les ingenieurs en syrie modernisation, technobureaucratie et identite

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6- L'expérience assidue et la réflexion humaine persistante sont les meilleurs moyens de concevoir un système de civilisation ; comme si Hassan opposait implicitement un savoir humain à un savoir exclusivement religieux. 7- La science doit être accompagnée par la sincérité. On ne doit pas accepter un travail ou un poste si on n'est pas apte à l'accomplir ou si une autre personne est mieux placée pour le faire. Nous pouvons remarquer que ce propos est doté d'une forme religieuse explicitée par l'emploi des termes : licite, illicite, foi, expérience du Prophète, etc. Cependant, quant aux versets coraniques utilisés, ils ne constituent pas une base théorique pour sa pensée comme c'est le cas pour les penseurs islamiques classiques ; car ils sont employés très peu et a posteriori comme confirmatifs de sa réflexion "scientifique". Quant au contenu, il relève d'une tendance nationaliste en mettant l'accent sur l'amour de la Patrie, la force de la nation pour le développement national et contre les intérêts des entreprises étrangères. 469 Tout en rappelant avec fierté sa formation comme ingénieur en aéronautique et l'expérience qu'il en tire, Hassan fait allusion à ses liens d'"éternelle" amitié avec un Cheikh, figure emblématique de la rénovation religieuse, tel que Youssef al-Kardawi ; comme s'il voulait montrer aux lecteurs son attachement à la pensée islamique exprimé par l'un de ses symboles. En général, les ingénieurs réformistes légitiment leur intérêt pour les affaires religieuses parce que, "les ingénieurs connaissent, dit M. K., la société mieux que les oulémas, grâce à leur contact quotidien avec les gens de toutes les catégories sociales et religieuses". Cependant, l'impact des ingénieurs réformistes dans leur combat pour moderniser l'islam reste limité par rapport aux intellectuels réformistes égyptiens qui, depuis fort longtemps, jouent un rôle très important dans la diffusion d'un islam modéré dans tout le monde arabe (par exemple Hassan Hanafi, Adel Husein, Mohammed 'Amara, etc.,). C'est pourquoi, ces ingénieurs ne sont pas avant-gardistes comme c'est le cas de l'ingénieur Mohammed Chahrour en Syrie où le débat avec les oulémas traditionnels a suscité un écho important dans la société. Si en Syrie le débat entre Etat ba'athiste en place et Etat islamique questionne la relation entre islam et laïcité, en Egypte ce débat n'est pas central du fait que l'Etat n'apparaît pas, aux yeux des islamistes réformistes, comme un Etat laïc, surtout à cause de la diffusion quotidienne par l'Etat de "l'islam(isme) officiel". Enfin l'action menée par ces ingénieurs réformistes ne pourrait pas être analysée comme une fuite en avant ou comme une voie facile de Salut. Ces ingénieurs tout en participant à la modernisation et tout en étant des technocrates, adhérent au projet culturel et social de la modernisation de l'islam, ce qui nous a conduit à considérer leur mode d'action comme voice dans le langage de Hirschman. * * * * * Ces deux composantes du courant islamique, ingénieurs dépolitisés et ingénieurs réformistes, posent un problème concernant l'analyse de la concordance ou de la discordance entre pratiques discursives et pratiques sociales. Il s'avère difficile de comprendre la discordance sans que l'on considère l'"esthétisme" dans la revendication idéologique. C'est toute l'articulation d'une conscience professionnelle à une identité islamiste qui fait que l'islam est utilisé consciemment et inconsciemment pour la mobilisation tout en le soumettant, dans la pratique sociale, à l'exigence de l'historicité et des rationalités "scientifiques" et techniques. 469 - Voir l'analyse de Baudouin Dupret dans son article, "La problématique du nationalisme dans la pensée islamique contemporaine" in Egypte / Monde arabe, Le Caire, CEDEJ, n° 15-16, 3e et 4e trimestres 1993.

