à dix sur onze <strong>en</strong> 1982. Ce résultat de "l'élection" est très facile à<br />

obt<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> raison de la nouvelle loi <strong>et</strong> de la méthode policière utilisée durant l'opération<br />

électorale. 100 Quant à la nouvelle loi, elle crée une nouvelle instance intermédiaire <strong>en</strong>tre<br />

l'assemblée générale des adhér<strong>en</strong>ts <strong>et</strong> le Conseil général. C'est par "l'unité" regroupant <strong>les</strong><br />

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III) De 1980 à nos jours, le syndicat épouse le politique<br />

Au début des années quatre-vingts, on arrive à un bilan terrible : syndicat contrôlé,<br />

plusieurs c<strong>en</strong>taines d'ingénieurs prisonniers politiques <strong>et</strong> de morts, des milliers d'<strong>en</strong>tre eux réfugiés<br />

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celui du fascisme mussolini<strong>en</strong> qui a créé de toutes pièces des organisations corporatistes<br />

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des ingénieurs comme ceux des médecins <strong>et</strong> des avocats a rejoint le reste des "organisations<br />

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définie par le Parti Ba'th.<br />

Le syndicat des ingénieurs, qui a perdu toute autonomie, a finalem<strong>en</strong>t épousé le politique :<br />

sa politisation ne signifie pas sa participation effective à l'instance politique ; c'est un façon de vivre<br />

pour la politique, car, comme dit Max Weber, il y a deux façons de faire la politique : ou bi<strong>en</strong> on vit<br />

"pour" la politique ou bi<strong>en</strong> "de" la politique. La direction du syndicat ne perd pas une occasion<br />

pour <strong>en</strong>voyer un message de soumission <strong>et</strong> de loyauté <strong>en</strong>vers le régime.<br />

Pr<strong>en</strong>ons un exemple de ce discours : à la fin des travaux du sixième congrès général des<br />

ingénieurs, <strong>en</strong> 1989, la direction <strong>en</strong>voie au Présid<strong>en</strong>t al-Assad ce message :<br />

"Ce sixième congrès général du syndicat des ingénieurs syri<strong>en</strong>s a l'honneur de vous<br />

prés<strong>en</strong>ter tous nos s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts d'amour <strong>et</strong> d'estime. Nous déclarons que nous sommes fiers de votre<br />

commandem<strong>en</strong>t historique, de votre sagesse <strong>et</strong> de votre courage pour diriger notre nation arabe<br />

vers le chemin de la victoire <strong>et</strong> de la liberté. Ce chemin n'a pas cessé de mobiliser toute l'énergie<br />

<strong>et</strong> le pot<strong>en</strong>tiel de la nation arabe pour faire face à l'<strong>en</strong>nemi colonialiste <strong>et</strong> sioniste. Celui-ci vise<br />

99 - Loi nø 26 du 12 août 1981. Cf. Elisab<strong>et</strong>h Longu<strong>en</strong>esse, "Ingénieurs <strong>et</strong> développem<strong>en</strong>t au<br />

Proche-Ori<strong>en</strong>t .., op. cit. p. 33.<br />

100 - A titre d'exemple, lors de l'élection de l'Union Générale des ingénieurs pa<strong>les</strong>tini<strong>en</strong>s - section<br />

Damas, <strong>en</strong> avril 1983, <strong>les</strong> candidats du Mouvem<strong>en</strong>t Fateh se sont r<strong>et</strong>irés de l'élection (à l'époque où<br />

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