les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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fabriques, les sciences et les arts, aussi bien que la force militaire, peut à la fois développer tous les éléments productifs et réprimer toutes les passions rétrogrades" 46 . Leur idéal, ou utopie pour reprendre leur expression, a trouvé un écho chez Muhammed Ali. Ce "pacha industriel" utilisa le savoir- faire des ingénieurs saint-simoniens pour rénover et étendre le système des canaux d'irrigation. Par l'expansionnisme de Muhammed Lai vers la Syrie, la Palestine et l'Arabie, l'esprit des saint-simoniens a rayonné sur tout l'Orient. Si la doctrine sociale de Saint-Simon 47 converge avec celle de ses disciples, il y a bien des regards différents envers l'Orient. Saint-Simon fut plutôt orienté vers le Nord, pour lui les pyramides témoignaient d'un état d'enfance de l'humanité, où l'on trouvait plaisir à construire de gros tas de pierres, 48 tandis que ses disciples (surtout Prosper Enfantin et Charles Lambert) se sont dirigés vers l'Orient : "les peuples chrétiens, dit le saint-simonien Michel Chevalier, ne sont pas les seuls aujourd'hui qui aient soif de progrès" 49 . Cette nouvelle "religion" influencée par la philosophie musulmane et par la pratique islamique tint compte de l'attachement religieux du peuple égyptien : "C'est l'industrie qui sauvera l'Egypte, nota Thomas-Ismayl Urbain, mais si l'industrie ne s'appuyait pas sur la religion, si elle ne venait pas réaliser sur la terre le paradis de Mohammed, elle n'aurait aucune puissance. En d'autres termes, il faut qu'à côté de l'ingénieur, il y ait un iman (foi), et que l'on parte de la mosquée pour aller au chantier." 50 En ce qui concerne la Syrie, des ingénieurs saint-simoniens ont participé à la construction des infrastructures à l'époque du règne d'Ibrahim pacha, le fils de Mohammed Lai, sur la Syrie. 51 Mais, ces ingénieurs n'ont pas pris part à la formation des cadres syriens étant donné que leur présence ne dura qu'une période très limitée. * * * * Outre les saint-simoniens, la Sublime Porte avait des relations constantes avec les Etats occidentaux pour former les cadres techniques, moderniser l'Empire et faire face au problème d'aménagement des territoires et au problème militaire. Faut-il rappeler que les ingénieurs ottomans étaient des militaires, car l'expansionnisme ottoman avait besoin de ce métier. Ainsi l'école 46 - Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Egypte, Le Caire, IFAO, 1956, 2 vol., p. 265, cité par Gisaient Alleaume, "Linant de Bellefonds (1799-1883) et le saint-simonisme en Egypte", in Magali Morsy (sous direction), Les saint-simoniens et l'Orient- Vers la modernité, La Calade, Aix-en-Provence, 1989, p. 120. 47 - Pour plus de détails sur la doctrine sociale de Saint-Simon, cf. Daniel Vidal, "Saint-Simon, oeuvre ouverte", in sociologie du travail, vol. 9, 1967, pp. 455-461. 48 - Philippe Régnier, Les saint .., op. cit., p. 7. 49 - Michel Chevalier, Système de la Méditerranée, Paris, 1832. Cité par Philippe Régnier, Les saint .., op. cit., p. 7. 50 - Thomas-Ismayl Urbain, Voyage d'Orient, Paris, 1835. Cité par Philippe Régnier, Les saint .., op. cit., p. 45. 51 - Entretien avec Mahmoud Harb, historien syrien.