Ceux qui se prononcent pour un Etat islamique mettent l'accent sur un système sociétal paisible, économiquement libéral et politiquement démocratique ; la question de la charia est très peu évoquée et même quelques fois provoquée par notre incitation au cours de l'enquête sur cette question. Pour certains, c'est un projet à construction lente et progressive au fur et à mesure que la conscience de la population égyptienne le permet. Ceci montre l'instrumentalité de la notion d'Etat islamique chez les ingénieurs islamistes. Le regard que nous avons pu porter sur les mouvements islamistes à travers notre objet de recherche, que sont les ingénieurs, a montré le caractère erroné de l'idée selon laquelle l'émergence de ces mouvements serait liée automatiquement à la misère et l'anti-modernisme. Notre groupe islamiste, surtout les réformistes, sont hypermodernes par leur esprit techniciste et technocratique, souvent issus de familles aisées et ont un idéal très libéral concernant le choix de l'économie. IV-5-3-C. Les ingénieurs islamistes radicaux Les islamistes radicaux en général se composent d'un noyau : les Gemaat islamyya (Communautés religieuses) et d'agrégats de groupuscules. Ils préconisent le changement par tous les moyens y compris la violence, une stratégie de tension, pour reprendre le terme d'Alain Roussillon 470 , permanente vis-à-vis de l'Etat. Les Gamaat sont apparues au début des années soixante-dix pendant la période d'incarcération des Frères musulmans 471 et ont pris leurs forces au moment où les Frères musulmans ont adopté un profil bas vis-à-vis de l'Etat. Leur implantation s'étale surtout dans les faubourgs de la banlieue cairote et dans les villes du sud. Quant à l'origine sociale, il nous semble que c'est dans les classes défavorisées qu'ils sont le plus souvent recrutés, ce qui explique peut-être la faiblesse de cette frange parmi le groupe des ingénieurs : une hypothèse difficile à affirmer vu la (semi) clandestinité de ce groupe. Or, un ingénieur membre de ce groupe a confirmé le faible nombre des ingénieurs au sein des Gamaat. En fait, le discours officiel de la direction du syndicat des ingénieurs, a critiqué de façon élitiste, à plusieurs reprises, l'expression violente et extrémiste de la doctrine des Gamaat : "Leur conception de l'islam est destinée aux marginaux, tandis que notre islam moderne est pour les instruits comme les ingénieurs et les médecins" 472 . Ces propos commentent la déclaration du Président du syndicat des médecins, Hamdi Sayed 473 : "Je ne sais pas comment on peut mettre le tabbal (celui qui réveille les gens pendant les nuits de ramadan) qui est devenu l'émir (chef local des Communautés islamiques) à Ambaba dans le même sac que les médecins, les professeurs universitaires, les intellectuels et les membres des syndicats professionnels qui croient à un islam modéré et lumineux et qui combattent l'extrémisme autant dans leurs dires que dans leurs actes. (..) Le courant islamique avec lequel le syndicat des médecins établit des relations est un courant très modéré et très ouvert qui a dénoncé le terrorisme et qui croit à la démocratie et au choura (le conseil pour l'autorité) comme moyen et arme pour le travail politique.". * * * * * 470 - Alain Rousillon, "Entre al-jihâd et al-Rayyân : phénoménologie de l'islamisme égyptien", in Maghreb - Machrek, La documentation Française, Paris, nø 127, janvier- février- mars 1990, pp. 28-29. 471 - Pour plus des détails sur les Gemaat islamiyya, cf. François Burgat, "Egypte 1990 : les réfugiés du politique, in Annuaire de l'Afrique du nord, tome XXIX, 1990, Paris, éd. du CNRS, p. 541. 472 - Entretien avec S. Abdel Karim, membre du conseil de la direction du syndicat. 473 - Entretien avec Hamdi al-Sayyid, journal Al Wafd 19 janvier 1993, repris pas la Revue des ingénieurs nø 444, février 1993, p. 29.

6- L'expéri<strong>en</strong>ce assidue <strong>et</strong> la réflexion humaine persistante sont <strong>les</strong> meilleurs<br />

moy<strong>en</strong>s de concevoir un système de civilisation ; comme si Hassan opposait implicitem<strong>en</strong>t<br />

un savoir humain à un savoir exclusivem<strong>en</strong>t religieux.<br />

7- La sci<strong>en</strong>ce doit être accompagnée par la sincérité. On ne doit pas accepter<br />

un travail ou un poste si on n'est pas apte à l'accomplir ou si une autre personne est mieux<br />

placée pour le faire.<br />

Nous pouvons remarquer que ce propos est doté d'une forme religieuse<br />

explicitée par l'emploi des termes : licite, illicite, foi, expéri<strong>en</strong>ce du Prophète, <strong>et</strong>c.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, quant aux vers<strong>et</strong>s coraniques utilisés, ils ne constitu<strong>en</strong>t pas une base théorique<br />

pour sa p<strong>en</strong>sée comme c'est le cas pour <strong>les</strong> p<strong>en</strong>seurs islamiques classiques ; car ils sont<br />

employés très peu <strong>et</strong> a posteriori comme confirmatifs de sa réflexion "sci<strong>en</strong>tifique". Quant<br />

au cont<strong>en</strong>u, il relève d'une t<strong>en</strong>dance nationaliste <strong>en</strong> m<strong>et</strong>tant l'acc<strong>en</strong>t sur l'amour de la<br />

Patrie, la force de la nation pour le développem<strong>en</strong>t national <strong>et</strong> contre <strong>les</strong> intérêts des<br />

<strong>en</strong>treprises étrangères. 469 Tout <strong>en</strong> rappelant avec fierté sa formation comme ingénieur <strong>en</strong><br />

aéronautique <strong>et</strong> l'expéri<strong>en</strong>ce qu'il <strong>en</strong> tire, Hassan fait allusion à ses li<strong>en</strong>s d'"éternelle"<br />

amitié avec un Cheikh, figure emblématique de la rénovation religieuse, tel que Youssef<br />

al-Kardawi ; comme s'il voulait montrer aux lecteurs son attachem<strong>en</strong>t à la p<strong>en</strong>sée<br />

islamique exprimé par l'un de ses symbo<strong>les</strong>. En général, <strong>les</strong> ingénieurs réformistes<br />

légitim<strong>en</strong>t leur intérêt pour <strong>les</strong> affaires religieuses parce que, "<strong>les</strong> ingénieurs connaiss<strong>en</strong>t,<br />

dit M. K., la société mieux que <strong>les</strong> oulémas, grâce à leur contact quotidi<strong>en</strong> avec <strong>les</strong> g<strong>en</strong>s<br />

de toutes <strong>les</strong> catégories socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> religieuses".<br />

Cep<strong>en</strong>dant, l'impact des ingénieurs réformistes dans leur combat pour<br />

moderniser l'islam reste limité par rapport aux intellectuels réformistes égypti<strong>en</strong>s qui,<br />

depuis fort longtemps, jou<strong>en</strong>t un rôle très important dans la diffusion d'un islam modéré<br />

dans tout le monde arabe (par exemple Hassan Hanafi, Adel Husein, Mohammed 'Amara,<br />

<strong>et</strong>c.,). C'est pourquoi, ces ingénieurs ne sont pas avant-gardistes comme c'est le cas de<br />

l'ingénieur Mohammed Chahrour <strong>en</strong> Syrie où le débat avec <strong>les</strong> oulémas traditionnels a<br />

suscité un écho important dans la société.<br />

Si <strong>en</strong> Syrie le débat <strong>en</strong>tre Etat ba'athiste <strong>en</strong> place <strong>et</strong> Etat islamique questionne<br />

la relation <strong>en</strong>tre islam <strong>et</strong> laïcité, <strong>en</strong> Egypte ce débat n'est pas c<strong>en</strong>tral du fait que l'Etat<br />

n'apparaît pas, aux yeux des islamistes réformistes, comme un Etat laïc, surtout à cause de<br />

la diffusion quotidi<strong>en</strong>ne par l'Etat de "l'islam(isme) officiel".<br />

Enfin l'action m<strong>en</strong>ée par ces ingénieurs réformistes ne pourrait pas être<br />

analysée comme une fuite <strong>en</strong> avant ou comme une voie facile de Salut. Ces ingénieurs<br />

tout <strong>en</strong> participant à la <strong>modernisation</strong> <strong>et</strong> tout <strong>en</strong> étant des technocrates, adhér<strong>en</strong>t au<br />

proj<strong>et</strong> culturel <strong>et</strong> social de la <strong>modernisation</strong> de l'islam, ce qui nous a conduit à<br />

considérer leur mode d'action comme voice dans le langage de Hirschman.<br />

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Ces deux composantes du courant islamique, ingénieurs dépolitisés <strong>et</strong><br />

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la discordance <strong>en</strong>tre pratiques discursives <strong>et</strong> pratiques socia<strong>les</strong>. Il s'avère difficile de<br />

compr<strong>en</strong>dre la discordance sans que l'on considère l'"esthétisme" dans la rev<strong>en</strong>dication<br />

idéologique. C'est toute l'articulation d'une consci<strong>en</strong>ce professionnelle à une id<strong>en</strong>tité<br />

islamiste qui fait que l'islam est utilisé consciemm<strong>en</strong>t <strong>et</strong> inconsciemm<strong>en</strong>t pour la<br />

mobilisation tout <strong>en</strong> le soum<strong>et</strong>tant, dans la pratique sociale, à l'exig<strong>en</strong>ce de l'historicité <strong>et</strong><br />

des rationalités "sci<strong>en</strong>tifiques" <strong>et</strong> techniques.<br />

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- Voir l'analyse de Baudouin Dupr<strong>et</strong> dans son article, "La problématique du nationalisme dans la<br />

p<strong>en</strong>sée islamique contemporaine" in Egypte / Monde arabe, Le Caire, CEDEJ, n° 15-16, 3e <strong>et</strong> 4e<br />

trimestres 1993.

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