ottomane d'ingénieurs a permis la transmission du modèle européen de formation des ingénieurs aux deux pays de l'Empire ottoman : l'Egypte et la Tunisie 52 , au début du XIX e siècle. Cependant, si les travaux historiques, comme le note Alain Grelon, montrent que dans "les pays d'Europe les plus industrialisés, le développement des écoles d'ingénieurs n'intervient au mieux que comme un accompagnement de la croissance industrielle, on se rend compte a posteriori combien le projet des "modernisateurs" égyptiens, pour généreux qu'il fût, était d'avance voué à l'échec, compte tenu de l'état économique, de la situation sociale et du contexte culturel du pays" 53 . A la période coloniale, on constate, notamment en Tunisie et en Algérie, que les occupants ont entravé et bridé le développement des cadres locaux et de leur formation. Concernant la Tunisie, le "protectorat" s'est trouvé confronté à un Etat et à une administration "moderne". Sa stratégie a consisté à empêcher, directement ou indirectement, la formation des entreprises modernes tunisiennes et des cadres indigènes. Ceci pour céder le marché de l'emploi aux ingénieurs français et laisser la Tunisie pour toujours sous le joug de l'Occident, au moins du point de vue industriel 54 . Même dans le secteur agricole, bien que le protectorat ait permis l'ouverture en 1898 de l'Ecole supérieure d'agriculture, dite Ecole Coloniale d'Agriculture, les élèves tunisiens (48 élèves entre 1898 et 1956) n'avaient pas le droit d'être recrutés par l'Administration et leurs tâches étaient, dans les meilleurs cas, subalternes. En Syrie, pendant le mandat français, les enseignements supérieurs, dans le cadre de l'Université Syrienne, étaient limités au droit, à la théologie et à la médecine. Les autorités française n'ont pas été intéressées à créer des enseignements techniques ni en Syrie ni chez son voisin le plus proche, le Liban. 55 * * * * Naissance de l'ingénieur syrien 52 - André Grelon, "Les ingénieurs du Maghreb et du Moyen-Orient : vue d'Europe", in Elisabeth Longuenesse, "Bâtisseurs ..., op. cit. p.32. 53 - Ibid. p. 34. 54 - Un ingénieur tunisien qui avait terminé ses études à l'Ecole des Mines de Saint Etienne en 1947 et à qui on avait refusé l'embauche dans une grande société tunisienne, a trouvé, après l'indépendance, dans les archives de cette société une lettre adressée par le Directeur des mines au Directeur Général de cette société. Les termes en étaient les suivants : " Pour le moment, nos cadres supérieurs de la mine sont au complet. Il se pourrait cependant que l'Administration s'intéressât à ce jeune homme. S'il est un sincère ami de la France et possède cran et volonté nécessaire, un ingénieur indigène peut rendre de grands services dans la conduite du personnel sur lequel il peut avoir une énorme influence. Au contraire avec des tendances destouriennes, il peut faire un mal terrible justement par l'influence qu'il ne manquera pas d'exercer. Nous voyons que, même animé des meilleurs intentions, un ingénieur indigène sera obligé de donner des égards à ses coreligionnaires et, bon gré mal gré, deviendra leur leader, pour le meilleur ou le pire suivant son état d'esprit". Cf. Lilia Bensalem, "La profession d'ingénieur en Tunisie. Approche historique", in Elisabeth Longuenesse, Bâtisseurs, op. cit., p.88. 55 - A cette époque, il existait deux institutions techniques : l'Ecole Supérieure d'ingénieurs de Beyrouth, qui appartenait à l'Université Saint-Joseph, fondée par les Père Jésuites d'origine française et la faculté de génie de l'Université Américaine de Beyrouth. Toutes les deux ont été créées en 1913.

ottomane d'ingénieurs a permis la transmission du modèle europé<strong>en</strong> de formation des ingénieurs<br />

aux deux pays de l'Empire ottoman : l'Egypte <strong>et</strong> la Tunisie 52 , au début du XIX e siècle.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, si <strong>les</strong> travaux historiques, comme le note Alain Grelon, montr<strong>en</strong>t que dans "<strong>les</strong><br />

pays d'Europe <strong>les</strong> plus industrialisés, le développem<strong>en</strong>t des éco<strong>les</strong> d'ingénieurs n'intervi<strong>en</strong>t au<br />

mieux que comme un accompagnem<strong>en</strong>t de la croissance industrielle, on se r<strong>en</strong>d compte a posteriori<br />

combi<strong>en</strong> le proj<strong>et</strong> des "modernisateurs" égypti<strong>en</strong>s, pour généreux qu'il fût, était d'avance voué à<br />

l'échec, compte t<strong>en</strong>u de l'état économique, de la situation sociale <strong>et</strong> du contexte culturel du pays" 53 .<br />

A la période coloniale, on constate, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Tunisie <strong>et</strong> <strong>en</strong> Algérie, que <strong>les</strong> occupants<br />

ont <strong>en</strong>travé <strong>et</strong> bridé le développem<strong>en</strong>t des cadres locaux <strong>et</strong> de leur formation.<br />

Concernant la Tunisie, le "protectorat" s'est trouvé confronté à un Etat <strong>et</strong> à une<br />

administration "moderne". Sa stratégie a consisté à empêcher, directem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t, la<br />

formation des <strong>en</strong>treprises modernes tunisi<strong>en</strong>nes <strong>et</strong> des cadres indigènes. Ceci pour céder le marché<br />

de l'emploi aux ingénieurs français <strong>et</strong> laisser la Tunisie pour toujours sous le joug de l'Occid<strong>en</strong>t, au<br />

moins du point de vue industriel 54 . Même dans le secteur agricole, bi<strong>en</strong> que le protectorat ait permis<br />

l'ouverture <strong>en</strong> 1898 de l'Ecole supérieure d'agriculture, dite Ecole Coloniale d'Agriculture, <strong>les</strong><br />

élèves tunisi<strong>en</strong>s (48 élèves <strong>en</strong>tre 1898 <strong>et</strong> 1956) n'avai<strong>en</strong>t pas le droit d'être recrutés par<br />

l'Administration <strong>et</strong> leurs tâches étai<strong>en</strong>t, dans <strong>les</strong> meilleurs cas, subalternes.<br />

En Syrie, p<strong>en</strong>dant le mandat français, <strong>les</strong> <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts supérieurs, dans le cadre de<br />

l'Université Syri<strong>en</strong>ne, étai<strong>en</strong>t limités au droit, à la théologie <strong>et</strong> à la médecine. Les autorités<br />

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voisin le plus proche, le Liban. 55<br />

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Naissance de l'ingénieur syri<strong>en</strong><br />

52 - André Grelon, "Les ingénieurs du Maghreb <strong>et</strong> du Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t : vue d'Europe", in Elisab<strong>et</strong>h<br />

Longu<strong>en</strong>esse, "Bâtisseurs ..., op. cit. p.32.<br />

53 - Ibid. p. 34.<br />

54 - Un ingénieur tunisi<strong>en</strong> qui avait terminé ses études à l'Ecole des Mines de Saint Eti<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> 1947<br />

<strong>et</strong> à qui on avait refusé l'embauche dans une grande société tunisi<strong>en</strong>ne, a trouvé, après<br />

l'indép<strong>en</strong>dance, dans <strong>les</strong> archives de c<strong>et</strong>te société une l<strong>et</strong>tre adressée par le Directeur des mines au<br />

Directeur Général de c<strong>et</strong>te société. Les termes <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t <strong>les</strong> suivants :<br />

" Pour le mom<strong>en</strong>t, nos cadres supérieurs de la mine sont au compl<strong>et</strong>. Il se pourrait cep<strong>en</strong>dant que<br />

l'Administration s'intéressât à ce jeune homme. S'il est un sincère ami de la France <strong>et</strong> possède cran<br />

<strong>et</strong> volonté nécessaire, un ingénieur indigène peut r<strong>en</strong>dre de grands services dans la conduite du<br />

personnel sur lequel il peut avoir une énorme influ<strong>en</strong>ce. Au contraire avec des t<strong>en</strong>dances<br />

destouri<strong>en</strong>nes, il peut faire un mal terrible justem<strong>en</strong>t par l'influ<strong>en</strong>ce qu'il ne manquera pas d'exercer.<br />

Nous voyons que, même animé des meilleurs int<strong>en</strong>tions, un ingénieur indigène sera obligé de<br />

donner des égards à ses coreligionnaires <strong>et</strong>, bon gré mal gré, devi<strong>en</strong>dra leur leader, pour le meilleur<br />

ou le pire suivant son état d'esprit".<br />

Cf. Lilia B<strong>en</strong>salem, "La profession d'ingénieur <strong>en</strong> Tunisie. Approche historique", in Elisab<strong>et</strong>h<br />

Longu<strong>en</strong>esse, Bâtisseurs, op. cit., p.88.<br />

55 - A c<strong>et</strong>te époque, il existait deux institutions techniques : l'Ecole Supérieure d'ingénieurs de<br />

Beyrouth, qui appart<strong>en</strong>ait à l'Université Saint-Joseph, fondée par <strong>les</strong> Père Jésuites d'origine<br />

française <strong>et</strong> la faculté de génie de l'Université Américaine de Beyrouth. Toutes <strong>les</strong> deux ont été<br />

créées <strong>en</strong> 1913.

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